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BULLETIN
COMMISSIONS ROYALES
D^ART ET D'ARCHÉOLOGIE.
BULLETIN
DES
COMMISSIONS ROYALES
D'ART ET D^ARCHÉOLOGIE.
VINGT-TROISIÈME ANNÉE.
BRUXELLES,
C. MUQUARDT, ÉDITEUK, RUE DE LA RÉGENCE, 45.
Même maison à Gand et à Leipzig.
I88i
THEGF.TTYCEimK
UBRARY
L'ART BELGE
A L'EXPOSITION INTERNATIONALE DE NICE
La Commission instituée pour organiser le compartiment
belge à l'exposition de Nice a rempli sa mission avec
conscience. M. Portaels, qui s'est charge du placement des
œuvres avec son abnégation habituelle, a fort bien tiré parti
du salon et de la petite annexe qui ont été mis à sa disposi-
tion. L'effet produit est harmonieux; la somme des talents
exhibés est estimable.
Le contingent d'Amsterdam, plus sévère, était d'une
valeur plus haute. Là, nous luttions avec avantage. A Nice,
la France l'emporte évidemment; mais il faut ajouter immé-
diatement qu'elle a pour elle le nombre et le choix des
œuvres. L'esprit patriotique a plus de force en France que
chez nous; l'amour-propre national, facilement surexcité,
unit les artistes dans une même pensée : vaincre si c'est
possible, et en tout cas ne jamais être mauvais second.
Un nombre assez considérable de nos meilleurs artistes
se sont abstenus. Il y avait des « trous » dans l'exposition.
Or, nous n'avons pas trop de toutes nos forces quand la
France ou l'Allemagne est en ligne. Du moment que la
Belgique va à l'étranger montrer ses produits artistiques ou
— G —
indiislricls, elle doit toujours être digne de son glorieux
passé. C'est surtout dans les œuvres du travail que noblesse
oblige.
Un apj3el a pourtant été fait à nos artistes; il faut remercier
ceux d'entre eux qui ont répondu, pensant sans doute qu'il
ne leur était pas permis de déserter le champ de bataille,
même lorsque l'État n'avait que des vœux à formuler pour
leur succès.
J'affirme que, si tous nos artistes avaient répondu à cet
appel, nous eussions lutté à Nice comme à Amsterdam, et le
résultat de notre coopération eût été des plus honorables.
Aujourd'hui, les nombreuses abstentions ont naturellement
donné à notre compartiment un caractère modeste. Je dois
cependant ajouter que les qualités de l'école sont nettement
accusées dans les cent et quelques œuvres exposées; un
ensemble de coloration savoureuse, une remarquable habileté
d'exécution, une entente de la mise en scène des éléments
de nature picturale. Les Belges sont peintres de naissance
— et en particulier les Flamands — comme les Français
sont comédiens. Presque tous ceux qui ont le goût de la
peinture ont des moyens à développer, les uns plus, les
autres moins. Mais, comme en toute autre carrière, les
médiocres sont toujours les plus nombreux.
Ce qu'on devrait leur dire plus souvent, c'est que la plu-
part de nos artistes ne se donnent pas la peine d'aider, par
une instruction sérieuse et par l'élude des éléments scien-
tifiques indispensables à leurs travaux, au développement
de leurs facultés naturelles. Avoir des qualités natives, c'est
fort bien ; mais encore faut-il ne pas les laisser en friche, et
se contcntfT de ce qu'elles peuvent produire sans culture.
— 7 —
L'exposition belge de Nice, comme toutes nos expositions,
démontre clairement cette réalité : nous ne nous donnons
pas assez de peine pour que nos œuvres picturales soient en
même temps intelligentes.
Je sais fort bien, et je n'ai pas été le dernier à le publier,
qu'une belle vache de Cuyp, un intérieur de cuisine de
Pieter de Hooghe, des accessoires do Jordaens, une kermesse
de Rubens ont plus de réelle valeur artistique que telles
grandes pages historiques prétentieuses où il n'y a ni obser-
vation, ni connaissance de la physionomie humaine, ni
amour de la vérité. Le sujet, dans les arts, n'a pas la valeur
qu'on veut quelquefois lui donner. La Joconde, souvent
citée" en ces sortes de discussions, est un chef-d'œuvre,
comme une Vierge de Raphaël ou un martyr quelconque de
Rubens.
Mais l'expression d'une scène ou d'un paysage, la manière
de concevoir, le choix, le goût personnel, ont une impor-
tance sur laquelle il semble qu'on n'appelle pas assez l'atten-
tion des artistes. Les choses et les hommes peuvent être
examinés par divers côtés; et, pour produire une œuvre qui
résiste au temps, il n'y a qu'un bon côté pour chacun des
artistes qui veulent le représenter. Nos peintres, qui ne pa-
raissent pas se douter de cela, expriment les physionomies,
les formes et les couleurs comme au hasard, telles qu'elles se
présentent, sans les examiner pour en trouver l'aspect le
plus original et le plus caractéristique. De là la vulgarité et
la banalité qui encombrent nos expositions. Les grands
artistes, parce qu'ils voient clairement et pénètrent plus pro-
fondément, font quelque chose de rien ; les autres font rien
de quelque chose. Les qualités spéciales des êtres et des
— 8 —
objets échappent logiquement à ceux qui se contentent de
les regarder en passant; ils n'en voient que l'apparence
matérielle. Ne sont-ce pas les impuissants qui ont inventé la
religion de la « tache de couleur. » L'apparence leur a suffi,
et ils ont constitué une école d'artistes pour qui la forme vient
en second rang. D'autres, qui ne voient que la forme, versent
dans la même erreur. La nature, complexe, variée à l'infini,
du charmant au monstrueux et du grotesque au sublime,
nous enseigne que rien ne doit être négligé dans les œuvres
qui doivent la représenter, qu'elles soient analytiques ou
synthétiques, qu'elles donnent l'idée d'un caractère ou d'une
scène. Nos artistes ne paraissent pas se douter de cela; ils
croient qu'il suffit de se laisser aller à sa fantaisie, que la
science et la réflexion sont inutiles, que l'étude est une
superfétation, et cela parce que des génies puissants leur
semblent avoir produit des chefs-d'œuvre comme un oiseau
chante, comme un enfant marche sans avoir appris. Leur
erreur est double, puisque le génie a travaillé, étudié,
approfondi, puisqu'il a souffert dans l'enfantement.
E. L.
VERRES A LA « FAÇON DE VENISE >
FABRIQUÉS AUX PAYS-BAS
3° L. E T T R. E
au Comité du Bulletin des Comuiissions royales d'art
et d'archéologie (i)
Messieurs,
Gomme le dit parfaitement M. Pinchart (2), à propos de
la grande diffusion de la verrerie à la façon de Venise par
toute l'Europe, il y a bien des recherches encore à faire sur
l'histoire de cette industrie artistique.
Le verre est, malgré sa fragilité, un des produits qui ont
été le plus exportés au loin.
Avant Venise, que d'aucuns considèrent comme ayant été
(i) V-oir ci -dessus, Bull, des Comm, roy. d'art et d'archéol., XXII, pp. 133
et 535.
(2) Ibid., p. 389.
— 10 —
seulement riiérilière de Sidon, d'Alexandrie et de Rome (i),
CCS dernières villes envoyaient à l'étranger des fabricals
artistiques dont la forme indiquerait réellement une trans-
mission à la ville des lagunes, des procédés et secrets de
fabrication des cités anciennes.
En effet, une tombe de Hollange (Grand-Duché de Luxem-
bourg), tombe belgo-romaine (et qu'on tendait encore à
vieillir en l'appelant sépulture druidique), révéla aux
veux étonnés des fouilleurs une magnifique coupe en verre
contenant dans son épaisseur des dessins variés formés par
des fils d'émail opaque, diversement colorés, d'une finesse et
d'une ténuité extrêmes... La première pensée des inventeurs
est immédiatement de dépeindre les procédés de fabrication,
en empruntant à Venise la description des siens (2).
Quand on trouve des verres au mont Beuvray (l'ancienne
Bibracte?), on s'écrie qu'ils offrent des types et des mélanges
de verres colorés « aussi remarquables que les produits dont
les Vénitiens ont été considérés comme les inventeurs 1,500
ou 2,000 ans plus tard (5). »
Deville (4), en dépeignant certains verres de Pompéi, qu'il
croit avoir été fabriqués là même, énonce que cette localité,
« 1,500 ans avant Venise, fabriquait des verres à filigranes
(1) Indépendamment d'aleliers grecs , étrusques, campaiiiens, comme ceux
dont les produits sent décrits au Bull, monumenlul, XII, cité par les Publications
de la Société pour la conservation des monuments dans le duché de Luxembourg,
IX, p. 21 (rens. de M. de LoNCPÉiUEit) ; Deville, Histoire de l'art de la
verrerie dans l'antiquité, p. 49, pi. ix"; Lenormant, Catal. de la collection Raifé,
n" 1461 (au sujet de coupes en verre-cristal, trouvées à Cume ).
(2) D'après Pelol'ze et Frémy, Traité de la chimie générale, M, p. r>75.
(î) lievue archéologique , 1872, p. :'.'20.
(*) Loc. cit.
— H ~
avec un ar(, une délicatesse, une perfection que Venise n'a
pas surpassés », et il reproduit, en effet, certains verres dont
les nuances sont fondues dans la masse, « de manière à
ressembler à certains verres de Venise. »
Noire honorable président, M. Chalon, en décrivant le
beau plateau en millefiori de Gorroy(i), conslalait, Messieurs,
la même ressemblance des verres anciens et des verres de
Venise, en disant : « Figuier et bien avant lui Salomon,
l'ont dit : il n'y a rien de nouveau sous le soleil. Ainsi ces
verres filigranes que nos verreries actuelles de Namur ont,
avec tant de succès, imités des verriers de Venise du xvii"
siècle, ceux-ci les avaient cux-mèmcs imités des anciens. »
Mais mieux vaut encore déplacer au loin l'industrie elle-
même que les fabricats, alors que ceux-ci se brisent si faci-
lement ; les verriers de l'Empire romain avaient déjà songé à
transporter leur art avec eux à l'étranger, sachant qu'ils trou-
veraient parlout la matière première : les savants, que la lec-
ture des œuvres de de Guignes, Rémusat,Klaproth, Reinaud,
aura familiarisés avec les relations entre l'Empire romain et
l'exlrème Orient, apprendront sans stupéfaction que, d'après
les livres chinois, entre les années 424 et 451, c'est-à-dire
sous les petits-fils de Théodose, un marchand européen se
présenta à la cour de l'empereur de la Chine pour lui offrir
de fabriquer des verres de différentes couleurs, comme ceux
que la Chine recevait déjà à cette époque de l'Occident (2).
(0 Bull, des Comm. roy. d'art et d'arcliéoL, lil, p. 192. D'après ce que m'a
dit feu M. DE LoNGPÉRiER, une tasse en verre millefiori qui figurait à l'Exposition
de Paris de 1867, provenait de Corroy, et complétait peut-être la soucoupe.
(2) Reinaud, Relations politiques et commerciales de l'empire romain avec la
Chine, etc., p. 48(î.
— 12 —
Faut-il donc s'étonner que, comme les verriers romains,
leurs précurseurs, — les verriers italiens de la Renaissance,
aient songé à transporter leurs personnes et leurs procédés
dans les pays étrangers?
Peut-cire même y eut-il réciprocité, et certains de nos
verriers flamands émigrèrenl-ils aussi au loin, même dès le
moyen âge
Mais que je n'anticipe pas; je traiterai en son lieu cette
question intéressante.
Je veux parler d'abord de la très grande émigration des
verriers italiens, par toute l'Europe, au xvr siècle et au xvii*.
Nos lecteurs, Messieurs, par des lettres de M. Pinchartet
par les miennes, connaissent déjà les verreries à la façon de
Venise établies en divers lieux, qui faisaient concurrence à
nos fabriques belges ou dirigées par des Belges, à Anvers,
Bruxelles, Liège, Maestricht, Bois-le-Duc, Mézières,
Verdun, etc., etc.
Il est intéressant, à ce propos, de citer les termes mêmes
de la requête du 7 janvier 1615 (i) que j'avais simplement
mentionnée.
On y parle de l'utilité qu'il y a d'établir, pour la fabrication
du verre à la façon de Venise, une fournaise à Bruxelles,
ville qui doit aussi bien en être pourvue « que les autres
villes réaies du monde, si comme celle de Venise qui entre-
lient quatre fournaises pour son service seul, la ville de
Rojne deux, et à Florence une pour le service de la Court et
du peuple, comme aussi en Naples, à Milan, à Veronne, à
Parys et à Londres, en Angleterre, de manière que tous les
(i) lloLiJov, Ducurai'iit XI.
— 15 —
Roys et Princes désirent cl affectent avoir en leur royaulmc
cette science... »
Eh bien ! dans les termes de cette requête, il n'y avait
absolument aucune exagération : de nombreuses omissions
existent dans l'énumération, pourtant si circonstanciée, de
toutes les villes où on se livrait à la fabrication du verre à la
façon de Venise.
Quoiqu'on nous dise que seulement vers 1547 commença
l'émigration des verriers italiens vers l'étranger (i), une tra-
dition et certains renseignements consignés en des manus-
crits du xviii^ siècle, énoncent que les verriers belges de
Golnet, dont on trouve la trace chez nous dès la fin du
XIV® siècle, seraient d'origine italienne. Citons cette hypothèse
ici uniquement pour mémoire et sauf à y revenir.
Mais, dès la première moitié du xv^ siècle, il existait en
Allemagne des verreries où l'on s'efforçait d'imiter les pro-
duits de Venise, qui avaient déjà alors une grande vogue (2).
En 1428, un verrier de Murano, Onossorius de Blondio,
avait établi une usine à Vienne. Un autre, en 1486, Nicolas
dit le Welche (0), demandait l'autorisation de fonder un éta-
blissement pour faire des verres à la façon de Venise ; le
Conseil d'État accueillait sa demande et lui accordait même
une exemption d'impôts pendant dix ans. Sa verrerie
construite à Vienne, dans les environs du Prater, était encore
(j) Moniteur belge du il novembre 1878, p. 3596.
(i) Peugot, Le verre, son histoire et sa fabrication (Paris, 1877), p. 542.
Cfr. (Hettner), Fuhrer durch das provincial Muséum zu Trier (iv/eile Aiiflage,
1883), p. ol, qui lui-même cite le Guide du Gewerbe Muséum de Berlin.
(s) Welche est quelquefois pris pour Ueltje : aurions-nous ici la « Verrerie
d'Allemagne associée à une maison flamande » dont parlent les frères Danzolo
en lo07? (Voir ci-après ce qui concerne cette requête).
— 14 —
en activité en 1565. Une autre, « à la mode italienne, »
lut installée à Veidlingen, près de Vienne, sous le règne
de l'empereur Ferdinand I"; on faisait alors de grands
efforts pour transplanter en Autriche l'industrie des Véni-
tiens. On ajoute qu'à celte époque la vogue des produits
italiens était immense en Allemagne et qu'on cherchait sans
grand succès à les imiter, allégation bien contraire, on l'a
vu plus haut, à celle des verriers d'Anvers, qui, en 1G07,
soutenaient que leurs concurrents de Liège contrefaisaient
les verres de Venise « sy ponctuellement qu'à grand peine
les maislres sçauraient juger de la différence. » La fabrica-
tion belge à la façon de Venise l'aurait donc emporté sur
toutes les autres au nord des Alpes.
En 1572, un Salviati (nom bien connu à Venise, où on
le retrouve encore aujourd'hui dans la firme d'un des prin-
cipaux établissements verriers), du prénom de Fabiano,
s'adressa au comte du Lude, gouverneur du Poitou, pour
obtenir sauvegarde à l'égard des gens de guerre : le
comte du Lude accorde ce qu'on lui demande « voulant
gratiffier, favoriser et bien traicler Fabian Salviate, cs-
ciiycr, gentilhomme de iMyrane, pays de Venize, venus,
luy et sa famille, en ce païs de Poictou pour praticquer
l'an de la verrerie, » et le gouverneur autorise l'impé-
trant à placer « sur le pourtant de sa mayson de l'Ar-
gentière (paroisse de Prailles), ses armes et pannonceaux, »
en le dispensant de tout logement militaire (i). Pour ob-
(i) li. i'ii.Lo.N, L'art (le terre chez les Poitevins, p. 208.
Ce passage n'avait pas échappé à M. Pinxhart {BkU. des Comm. roij. d'art et
d'arcliéul., XXI, p. 501). .Si j'y reviens ici, c'est à raison tlu docuincnl concernant
Allaie, sur lequel j'aurai à insister ci-après.
— dé-
tenir ces faveurs, Salviati avait sans doute fait ses preuves
et était établi depuis quelque temps dans la contrée.
Le 11 août 4588, Jean Ferro, gentilhomme verrier,
sans doute Italien à en juger par la désinence de son nom,
et la ressemblance de ce nom avec d'autres qui sont cités
[)lus loin, présenta requête à la ville de Nantes pour obtenir
le droit de travailler en verre et vaisselle blanche ou faïence,
avec maintenue et jouissance des privilèges accordés aux
gentilshommes. Il lui fut répondu par le bureau qu'il pou-
vait exercer son état et jouir de ses privilèges dans la ville,
les faubourgs et tout le comté. Il est présenté comme le
premier verrier qui se soit établi à Nantes (i).
On verra plus loin d'autres verriers italiens, les Saroldi
établis dans le Poitou depuis 1645.
En France, l'attention avait été tout spécialement attirée
sur les verres de Venise par le fait suivant : un vaisseau
espagnol avait été pris par les corsaires de La Rochelle et
conduit dans le port de cette ville, à la fin de l'année 1542,
époque d'un séjour de François I" (2) : 20 grands coffres
pleins de coupes de Venise, etc., furent retenus et payés
par le roi, et un grand nombre des objels provenant de la
prise furent distribués aux dames de la cour, ou envoyés
à Rouen et à Dieppe, La « grande beauté » qu'on trouva
à ces exemplaires de l'industrie italienne les mit immédia-
tement à la mode, et M. Pinchart (0) nous a fait connaître
(i) Travers, Histoire de Nantes, lll, p. 3.
(2) B. FlLLON, /. cit., p. 117.
M. Pinchart, ci-dessus, XXII, p. 5G5, cite déjà en 1538, de la « vaisselle de
verre cristallin vénitien, » en un inventaire de François 1<='.
(3) Ihid., p. 371.
— lo-
que quelques années plus tard, en 1551, Theseo Mutio de
Bologne, obtenait en France, de Henri II, privilège pour
la fabrication de verre « de la même beauté et excellence
que ceux qu'on souloit apporter de Venise. »
Sous Louis XIV, Colbert établit en 1G65, à Paris, au
faubourg Saint-Antoine, une manufacture de verres à la
façon de Venise, à l'effet de dispenser les Français de
s'adresser à Murano pour y obtenir des verres italiens à des
prix élevés (i). On nous montre le Roi Soleil allant, en
grande pompe, une après-midi, visiter dans ces ateliers du
faubourg, les ouvriers qu'on lui avait expédiés de Venise
pour cette fabrication (2).
En 16G9, Colbert recommandait à l'ambassadeur français
de s'informer à Venise si la République fabriquait autant
de glaces qu'autrefois, où elles s'expédiaient et si les manu-
factures françaises y avaient toujours le même débit.
Non seulement Colbert travailla à dégoûter les négociants
français de s'approvisionner à Venise, mais il chargea l'am-
bassadeur d'engager pour la France des ouvriers vénitiens.
L'ambassadeur avait répondu que les peines les plus sévères
frappaient les ouvriers qui consentaient à s'expatrier, et que
ceux qui essayeraient de se mettre en relation avec eux à ce
sujet, risqueraient d'être jetés à la mer. Cependant, sur les
instances répétées de Colbert, on parvint à attirer en France
quelques ouvriers vénitiens, qui contribuèrent à la création
de la grande manufacture de glaces de Saint-Gobain et de
(1) Biographie universelle, v" Colbeut.
(») Ch. ViuAitTE, Venise. Histoire, Arl, Iniludric, de, 3« édit. Paris, 1878,
1). 21 i.
— 17 —
celle de Cerey ; mais après la mise en train de ces élablis-
semenls, on élail arrivé à un degré suffisant de perfection
dans la fabrication, pour pouvoir se passer désormais du
concours des ouvriers italiens (i).
A Dessau, chef-lieu du duché d'Anhall, on a aussi
fabriqué au xvii* siècle du verre à la façon de Venise, et
Demmin (^2) commet l'étrange erreur d'affirmer que « les
verres à ailettes (FlOgelgliiser) attribués à tort, avant mes
recherches, dit-il, à la verrerie de Venise, ne datent que du
xvn'" siècle, où ils ont été soufllés à Dessau... »
Voilà Venise biffée d'un trait de plume, et en même temps
toute la verrerie à la façon de Venise du xvi* siècle !
Mais ce qui est plus étrange, c'est que Demmin lui-même,
par les détails qu'il donne, fournit la preuve du concours des
ouvriers de Venise.
« La manufacture, dit-il, avait été fondée en 1669 au
château d'Oranienburg par le prince Jean Georges II d'An-
halt (ici des détails tout à fait superflus sur ce personnage et
sur son fils). La manufacture fut installée l'année suivante à
Dessau même. Un verre, le premier produit par cette manu-
facture le T'' décembre 1669, fait partie de la collection de
la maison gothique à Woerlitz, près de Dessau. En 1679,
dix ans après la fondation, le prince fit venir de Murano le
verrier Marinelli, et de Vienne Ludovico Savonelli (3), le
(0 Clément, Histoire de Colberl et de son administration (187i), F, p. 313.
Cfr. PiN'CHART, ci-dessus, XXII, p. 597.
(i) Guide de l'amateur de faïences et de porcelaines, i« édit., 1873, p. 1331.
11 est utile de reproduire ici tout le passage auquel il a déjà été fait allusion
ci-dessus, XXII, p. -138.
(s) Ce qui prouve la continuation de la verrerie de Vienne it la façon de Venise
durant le xvii" siècle (Voy. ci-dessus, p. 20j.
second, probablement aussi italien, afin d'introduire dans la
manufacture la fabrication des verres dits vénitiens. C'est
donc entre 1G79 et IG8G, année où la production cessa, que
tous ces verres à ailettes (Fliigelgiascrj faussement désignés
comme vénitiens, ont été fabriqués à Dessau. Beckmann,
dans son Histoire d'Anhalt, II, III, p. 08, parle de cette
célèbre manufacture, dit qu'on y a aussi fabriqué des verres
de cristal,... des verreries en filigrane, des verres de cou-
leur, et qu'un des verriers, nommé Joselli, y a fait des mi-
roirs avec cadre de verre qui furent débités avec succès aux
foires de Leipzig, et un grand nombre furent faits pour la
cour de Prusse et d'aut/es cours princières. »
On le voit, quoique la Sérénissime république appelât
l'industrie du verre la « pupille de mes yeux » (i); quoique
depuis Ho-î, des statuts draconiens prononçassent les peines
les plus sévères et même la mort contre les ouvriers verriers
transfuges; quoique depuis 1490 (2) la corporation des
verriers de Venise eût été placée sous la tutelle immédiate
du Conseil des Dix; bien des verriers de Murano, comme le
dit l'abbé Zanetti en un passage cité par M. Pincbart dans
sa deuxième lettre, s'enfuirent de Venise séduits par l'or de
l'étranger, et « il y aurait de quoi étonner le lecteur si l'on
faisait l'énumération de tous ces déserteurs. »
Qu'on en juge rien que par la liste des localités suivantes,
où au XVI* siècle et au xvii' on a fabriqué du verre à la façon
de Venise avec le concours d'ouvriers italiens.
(1) Amaii, hizionario, v°Miiraiiii, p. 4!)i.
(î) Cil. YniAi'.TK, p. 21 "j.
— 19 —
Ces endroits sont les suivants, au nombre d'environ
cinquante :
Dans les Pays-Bas : Anvers (i), Bruxelles (2), Namur (3) ;
Dans les Provinces- Unies : Bois-le-Duc (4), Middel-
bourg (5), Amsterdam (o), Harlem (7);
Dans le Pays de Liège : Liège, Huy, Maestricht (s) ;
En France: Paris (9), Rouen, Melun, Nevers (10), Ver-
dun, Mézières (ii), Nantes, Vendrennes, l'Argenlière (en
Poitou) (12), Saint-Gobain, Cerey (13), des localités de la
Provence et du Dauphiné (14);
(i) Houdoy; Pixchart; Génard, Bulletin des archives d'Anvers, \\U elXIV,
passini; B{dl. des Comm. roy. d'art et d'archéoL, XXil, p. 135 et 557.
(2) Houdoy, j3assi/H.
(?) Houdoy, Document XII, du 4 septembre 16:29; S. Borjians, Bull, des
Comm. roy. d'art et d'archéoL, XIX, p. 46o;clr. XXII, p. 599; M. van de
Casteele vient de retrouver un document du 13 février 1629 concernant la
verrerie de Namur ii la façon de Venise.
(4) Van de Casteele, Lettre à Monsieur >S'(chuermans) sur Vancienne verrerie
liégeoise, p. 4 et 14. (Je cite la pagination spéciale de cet intéressant écrit qui a
(léjii eu deux éditions, — et non celle du Bulletin de Vlnstitut archéologique
liégeois, t. XIV, dont la première édition est un tiré à part.)
(5) Bull, des Comm. roy. d'art et d'archéoL, XXII, pp. •148, 571 et 587 :
c'est M. Génard qui, contrairement h ce qu'affirme le second passage cité, a le
mérite d'avoir le premier fait connaître cette fabrication.
(g) PiNCHART, Bull, des Comm. roy. d'art et d'archéoL, XXII, p. 388.
Voy. ci-après, p. 41, pour les verreries d'Amsterdam et Middelbourg.
(7) Bull, cité, p. 571 et 572, note 1.
(s) Van de Casteele, lac. cit.,passim; Bull, des Comm. roy d'art et d'archéoL,
XXII, p. 4o-2et588.
(0) Houdoy, Document du 7 janvier 1625; Bull, des Comm-, roy. d'art et
d'archéoL, XXII, pp. 571 et 589, et ci-dessus, p. 16.
(lo) PiNCHART, Bull, cité, XXII, p. 589.
(h) Van de Casteele, pp. 4, 14, 21 ; Houdoy, Documents de 1607, 1608.
(12) Fillon, voir ci-dessus, p. 14.
(is) Voir ci-dessus, p. 16.
(li) PiNCHART, Bull, cité, XXI, p. 387, et XXII, p. 389; cfr. aussi van de
Casteele, p. 20, où il s'agit d'ouvriers du Dauphiné, engagés à Liège,
_ 90 —
En Alle?iuh/ne: Cologne (i), Kiel (-2), Dessau (3), Vienne,
Vc'idiingen (-4), Nurenberg (5);
En Angleterre : Londres (g) ;
En Italie, outre Venise et Murano : Rome, Naples, Milan,
Vérone, Florence (t), Parme (s), Mantoue (9), Bergame,
Brescia, Bologne, Trente, Turin, Gènes, des localités de la
Romagne (io) ;
En Portugal, à Lisbonne (11);
En Espagne, à Cadix (12);
Dans le Levant même, Zanetti ))arle de colonies de Mura-
nais qui y fabriquaient du verre à la façon de Venise (15).
Et encore dois-je omettre les émigrations qui ont eu lieu,
au wiu^ siècle, vers une quantité de localités que cite le
même Zanetti, mais qui n'intéressent plus mon sujet.
(1) PiN'ciiART, ibid., p. 588, note 5. (V(iy. aussi //'/(/., p. Iô8.)
(î) Van de Casteele, p. 20.
(3) Voy. ci -dessus, p. 17,
(1) Voy. ci-dessus, p. l\. Zanetti, dont M. Pinckart a bien voulu me comnni-
niquer le Guide di Miiraiio, rucutionne Vienne, p. 21o.
(s) On peut le supposer par ceci : Cornachini, qui venait d'Allemagne (Génahd,
Bull, des arch. d'Anvers, XIIF, p. -454), et qui d'Anvers alla à Nurenberg, pour
y trouver des ouvriers, avait sans doute été attaché comme directeur ou artisan
à une fournaise établie en cette ville. Zaketti, loc. cit., désigne tout spécialement
Vieune. Jean-Michel Cornachini (lui-même, ou son père?) avait été héraut
d'armes de Charles-Quint (Rutkens, 1" suppl., p. HO.
(fi) HouDOY, Document du 4 janvier 1623; Pi.ncuakt, UuU. cité, p. 375, ôSO
et 398. Voy ci-après, p. 42.
(?) Hoi'DOY, ibid.; Buffa, l'Universila dell' iirlc rilreu di Allare, p. 23, cite
Naples et Milan. Zanetti, loc. cil., parle de Florence et Tinin.
(») Zanetti, loc. cil.
(9) PiscHAHT, liiiH. cité, p. 389, note 1.
(lOj Ul KFA, p. 23,
(m) Zanetti, Icc. cit.
(h) Id., ibid.
(is) lu , ibid.
~ i2l —
II.
Cependant, il ne faut pas absolument attribuer à Venise
seule l'émigration italienne des ouvriers verriers pnr toute
l'Europe.
Tandis que Venise prohibait la sortie de ses ouvriers,
d'autres localités italiennes favorisaient celle des leurs, ingé-
nieuses' à profiter de la vogue des produits de verre
artistique d'Italie.
Il y avait donc deux courants : un courant parlant de
Venise, comballu par toutes sortes de restrictions et de péna-
lités, etc.; l'autre, facilité par la bienveillance mutuelle des
intéressés : ce courant avait pour source principale Altare,
près de Savone, dans l'ancien marquisat de Monferrat.
Gitladella, dont M. Pinchart (t) invoque le témoignage,
parle d'une grande émigration à l'étranger de verriers
d'Altare, qui allèrent déjà vers 1oi8 transplanter par toute
l'Europe la fabrication dite allariste.
M. van de Casteele, en son intéressante notice sur l'in-
cienne verrerie liégeoise, a énuméré, à côté des verriers de
Murano qui se sont engagés à Liège vers. 1G50, un certain
nombre de gentilshommes verriers venant d'Altare, et la
façon d'Altare était assez estimée pour que parfois on de-
mandât, même aux verriers émigrés de Murano, de tra-
vailler à cette façon, qui était sans doute en faveur.
Leurs contrats portent individuellement la mention :
« luy payant les droits de Messieurs les consultz de lallar,
suyvant et à proportion de sa quoete et contingent (2). »
(1) BuU. des Comm. roy d'art cl d'arcliéol., XXII, p. ôOU.
(î) Ibid., l'p. 155 cl 157; van di; Casieelk, y. 10.
22
Or, — ce qui a permis ci-dessus d'étendre singulièrement
le cercle des localités où l'on fabriquait des verres artistiques,—
il est constaté (i) que la République de Gènes et les fabriques
de Bcrgame, Brescia, Bologne, Trente, Milan, Turin, de la
Romagne et des contrées suivantes : Naples, Angleterre,
Hollande, Flandre, France, Allemagne, recouraient aussi
aux consuls d'Altarc pour obtenir d'eux des ouvriers habiles
à exercer l'art de la verrerie et à ouvrir des fabriques pour la
confection du verre, ce moyennant une rétribution payée
auxdits consuls.
Les Consuls de laltar, des documents liégeois, sont les
consuls d'Al(an>, et en effet, d'après des renseignements
obtenus de la localité même (2), l'adjonction de l'article au
nom fait du nom d'Altarc, dans le dialecte populaire
VAltar.
Ces consuls de l'Altare étaient des administrateurs que
s'était donnés elle-même la corpoi-ation VUniversila de/l'
arte vitrea, ou corporation des verriers d'Allare : les pou-
voirs de ceux-ci furent confirmés le 15 février 1495, par
Guillaume, marquis de Monferrat, et approuvés le 26 juin
1512(3).
Le fait éclaire d'un jour tout nouveau certains documents
(t) l[).JI)id., p. 27.
(i) M. Mariano Brûnui, président de rAssoeiation des arlisicns verriers
lArlieri veirai) d'Altare. I.eLtre à M. Eni. de Laveleyk, membre de l'Académie,
a l'obligeance de qui j'en dois la communication.
Arlisan et artiste sont des expressions dont le sons moderne ne traduirait pas
cxacfenient celle d'artieri : je reprends celle d'artisie/, (ou de amsfeiiacr) que je
trouve dans les recueils de modèles du xvi« siècle, de Théod. de Buy, Floiiis,
Jérôme Cock et autres, pour désigner les industriels qui s'inspirent de l'ail .''
" orfibvrcs, graveurs cl aullres arlisiens. »
(s) IJI FIA, p. 50.
— 23 —
du xvu' siècle, prôsonlc par Fillon (i), (locuinont où col
aulcur n'avait pas compris le nom de localilc « Faltarc »,
qu'il cite plusieurs fois.
Ce document, qui est du i février 1G45, est un certificat
délivré en la ville d'x\ltarc, État de Monferrat, diocèse de
Noli, en présence d'un juge délégué par Charles II, duc de
Mantouc et de Monferrat, par nobles personnes, les sei-
gneurs Pierre -Vincent de Cosse, Jacques -Philippe d(!
Cosse, Barthélémy Ponte (et non Poute), Joannin de Raguet
et Baptiste Cosse, « consuls en la même ville pour l'art
» de la verrerie, celte autorité leur ayant été concédée
» par III. et excell. Seigneur Guillaume, marquis de
» Monferrat, dès l'an 1495, le 5'' jour du mois de février,
» et ensuite confirmée par Sér*"^ Seigneur Guillaume de
» Gonzague,duc de Mantoue etde Monferrat, l'an lo5^ (a). »
Lesdits consuls d'Altare attestent la noblesse de la famille
allariste de Sarode, non seulement par des faits de posses-
sion immémoriale de noblesse et de notoriété, mais surtout
par ce que voici : « ce qui est une preuve très assurée que
» les membres de la famille de Sarode sont nobles et de
» race noble, c'est qu'ils jouissent du privilège d'exercer l'art
» de la verrerie, auquel ceux qui ne sont pas nobles no
» sont pas admis (s); ce qui est très vrai et doit être tenu
0) Loc. cit., p. 209.
(•2) Lire I0I2 (voir plus haut) ou bien lîiS-i, s'il n'y a pas erreur sur la
désignation du prinee : c'est en 1573 seulement que Guillaume de Mantoue devint
duc de Monferrat; auparavant le duché appartenait aux Paléologuc.
(3) Il y avait donc trois sortes de noblesse verrière :
a) En France et aux Pays-Bas, les nobles quoique verriers;
b) A Venise, les nobles, ;;ff/'<:e que veriiers ;
c) A Altarr, les semers, parce que nobles.
^/l
» pour certain el assuré par lous, (.levant tous cl publique-
» ment. «
Il y a lieu de s'arrêter un instant à ces de Sarode, qu'on
déclare nobles parce que, à Altare, les nobles seuls pou-
vaient pratiquer l'art de verrerie.
Celte digression amènera l'examen d'un point intéressant :
y a-t-il eu émigration, au moyen âge, de verriers flamands
vers l'Italie?
Au mois d'août 1882, eut lieu à Altare une fêle du travail
organisée par l'association moderne des verriers de celle
localité.
Le programme de celle fêle est signé par deux membres
de la même famille de Sarode, restés au pays natal : Luigi
Saroldi el Rinaldo Saroldi (i) figurent l'un comme prési-
dent, l'aulre comme secrétaire du Comité exécutif.
C'est là ccrles un rapprochement de noms aussi intéres-
sant que celui qu'on a pu faire entre les noms des Miolti,
des Salviali, tant de Venise mémo que de l'émigration à
l'étranger, noms en quelque sorte attachés à la fabrication
du verre à la façon de Venise.
iMais ce qui est ])lus curieux pour nous, est le contenu
(i) Les DE Sahodi:, du Poitou, devaient ii^iiorer leur origine allariste; car ils
ont laissé Fii.lon dans l'erreur sur le pr(^ten(lu nom l'allure du document qu'ils
lui ont communiqué.
A la suite des présentes recherches, qui ont été accueillies à Altare avec un
empressement indicible, je dirais presque avec reconnaissance, M. MarianoUitoNni
m'écrit que des relations ont été élablies entre les de Sarode, du Poitou, et leurs
parents les Saroldi, restés au lieu d'origine : « Grazia particu'ari le rendono le
famiglie Saroldi, aile quali ha Ella fornito Toccasione di mettersi in relazioue coi
loro iMiciili dcl l'oilou, il clie puii forse turnarc loro utik assai. »
— 25 —
(lu programme de la fêle (i), où l'on rappelle que les ver-
riers d'Allarc avaient eux-mêmes, comme initiateurs, depuis
le X* siècle, des émigrés de Flandre et de France (2). Ce qui,
d'après le programme, ex))lique, comme on l'a vu plus haut,
que, par un échange de bons procédés, la Flandre et la
France, comme Gênes, etc., en s'adressant aux consuls de
l'art de la verrerie à Altare, obtinrent d'eux, dans la suite
des temps, l'envoi d'habiles ouvriers pour faire profiter
le berceau, des progrès efïectués en Italie.
Peut-être le x* siècle est-il bien une date un peu reculée
pour cette influence flamande ou française exercée sur l'art
de la verrerie des Italiens, et probablement faut-il s'en tenir
au moins au \if siècle, date fixée par Amati ; mais ce qui est
parfaitement certain, en tous cas, c'est qu'au commencement
du xvi* siècle, les verriers de Venise déclaraient eux-mêmes
qu'ils avaient quelque chose à apprendre des verriers lla-
mands, puisque, de Murano, en 1 507, est émanée une requête
des frères Danzolo del Gallo, à l'effet de pouvoir imiter el
introduire en Italie les procédés de la fabrication flamande
pour les miroirs (3).
Cette requête parle d'une maison flamande associée à une
maison allemande : il pourrait bien s'agir là de ce Nicolas,
dit le Welche (le Belge?), cité plus haut, qui, en 1486, avait
(0 XV Afjosto MDCCCLXXXK. Fesia ciel lavoro el delà providenza in Allaie,
p. 5. Communication en avait été faite par M. Éra. de Laveleye, qui a rendu
compte de la fête dans la Revue de Belgique, livraison d'octobre 1883.
(2) Amati on l'a vu ci-dessus, Bull, des Comm. roij. d'art et d'archéol.,
XXII, p. ISo, ne parle que d'émigrés de Bretagne et de Normandie.
(s) HouDOY, p. 3, qui cite Turgan, Les grandes usines. Les verreries de
Murano; voy. aussi Sadzay, La verrerie depuis les temps les plus reculés, p. 81 ;
CI). YlUARTE, p 2115.
— 26 —
établi à Vienne une fabrique de verre à la façon de Venise,
ol qui lui-même aurait inventé des procédés dont les Véni-
tiens, à leur tour, sont devenus les imitateurs (i).
Il n'y a rien d'étonnant à pareil échange de procédés
internationaux ; mais que faut-il croire du fait de ces verriers
flamands qui seraient allés se fixer en Italie au x% au xf,
voire même au xii® siècle?
Que nous dit-on à ce sujet? Voici la version de Buffa ('■2),
d'après les légendes et traditions d'Altare : Vers l'an 1000,
raconle-l-on, vivait dans l'ilot de Bergeggi, près de Savone,
un pauvre ermite, venu là de la Flandre française. Il fut
créé abbé de la riche abbaye de Fornelli, près de Mallare.
Les bois épais qui couvraient alors toute la crête des Apen-
nins et dont aujourd'hui encore on admire de majestueux
restes à Monlenolle, l'engagèrent à choisir cet endroit comme
très favorable à l'établissement d'une verrerie, à raison de la
facilité d'obtenir du combustible à proximité. Il persuada à
plusieurs familles de son pays natal d'émigrer et de s'établir
au sommet des Apennins pour y travaillera la fabrication du
verre. Ces familles, au nombre de huit, étaient les Bourdon,
Blanchard, Bousson, Breaund iz), Borgnolle, Baguette,
Saraud, Varaud (?), qui subsistent encore aujourd'hui sous
les noms italianisés de Bordoni, Biancardi, Buzzonc, Brondi,
Bormioli, Bachetti, Saroldi et Varaldi.
Buffa démontre parfaitement l'orisine étrangère de ces
(ij HoiDOv, i>. 11, pense qu'il s'ygissait do la rubricalinn des miroirs des
de Lalaing, dont parle aussi M. Pinciiart, Bull, des Comm. rotj. d'art cl
d'anlicol., XXII, p. 580, ut sur lafiuelle il a annonce qu'il reviendrait.
(i) Loc. cit., p. 12.
(^) Le nom de lirand est porté par une famille de liruges. (Voir Calai, de
l'KxposiUon nationale de Uru.vclles en I880j.
— 27 —
fainillcs qui ont fondé la colonie verrière d'Allarc, à l'exclu-
sion de toutes autres, et dont la plupart s'y sont maintenues
jusqu'à nos jours, continuant à y exercer l'art de la verrerie.
Les cxcellenis arguments qu'il produit, sont tirés du type
physique el de l'idiome des modernes allaristcs. Ils sont do
taille moyenne, mcmbrus, ils ont la face replète et peu
colorée, le crâne presque rond et sont distincts, par ces carac-
tères, de toute la population circonvoisine des Apennins. Les
descendants des familles primitives s'appellent les Mojisi) ; ils
se considèrent comme supérieurs aux Paesani, qui forment
la population adventice. Le nom même de la localité Allarc
ou l'AUare se dit aussi /'.4//e, Làté (l'autel), forme essen-
tiellement étrangère (i) ; ils parlent de Yarte nobla del veirc,
tandis que leurs voisins disent artc nohile delvelro; ils pro-
noncent bal du sabre pour ballo délia sciabola, etc.
Mais si l'origine étrangère est prouvée par là d'une
manière incontestable, c'est peut-être aller trop loin que
d'admettre avec Buffa l'origine flamande.
Voici la forme donnée par lui à son raisonnement :
« La plupart des noms primitifs. Bourdon, Blanchard.
Bousson, etc., sont encore portés aujourd'hui en Flandre
el spécialement à Val-Sainl-Lambert; celte circonstance,
jointe à celle qu'en ce dernier endroit on fabrique du verre
de toute ancienneté, fait croire que la colonie d'Allare pro-
vient de ce pays (2). »
( 1) « lA cresse rie l'Afé <) (ou de PAutel) est le nom wallon d'une cime de rots
du coté de La Roche.
(-2) Voici le texte même de Buffa, p. H : •< I piu di cssi anzi son vivi tuttoia
iiella lor forma origioaria nclla Fiandra, spccialmcnte a Val-Saint-l.amberl. La
quai circostanza, unita a quell' altra dell' essere rolà antichissima l'induslria dt i
velri, ha fatto credere clie la colonia allarese provenissc da quel paese. »
— 28 —
Je regrellc de devoir décliner celle allribulion trop précise,
selon moi ; mais celle précision môme me permet d'en
démontrer l'exagération el l'erreur.
D'abord, la Flandre élail bien une dénomination générale
appliquée aux Pays-Bas anciens, de telle façon qu'à l'étranger
Bruxelles, Anvers, Namur, Tournay, étaient considérées
comme villes flamandes, tout comme Gand, Audenarde,
Bruges, Ypres.
Mais quant à Liège et à Seraing, où se trouve l'établisse-
ment de Val-Saint-Lamberl, ces localités faisaient partie de
l'empire d'Allemagne et ont toujours été séparées des Pays-
Bas, et par conséquent distinctes de la Flandre.
De plus, Val-Saiiit-Lambert, jusqu'à la Bévolulion fran-
çaise, était le siège d'une abbaye, et ce n'est qu'après la
suiipression de celle-ci, qu'au présent siècle, en 1820 (i), on
a transféré dans les bâtiments de celte abbaye la verrerie
précédemment élablie à Vonêche.
Mieux encore, s'il est vrai qu'il y a encore parmi les
verriers de Val-Saint-Lambert des Bourdon, Blancbard,
Bousson, Baquet, etc., il se pourrait que ceux-ci fussent
simplement des descendants d'Allaristes venus à Liège,
au xvi' siècle : en effet, -un Buzzone qui s'engagea en 166o
chez les frères Bonhomme (2), avail repris son nom primitif
de de Buysson (0), et dès lors les hypothétiques Buisson de
(ij Ititll. (1,'s Comin. roij. d'art et d'archéol , XX, p. 202 ( article de
M. S. BoitMANs).
(î) Van de Casteei-e, p. 50.
(î) Un acte de mariaiic do l;i paroisse Saintc-Véroniio, à Licge, en date du
ôl décembre 1625, constate l'iinioii d'un « Buisson, italien, b avec une Dcpayre,
alliée aux de (Jlen et aux Couliouinic
Les l'eni, égalcniint d'Altarc, reprennent aussi dans nos contrées le nom de
— 49 —
Val-Saint-Lambert seraient i)ien plus proches parents des
Buzzone d'Altare que ne le suppose Buffa : il ne faudrait plus
remonter à un auteur commun, datant du x' siècle ou du
xi% et l'on pourrait s'en tenir au xvif .
Il est donc à croire que les verriers altaristcs, si ce sont
des émigrés arrivant d'au delà des Alpes, proviennent do
Bretagne et de Normandie, peut-être de la Flandre française,
mais non du pays de Liège.
M. van de Casteele, dans son travail déjà cité, énumère
les noms suivants des Allaristes (i) implantés à Liège au
XVII* siècle, Sebastiano, Francesco et Vincenio Masaro,
Antoine de Buysson, Léandre de la Faire, qm se qualifiaient
eux-mêmes Altaristes dans les contrats passés par eux; il
faut y ajouter les noms suivants :
Antoine Mereingo, mentionné seulement comme italien par
M. van de Casteele. Dans son contrai, il stipule une rede-
vance en faveur des consuls d'Altare; de plus, d'après un
passage de M. Buffa, cité ci-après, un verrier Mirenglio, ori-
ginaire d'Altare, dirige encore une usine à Terni, et d'après
une lettre que m'a adressée M. Mariano Brondi, d'autres
La Fayre, avec les variantes de Fair, de Fer (voir registres baptismaux de la
même paroisse).
Cfr. pour mémoire le nom des verriers belges de Férier, au commencement du
xvi" siècle (PiNCHART, ci-dessus, XXI, p. 386, note 2); id , des Ferry {ibid.,
p. 58o), etc. Voy. aussi Reboul, Les de Ferry, etc , verriers provençaux.
(Communication due à Tobligeancc de M. Pinciiart.)
U) On pourra faire le même travail ultérieurement, à propos des Muranistes;
mais le travail est plus aisé en ce qui concerne les Altaristes, parce que le
nombre des familles est plus restreint, tout en ayant fourni un nombre plus
considérable de leurs membres à l'industrie verrière : aujourd'hui plus de
quarante membres de la famille des Bormioli sont encore inscrits dans la corpo-
ration.
— 30 —
Mirenghi existent encore à Allare, quoique ayant abandonné
l'exercice de la profession de verriers.
Jovani, Jiocepo, Jogiocepo et Guillaume Caslellano.
Dans le contrat cité de Mereingo, il est stipulé que celui-ci
aura une « chambre et lit conforme à monsieur Castellane
avecque ce luy payant aussi les droicts de messieurs les
consults de lallar; » ce mot aM55i semble assimiler les deux
individus quant à la nationalité; en outre, la même lettre de
M. Marlano Brondi fait connaître qu'à Altare il existe une
|)lace publique cl une fondation pieuse portant le nom des
Castellani.
Aux noms cités par M. van de Casteele, M. Mariano
Brondi propose d'ajouter celui d'un verrier italien d'Anvers,
nommé Sanlo Scinnco, nommé par M. Génard (i); il parait
qu'il existe des Scliinco aux environs d'Altare, point qui fera
l'objet d'investigations ultérieures.
Enfin, dans la brochure de M. Bulîa, apparaît comme
essentiellement altariste, le nom des Varaldi; or, plusieurs
actes de naissance de la paroisse de Sainte-Véronique, à
Liège, à laquelle appartenait le faubourg d'Avroy, résidence
des verriers italiens, nous font connaître un Guillaume
Varaldo (aussi nommé VValrade, Varade), comme parrain
avec des marraines du nom de Glaudia de Fer (probable-
ment de Faire), de Marie et d'Elisabeth de Glen, ce qui sera
démontré ultérieurement être un indice probable de relation
avec les verreries dirigées par la famille de ce dernier nom,
d'autant plus qu'en l'un des actes cités (du 22 décembre
(i) liiillelin des arcliives dWinm, XIV, p. lit).
1652), les parenls du filleul de Guillaume Varaldo sont
Henri Bonhomme el Marie de Glen.
Il aurait été bien intéressant de pouvoir distinguer les
deux façons de Venise et d'Allare dont les actes font
mention.
A cet effet, différentes questions ont été adressées ù
M. Mariano Brondi, qui y a répondu de la manière qu'on
trouvera ci-après :
1' N'y a-t-il pas moyen pour déterminer la « façon des
Altaristes » de rassembler pour le musée en formation au
Val-Saint-Lambert ou pour celui de l'Élat, à Bruxelles, une
collection d'anciens verres artistiques du xvi" siècle ou du
xvii% qui auraient été conservés à Allare, et qu'on pour-
rait par là présumer y avoir été fabriqués?
R, « 11 ne nous est pas donné jusqu'à présent de former
une collection d'anciens verres d'Allare. Nos recherches
sont restées infructueuses, parce que personne ne s'occupe
chez nous de l'antique industrie du pays, et les familles
d'Allare ont, depuis bien longtemps déjà, d'autres soucis
que ceux de conserver d'anciens objets de verre ; nos ver-
i-iers sont aujourd'hui des ouvriers qui se préoccupent avant
tout du travail et de la subsistance, et des moyens de rendre
solidaires le capital et Je salaire. Au commencement du pré-
sent siècle, l'industrie verrière était en pleine décadence, et
beaucoup de nos artisans ont émigré à l'étranger, ou se sont
dispersés, ou ont abandonné l'art; les anciens objets de verre
n'avaient pas de prix à leurs yeux, et aujourd'hui il est
sinon impossible, au moins très difficile d'en rencontrer
quelque collection ou même quelque spécimen isolé. »
2° N'y a-t-il pas d'anciens documents manuscrits des
.32
•^
recueils de modèles ou de profils pouvant renseigner sur les
spécialilés du Iravaii des allarisles?
R. « Même réponse pour les manuscrits. Les seuls docu-
ments conservés par quelques familles sont des privilèges à
l'elTel d'exercer l'art de verrerie, concédés par ditîérents
ducs de Mantoue et de Monferrat, des exemptions d'im-
pôts, etc. Mais ce qu'il y a de plus regrettable, c'est que la
tradition et même la notion de l'art allariste s'est perdue, à
tel ))oint que les noms techniques recueillis dans les contrats
trouvés par M. van de Gasteele, risquent de rester incom-
préhensibles pour nos ouvriers qui ne s'occupent plus que
d'industrie moderne. Les plus habiles de ceux-ci apparte-
nant aux familles qui ont conservé quelques traditions d'art
ne sont pas restés à Altare, mais ils travaillent dispersés dans
les ateliers énumérés par Buffa :
Milan, Angelo Bordoni et ses fils ;
iSesto-Calende, Bordoni et Bertoluzzi ;
Plaisance, Carlo Saroldi ;
Borgo S. Donnino, Domenico Saroldi ;
Parme, les frères Bormioli ;
Brescello, les frères Bordoni ;
Casai Maggiore, Brondi et Bormioli;
Yealone, les frères Bormioli ;
Serofiano, les frères Bormioli ;
Terni, Rocco Mirenghi;
Ferrare, Gian Batisla Brondi ;
Rimini, Marini et Brondi ;
Pesaro, les frères Buzzone.
y II y a d'autres fabriques d'Allarisles à Lima; au Brésil,
à Buenos-Ayres, à Montevideo, etc.
— ,)0 —
» A leur retour, nous leur demanderons s'ils onl conservé
quelque souvenir des noms techniques : masterlcttes, rcslil-
lons, slnelles, verres àescarboltes, coupes toumassines, etc.,
sur lesquels vous me consultez et qui auraient laissé des
traces dans leur langage traditionnel ou dans leurs sou-
venirs.
» Nous ne désespérons pas cependant d'obtenir un résultat
si nous retrouvons les anciens registres du Consulat de la
verrerie qui doivent encore exister et contenir des renseigne-
ments très importants; mais personne ne s'occupe de l'his-
toire de notre art, absorbé que l'on est par l'utilité
industrielle pratique. Nous nourrissons pourtant l'espoir de
pouvoir tenter cet examen, et la découverte éventuelle des
documents que nous allons rechercher, selon votre désir,
aura certes sa très grande utilité.
» En toute hypothèse, nos perquisitions continuent, et
aussitôt que nous trouverons quelque objet en verre, quelque
modèle, quelque renseignement pouvant élucider la spéci-
fication de ce que fut la façon d'Altare et les moyens de la
distinguer de celle de Venise, nous nous ferons un devoir de
vous en informer. »
De même qu'aujourd'hui les verriers allaristes sont dis-
persés dans un grand nombre d'usines d'Italie, de même
dans les siècles qui ont précédé le nôtre, beaucoup de
fabriques italiennes travaillaient (sans doute en concurrence
avec Venise) à l'aide d'ouvriers venant d'Allare (i), et
parmi celles-ci figure nolam.ment celle de Brescia.
Or, Pasquetti, celui qui a été représenté comme le « pre-
(l) BUFKA, loc, cit., \). 25.
— 54- —
mier inventeur de faire voires de cristal à la façon de Venise »
dans les Pays-Bas, était de Brescia.
11 s'est donc probablement adressé à Brescia, pour en
faire venir des verriers, et ceux-ci travaillaient à la façon
d' Al tare.
Mais cet individu s'occupait d'abord de tout autre chose
que de verrerie — nous l'avons montré accusé de se livrer
à la contrebande de guerre — et c'est seulement après uli
certain temps d'habitation à Anvers qu'il songea à y im-
planter des verriers italiens; il avait donc plus ou moins
perdu ses relations avec Brescia, et ce n'est pas exclusive-
ment à ses anciens concitoyens qu'il doit s'être adressé.
D'ailleurs, soit que Venise fût réellement supérieure à
Altare, soit que ses procédés exclusifs entourassent son
industrie d'un prestige de rareté, Pasquetti, on le sait,
s'adressa aux Vénitiens et Muranistes.
Nous voyons, en effet, Pasquetti à l'œuvre tant à Venise
qu'à Altare, quand il nous dit, en sa requête du 15 décem-
bre 15G1 : « Ayant... entreprins et délibré de faire des
voires de cristallin, il s'est luy-mesmes transporté d'icy
(Anvers) jusques à Venise et aultres lieulx d'Italie, pour
faire venir nouveaux maistres des plus expcrlz que l'on
pouroit trouver es lieu du monde.... »
Puisque les deux façons — de Venise et d'Allare — ont
été inaugurées à la fois dans nos provinces, il aurait été
intéressant de découvrir en quoi ces façons se distinguaient;
il fallait au moins essayer d'obtenir à cet égard quelques
renseignements, pour pouvoir classer nos anciens verres
d'après les modèles qui y ont servi de types. Si ces rensei-
gnenioiits man(juent encore aujourd'hui, le lecteur saura au
— 55
moins que la voie a été ouverte, et que c'est peut-être par là
qu'il y a espoir d'arriver ultérieurement à un résultat.
m.
M. Pinchart, depuis ma deuxième lettre, a produit de
nouveaux documents concernant la verrerie à la façon de
Venise pratiquée à Anvers. Je suis heureux de pouvoir
compléter son œuvre à l'aide des éludes, non publiées
encore, de M. Génard, qui a bien voulu continuer à m'en-
voyer les épreuves de ses articles (i).
L'histoire de cette industrie artistique se trouve ainsi
étudiée parallèlement par MM. Génard et Pinchart, dont,
pour Anvers, je me bornerai à coordonner les recherches,
en évitant les répétitions dans ce BuUelin, c'est-à-dire en me
bornant à y insérer les renseignements tirés des documents
de M. Génard.
Les premiers de ces documents (2) sont des listes de ver-
riers italiens, à la fin du xvi* siècle : Maîtres ,T)sime\ Belonato,
Dominico Manoli, Aluise Manoli, Augustino Bresigella (aussi
Bresigello), Pielro di Santo Schinco, Vincenzo Ziola, Marco
Gingano, Francisco Sancho, Lorenzo Ferro, Francisco Sive-
ran.
(i) Les pages relatives à ces épreuves, je l'ai déjà dit, sont imprimées depuis
longtemps; mais elles doivent attendre pour paraître que le fascicule du DiiUetin
des archives d'Anvers, dont elles font partie, soit complet : il se peut, comme
pour ma 2« lettre, que la publication de ce fascicule soit faite dans l'intervalle.
Mais l'intérêt restera le même; car, pour le moment, M. Génard, qui se réserve
d'y revenir, se borne à publier le texte des documents.
(2) Bulletin des archives d'Anvers, XIV, p. 129.
— 30 —
Valets ou aides (i), GiorgeBays, Antonio Canario, Gero-
ninio Favora, Gian a Price, G'um Pedro Saraina, Fantin
liiondo.
Les rapprochements à tirer ultérieurement de ces noms
doivent être réservés; qu'il suflise pour le moment d'indi-
quer les suivants :
Aug. Bresigelh — Donato Brisighella, directeur de la
fournaise des Trois Couronnes à Venise (2).
Lor. Ferro — Léandre de le Faire, Marc deFeer, engagés
à Liège (3), Jean Ferro, id., à Nantes (4). Si Reboul parle des
de Ferri comme provenant du midi de l'Italie, M. Mariano
Brondi, dans sa lettre déjà citée, estime qu'ils sont origi-
naires d'Altaro, d'où ils auraient émigré dans le Dauphiné.
Enfin, les actes de la paroisse Sainte-Véronne, à Liège,
indiquent les noms de de Fer en contact continuel avec les
verriers : De Glen, Bonhomme, etc.
Marco Cingano — Gio-Balista Cingano, Francesco Cingano
engagés à Liège (5).
Mongarda était mort, non en lo97, comme le suppose
M. Pincliart, ni en 1599, comme je l'avais énoncé, d'après
le Grand Ihéâlre sacré du Brahant (g), mais en 159G :
le 31 août de celle année, la veuve (ainsi qualifiée)
d'Ambrosio Mongarda obtient du bourgmestre et des éche-
()) Chaque mailre avait un aide sous sa dircclioii, c.; qui a fait l'objet de
contrats séparés, oii interviennent les parents ou tuteurs pour les valets, le plus
souvent des adolescents.
(*) Voy. ci-dessus, XXII, p. 368.
(3) Van dk Casteele, p. 31.
(4) Tk AVERS, Histoire de Nantes, p. 3.
(s) Van de Casteele, p. 30.
(f) Voy. ci-dcssiis, XXII, p. 112.
— ,17 —
vins d'Anvers certaines exemptions d'impôts cl d'accises,
et le 7 décembre suivant, elle adresse une demande d'ex-
tension de ces faveurs, demande où elle spécifie les éta-
blissements qui y sont soumis et dont l'cmpiacemeiil
concorde avec ce que j'ai dit plus haut (i) : <t une maison
in de Mcere (place de Meir), où présentement se trouve
la fournaise aux verres cristallins; et cinq petites maisons,
derrière le grand établissemcnl, sises dans la Bergieslraelc,
dite la Vuylstraele, etc.
Celte veuve était Sara Vincx, que j'ai déjà nommée (2),
et sur laquelle j'aurai à revenir; car l'année même de sa
mort (î), elle (ou sa filleule des mêmes noms que fait con-
naître M. Génard) apparaît à Liège comme marraine avec
Henri-Jean Bonhomme, à lilrc de compère, à l'occasion du
baptême, effectué le 8 avril 1647, des enfants des époux
Jean-Antoine Mereimjo et Catherine Riga, tous noms ver-
riers (si je puis me servir de celle expression) existant
à Liège à cette époque.
Puisque j'en suis à faire allusion, par là, aux relations qui
s'étaient établies entre les Pays-Bas et le pays de Liège, je
citerai ici en passant un autre rapprochement :
En un acte du 15 février 10:29, que me signale M. van
de Casleele, apparaît à Namur (i) un gentilhomme verrier
Jo.-GasparoBurnoro (signant Z^ru^ero), « des Trois Corones,
natif de Murano, en la terre de Venise. »
(i) Ibid., p. Ô60. Voy. aussi plus loin.
(1) Voy. ci-dessus, XXII, p. 142.
(s) Génard, Bull, da archives d'Aiwers, XIII, p. AoS.
(i) C'est le Gaspiiro dont parle M, S. Bohmans, a la dalc du f' juin 16J9.
Vcy. ci-dessus, XIX, p. 165).
— 58 —
Et à Liège, le U juin 16o3, une acte de baplème, tou-
jours de la paroisse de Sainte- Véronne, nous montre « noble
seigneur Gaspar Brunerot, des Trois Couronnes, Vénitien
muraniste », parrain, avec Marie de Glein (épouse de Henri
Bonhomme), de l'enfant du Vénitien muraniste Jean-
François de Sanctinis.
On le voit, les actes de l'état civil ont encore bien des
détails intéressants à nous révéler...
Mais reprenons l'analyse des documents révélés par
M. Génard.
Dans la requête du 7 décembre 1656 (i), Sara Vincx,
faisait allusion à une décision du 23 avril 1391, qui accor-
dait à feu son époux Ambrosio Mongarda une pension an-
nuelle de 100 florins, pour l'aider à payer son loyer, son
chauffage et autres dépenses du même genre. Cette pièce,
quoique mentionnée comme annexe, manque au dépôt
d'Anvers, et mention n'en est pas faite non plus par
M. Pinchart.
Un document intéressant édité par M. Génard (2), est une
requête appointée le 5 juillet 1597, où Sara Vincx expose
ce qui suit (traduction) :
« Dans les provinces qui sont rebelles à Sa Majesté, à
savoii- en Hollande et en Zélando, on s'est accoutumé pré-
sentement à fabriquer des verres cristallins; cela a lieu au
grand détriment de la fournaise d'Anvers, en ce que les
maîtres des fournaises de verres cristallins de là-bas sont
exempts et libres de toutes contributions et gardes, pour v
fi) Génard, loc. cit., XIV, p. 155.
(t) Id., jlnil., p. 132.
— Ô9 —
maintenir les fournaises, de telle manière que la suppliante,
ses ouvriers et valets servant en sa fournaise, devraient bien
obtenir la même exemption et francbisc pour pouvoir rete-
nir l'art de verrerie en ce pays. » Elle ajoute que si les
maîtres verriers et leurs aides ne peuvent personnellement
obtenir ce qu'elle demande, et dont jouissent ceux qui sonten
Hollande et Zélande, ils ne manqueront pas de quitter une
contrée où ils doivent supporter des charges, pour aller
habiter celle où ils en seront dispensés, et cela fera tomber
l'art de verrerie à la grande déconsidération de la ville et au
grand préjudice de la suppliante.
L'appointement est favorable à la demande : « Sal de sup-
ph'ente hebben de patientie (i). »
Une requête de la veuve Mongarda, appointée le 20 février
1598 (2), rappelle les différents privilèges concédés pour
maintenir le « noble et excellent art de faire des verres cris-
tallins, à la façon de Venise. » Elle ajoute qu'elle a quoti-
diennement à entretenir 52 personnes (5), et elle expose que
(i) A moins, ce qui est peu probable, qu'il ne faille, en omcUant l'article,
interpréter « hebben palientie » par « prendre patience «...
(2) GÉNARD, /. cit., p. 15a.
(s) M. PiNCHART, ci-dessus, XXII, p. 391, porte ce nombre, l'année suivante,
à 36 ou 37, dont il déduit les membres de la famille : voir la suite de la requête
ci-dessus, qui explique cette différence en plus.
Le 7 janvier 1599, la population de la verrerie était de dix-sept personnes,
ce qui, plus la famille, composée de dix personnes (Génard, Bull, des archiver
(l'Anvers, XIV, p. 147), faisait en réalité trente-sept personnes. Voici le détail
de ce personnel (Id., ibuL, p. 149) :
« Le nombre de jens de la fornèse sont :
3) Sis maistre;
)) Sis serviteurs ;
)) Trois hommes qui porte les bois à slaniper;
» Un homme qui governe la matière des pots qui est dedans la foiirnése;
— 40 —
dcjourenjour elle est abandonnée par tel ou tel de ses
mailrcs verriers et de leurs valets, lesquels s'en vont pour
y exercer leur art, en Hollande et Zélande, où ils jouissent
injustement de différents avantages, » ce qui est une cause
(le grand amoindrissement pour l'illustre cité d'Anvers,
à la célébrité de laquelle l'art de la verrerie n'est pas sans
avoir contribué, célébrité qui tend à être divertie au profit
d'autres provinces. » La conclusion de pareille requête est
tout naturellement une demande d'extension des avantages
pécuniaires et des exemptions d'impôts.
L'apostille, encore une fois, est favorable à cette demande;
mais elle n'y fait droit que dans une certaine mesure; aussi
Snra Vincx s'adresse-l-elle, en avril lo98 (i), au Conseil
privé, auquel elle expose qu'elle a « faict aggrandir la four-
naise de deux potz ou places à besogner, et par conséquent,
luy fault avoir plus de maistres et gens pour ladicte four-
naise. » Elle ajoute que « dcsja elle at envoyé à Venise pour
faire venir trois aultres maistres et trois serviteurs, par où
le nombre augmentera. »
La requête parle d'un point particulier qui nous éclaire
sur les a gardes » dont les verriers établis en Zélande et
Hollande étaient affranchis : « Comme ladicte remonstrante
et ses maistres et ouvriers sont journellement molestez pour
faire guet et garde avecq les autres bourgeois, ou bien en
faire com|)osition, chose de grand desgoust et fascherie pour
» Un homme qui tire continuèleraent les voirs aubas du four,
» Qui soiut en toutt 17 personne, sans noustrc maison. »
Kn décembre lo99, « les ouvriers et la famille sont ordinairement trcnte-ciinq
personnes journellement. » ((jénard, /. cil., p. 151.)
(i) Génauu, Ioc. cil., p. 158.
— il —
lesdits maistres, e( que redonde du tout à la charge de la
rcmonstrante, il plaise à Voz Seigneuries ordonner aus dicls
d'Anvers de la lenir exemple de la dicle garde avecq ses
dicts ouvriers el serviteurs; aullremenl elle veoil apparem-
ment que mal elle pourra entretenir la dicte fournaise, at-^
tendu que telles personnes, comme sont les dicts ouvriers,
ne sont recouvrables sinon avecq grand peine, danger et
frayz incroyables, et comme en la ville de Middelborch en
Zélande, et naguère en celle d'Amsterdam, l'on a érigé
fournaises de cristallin, est advenu que divers des maistres
et ouvriers de la remonslrante se sont transportez celle pari,
et mesmes deux d'iceulx encoires depuis ung mois en chà
ou environ, parce qu'on leur y donne beaucoup plus de
franchises et immunitez qu'ilz n'ont au dict Anvers, au grand
dommage de la rcmonstrante et préjudice de cesle art et
noblc/Scicnce jà tant de temps exercée en la dicte ville
d'A/îvers, et laquelle, par faulte de bon traitement, serait n la
pjrfin taillée de périr à la desrépulation de la dicte ville
en enlhière ruyne de la remonstrante et de ses enfants. »
Le Conseil privé accueillit la réclamation et la recom-
mande le 29 avril 131)8 (i) à l'autorité d'Anvers, pour qu'il
fût « donné à la dicte suppliante moyen de continuer de bien
en mieulx l'exercice et entretien de la fournaise... à la
grande commodité publicque, décoration et ornement de
nostre ville d'Anvers. »
L'autorité anversoise ne se pressa pas de déférer à cette
recommandation : Philippe Gridolphi (variante Gridollïi),
devenu l'époux de Sara Vincx, et rappelant les privilèges
(i) GiîNAnD, loc. cil., p. 140.
— 42 —
accordés précédemment à Pasquetli,« premier inslitiiteur de
ceste art en Anvers, » et à Mongarda, dut encore s'adresser,
le 22 octobre 1598, au Conseil privé pour obtenir la « fran-
chise de guet et garde, qu'est chose fort discomode pour les
dits ouvriers, qui de six heures en six heures sont travail-
lons pour donner relasche l'ung à l'autre, es lesquelz eslans
miz à composition en lieu de venir à la garde en personne,
pouresire csirangers et la plus pari point marj^ez (i), s'en-
fuyant vers le pays d'Hollande et Zélande où les rebelles
ont dressez quelques fours (2). »
Le Conseil privé décida que si ceux d'Anvers (5) ne défé-
' raient pas volontairement, dans la quinzaine, à la recomman-
dation renouvelée, on procéderait par provision (4) — comme
nous dirions aujourd'hui : par envoi d'un commissaire spé-
cial.
La quinzaine se passa et le 7 janvier 1590, le Conseil
privé recevait une nouvelle requête de Gridolphi, où il parlait
non seulement de la Hollande et de la Zélande, mais aussi de
l'Angleterre, comme de eonirées où l'on attirait les maîtres
et ouvriers en leur accordant « toutes les franchises et immu-
nités qu'ils peuvent désirer. •» Il fait valoir que, par celle
industrie et invention (du verre cristallin) « la dicte ville a
(i) L'état civil des célibataires est difficile à suivre dans les registres; cependant
ils apparaissent, parfois comme parrains ou témoins; quant aux verriers mariés,
ils sont assez nombreux, au moins à Liège : j'y ai mis la main sur de nombreux
actes qui les concernent, et que je mettrai ultérieurement en évidence.
(i) lh.,md., p. iU.
(3) Le bourgmestre d'Anvers était alors Henri de Halmale, dont le nom figure
dans les pièces. Le blason de ce personnage avec le nom uai.mai.e se trouve sur
les grès de Raeren de cette époqnc.
(i) GKNAnn, ihifl., ji. 146.
— h% —
non seulement ung ornement singulier et célèbre, mais aussy
du prouffict journellement en sa police et moyens par les
marchands de dehors, quy à la fois y séjournent dix, douze
et vingt jours, pour se furnir de toutes sortes de voircs à
leur fantazie et désir. »
Le Conseil privé insiste de nouveau le 7 janvier 1599 (i)
auprès de l'autorité d'Anvers, et il épouse si bien la cause du
réclamant qu'il ajoute aux motifs de la requête de Gridolphi,
les considérations suivantes : « Sommes bien informez qu'il
fera tout le dehvoir requiez au furnissement (que convient)
d'icelles verres es pays de par-deça, par où désirerions bien
qu'il fust par vous favorisé... pour les raisons... et signam-
ment qu'il ne scroit juste ny permissible que par moyen des
villes et lieux rebelles ou aullres, l'on luy feist le préjudice
qu'il répète par sa dicte requête. » Et le Conseil privé déclare
requérir ilérativement, « le plus encarressement que faire
pouvons, » de faire droit à la requête : « en quoy ferez chose
agréable à Son Alteze Sérénissime et à nous, qui vous
escrivons cestes, désireulx de vostre bien et décoration de
la dicte ville, et afin que le dict suppliant n'aye plus cause
de aullres fois recourir a ceste Court. »
Enfin, le M avril ^599, les privilèges sollicités furent
accordés i^î).
Mais on ne donnait satisfaction au réclamant qu'en ce qui
concernait les dispenses d'accises, et non pour l'exemption
de garde et de guet.
Il réclame de nouveau au mois de décembre, en invocpiant
(0 ID., Ma., p. 148.
(s) ID., ihul., p. 150.
— A4 —
oncorc la circonslanco que Pasquelti, Mongarda et lui-même
avaient « inlroduyt en ces pays l'art et science de faire voires
de cristallin à la façon de Venise. » Il invoque la circonstance
que « comme les vins sont venuz a pris ung peu plus raison-
nable, désireroycnl ses dicts maislres, Italiens de nation,
jouyr aulcunc fois, d'ung Iraict de vin parmy leurs grandz
Iravaulx, s'ilz le pouvoyenl avoir et boire sans charge des
grandz imposlz et gabelles qu'on a mis dessus. »
Il demande en conséquence que le nombre de 15 tonneau.x
de vin en franchise soit porté à 2o, et insiste encore sur
l'exemption de guet et garde.
A telle fin, il s'adresse celte fuis aux archiducs : Albert et
Isabelle signent eux-mêmes la demande d'avis adressée à
l'aulorilé d'Anvers. Elle fut sans doute suivie d'effet, bien
qu'on ne trouve point de traces de la décision intervenue :
comme on ne rencontre pas non plus de nouvelle réclama-
tion do Gridolphi, qui élait homme, on l'a vu, à ne pas aban-
donner facilement la partie, il est à supposer (ju'on aura
voulu se soustraire à ses réclamations incessantes en y faisant
droit.
Ici commence, chez M. Génard, la série des documents
que M. Iloudoy a fait connaître et que rappelle M. Pinchart.
Seulement si Gridolphi avait obtenu en 1C07 le privilège
exclusif de « faire apporter et amener voires de Venise es
]»ays de Leurs Altèzes » (i), M. Génard (2) nous montre que
celle autorisation fut retirée en 1GI8, époque où le bureau
(0 PiNcii\RT, ci-dessus, XXII, p. 59"» : a ce propos, corriger dans ma seconde
IcUrc, ihid., p. ."G6, lifinc 2, les mots ni 1G07, par arant 1607.
(î) l.nc. cil , p. I.'ii.
des finances « ne s'est incliné à la continuation des lettres
d'octroy pour Gridolphi et Bruyninck seuls, pouvoir faire
apporter et amener verres de Venise es pays de Son Altèze
Sérénissime. »
L'importation des véritables verres de Venise provenant
directement de Murano fut donc sans doute rendue libre de
nouveau; mais il est acquis, par les termes mêmes de la
demande de 1607, que le « cristal eslit amesné de loing »
était « plus cliièremenl estimé et vendu par decha. » S'il est
vrai qu'on lirait les imitations de « crisla! eslit » des loca-
lités voisines des Pays-Bas où se pratiquait « la contrefaic-
ture des dilz voirres de Venise (i) », il peut être considéré
comme vraisemblable que la plupart des verres à la façon de
Venise, aujourd'hui conservés dans notre pays, ne pro-
viennent pas de Murano : j'ai déjà fait remarquer dans ma
première lettre (2) qu'on alla même jusqu'à exiger des
concessionnaires de privilèges, qu'ils eussent à vendre leurs
imitations 35 p. c. moins cher que les verres originaux
importés de Venise. Les commandes à Venise à plus grands
frais et risques ont dû devenir de plus en plus rares.
M. Pinchart donne ici plusieurs détails intéressants sur
l'association de Gridolphi et Bruyninck, et j'arrive avec
M. Génard à Ferrante Moroni, gendre d'Ambrosio Mon-
garda, qui, à la mort de Gridolphi, paràlre de sa femme,
acquit en 1625 (3) la maison hel Gelaeshuis (la verrerie à la
(1) HouDoy, Document, iv; Pinchakt, ci-dessus, XXII, p. 593.
(2) Ci-dessus, XXII, p. 159.
(s) La date de l'acte est le 15 mars 16'2o. M. Pincuaut parle do 10^5.
— 46 —
place de Meir) et obtint la direction de la fournaise
d'Anvers (i).
Les biens acquis sont spécifiés de la manière suivante, qui
permettra de retrouver leur emplacement exact :
a Un bâtiment avec porte et petite porte à côté; à la rue,
les places, jardins et édifices y attenants, ap- et dépendances,
constituant la Verrerie avec la halle à la fournaise et acces-
soires, situé au Meire, aboutissant du côté ouest à la maison
d'Alexandre Vincx, du côté est aux héritiers de Léonard
Vinckens, et par derrière, du côté sud, aux écuries et bâti-
ments de s"" Simon Rodriguez, baron de Rodes; de même
les jardins louchant du côté ouest au même s' Rodriguez.
» De plus, trois maisons conliguës, les deux du côté sud
avec portes et fenêtres condamnées, appropriées à l'usage de
la Verrerie, situées dans la Bargiesirael ou Vuylisslraet,
touchant à la maison et à l'hérilage d'Abraham Rombouls;
au nord, à la maison et à l'héritage de s"" Simon Rodriguez;
au sud et des autres côtés aux autres biens ci -dessus
décrits. «
Le privilège accordé à Moroni est du 19 avril de la môme
année et l'acceplation des conditions imposées par l'autorité
communale est signée Ferrante Morone (2).
Nous voilà à l'époque où les verreries de Liège ont repris
leur élan en 162G, sous la direction de Gérard Heyne et
Marins, et inaugurent l'ère de progrès qui aboutit à la
concentration, dans les mains des Bonhomme, de toutes les
usines des Pays-Bas et du pays de Liège. Ce mouvement
(1) Génard, loc. cit., p. lo4.
(ï) M. Pi.NCUMiT, ci-dessus, XXII, p. ÔDti, a lu : l'errante Morono.
_ 47 —
ascendant correspond avec la décadence de l'usine anver-
soise. En effet, M. Génard (i) nous fait connaître une
requête du mois de mai 1029, dans laquelle Ferrante Moroni
proteste contre un refus des exemptions d'accises que lui
infligeaient les employés fiscaux, par le motif que la fabri-
cation du verre avait cessé. Moroni fait remarquer que ce
point est non pas du ressort des employés des accises, mais
de celui de l'autorité municipale. D'ailleurs, ajoute le récla-
mant, s'il est vrai que la fournaise n'a pas été mise à feu
depuis quelq.ues mois et est restée vide, elle vient d'être
rétablie, et le requérant attend de jour en jour de nouveaux
maîtres pour y souffler du verre comme par le passé. Le
motif qu'il donne à l'interruption est, du reste, dit-il, plutôt
l'avantage que le désavantage de la ville d'Anvers ; non
seulement il a continué à fournir à chacun, mais il peut
encore fournir d'après les besoins, des verres en abondance
dont il a ses greniers pleins; ce pourquoi il a jugé utile et
convenable de suspendre le travail, suivant en cela l'exemple
de ceux de Murano à Venise, d'où est venu l'art de la ver-
rerie ; eux aussi tous les ans éteignent leurs fournaises à
dessein, pour pouvoir dans l'intervalle écouler leurs mar-
chandises ; d'ailleurs, il a par là durant l'hiver épargné une
quantité de bois à brûler et prévenu ainsi le renchérisse-
ment du combustible
Ces motifs ne sont-ils pas de simples prétextes? On pour-
rait le croire, s'il est vrai, comme nous le verrons plus tard
et comme l'affirme M. Pinchart (2), que dans cette même
(i) Loc. cit., p. ioO.
(s) Voy. ci-dessus, XXll, p. 595.
— 48 —
année 10"20, la Verrerie d'Anvers passa en d'autres mains
et qu'on cessa complètement d'y travailler en 1G42....
MM. Génard et Pinchart, dans leurs études, sont arrivés
précisément au même point; la suite continuera à faire
l'objet de mes lettres, où je présenterai aussi ce qui concerne
la verrerie liégeoise à la façon de Venise.
APPENDICE.
Dans nos expositions, la verrerie et la céramique ont été
associées jusqu'ici : vous voudrez bien, Messieurs, me per-
mellre d'insérer ici quelques lignes sur la céramique, à propos
des de Sarode — Saroldi, qui ont joué un rôle important
dans ma lettre.
Les de Sarode exercèrent l'art de la verrerie non seule-
ment à Nantes, où ils furent les successeurs des Babin, qui
avaient remplacé Ferro; mais encore à Yendrennes, en
Bas-Poitou, où, en 1772 (ij, on les retrouve sollicitant l'au-
torisation de fabriquer de la porcelaine, et se recommandant
de a l'ancienneté de leur famille en Testât de verrier; » un
des motifs à l'appui de la requête est que Virgile-Joseph
de Sarode, écuycr, seigneur du Verger et maitre de verrerie,
(jui vivait à la fin du règne de Louis XIV, était « expert à la
fabrication de la porcelaine » et avait transmis ce « nouvel
art » à SCS descendants.
D'après Fillon, il s'agissait là de porcelaine factice et de
pâte tendre; on sait, du reste (2), que ;}orce/ame signifiait
(1) B. FlLLON, p. 103.
(ï) Uull. des Comm. roi/, d'art et d'aniiéol., \VI!I, [i. :269.
— 49 —
toute espèce de grès et même de faïence, avant que l'expres-
sion ne fût réservée aux porcelaines de Chine, de Japon et
aux produits en pâte dure inaugurés par Botlcher au
xviii' siècle. C'est ainsi que nous trouvons l'expression de
porcelaine employée à Tournay, même avant l'époque que
l'on assigne communément à l'inauguration de l'industrie
de ce genre en cette localité : le Journal des Sçavants de
l'année 1675 (i) nous fait connaître une étude des « terres
jaunes de Flandre, près de la ville de Tournay, dont on
fait de la porcelaine. » Demmin (2) fait, en effet, remonter à
4GoO les fabriques de faïence à émail stannifère qu'il place à
Tournay, et si Peterinck et consorts arrivèrent de Lille à
Tournay en 1746 ou 1730 (3), l'inverse avait eu lieu en 1696 :
Jacques Féburier (Février), de Tournay, avait été appelé par
le magistrat de Lille pour y établir l'industrie de la faïence
et s'était engagé à fabriquer des faïences à la façon de Hol-
lande et plus fines que celles que l'on fabrique à Tournay (4).
Puisque j'en suis au Journal des Sçavants, j'y puise un
renseignement curieux qui me ramène à mon sujet, en me
faisant déserter celui des faïences et porcelaines (en trop
bonnes mains, celles de mon collègue M. je conseiller Fétis,
pour ne pas m'engager à une retraite prudente).
(i) IV, p. 5S. Cet examen microscopique avait été fait par le chimiste
Lewenhooiv, qui compara les terres d'Angleterre, d'Esphen et de Flandre, pour
rechercher les qualilés el les combinaisons de ces terres, pour la fabrication de
la « pourcelane » .
(2) Édition de 1875, p. 940.
(j) Id., ibid.. Exposition nationale (de 1880), Catalogue, section E, p. 58.
SoiL, Recherches sur les anciennes porcelaines de Tournay (1883), p. 18.
(*) Rens. dus ii l'obligeance de M. le Conseiller Fétis, membre de la Commis-
sion de surveillance du Musée royal d'antiquités de Bruxelles.
— bO —
Or, voici que ce Journal des Sçavants publiait en 1686 (i)
qu'on fabriquait en Allemagne des bouteilles de verre à fond
flexible et élastique, qui se faisait concave ou convexe, selon
qu'on y aspirait ou insufflait l'air. Celle invention avait même
fait l'objet d'une dissertation de Lenlilius, professeur à
Nordiingen, publiée en 1684, dans les Éphémérides d'Alle-
magne.
Déjà du temps de Tibère on avait trouve (a) un procédé
pour rendre le verre malléable; mais l'empereur avait fait
détruire la fabrique de l'artiste, pour empêcher l'avilissement
du cuivre, de l'argent et de l'or : sans qu'on ait eu recours
à des procédés aussi violents, la découverte de 1086, si elle
est réelle, est aujourd'hui complètement oubliée, et l'on ne
connaît guère d'autre verre fusible que le silicate de potasse
liquide, qui, desséché, laisse une sorte de croûte vitrifiée
sur la surface enduite.
J'ai l'honneur, etc.
II. SCHUERMANS.
(0 XIV, p. 581.
il est douteux cependant que ce soit là un fait scienlifi(|ue bien établi; car, l'an
d'après, Basnage de Beauvai,, Histoire des ouvrages des Sçavants, l (1687),
p. i72, parle, à sa Table, du prétendu verre malléable des anciens comme d'une
VI invention périe avec son auteur. »
(î) Pline, Uisl. nat., XXXVI, 56. Cfr. à ce sujet Dion Cassius, I.VII, i2(,
et PÉTRONE, Satyric, 51.
COMMISSION ROYALE DES MONUMENTS.
RESUME DES PROCÈS-VERBAUX.
SÏIANCES
des 5, 12, 19, 26 et 31 janvier; des 2, 9, 16, 23 et 29 février 1884.
PEINTURE ET SCULPTURE.
Des avis favorables ont été donnés sur :
r La proposition du conseil de fabrique de l'église de f^,;^^
Brecht (Anvers) tendante à l'aliénation d'un tableau appar- TabiM»'!'
tenant à cette église ;
2° Le maintien, dans l'édise de Wezeren (Lièffe), à la uy^^e
' ^ ^ ^ ^ ' do Wezeren.
place qu'il occupe actuellement, d'un tableau de Corneille Tabiea...
De Vos qui orne le maître-autel et dont l'aliénation était
proposée ;
û° Le projet relatif à l'exécution d'une verrière à placer Êgnse
deN.-l).den,il.
dans l'église de Notre-Dame de Hal (Brabant), aux frais de venicre.
S. M. la Reine; auteur, M. Verhaegcn,
4° Le dessin de la verrière à placer dans l'église d'He- Rgiis^
d'Herviillials,
renthals (Anvers), aux frais de M. Van Genechlen ; auteurs, ^''^''■"^'^'■
MM. Stalins et Janssens;
— 52 —
de£dcifc.g "^^ LiG maintien dans l'église de Ledeberg (Flandre orien-
tale) de deux verrières qui y avaient été placées sans auto-
risation. Ces verrières proviennent d'un don particulier fait
par la dame veuve Doltermans-Carnaud ;
^rAnv"!!* ^^^ Les dessins de deux vitraux de MM. Stalins et Jans-
sens, à placer dans la chapelle de la Vierge, à la cathédrale
d'Anvers.
A l'occasion de l'examen de cette affaire, la Commission,
dans une conférence quelle a eue avec M. Stalins, l'un des
auteurs des projets de vitraux, a cru devoir protester contre
la tendance qui s'affirme de jour en jour davantage de don-
ner aux verrières un caractère qui ne concorde pas avec leur
destination. Elle trouve qu'il n'est pas rationnel d'employer
dans les peintures sur verre des fonds de coloration intense
sur lesquels les figures viennent se détacher en clair. Ce
genre d'effet est plutôt du domaine du tableau que du vitrail,
dont les colorations doivent être combinées de façon à ne
pas nuire à l'introduction de la lumière;
Eglise d.» 70 Le projet relatif au placement d'un chemin de la croix,
hniiiDgshnyekt. I J I . '
de^iaTrnîx. Œuvrc ûq MM. Dc Boeck et Van Win t, d'Anvers, dans l'église
de Roningslioyckt (Anvers);
, Egii.p S" Le projet relatif à la restauration des armoiries d'Au-
de Nieii|iorl. ' "^
Armoiries, j^j^j^g^ q^ jj^uj rdief, qui ornent l'un des côtés de la tour
de l'église de Nieuporl (Flandre occidentale) ;
pabi. 9" Le modèle coulé en plâtre de la statue de M. Melot,
o(>! Beaux-Arli, ^
"^u'ué'"' représentant la Peinture, et destinée à la décoration de la
façade du palais des Beaux-Arts, à Bruxelles;
M..n..me.ii royal i 0" Lc travail de la mise au point de la pierre dc la statue
. Je Lai^keii.
^'»'"«- (le la province de Namur, par M. Vinçotle; celte statue est
destinée au monument roval de Laeken.
— Des dcléeiiés se sont rendus, le 12 février 1884, au , ,'"'''?''
o ' 'fie la NatiDu,
Palais de la Nation, à Bruxelles, pour vérifier l'étal de la *""""'"'^^"
statue de Léopold P', l'oi des Belges, qui décorait la salle
des séances de la Chambre des députés, détruite par un
incendie le 6 décembre 1885.
La statue du Roi, en marbre blanc, œuvre de Guillaume
Geefs, fut mise en place en 1850.
Elle mesure : en hauteur, 2"'0o, y compris la plinthe,
haute deO"'li 1/2; en largeur, 1"'05; en profondeur, 0"'7.j.
La longueur de côté de la plinthe est de O^TS.
Cette œuvre a été gravement endommagée par le feu,
surtout dans sa partie antérieure. Si l'on frappe sur le
marbre avec un corps dur, un instrument de métal, par
exemple, la résonnance cristalline à la face postérieure se
change à la face antérieure en un bruit mat et sourd. Celle
discordance est produite par la désagrégation des molécules
du minéral, par suite de l'aclion violente des flammes, qui
ont pu attaquer librement la face antérieure, tandis qu'elles
ne pouvaient atteindre aussi facilement la face postérieure,
adossée au mur de l'édifice et par ce fait même relativement
protégée.
C'est ainsi que plusieurs parties de la face antérieure
de la statue, un doigt et des bouts de doigts de la main
droite, l'extrémité d'une des branches de la croix formant
la garde du sabre, le bord du gant tenu par la main
gauche, le bout du pied droit dépassant la plinthe, la
bordure, vers la taille, du pan d'habit de droite sont tombées
en poussière.
Une fissure transversale coupe la cuisse gauche dans
son milieu. Une autre fissure pari du flanc droit, con-
— u —
tourne la statue et se perd clans la partie recouverte par le
manteau.
On remarque également une cassure vers la taille. Les
délégués sont d'avis, et le Collège partage leur opinion, qu'en
présence de cet état de détérioration, il serait prudent de
faire mouler la statue à l'endroit où elle se trouve, si l'on
veut en conserver le modèle, attendu qu'il pourrait survenir
d'autres avaries, peut-être irrémédiables, dans le cas où l'on
tenterait de la déplacer.
Cette statue n'était pas, du reste, d'une exécution irrépro-
chable, et il sera nécessaire, en tous cas, d'après l'avis de
l'architecte chargé de la reconstruction, de la grandir pour
la mettre en rapport avec les proportions de la salle res-
taurée.
Profitant de l'inspection qu'ils faisaient de la statue de
Léopold V\ les délégués ont examiné les autres statues qui
décoraient les bâtiments incendiés.
Les quatre liberlés placées dans le vestibule du Palais
ont été notablement dégradées. Le feu les a calcinées et il
parait impossible de les conserver. Au point de vue de l'art,
elles laissaient généralement à désirer, et on pourra, sans
doute, les remplacer par des œuvres meilleures.
Les statues représentant des souverains qui ont régné
sur les provinces beiges, ont relativement peu souffert,
placées, comme elles l'étaient, en dehors du centre de
l'incendie.
Les quelques avaries qu'elles présentent sont causées par
la chute des matériaux des étages supérieurs. Elles consis-
tent en cassures (|ui i)euvcnt être réparées facilement et sans
frais notables.
.);>
ÉDIFICES RELIGIEUX.
PRESBYTÈRES.
On été approuvés :
i" Le proict relatif à l'amélioration du presbytère de PnM.vur^.io
Saint-Job in 't Goor (Anvers) ;
2" Le projet simplifié du presbytère à construire à Elseghem J?;;^;';^!;^';;',
(Fiandre orientale).
ÉGLISES. — CONSTRUGTIOMS NOUVELLES.
Le Collège a approuvé :
1° Le projet relatif à la construction d'une église à GlonsÊg,i^pjçc,„„,
(Liège); architecte, M. Apel;
2" Le projet relatif à l'agrandissement de la cliapelle deggii.p.iosinv.v-
r • N SOUS Plaiiievaux.
Strivay-sous-Plamevaux (Liège) ;
3° Le projet relatif à la construction d'une sacristie à Ëgiise,i«
. ./-iii/i -N !• Sainti! Dvmplinc,
1 église de Samte-Dymphne, a Gheel (Anvers); architecte, àCLcci.
M. Van Assche;
A° La proposition de M. le Gouverneur de la province de Egn,^
Liège tendante a convertir le porche latéral contre l église
en construction de Chératle (Liège) en chapelle des fonts
baptismaux, en vue de terminer un différend qui s'était élevé
entre le collège échevinal et le conseil de fabrique touchant
l'utilité de ce porche;
5° Les dessins de divers objets d'ameublement destinés AmcuMomcni
, , . , de diverses
aux églises de : ^g>'ses.
Saint-Jean-Sart, commune d'Aubel (Liège) : buffet
d'orgues ;
Welkenraedt, même province : maitro-autel;
— 5.G —
Hulclenberg (BrabanI) : qualre candélabres en fer forgé;
Galonné (Ilainaut) : deux confessionnaux et deux verrières ;
Pussemange (Luxembourg) : ameublement, sous réserve
de quelques modificalions de détail à apporter dans l'exé-
cution.
de sa'inl-jo^ef.ii, — ^^ Collôge a également donné un avis favorable sur le
maintien dans la nouvelle église de Saint-Josepb, à Alost,
des deux autels polychromes qui provenaient de l'église de
Saint-Bavon, à Gand. (Voir p. -iU, Bulletin, XXIP année.)
de saiu^t-'/a%uos. — La Commisslott a prié le comité des membres correspon-
i Liège.
danis de la province de Liège de lui adresser un rapport sur
le déplacement de deux aulels latéraux et le dégagement des
deux cha|)elles du transept de l'église de Saint-Jacques, à
Liège. Cette demande était motivée par le désir de savoir si
le travail était conforme aux indications contenues dans le
rapport de la Gommission en date du 5 mai 1885, et si l'ar-
chitecte avait remis les anciens autels dans les mêmes
forme et état qu'ils présentaient avant leur démolition. M. le
Gouverneur a fait parvenir un rapport qui donne les rensei-
gnements suivants :
« Les travaux consistaient dans le déplacement des aulels
« qui masquaient les deux chapelles terminales des basses-
» nefs, ou plutôt, pour apprécier à sa valeur la nature de
» ce travail, il convient de rappeler qu'il ne s'agit pas d'au-
» tels proprement dits, mais des fragments d'un jubé ou
» clôture du chœur. Gette sorte de tribune qui séparait le
» chœur du vaisseau de l'église avait été construite en 1602,
» par l'abbé Martin Fanchon, et a probablement remplacé
» alors le jubé primitif construit dans le style du monument.
)' Quand cet édicule fut démoli à son tour par l'abbé
— 57 —
» P. Renolte (1 741-1 7(M), on en avail utilisé les fragments
» pour en composer les deux autels qui viennent d'être
» déplacés.
» Les deux parties de cet ancien jubé, pour l'appeler par
» le nom qui lui convient, viennent d'être placées du côté
» ouest de l'église, dans les mêmes conditions où elles se
» trouvaient lorsqu'elles formaient deux autels du côté est
» de l'édifice. Un dessin que M. l'architecte Van Assche a
» fait faire et une photographie ont permis de constater que
» rien n'a été modifié par le démontage et le replacement
» de ces sculptures, qui, ainsi que le fait observer la Com-
» mission des monumenis, sont loin d'être dépourvues de
» mérite au point de vue de l'art.
» Celle opération n'a amené que deux changements peu
» considérables dans la disposition préexistante, et qui
» semblent plutôt de nature à cire approuvés : 1" un bas-
» relief manquait dans une place assez apparente de l'œuvre;
» ce bas -relief, représentant la sainte Gène, a été retrouvé
» dans les combles de l'église et a été remis à la place qu'il
» occupait primitivement; 2" une marche se trouvait devant
» deux sortes de sarcophages formant autel; celle-ci a été
)' supprimée, n'ayant plus de destination, et a été remplacée
» par la plinthe qui régnait autour des autres parties du
» .soubassejnenl de cette clôture.
» L'examen du travail qui vient d'être terminé a permis
» de reconnaître que la restauration des deux chapelles
» formant le fond des basses-nefs n'était pas possible avant
» que les sculptures formant retables ne fussent déplacées.
» C'est seulement par l'éloignement des autels que l'on a pu
» reconnaître les dégradations dont l'architecture, contre
— o8 —
» laquelle ils ont été adossés, a souffert. En revanche, les
» deux chapelles, redevenues visibles à l'extrémité des basses-
» nefs, produisent tout l'effet que l'on a espéré atteindre en
» les dégageant des sculptures placées en 1741. »
TRAVAUX DE RESTAURATION.
r.giisodes ]o Le devis estimatif des travaux de renouvellement des
SS-MiclK^lot-
Des avis favorables ont été émis sur
àBruxdîk toitures de l'église collégiale des Saints-Michel-et-Gudule, à
Bruxelles ; architecte, M. De Curte;
Église duccie. 2" Lc projct d'embellissement et de clôture de l'église
paroissiale d'Uccle; architecte, M. Baes;
Epl.^e.!c 5" Le projet relatif au débadigeonnage de l'église de
SaiDte-Elisabclli,
àGand. Sainte-Elisabeth, à Gand; architecte, Van Assche;
Eglise dohcy. 40 Le projet modifié des travaux de restauration à exé-
cuter à l'église d'Ohey (Namur); archirecte, M. Michaux;
F.giisM- Fumai. 5° Lc dcvis estimatif des travaux urgents à exécuter à
l'église de Fumai (Liège); quant aux travaux à exécuter
ultérieurement, on a recommandé à l'auteur du projet de
renoncer pour ces derniers ouvrages à l'emploi du style
ogival, à l'extérieur de l'édifice, et d'exécuter les travaux
nouveaux dans le style qui domine actuellement;
Église d.^NVD. 6° Le compte rendu des recettes et dépenses effectuées,
audel.ldelaDyle, ' '
bMaiiiios. pçnjani les (rois premiers trimestres de l'année 1885, pour
la restauration de l'église de Notre-Dame au delà de la Dyle,
à Malines;
o'nm'" '" ^^ compte des travaux de restauration exécutés, pen-
dant le troisième trimestre de l'année de 1885, au vaisseau
de la catiiédrile d'Anvers.
Bccelaerc.
Tour.
lerre,
à TliicU.
— ;i9 —
— Un délégué a élé chargé de vérifier l elat de situation ^^ g^[^^.
de la tour de l'église de Becelaere (Flandre occidenlalc), qui
était signalé comme présentant des dangers pour la sécurité
publique.
Il résulte du rapport du délégué que ces dangers étaient
réels et qu'il y avait lieu d'y parer dans le plus bref délai.
Dans ce but, il suffira, laissant de côté le projet d'embel-
lissement approuvé par la Commission le 29 septembre 1880,
d'exécuter des ouvrages de pure conservation qui ne s'élève-
ront qu'à la somme de 8,000 francs. Il conviendra toutefois
de charger un architecte de la direction et de la surveillance
de ces travaux.
— Des délégués se sont rendus, le 15 février 1884, àjcsi-t-p,
ïhieit (Flandre occidentale), afin d'examiner sur place les
propositions soumises en vue de la restauration de l'église
paroissiale de Saint-Pierre.
Le devis général des travaux de restauration à exécuter à
l'église précitée s'élevait à la somme de 64,257 francs; mais
comme les ressources ne permettaient pas d'entreprendre
une restauration complète, les administrations locales ont
présenté un second devis détaillé, extrait du précédent et
ne comprenant que des travaux d'extrême urgence. Ce devis
se monte cà fr. 32,108-02.
Les délégués étaient chargés de vérifier l'importance et
l'urgence des travaux porlés à ce second devis.
Après une minutieuse inspection, tant des combles que
des versants des toitures, ils ont reconnu que celles-ci étaient
dans le plus déplorable état : la flèche est criblée à jour; les
voliges sont vermoulues et rongées par l'humidité. Elles
devront être en grande partie renouvelées à la flèche et aux
— 60 —
toitures des nefs ; partout les ardoises sont consommées et
s'elTrilenl au moindre choc; les faitières, toutes dégradées,
manquent sur un grand nombre de points et laissent un libre
accès aux eaux pluviales dans l'intérieur des combles.
Les nefs de l'édifice sont délimitées à la façade par trois
pignons d'égale hauteur. Cette disposition nécessite deux
gouttières aux versants intérieurs des toitures, et chacune
d'elles reçoit le contingent d'eaux pluviales de deux versants
à leur intersection. Le mauvais état de ces gouttières, joint
aux dégradations déjà signalées, occasionne d'importantes et
graves infiltrations dans les travées des nefs. Ces infiltrations
sont fort apparentes à la jonction de la nef du milieu avec les
nefs latérales. Quant à la charpente de la flèche et des toi-
tures des nefs, elle est généralement en bon état de conser-
vation.
Les gouttières latérales des nefs devront également être
l'objet de réparations sérieuses. Les talus des contreforts
appliqués aux nefs latérales sont atteints d'érosion et
devraient, en attendant qu'on pût y mettre une couverture
en pierre de taille, être recouverts d'ardoises, comme cela
existe à quelques-uns.
Les couvertures des gables des pignons de la façade,
actuellement tombées en partie, ou fortement dégradées,
devront être renouvelées, et la pierre de France, qui avait
été employée précédemment dans ce travail, sera remplacée
par la pierre des Écaussines. L'urgence de cette dernière
réparation est des plus évidentes ; la chute des débris des
gables compromettant fortement la sécurité publique.
Kn conséquence, les délégués ont estimé qu'il y avait lieu
d'accu(,"illir les propositions des administrations locales de la
— 01 —
ville de Thielt, tendant à obtenir l'autorisation d'exécuter la
première catégorie des travaux de restauration à l'église
paroissiale tels qu'ils sont renseignés au devis comportant
la somme de fr. 32,108-02; ces travaux étant suffisamment
justifiés par les constatations contenues dans le rapport des
délégués.
Le Secrétaire Général,
J. Rousseau.
Vu en conformité de l'article 25 du règlement.
Le Président^
Wellens.
RAPHAËL.
LE MARIAGE DE EA VIERGE.
Le palais Bréra, à Milan, renferme une collection de
tableaux, intéressante à des litres divers, qui mériterait une
élude sjjéciaie.
L'école lombarde y est représentée par de nombreuses
œuvres, tableaux et fresques enlevés des églises avant d'avoir
perdu loule valeur. Il est regrettable qu'on n'ait pas songé,
il y a cent ans, à détacher de la muraille du couvent de
Sainte-Marie des Grâces, où elle commençait à se détériorer,
la Cène, du Vinci ; on l'eût peut-être conservée à l'admiration
des artistes pendant de longs siècles. Aujourd'hui elle est
absolument perdue.
Outre les fresques et les toiles des Lombards, parmi les-
quelles celles de Luini sont surtout à examiner, il y a dans
les galeries de ce musée diiïérenles œuvres du Titien, de
Véronèzc, de Robusli, de Mantcgna, de Bellini, du Domi-
niquin, etc. Rubens, Rembrandt et Van Dyck y sont égale-
ment représentés, mais sans éclat.
L'œuvre allravunle enlro toutes de cette colleclion, c'est
~ 63 —
le Mariage de la Vierge, le « Sposalizio » de Raphaël, qui
vaut seul le voyage, et je dirais plus exactement le pèleri-
nage à Milan.
I
Une œuvre ancienne, connue et admirée depuis des
siècles, popularisée par la gravure, considérée comme un
chef-d'œuvre indiscutable, peut-elle encore, à un moment
donné, dans uitc situation particulière, apparaître à l'état
de révélation?
Il y a dans les arts des modes, des réactions, des pous-
sées, des folies, des révolutions, des troubles, comme en
politique. Il ne faut que vingt-cinq ou trente ans, aujour-
d'hui, pour qu'un « progressiste » devienne classique et soit
relégué parmi « les vieux .» Le mouvement affolé de Paris
a toujours son contre-coup en Belgique, en art comme en
littérature; cela paraît inévitable, le courant étant établi
profondément, et les protestations isolées n'ayant guère
d'influence sur l'esprit public. Et c'est ainsi que de nouvelles
esthétiques s'établissent sur des apparences de principes qui
n'ont généralement nulle consistance, et qui s'effacent bien-
tôt pour faire place à des principes nouveaux loiU aussi
éphémères.
C'est la vie; l'artiste n'est ni un philosophe, ni un mathé-
maticien. Il se laisse impressionner par ce qui lui semble
neuf; il tend volontiers ses poignets aux chaînes d'un escla-
vage, étant homme de sentiment : il suffit qu'une tyrannie
morale quelconque lui parle au nom de la liberté. La chaleur
du sang, et la fougue de l'esprit qui en est le produit naturel,
donnent aux idées la forme de l'exagération et de l'hyper-
— Gi —
bolo; rien n'est juste alors qui n'est point amplifié. On ne
rêve qu'effondrements complets, que sociétés pures de toute
attache avec le passé, qu'arts libres au moyen de toutes les
licences, que littératures jeunes en ce sens qu'elles sont en
désaccord avec la langue, le bon sens et la vérité.
A ces moments où l'extravagance même est une qualité,
et où la conscience est une « vieille radoteuse, » il est bon
de revoir ce qu'ont fait les anciens et d'étudier pourquoi
telles de leurs œuvres sont et restent des chefs-d'œuvre.
Echapper à la foule tumultueuse, aller respirer en quel-
que fraîche solitude, se retremper dans une oasis abandon-
née, cela est sain. Le chef-d'œuvre des « vieux » produit cet
effet-là : il raffermit les idées, il remet de l'équilibre dans
l'esprit. Le Mariage de la Vierge de Raphaël est une oasis
réconfortante.
Celte œuvre juvénile est tellement à l'antipode de Tart
moderne que les qualités qu'elle renferme sont de nature à
remettre dans son assiette un esprit dévoyé, troublé, ahuri
par les déclarations extraordinaires que font aujourd'hui les
jeunes gens.
II viendra peut-être un temps — et ce temps est venu
déjà une fois dans l'ère moderne, — où Rembrandt, où
Rubens, où Jordaens ne seront plus « dans le mouvement .»
Un principe despotique aura enfermé l'art vivant de la
Flandre dans une matrice, ou l'aura fait passer à un lami-
noir, sous prétexte de lui ôter l'expansion de ses formes
pittoresques, de lui donner une distinction contraire à sa
nature, et par ce procédé on enlèvera aux artistes leur per-
sonnalité. La Ronde de Nuit, Y Automne ou le Christ fou-
droyant )»ourra ainsi devenir l'oasis que Raphaël offre
— 65 —
aujourd'hui dans le Mariage de la Vierge. Cela dépend soit
de la mode, soit d'un principe « révolutionnaire, » soit de
l'esthétique enseignée. Toujours on trouvera chez « les
vieux » un exemple, un modèle, un refuge, quels que soient
l'égarement de l'heure et l'agitation des esprits, — le passé
ayant des chefs-d'œuvre de tous les genres, produits de
tempéraments divers, passionnés à leur manière, qui n'était
certainement pas celle d'aujourd'hui.
II
Le Sposalizio de Raphaël date de 1504; l'artiste avait
alors vingt et un ans, étant né en d483.
Il est bon de rappeler ces dates, ces détails, ne fût-ce
que pour faire connaitre aux jeunes peintres de nos jours
qu'à cet âge encore tendre Sanzio avait toute la science
nécessaire à la production d'œuvres capables de résister au
temps, à la mode, aux engouements des réactions et des
poussées.
Le tableau est en quelque sorte un duplicata du même
sujet exécuté par Pérugin, le maitre de Raphaël. La compo-
sition est renversée ; mais le jeune artiste ne crut pas se
déshonorer en empruntant cet arrangement à l'artiste qui lui
avait ouvert la voie. Van Dyck a fait de même plus lard en
imitant le Saint Martin de Rubens. Il y a de l'ingénuité
dans cet entraînement. On pourrait croire que Raphaël a
voulu tàter ses forces, expérimenter son talent, voir si son
travail serait digne d'être placé à côté du travail du maître,
et ainsi connaître si des conseils lui étaient encore néces-
saires. Il est probable que Pérugin, en examinant celte
œuvre inspirée de lui-même, a dû comprendre que Raphaël
— 66 —
n'avait plus besoin de guide et a dit à ce génie précoce qu'il
avait désormais à marcher sans lisières.
La composition est simple, bien pondérée, trop pondérée
pour nos idées actuelles. Le grand prêtre est au milieu des
deux époux, dont il unit les mains ; à droite un groupe de
jeunes hommes, à gauche un groupe de jeunes femmes ; au
fond, se détachant sur un ciel très clair, un petit temple
de style Renaissance.
Il semble assez étrange que le prêtre soit sorti du temple
))0ur aller au dehors procéder au mariage de Joseph et de
Marie; cela n'est ni réfléchi ni conforme au sens commun.
La régularité de la composition pourrait être également
critiquée, bien que dans les scènes de cette nature il y ait
toujours quelque symétrie. Mais lorsqu'on est devant le
tableau, on ne fait pas ces observations, parce que la beauté
et l'intérêt de l'œuvre ne sont point là. D'ailleurs, il ne faut
pas oublier qu'alors on sortait à peine, en Italie, de la période
primitive, e( que Raphaël subissait encore l'influence de ces
peintres candides, (jui représentaient plusieurs phases d'une
tragédie sur une même toile, ou qui inscrivaient les paroles
des personnages sur un bout de ruban se déroulant de leurs
lèvres entrouvertes.
Quoi qu'il en soit, devant le Sposalizio, on ne pense pas à
l'outrage (jue la composition fait à l'histoire, au point de vue
du costume, à la logique et aux combinaisons pittoresques.
L'esprit est transporté dans un monde spécial : tout de
suite, on est saisi par l'admiration. C'est une impression de
fraîcheur délicieuse.
Le sentiment juvénil et radieux de l'artiste a pénétré son
œuvre, preuve de sincérité ; c'est son soutfle qui l'anime;
son amour de ce qui est beau à ses yeux donne à la scène
la vie qui s'en dégage, vie d'un caractère particulier, d'où
la passion et le mouvement semblent exclus, et cette exclu-
sion ne nous fait pas prolester. On ne regrette })as que ces
personnages, qui appartiennent autant, par le stylo et l'exé-
cution, à la statuaire qu'à la peinture, paraissent destinés à
une immobilité éternelle : on ne les voudrait ni plus réels,
ni capables de circuler et de gesticuler. Que la jeune épouse
conserve sa grâce timide et sa confiance; que Joseph de-
meure dans cette attitude respectueuse; que le grand-prètre
continue à se montrer d'une bonhomie parfaite, sans pré-
tention à pontifier pour le public. Peu importe ! On ne
demande pas à celte œuvre d'une autre époque, conçue et
exécutée avec d'autres idées que celles qui nous obsèdent,
des qualités qu'on exigerait peut-être si elle était plus mo-
derne. Ce que Raphaël a fait suOit à exciter l'enthousiasme.
Cette fleur de jeunesse, ce printemps souriant et clair, cette
grâce exquise, celte candeur de l'esprit satisfont les meil-
leurs sentiments, les goûts les plus difficiles, et laissent une
impression ineffaçable.
Chose à remarquer : le caractère 'du tableau n'a rien de
religieux. C'est quelque chose de paisible, de doux et de
chaste dans l'expression générale, et dans chacune des phy-
sionomies, mais sans mysticisme. L'œuvre ferait tout aussi
bon effet et serait tout aussi harmonieuse dans un boudoir
que dans une chapelle. Elle a même quelque chose de païen :
les délicatesses de la forme font songer bien plutôt à la
Grèce antique qu'à la Rome des papes. C'est une fleur d'hu-
manité spirituelle, non de mysticisme; c'est une œuvre de
conviction artiste, non de foi chrétienne. Le courant de la
— 68 —
Renaissance a passé sur rilalie : Alhènes, ses philosophes,
ses poètes et ses artistes vont reconquérir leur place et
dominer leurs modernes successeurs. Suave et pénétrante
comme un chant d'oiseau, bienfaisante comme une rosée,
rayonnante comme la lumière même, telle est cette œuvre
d'un peintre qui préludait à sa gloire. Et l'on comprend
l'épithète de divin jeune homme donnée à Raphaël.
Est-ce que le Sposalizio est l'ouvrage d'un coloriste
comme l'entendaient les Hollandais, les Flamands et les
Vénitiens? Non; mais il est aussi agréable dans l'ensemble
de la coloration qu'il est délicat et élevé dans les formes.
Ce qu'on est en droit d'exiger d'un peintre, c'est qu'il soit
peintre : en ce sens que l'effet produit par la lumière sur
les corps, selon leur nature, soit vu par l'artiste dans sa
réalité, au moins tel que « tout le monde « le voit. Les tons
criards, les détonations des notes diverses employées sont
inadmissibles : tons et notes doivent concorder entre eux
comme en musique les sonorités, combinées pour produire
des impressions de bien-être, de charme, de terreur ou
d'extase.
Sans être coloriste à la façon de Velasquez ou de Véro-
nèse, Raphai'l, dans k Sposalizio, est un harmoniste instinc-
tif (i). Rien ne détonne en ces colorations; l'atmosphère
qui entoure les groupes est pure et saine, sans être fluide
c( lumineuse comme dans les tableaux « gothiques ,» sans
(0 Je n'ai pas vu les portraits peints par Rapiiaei, qu'on dit colorés avec
une chaleur cl une suavité dignes des Vénitiens. 11 y aurait-là une étude à faire :
le peintre est plus inlluenré par la nature lorsqu'elle s'impose à lui directement,
que lorsqu'il conçoit une œuvre d'imagination au moyen de notes et de docu-
ments accumulés.
-- 69 —
atteindre à l'intensité et à la vibration, comme dans certains
paysages modernes.
A vrai dire, ce côté du tableau ne préoccupe pas; ses
qualités spéciales sutTisent à nous séduire. On est sous le
charme dès le premier regard, et on y reste; ce charme
n'a pas cessé d'opérer depuis bientôt quatre siècles : n'est-ce
pas là une preuve irrécusable que l'œuvre est un chef-
d'œuvre.
Mais supposez celte distinction dans la forme, cette
élévation dans le style unies à un peinturage dur, à une
enluminure grossière ou violente, l'ensemble de la compo-
sition, conservant cependant les qualités savantes et la
noblesse de dessin qui en sont pour ainsi dire la moelle,
perdrait les trois quarts de sa beauté. Il a donc fallu que
Raphaël fût doué d'une manière exceptionnelle pour arriver
à ce résultat ; et c'est pourquoi le Mariage de la Vierge a
pu affronter les jugements des siècles et vaincre les exi-
gences et les variatiojis de la mode.
III
Dans les temps modernes on cherche « autre chose. »
Un tableau, aujourd'hui, doit avoir certaines quahtés sans
lesquelles il semble qu'il n'existe pas : l'apparence de lu
réahté selon certaines idées qui ont eu cours hier, qui ont
cours aujourd'hui, qui auront cours demain, lesquelles idées
subissent des fluctuations selon certaines circonstances,
comme en politique. Depuis le commencement de ce siècle
il y a eu un nombre de périodes diverses dans l'art de la
peinture, des modes ou des principes ont servi de règles
— 70 —
à des groupes de lutteurs : classicisme, romantisme, réa-
lisme, naturalisme, impressionnisme, intentionnisme. Nous
en sommes maintenant à ce dernier vocable, qui peut-être
renferme quelque chose, mais qui peut-être aussi ne ren-
ferme rien. On saura cela plus tard.
C'est fort bien : il faut être dans le courant moderne, sous
peine d'être dédaigné ou incompris. Mais encore est- il
nécessaire, pour les révolutionnaires, d'avoir un but et de
poursuivre un idéal.
N'était-ce pas une mode (qui n'a eu qu'une heure triom-
phante), cette nouveauté qui consistait à reconstituer l'art
de nos ancèlres du moyen âge? Pour arriver à cet « idéal ,»
n'a-t-on pas été obligé de se contraindre, de feindre une
ingénuité impossible, d'afficher une ignorance bizarre, de
dessiner de parti pris des personnages raides, à physionomie
barbare, de consulter et d'imiter de vieilles gravures et
en même temps de copier des tonalités assombries par le
temps — abdiquant ainsi toute personnalité, se refusant à
soi-même tous les bénéfices de l'originalité? N'était-ce pas
là un défi au sens commun, un renoncement aux effets des
conquêtes de l'esprit dans les temps modernes, et, pour tout
dire en un mot, une fantaisie archaïque qui ne devait avoir
qu'un succès fugitif?
On ne refait pas le passé; on ne reconstitue qu'en appa-
rence et pour un moment les choses mortes. Sous la pre-
mière République française, on crut à Paris qu'il suffisait
de reprendre le costume antique pour retrouver dans ses
plis les vertus des âges philosophiques et héroïques. La
tentative n'a été que ridicule.
Il ne faudrait donc pas conclure, après l'éloge qui vient
— 71 —
d'être fait du Sposalizio, que je conseille aux jeunes gens
de reprendre les traditions anciennes et les principes suivis
par la Renaissance italienne, pour en tirer un nouveau suc.
Je dirai succinctement ce que je considère comme une
vérité historique irréfutable : l'humanité ne peut se copier
en rien sans s'amoindrir. L'évolution de l'esprit n'est pas
en arrière; le passé constitue un amas de documents, dont
l'étude doit nous aider à avancer sans cesse vers la perfec-
tion, relative au temps et aux circonstances. L'art des an-
ciens étant plein d'enseignements, nous ne pouvons jamais
le considérer comme une lettre morte pour l'intelligence.
Logiquement, même pour faire autrement que les «vieux, »
il est indispensable de ne pas ignorer ce qu'ils connaissaient
et de ne pas mépriser les moyens qu'ils ont employés. C'est
un des caractères des réactions et des innovations de dédai-
gner les actions et les œuvres des prédécesseurs ; à l'heure
de la lutte, dans l'ardeur de la bataille, cette attitude semble
être rationelle. Mais on ne peut pas lutter toujours; la fièvre
du combat n'est point bonne pour édifier; il vient un mo-
ment où la réflexion donne l'ordre d'intervenir à la raison
et à la philosophie. Et c'est ainsi qu'à toutes les périodes
d'innovation passionnée on finit par avoir quelque honte
de hausser les épaules au nom de Raphaël — ou de Rem-
brandt, et c'est à ce moment-là qu'il est utile, et sain, et
instructif, de reprendre l'examen des œuvres et des hommes
que l'on a combattus.
L'auteur du Sposalizio avait vingt et un ans, et c'était un
peintre savant! J'appelle l'attention des jeunes artistes sur
ce fait, parce que la « nouvelle école » semble dédaigner
la science, c'est-à-dire quelques-uns des éléments essentiels
— 72 —
de l'art, pour tout abandonner à l'inspiration de l'heure
présente et au sentiment de la première impression.
N'est- il pas étonnant de voir des peintres de figure, en
ces temps où l'enseignement est largement ouvert à ceux
qui veulent s'instruire, s'attaquer à l'homme sans avoir
étudié ni l'anatomie, ni la psychologie, ni la physiologie,
ni l'histoire, ni les grands poètes? Gomnie si cela suffisait
d'avoir des qualités instinctives, de faire poser un modèle
quelconque 'et de l'imiter tant bien que mal, quelquefois
fort bien, on ne peut en disconvenir! Se contenter de cet
art, c'est retourner à l'enfance de l'art, à ces temps primitifs
où nos aïeux étaient satisfaits d'avoir construit des hommes
sans vigueur physique, sans valeur morale et morts intel-
lectuellement.
Raphaël, ignorant, n'eût pas conçu et peint le Sposalizio.
Des facultés naturelles n'eussent pas suffi pour produire
cette page exquise, qui nous émeut et nous rend perplexe,
tant elle est forte dans sa délicatesse et savante dans son
ingénuité.
Il faut savoir : c'est la première des nécessités. Qu'on ne
croie point qu'un art peut être profond et défier les siècles
sans avoir pour base les sciences spéciales qui en sont
comme le squelette indestructible ; on verserait dans une
erreur funeste qui conduirait rapidement toute une période
à la décadence. Ce qui fait que les hommes comme Vinci,
Raphaël, Rubens, Shakespeare, Rembrandt, Cervantes ont
laissé des ouvrages immortels, c'est leur science unie à des
qualités géniales. Plus on a de savoir, plus on peut mettre
d'intérêt dans une œuvre; nier cette vérité, ce serait s'in-
scrire contre l'exactitude des mathémathiques.
— 75 —
Visitez nos expositions avec ce principe dans l'esprit; vous
verrez combien notre art est pauvre, tout en apparences,
tout en notes et éludes, tout en impressions et tentatives,
tout en bizarreries impuissantes. Le fond en est vide. Les
artistes sérieux qui se respectent deviennent tous les jours
plus rares. La mode est au « morceau, » au « coin de
nature ,» à la « relation des tonalités .» Les œuvres dispa-
raissent peu à peu. Lorsqu'on sort de ces bazars, hélas !
trop fréquemment organisés, on ne conserve le souvenir
que de quelques tableaux ; le reste, entrevu comme dans
un cauchemar, s'efface presque aussitôt de la mémoire.
Quand on a vu une fois le Mariage de la Vierge de Raphaël,
on ne l'oublie jamais.
E. L.
COMMISSION ROYALE DES MONUMENTS.
RÉSUMÉ DES PROCES-VERBAUX.
SÉANCES
des 1", 8, 15, 22, 28 et 29 mars; des 5, 12, 19, 24 et 26 avril 1884.
PEINTURE ET SCULPTURE.
La Commission a émis des avis favorables sur :
1" La restauration d'un des panneaux-armoiries des Che- sain^;!riombaut,
, ^ Malincs.
valiers de la Toison d'Or, appartenant à l'éfflise métropolitame panneaux-
' ' r c;> I armoiries.
de Saint-Rombaut, à Matines. Ce panneau, confié à M. Mo-
rissens, et choisi parmi les plus détériorés, doit servir de
type pour la restauration des autres panneaux ;
2° Les dessins du chemin de la croix destiné à l'église Egnse
(le Passe liemiaele.
de Passchendaele (Flandre occidentale), peint par M. Cal- j^^^'^™;^,
lebert ;
3° Le proiet relatif à l'exécution d'une verrière pour Êguse
l'église de Wilryck (Anvers); auteurs : MM. Stalins et ^■"''"*-
Janssens ;
— 76 —
Église de 4,0 f^e projet concernant l'exécution d'une verrière pour
N.-D. de Panifie,
Aiidenaoïde. 1
Verrière. 1 tJj^
à Audenaordc. i'^„|jsg (jg Nolpc-Dame de Pamele, à Audenaerde, sous la
Tableaux.
réserve de quelques simplifications que l'artiste, M. Oster-
ralli, devra apporter dans les fonds;
decouiiiei. ^^ Les dessins de deux verrières à placer dans l'église de
Couiilet; auteur : M. Cador. Le Collège a insisté pour que
l'exécution des verrières fût confiée à un artiste du pays,
plutôt qu'à des peintres étrangers.
Hospices — j)es déléffués se sont rendus au siège de l'administra-
de liriixelles. o '^
tion des hospices et secours de la ville de Bruxelles, afin de
procéder à l'examen de dix-huit vieux tableaux très détériorés
que ladite administration avait l'intention d'aliéner pour la
somme de 150 francs. Ces tableaux proviennent de l'ancien
hôpital Saint-Jean. Leur état de dégradation a permis cepen-
dant de reconnaître un certain mérite à quelques-uns d'entre
eux, notamment à deux ou trois grands paysages (xvif siècle)
du genre dit historique et à deux peintures de dimensions
moindres, représentant des sujets de genre religieux, l'une,
sur bois, de la seconde moitié du xvi® siècle, l'autre, du
commencement du xvif. Cette dernière, copie probable
d'un tableau de Rubens et contemporaine du maître, est pour
ainsi dire la seule toile qui aurait encore quelque valeur
sans exiger une trop coûteuse restauration.
D'autres toiles, encadrées dans des bordures contournées
formant trumeaux, représentent des scènes de la Passion.
A ces dernières œuvres, d'un faire assez large pourtant, on
ne peut guère attribuer une valeur artistique et moins encore
une valeur marchande. Quelques tableaux d'une entière
insignifiance complètent la collection.
Le prix d'achat convenu, 150 francs pour les dix-huit ta-
— 11 —
bleaux, peut paraître faible, mais il est justifié par l'état
d'extrême délabrement des œuvres susmentionnées, qui,
soumises à l'épreuve des enchères publiques, n'atteindraient
pas probablement ce prix.
— La Commission, complétant son rapport du 12 février ,,,. ill^i'^'^,,
1884 (voir 23* année, page 53), sur l'état de la statue de ^"î^'i"*
Léopold I", roi des Belges, à la Chambre des représentants,
a vérifié l'état des autres statues qui décoraient le local
incendié. La statue du Roi devra être grandie pour être mise
en rapport avec les proportions de la salle des séances
restaurée. A l'égard des statues des quatre Libertés qui
ornaient le vestibule du Palais, ces figures ont été gravement
endommagées; le feu les a calcinées, et il paraît impossible
de les conserver. Au point de vue de l'art, elles laissaient
généralement à désirer et l'on pourra, sans doute, les rem-
placer par des œuvres meilleures. Les statues représentant
des souverains qui ont régné en Belgique ont relativement
peu souffert, placées comme elles l'étaient en dehors du centre
de l'incendie. Les quelques avaries qu'elles présentent sont
causées par la chute des matériaux des étages supérieurs.
Ce sont des cassures qui peuvent être réparées facilement
et sans frais notables.
CONSTRUCTIONS CIVILES.
Ont été approuvés :
i" Le projet des travaux d'appropriation et d'agrandisse-i'aiaisdejusike
ment a exécuter au palais de justice de Namur; architecte,
M. Boveroulle. La Commission a exprimé toutefois le regret
qu'on n'ait pu faire droit aux observations formulées dans
— 78 —
son rapport du 7 juillet 1882. Ces observations avaient trait
aux négociations entamées pour l'acquisition de terrains
contigus au palais de justice, qui, si elles avaient abouti,
auraient permis un développement plus normal de la dis-
tribution des divers services. L'emprise faite sur la cour,
pour la construction des galeries, la rétrécira d'une façon
notable et certaines salles ne recevront qu'un jour médiocre,
voire insuffisant. Il y aura lieu, dans le cours de l'exécution,
de supprimer l'ouverture proposée dans le vestibule du
premier étage, ce qui permettrait de convertir ce même
vestibule en une seconde salle des Pas-Perdus.
HMspi.xi-iiôpiiai 2° Le projet relatif à la construction d'un hospice-hôpital
à Ledeberg (Flandre orientale); architecte, M. Morial.
ÉDIFICES RELIGIEUX.
PRESBYTÈRES.
Des avis favorables ont été donnés sur :
Presbytère 1° Lc dcvls esUmatif des travaux de réparation urgente
de Poederlé.
à exécuter au presbytère de Poederlé (Anvers) et dont le
total s'élève à fr. 3,051-55;
prcsbjtcre 2° Lc projct Tclatif à l'amélioration du presbytère de
Moinet, commune de Longwilly (Luxembourg). Devis :
4,576 francs.
ÉGLISES. — CONSTRUCTIONS NOUVELLES.
Ont été approuvés :
1° Le projet relatif
de Falmagne (Namur);
ÊKii" 1° Le projet relatif à la construction d'une tour à l'église
de laliiiigne. ' "' ^
— 70 —
2" L'emplacement proposé pour la construction de l'église ,,.„g'^*'',|-;;„j
d'Hemptinne, arrondissement de Philippevillc (Namur);
architecte, M. Blandot ;
3" Le projet relatif à la reconstruction du vaisseau de ^^ ÊSlscamp.
l'église de Bulscamp (Flandre occidentale); architecte,
M. Buyck, sous la réserve que dans le cours de l'exécution
l'auteur supprimera le transept simulé dont les pignons cou-
pent les façades latérales de l'édifice ;
4° Les propositions concernant la construction d'une cave Rgn^e
SOUS la seconde sacristie et l'agrandissement des fenêtres de
l'église d'Etterbeek (Brabant) en construction ; architecte,
M. Hansotte;
5" Le projet d'agrandissement de redise de Saint- Rémi, Egnsp
^ •* ® ° 'de Saint-Kcmi,
à Huy (Liège), tel qu'il a été modifié à la demande du con- ^ ""^•
seil de fabrique; architecte, M. Feuillat-Fiévet;
6° Le projet relatif aux travaux de consolidation de l'église Égnso dHvon.
d'Hyon (Hainaut); architecte, M. Carpentier;
7° Le projet relatif au renouvellement du beffroi de Égiiso
de N.-D.au Lnc,
l'église de Notre-Dame-au-Lac, à Tirlemont (BrabanI); l'ar- «Tiriemom.
chitecte devra étudier toutefois, dans le cours de l'exécution,
le moyen de faire porter le beffroi sur la tour de façon à
ne pas fatiguer la maçonnerie. On a approuvé également
l'acquisition d'une cloche du poids de 54-0 kilog., destinée à
compléter la sonnerie ;
8° L'établissement d'un paratonnerre sur l'éclise de Wyn- , i^g'i*<"
' *-" •' de Wvngeoe.
gène (Flandre occidentale) ;
9° Le projet relatif à l'agrandissement du jubé de l'église Eglise
de Sainl-Jacqucs,
de Saint-Jacques, à Anvers; à Anvers.
10° Le projet relatif au complément de l'ameublement de Eglise
de Waremme.
l'église de Waremme (Liège) et à la confection d'un vitrail;
— 80 —
sculpteur, M. Gérard Jansen; peintre du vitrail, M. Dob-
belaere ;
r.pii.e.rAycneux. { [o Lq projct relatif à l'exécution d'un confessionnal pour
l'église d'Ayeneux (Liège);
d.purnode. 1^2° Le projst coucemant l'exécutlon de deux autels laté-
raux pour l'église de Purnode (Nainur) ;
Eglise \^o lq projet relatif à la confection de vinel-quatre bancs
de Walcoiirt r J ai
pour l'église de Walcourt (Namur);
Église de smuid- {^o Le orolet relatif à l'exécution d'un confessionnal pour
l'église de Smuid-sous-Libin (Namur);
, ,'t«"'",, lo" Le projet relatif à l'exécution d'un nouvel oreue pour
de Saiiil-Gilles, I J o I
' '^"'" l'église de Saint-Gilles, à Liège ;
viicmaïi-Rooi ^ ^^ ^^ projct relatif 5 l'ameublement de l'église de Vlier-
macl-Root (Limbourg); sculpteur, M. G. Janssen ;
Église de Do.i. 17° Lc projet relatif à l'acquisition d'un orgue avec buffet
par la fabrique de l'église de Doel (Flandre orientale).
Ce collège est également autorisé à remplacer l'ancienne
cloche de l'église par une nouvelle d'un poids double
(GOO kilog.)-
TRAVAUX DE RESTAURATION.
La Commission a approuvé :
Église de \o Le projet relatif à la restauration de l'église de Nolre-
N.-I).-S'-Picrre, ' •' '^
^ ^^"'^ Dame-Saint-Pierre, à Gand ; architecte, M. De Perre ;
Église 2° La proposition du conseil de fabrique de l'église de
de Meulebeke. ' ' i cj
Meulebcke (Flandre occidentale), tendante à faire exécuter
à la toiture de l'édifice des travaux de grosse réparation;
de cbù'îliics. 3° La proposition d'exécuter aux tourelles de la façade de
l'église de Ghislclles (Flandre occidentale) des travaux de
restauration évalués à 400 francs ;
— 81 —
4" Le projet relatif au renouvellement des meneaux de "^e"'" ■'""""'"•
quatre fenêtres de l'église de Burcht (Flandre orientale).
Ces travaux pourront être exécutés en plusieurs fois, au fur
et à mesure des ressources;
S" Le nouveau projet, modifiant celui approuvé en 1879, Eglise .iA„ioy.
relatif aux travaux de restauration à exécuter à l'église
d'Anloy (Luxembourg);
6° Le projet relatif au renouvellement de trois fenètresKgiisc de vyncM.
de l'église de Vynckt (Flandre orientale);
7° La demande du conseil de fabri(iue de l'église d'IIooû'h- , „'^«''''; ,
1 o O lie llooglileuo,
ledo, tendante à pouvoir faire exécuter, par voie de régie,
des travaux de réparation aux toitures de l'édifice;
8° A. Les travaux exécutés d'urgence à l'église de Nieuw-deNieuwmun-tcr.
munster (Flandre occidentale), à la suite d'un ouragan qui
avait endommagé des fenêtres ;
B. Les travaux de réparation restant encore à efTectucr
au presbytère ;
d° La proposition du conseil de fabrique de l'édise dciîgiisedcs.iMvf
Schuytîers-Cappelle (Flandre occidentale), tendante à obte-
nir l'autorisation de faire exécuter, par voie de régie, des
réparations à la toiture de l'édifice ;
10" A. Le compte des travaux de restauration exécutés Église dn
' Sainl llombau',
pendant l'année 1883, pour la restauration du vaisseau de ^*'^''""
l'église métropolitaine de Saint- Rombaut, à Malines;
B. Le devis des travaux à exécuter pendant l'exercice
1884, pour le même objet;
11" Le compte des recettes et des dépenses faites pour la ^ /b'^^p
r r I de Notre- Dame,
restauration du vaisseau de l'église de Notre-Dame, à An- '"^"''■"'
vers, pendant l'exercice 1885;
— 82 —
sai^R<fmtui. 12° Lg compte rendu des travaux exécutés en 1883 à la
' """■ tour de l'église métropolitaine de Saint-Rombaut, à Malines;
ËKii^c 13" Le compte rendu des receltes et des dépenses effec-
tuées pendant l'année 1883 pour la restauration de l'église
de Walcourt (Namur);
de Nofre-Dame, '^^^° Le coniptc reud u dcs recettes et des dépenses faites
pendant l'année 1883 pour la restauration de la petite tour
de l'église de Notre-Dame, à Anvers.
Église — M. le Ministre de la justice avant transmis une demande
du conseil communal de Glieluwe (Flandre occidentale),
tendante à ce qu'il soit procédé à une enquête au sujet de
la tour de l'église paroissiale, dont la situation semble me-
nacer la sécurité publique, la Commission a délégué un de
ses membres pour procéder àl'inspeclion demandée.
Le rapport du délégué est conçu en ces termes :
« L'église de Gheluwe est un édifice de style ogival du
» xiv° siècle, modernisé à l'intérieur; elle est à trois nefs
» terminées par des absides à pans coupés ; ces trois nefs
» sont à peu près d'égale largeur et ont cbacune leur
» toiture. Les voûtes sont en berceau, faites en plafonnage
» et pénètrent dans les combles. — La voûte du chœur est un
» peu plus basse que celle de la nef. — Au devant du chœur
» se trouve placé le clocher. L'examen attentif de ce
» clocher, dont la solidité éveille les craintes de l'ad-
» niinistration communale, a fait ressortir les points sui-
» vanls :
» r Les quatre piles qui portent ce clocher ne présentent
» à l'intérieur de l'église aucune trace qui puisse faire douter
» de leur solidité;
» 2^ Le long des toitures du chœur et de la nef, qui
— 83 —
» viennent bu(er contre le clocher, on remarque un espace
» vide de 0™02 environ de largeur. — Ces vides provien-
» nent évidemment, ainsi qu'on peut s'en assurer en faisant
» mettre en branle les trois cloches du befîroi, du mouve-
» ment oscillatoire imprimé à celui-ci par la sonnerie des
» cloches;
1) 3" A l'extérieur du clocher, percé de quatre baies ter-
» nées, surmontées d'une arcature, et tout entier construit
» en larges briques, avec chaînes d'angle en pierres irrégu-
» lières, on constate sur les quatre faces, vers les angles, de
)' nombreuses crevasses, des pierres ébranlées, des parties
» de mortier détachées. Les meneaux des baies ternées du
» beffroi sont brisés en différents endroits. — Un certain
» nombre d'ancres en fer se remarquent sur les quatre faces
» du clocher, principalement sur la face nord ; ces ancres,
» dont les tirants ne traversent que l'épaisseur du mur, sont
« placées irrégulièrement sur les faces. Le clocher est ac-
» tuellement recouvert d'une toiture plate, mais, d'après les
» renseignements fournis, il était surmonté, au siècle der-
» nier, d'une flèche en charpente;
» 4" A l'intérieur du clocher, les maçonneries paraissent
« en bon état; nulle part on ne constate de lézardes. Le beffroi
» en charpente est convenablement assis sur des poutres en
» bois; ses faces présentent un fruit et sont écartées des
» parements en maçonnerie. — Dans les angles, au haut
» du beffroi, on remarque des trompes destinées, sans nul
» doute, à porter une flèche en maçonnerie. — L'épaisseur
» des murs du beffroi est de I^IO ;
» 5° D'après les renseignements recueillis sur les lieux,
» les oscillations précitées ont été remarquées de tout
— 84 —
0 temps; elles n'ont jamais causé d'accidents quelconques.
» Il semble résulter des constatations ci-dessus que l'ab-
» sence de lézardes intérieures et la présence d'ancres, dont
» les tirants ne font que traverser l'épaisseur des murs,
« indiquent suffisamment que depuis longtemps les pare-
« menls intérieurs et extérieurs de ces murs sont mal reliés
» et que ceux-ci doivent présenter des vides dans leur
» intérieur.
» Cet état de choses pourrait certainement amener des
» complications et causer des accidents par la chute des
» matériaux qui pourraient traverser la toiture et le ber-
» ceau en plafonnage et pénétrer dans l'église.
» Pour remédier à cette situation, il y aurait lieu de re-
s lancer dans les maçonneries, aux points faibles indiqués par
» les crevasses, des pierres dures formant parpaings pour
» relier les deux parements. Les chaînes d'angles devraient
» également être soigneusement visitées, et refaites s'il y a
» lieu.
» En outre, les parties disloquées du parement exlé-
» rieur devraient être reconstruites en bons matériaux.
» Cette manière de procéder, bien que régulière, ne lais-
» serait pas que d'être délicate et fort onéreuse, et comme
■- depuis de longues années l'administration communale a
B l'intenlion de dijniolir ce clocher, d'ailleurs de peu de
» valeur artistique, et dont les piles masquent aux fidèles
» la vue du chœur, on pourrait procéder d'une façon plus
» économique en se contentant de chevaucher les crevasses
» existantes au moyen de briques dures, maçonnées avec
•> du mortier de ciment, et en remplaçant les vides de l'in-
» térieur des murs avec un coulis de mortier composé par
— 85 —
» moitié de cimenl de Portland anglais, à prise lente, et de
» sable lavé du Rhin. — Bien entendu, la sonnerie des
» cloches serait suspendue pendant l'exécution des travaux,
» et même une quinzaine de jours après leur achèvement.
» En agissant ainsi, on pourrait prolonger de quelques
» années encore l'existence de ce clocher jusqu'au moment
» où la commune aurait les fonds nécessaires pour construire
» une nouvelle tour, dont l'emplacement se trouve tout
» marqué à gauche de la façade principale de l'église.
» Après l'exécution du travail ci-dessus indiqué, la com-
» mune devra désigner une personne compétente, chargée
» de constater périodiquement si de nouveaux mouvements
') ne se manifestent pas dans les parements extérieurs du
» clocher.
» 23 février 1884. »
La Commission s'est entièrement ralliée aux conclusions
de ce rapport, qu'elle a transmis à iM. le Ministre de la
justice.
— Ensuite d'une communication de M. Gels, architecte, faii.ëHraie
di: Naimir.
chargé de la restauration de la façade de la cathédrale de
Namur, transmettant une lettre de l'entrepreneur, M. Deroy,
qui dénonçait l'urgence d'exécuter certains travaux sup-
plémentaires en dehors de ceux approuvés par la Commis-
sion, dans son rapport du 31 août 1882, la Commission a
résolu de faire examiner sur place si les doutes formulés par
l'entrepreneur et que semblait partager l'architecte, étaient
justifiés par l'état des lieux, et si, comme on le suggérait,
il était fatalement nécessaire de démolir les colonnes de
l'étage supérieur de la façade et même certains pilastres
signalés comme étant sillonnés verticalement de limés, etc. ;
— Sf) —
on supposait également que l'étage inférieur était peu ca-
pable de porter longtemps encore le poids de l'étage supé-
rieur et, en conséquence, on en demandait également la
démolition.
Ces mesures, si on les mettait à exécution, provoqueraient
naturellement le retour à un projet primitivement élaboré,
comprenant la démolition et la reconstruction totales de la
façade, et dont le devis s'élevait à la somme de fr. 493, 854-79.
Les difficultés de réunir les ressources nécessaires à sa
réalisation l'avaient fait abandonner. Des inspections ulté-
rieures permirent de constater qu'une restauration serait
suffisante.
La somme à affecter à cette restauration, d'après une
nouvelle étude de l'architecte, fut abaissée à fr. 1 "23, 11 4-23.
Des délégués se sont rendus à Namur, le 27 février
1884, et à la suite d'un long et minutieux examen, ils ont
constaté que les craintes de l'entrepreneur n'étaient pas jus-
tifiées; ils ont été d'avis, et la Commission a partagé leur
opinion, qu'on doit s'en référer au projet de restauration
approuvé.
On a néanmoins fait remarquer à l'architecte et à l'entre-
preneur que les travaux exigeront une surveillance constante,
des ouvriers adroits et intelligents. On ne nie point qu'il ne
se présentera quelques difficultés, mais elles pourront être
facilement surmontées et elles se rencontrent, du reste,
dans tous les travaux de ce genre,
de ncvu!M.'r..M..r. — Uu joumal de Bruges, le Durrjerwebijn, a annoncé
dans son numéro du 5 avril 1884, qu'on s'occupait de dé-
molir l'ancienne tour romane de l'église d'Heyst-sur-Mer
Comme cette tour, seul reste du monument primitif, n'esi
— 87 —
pas seulement intéressante au point de vue de l'effet pitto-
resque de sa masse et qu'elle n'est pas moins remarquable
par l'importance architecturale et la valeur archéologique de
sa construction ; comme de tout temps, d'ailleurs, sa con-
servation a été l'objet d'une juste sollicitude, la Commission
a signalé le fait dénoncé à M. le Ministre de l'intérieur. Elle
l'a prié en même temps de prendre telles mesures qu'il jugera
convenable pour arrêter, s'il en est temps encore, l'œuvre
de dévastation commencée.
Le Secrétaire Général,
J. Rousseau.
Vu en conformité de l'article 25 du règlement.
Le Président,
Wellens.
OBJETS îmmu n\mmm
s*" ARTICLE (t) — 2" PARTIE
AVANT-PROPOS
Mainte invitation, même publique, a été adressée à l'auteur
du présent article, pour l'engager à reprendre la suite de
ses études sur les objets étrusques d'Eygenbilsen : une œno-
cboé en bronze, un seau en bronze à côtes horizontales, un
cône en bronze, un bandeau d'or, etc., trouvés en 1871 et
déposés au Musée royal d'antiquités de Bruxelles (annexe
du boulevard de Waterloo).
Toutes ces invitations sont trop aimables et trop gracieuses
— quoique à des degrés différents — pour que l'auteur per-
siste ici à suivre son plan, indiqué par lui dans le Wesl-
deulsche Zeitschrift fiir Geschkhle und Kunst (i>) : « Le
caractère étrusque et anté-romain des objets d'Eygenbilsen
est admis par les savants d'Allemagne et de France : il est
encore contesté en Belgique, où n'ont pas été étudiés les nom-,
breux travaux de Genthe, Lindenschmit, Gozzadini, Hel-
(i) Voy. ci-dessus, Bull, des Coiiiin. roij. d'art et d'archéol., XI, pp. 259 et
433; XII, p. 212; XllI, p. 583; XVII, p. 5.
(») Publié à Trêves, III, p. 198.
— 89 —
big, etc.; mais ce n'est là qu'un icmps d'arrêt, et il suffit
d'un peu de patience pour attendre que les connaissances
s établissent partout au même niveau. »
Cessons donc d'« attendre patiemment »; mais précisons
quelques points (i).
I. L'auteur na jamais soutenu, ni dans ce Bulletin, ni
dans celui de ïAcadémie, ni dans YAtlienœum, que les
Étrusques ont habité Eygenbilsen, qu'ils y ont résidé, qu'ils
y ont séjourné dans la plus haute antiquité...
Gela serait uîie absurdité...
Il a, au contraire, soutenu que les vases d'Eygenbilsen
.sont parvenus dans cette localité par la voie du commerce
(caravanes ou colportage).
Il a dit textuellement, en propres termes (2) : « L'isolement
» d'Eygenbilsen, comme le peu d'espoir d'y faire des béné-
» fices, ne permet pas de croire là à l'existence ni d'une
» colonie ni d'un arrêt pour les caravanes : il faut donc
» recourir à la supposition, ou bien qu'un indigène est allé
» au Rhin s'approvisionner d'objets étrusques, en échange
» de tel ou tel produit local, ou bien qu'un marchand
» étrusque a fait fausse route vers l'ouest, à la recherche
» d'une voie nouvelle, mais certes peu lucrative » (5).
(i) Bien des passages sont surchargés d'italiques : on a eu recours à ce mode
pour concentrer toute l'attention sur les thèses scientiliques et pour pouvoir
laisser de côté les personnalités : a quoi bon réfuter, par exemple, un Hostmann,
z^vks, Y Archiv fur Anthropologie de Brunswick (X, p. 127), ou un von Hoch-
STETTER, après l'Académie des Inscriptions {Bullelin de cette Acad., 1883,
p. 600)?
(2) Bull, lies Comm. roy. d'art et d'archéoL, XF, p. 520.
(3) Ibid., XII, p. 224, on a ajouté, couime de nature à expliquer des cas parti-
culiers, l'hypothèse qu'un indigène a pu faire partie, à l'époque anté-romaine,
d'une expédition gauloise en Italie, et en a ramené sa part de butin.
— 90 —
Esl-ce assez clair:'
Attribuer à l'auleur la thèse contraire serait donc un pro-
cédé anti-scientifique : fausser les opinions de ses contradic-
teurs, pour se ménager une réfutation facile, permettrait de
supposer qu'on est soi-même à bout d'arguments.
Donc, on le répète : jamais les Étrusques n'ont habité
Eygenbilsen ; jamais ils n'y ont résidé; jamais ils n'y ont
séjourné.
Récompense honnête à qui trouvera le contraire dans les
écrits de l'auteur du présent article. '
Si, après cette déclaration, quelqu'un persistait à attribuer
à l'auteur l'opinion ridicule que les Étrusques ont habité
Eygenbilsen, il ne resterait place qu'à l'euphémisme que
voici : « Honorable contradicteur, je prends la liberté de
vous demander la permission de poser la question suivante :
Inconsciemment sans doute, n'altérez-vous pas la vérité? »
II. M. Roulez n'est pas le seul auteur de la thèse du
Romain, amateur d'antiquités, qui aurait laissé à Eygen-
bilsen des pièces de sa collection (i).
Cette thèse lui appartient en commun avec le savant baron
de Witte.
Seulement celui-ci, un savant de premier ordre, avait,
déjà à la fin de 1872, fait un quart de conversion vers l'au-
teur du présent article, en lui écrivant (2) : « La trouvaille
d'Eygenbilsen est très intéressante. Les objets trouvés sont
de travail étrusque: cela me parait incontestable. »
(t) Bull. Acad. roy. de Belgique, 1872, I, p. 280.
(») Voir plus haut, Bull., XI, 445.
— 91 —
Alors, M. (le Witte taisait seulement une réserve quant à
l'époque de l'importation.
Plus lard, M. de Wille, avec la loyauté scientifique à
laquelle l'auleur a alors rendu hommage, s'empressa de se
rendre à l'appel de M. Anat. de Barthélémy, qui l'avait
convié à une nouvelle étude de la question, et il admit déjà
en partie l'importation anté-romaine (i).
Mais voilà que six ans plus tard, en 1878, M. de Witte
compléta son évolution, lors d'une réunion des sociétés
savantes de France, à propos d'une trouvaille faite en
Champagne (2).
Reproduisons le compte rendu textuel de la séance (5), où
l'on avait exhibé le vase italo-grec en terre cuite, l'œnochoé,
le bandeau d'or, etc. , découverts ensemble à Somme-Bionne :
a M. de Witle, qui n'avait pas caché l'étonnementque lui
» faisait éprouver celte simultanéité de produits de l'art
» italo-grec, avec des objets gaulois dans une sépulture gau-
» loise, avait fini, non seulement par l'admettre, mais par
» rapprocher la découverte de Somme-Bionne de plusieurs
» autres faits analogues que son érudition lui a facilement
» fournis. »
Or, parmi ces faits analogues, M. de Witte — des ren-
seignements certains permettent de l'aifirmer — a cité les
objets étrusques d'Eygenbilsen. . . .
M. Roulez, lui-même, eût-il persisté à soutenir une opi-
nion désertée par le baron de Witle?
(0 Ibid.,\\U, p. 401.
(2) Voy. sur cette trouvaille, ibid., XIII, p. 590; XVII, pp. 20 et 58.
(î) Revue des sociétés savantes, 6^ série, VII (1878), p. 255.
— 92 —
Il est permis d'en douter, parce que plusieurs fois l'érudi-
lion de M. de Wilte a empêché M. Roulez de persister dans
une erreur, comme celle que celui-ci avait commise à propos
des prétendus « Hercules gaulois, » — supports de chande-
lier du moyen âge, ou poids d'horloge
Ce serait donc s'exposer fortement que de reprendre
aujourd'hui une thèse qu'un de ses auteurs, et précisément
le plus compétent, a complètement abandonnée.
III. L'élrangeté des nombreuses trouvailles, au nord des
Alpes, d'objets étrusques, toujours sans mélange avec des
objets romains (i), a fait songer aux Zingaris, qui pourraient
avoir été, avant la conquête romaine, les émissaires de la
Grèce, de l'Étrurie et de Rome, dans l'Europe encore
barbare.
Pareille thèse ne déplairait pas à l'auteur du présent tra-
vail. Dès que des objets étrusques ont été exportés au nord,
à l'époque anté-romaine, qu'on assigne aux colporteurs, tel
nom, telle nationalité qu'on voudra, cela importe assez peu.
Seulement il est à remarquer que les Zingaris, venant de
l'Inde, ont été mis en avant jusqu'ici au profit exclusif de la
thèse, très contestée, qui fait arriver de l'Asie, par l'Oural ou
le Caucase, les bronzes de l'Orient.
En tout cas, affecter le concours des Zingaris aux exporta-
(i) Et, à plus forte raison, du moyen âge.
Qu'il soit permis à cet égard d'insister énergiquement sur rimpossibliilé de
fonfondre les seaux en bronze, à nervures horizontales, des bords du Pô, etc.,
avec les baquets en bois, cerclés de métal, de l'époque franke. Ce point a déjà été
signalé dans VAthenaeiim belge de 1880, p. 202 : identifier ces deux genres
d'objets, ce serait assimiler les barillets gallo-romains on verre de l'usine
frontinieiine en Normandie, avec les verchens en grès de Bouffiowlx du xvii»
SIC'C'.C...
— 95 —
lions étrusques embarrasse la solution d'un élément peu
explicable, à cause du détour,— et peu nécessaire, puisque les
Étrusques étaient certes assez industrieux pour trouver eux-
mêmes la route des Alpes, des lacs et des fleuves, à l'efTet
d'exporter leurs produits directement, et surtout sans inter-
médiaires arrivés du fond de l'Asie.
IV. On ne s'arrêtera pas un instant à discuter le caractère
de la trouvaille de Bologne, où l'on a trouvé, en 1877,
14,000 objets de bronze, dont plus de 2,000 étaient des
kells ou paalslabs : pareils objets n'étaient plus en usage,
même chez les barbares, lorsque les Romains ont étendu
leurs conquêtes hors d'Italie (i).
Le célèbre professeur Desor, qui a si bien étudié les cités
lacustres de Suisse, a dit que cette trouvaille de Bologne
était une révélation et qu'il fallait désormais renoncer à
chercher ailleurs que dans l'Italie septentrionale le centre
industriel qui avait alimenté l'Europe des instruments de
bronze trouvés dans les palalittes, etc.
V. Répétons enfin, pour éviter toute équivoque, ce qui a
été dit ci-dessus (2) : « Il doit être bien entendu, une fois
» pour toutes, qu'il ne s'agit pas ici d'antiquités élrusques
» {sensu stricto), c'est-à-dire d'antiquités provenant de
» YÉtrurie centrale, celle où ont été faites les découvertes
i> de Caere, Corneto, etc.
(i) Les rares paaistabs qu'on a recueillis à l'époque où se lit senlir l'influence
romaine dans le nord de l'Italie, étaient en fer (Journal des Savants, 1882,
p. 556).
Le comte Gozzadini n'hésite pas à assigner k la trouvaille de Bologne une
antériorité d'environ dix siècles avant l'ère chrétienne (voy. plus haut, Bull.,
XVll, p. 19).
(«) Bull, des Comm. roy. d'art et d'archéol., XVM, p. 8, note.
— 94 —
» Il s'agit même ici exclusivement &' antiquités archéo-
» italiques de la contrée circumpadane d'où les Gaulois ont
« refoulé les Étrusques plus au midi, à l'époque où Felsina,
» occupée par les Boii, a perdu son nom pour s'appeler
» Bononia.
» L'intérêt de la discussion est uniquement pour nous
7) d'apprendre si les objets proviennent de l'Italie, indépen-
j) damment de la controverse sur le point de savoir si,
» tout en étant italioles, ils sont archéo-étrusques, ou om-
» briens, insubriens, (euganéens), etc. »
Cela dit, et avant d'étudier dans son ensemble l'importante
question des relations anté-romaines de l'Europe barbare
avec l'Italie, rappelons les nombreuses adhésions déjà données
à la thèse de l'auteur. Ce résumé fidèle (i) doit être mis sous
les yeux du lecteur pour qu'il puisse se convaincre de la
vérité de l'assertion du Wcstdeutsclie Zeitschrift, reproduite
plus haut, relativement à l'adhésion des savants de France
et d'Allemagne, etc.
Plus tard viendront les adhésions nouvelles, d'où l'on
n'extraira, pour le moment, que l'appréciation du Diction-
naire archéologique de la Gaule, en y ajoutant l'opinion
récemment exprimée par les savants M. Alf. Maury, pour la
France, d'une part, MM. Conzc et Hirschfeld, pour l'Alle-
magne, d'autre part.
Présentons donc, en faisceau, les opinions des archéo-
(«) Inutile de réiicliT les cilations d'où cola est extrait; tout est textuellement
emprunté aux précédents articles, où on pourra le retrouver facilement.
— 95 —
logues qui jouissent du plus d'autorité en Europe, pour rap-
peler la substance des articles précédemment publiés,
articles épars dans quatre volumes du Bulletin : en voyant
reparaître devant lui les savants dont on a déjà fait con-
naître l'opinion, le lecteur sera mieux préparé à passer
en revue les publications ultérieures sur la question.
Déjà, nous avons devant nous : le baron de Witte, le
savant si distingué, dont le témoignage est d'autant plus
précieux, que c'est celui d'un converti ; le comte Gozzadini,
le président du Congrès de Bologne, le descripteur des
fouilles de laCertosa, etc. ; le comte Conestabile, professeur à
l'Université de Pérouse, qu'on a appelé, à bon droit, l'un des
premiers élruscologues de nos temps; le baron von Sacken,
à qui l'on doitle grand travail sur les fouilles deHallstatt.etc;
le professeur Desor, déjà cité, qui a attaché son nom aux
découvertes lacustres de Suisse; le D' Lindenschmit, le
directeur du Musée de Mayence, l'auteur des Allerthumer
unserer heidnischen Vorzeit, ce« praticien consommé qui ne
se paie pas avec des assertions, » comme le disait de lui le
célèbre abbé Cochet; M. Alex. Bertrand, membre de l'Insti-
tut, directeur du Musée de Saint-Germain, et auteur de tant
d'écrits sur les antiquités nationales de France; M. Flouest
et M. Morel, ces spécialistes à qui sont dues notamment les
découvertes de Magny-Lambert en Bourgogne et de Somme-
Bionne, en Champagne, qui ont fait sensation à l'Exposition
de Paris en 1878 et où Eygenbilsen a trouvé presque aussitôt
sa confirmation ; M. Anat. de Barthélémy, l'un des directeurs
du Dictionnaire archéologique de la Gaule, lui qui avait, dès
le principe, déclaré que la thèse du Romain, amateur d'anti-
quités, ne pouvait pas être soutenue, et qui a fait appel, et
— 96 —
un appel efficace, à la science de M. le baron de Wille,
mieux informé; le père Garrucci, de Rome, dont les travaux
ont été vulgarisés dans V Archaeologia de Londres, par
Wylie; enfin, Genlhe, qui a produit la synthèse complète
de tous les travaux de ses devanciers, et qui n'a pas encore
trouvé de contradicteur sérieux.
Écoutons tous ces savants parler eux-mêmes, sauf le der-
nier dont le système sera présenté et discuté en détail plus
tard, comme le mérite l'importance du travail :
Nous connaissons déjà l'avis de M. de Witte : les objets
sont étrusques, et ces objets sont parvenus de ce côté-ci des
Alpes, dès V époque gauloise.
M. De Witte, en outre, a signalé à l'auteur les ressem-
blances du bandeau d'or d'Eygenbilsen avec le grand dia-
dème de la collection Gampana (i).
Le comte Gozzadini. « L'œnochoé d'Eygenbilsen est pour
moi tout à fait étrusque; sa forme, ses rangs de perles, les
feuilles de lierre qui environnent le col, les ornementations
de l'anse, me paraissent avoir un cachet étrusque très pro-
noncé.
» Quant à l'époque à laquelle on pourrait rapporter les
objets d'Eygenbilsen, je dirai seulement que les cistes cir-
cumpadanes, qui ont beaucoup d'analogie avec le seau, appar-
tiennent à la première époque des Etrusques; d'âiWcurs la
manière dont les bandes des cistes et du seau sont rivées an-
nonce une haute antiquité... »
Garrucci et Wylie : « Il apparaît à une évidence suffi-
sante qu'il existait, à une période de longtemps antérieure
i\) ISitll. ci-desMis, Xi, p. 410.
— 97 —
à la domination romaine, des moyens de communication, par
lesquels les produits de la civilisation italienne parvinrent
jusqu'aux limites de la Germanie. »
Le comte Conestabile : « Les objets d'Eygenbilsen por-
tent en général une empreinte étrusque... La ciste est tout
à fait pareille aux cistes qu'on trouve dans les tombeaux de
YÉlrurie septentrionale, qui ont une destination funéraire.
L'œnochoé trouve aussi chez nous des comparaisons.
» Il n'y a pas d'objection possible contre Ntruscisme de
ces objets.
» Il résulte de l'étude des objets d'Eygenbilsen que les
anciens habitants de la Belgique avaient des relations avec
les marchands étrusques qui passaient par les pays rhé-
nans et qui ont laissé dans l'Europe centrale et septentrio-
nale les traces de leur civilisation , ou au moins les pro-
duits de leur industrie.
» J'émets une opinion complètement conforme à celle de
M. Desor sur l'étruscisme de tous ces objets.
» La trouvaille d'Eygenbilsen nous donne le droit de
ranger la Belgique parmi les régions qui ont ressenti plus
ou moins directement les conséquences du commerce et de
l'industrie des Étrusques (x^ ou xii'' siècle av. J.-C), et
elle peut nous autoriser à conjecturer que môme avant
l'époque, relativement récente, assignée aux objets trouvés,
l'influence italienne avait fait sentir ses effets dans la région
septentrionale (i). »
Le baron von Sacken : « Tous les objets d'Eygenbilsen
(i) Dans le compte rendu officiel du Congrès de Bruxelles, où M. Conestabile
a corrigé son opinion plus restreinle, émise d'abord quant à la date.
— 98 —
sont d'origine étrusque et fabriqués quelques siècles avant
noire ère. Le commerce des Étrusques dans les pays en deçà
des Alpes doit avoir été très étendu. Je crois que les peuples
barbares expédiaient les objets italiens entre eux-mêmes
par un commerce d'entrepôt... »
Desor : « On a trouvé à Villanova un type d'antiquité
qui représente la grande époque industrielle et commerciale
des Étrusques. C'est ce type que l'on rencontre partout au
dehors, en Suisse, à Mayence, et M. Schuermans vient de
le retrouver en Belgique, à Eygenbilsen. Il y a là une cruche
à vin et une ciste du vrai type étrusque... »
a Parmi les objets les plus caractéristiques, on peut signa-
ler les œnochoés ou cruches à vin, les cistes de bronze à
forme de seau cerclé : cette sorte de seau à côtes est tout ce
quil y a de plus étrusque.
» La théorie de l'influence étrusque avait trouvé ses con-
tradicteurs, qui s'évertuaient à la réduire en prétendant,
entre autres, que le commerce étrusque ne s'était guère
étendu au delà du pied des Alpes...
» Les objets d'Eygenbilsen sont trop concluants pour que
personne ait songé à leur contester leur origine. La preuve
était ainsi fournie que le commerce de l'Élrurie s'était étendu
presque sur les bords de la Meuse. »
Alex. Bertrand : « Vos idées, à peu de chose près, sont
les miennes. Un seau tout à fait analogue à celui d'Eygen-
bilsen vient d'être découvert à Magny-Lambert : c'est une
nouvelle localité à joindre à celles qui sont déjà connues,
où ont été trouvés des objets de style étrusque... »
Flouest : a C'est à la civilisation étrusque qu'il nous faut
aller demander la raison d'êlre d'une foule d'instruments, de
— 99 —
bijoux, de vases, etc., que nous rencontrons dans les sépul-
tures gauloises anté-romaines... Magny-Lambert nous a
fourni un seau cylindrique à côtes horizontales, qui ne laisse
plus aucun doute.
» La découverte de Magny-Lambert est, en pleine Bour-
gogne, une saisissante apparition de Hallslatt, de Yillanova
et de Marzabolto. Nous venons de conquérir un argument
de premier ordre à la thèse qui fait sortir de Y Italie circum-
padane le grand courant commercial et civilisateur, ayant si
puissamment réagi, à un moment donné, sur l'Europe occi-
dentale, et notre découverte est le digne pendant de celle
d'Eygenbilsen, mise en lumière par M. Schuermans (i). ^
MoREL : « Dans les plaines crayeuses de la Champagne, au
milieu de sépultures gauloises, j'ai trouvé un guerrier in-
humé sur son char (Somme-Bionne)... Il avait à ses pieds
une œnochoé en bronze doré, pareille à celle d'Eygenbilsen,
avec tout à fait le même dessin du cartel de l'anse. A côté se
trouvait, de inême qu'à Eygenbilsen, un bandeau d'or au
repoussé... »
Anat. DE Barthélémy (2) : « L'influence de l'art étrusque
(1) Ajoutons à cela le renseignement suivant du chanoine Coffinet, conserva-
teur du musée de Troyes :
« Au Pouan, a été trouvée une œnochoé absolument semblable à l'œnochoé
d'Eygenbilsen, sauf quelques détails. Klle fut très remarquée à l'exposition uni-
verselle de Paris, en 1867. Elle est décrite au livret avec la légende suivante :
« N" 766. Vase à bec relevé, avec spirales à la plaque d'attache de l'anse trouvé
à Pouan... style étrusque antérieur à l'ère chrétienne, t
Cette attribution est due à M. Adr. de Loncpérier, qui présidait la Commis-
sion de l'Exposition [Bull, des Comm. roij. d'art et d'archéol.. XIII, p. 390).
(ï) C'est lui qui avait écrit que l'hypothèse du « Romain, amateur d'anti-
quités B ne peut pas être soutenue.
Les Romains ont très bien pu réunir des cabinets d'antiquités, témoin les
corectionneurs dont paile Horace dans ses Épitres, II, 2, v. 180, témoin encore
— 101) —
ne peut être contestée. Des objets analogues ont été recueillis
dans des sépultures en Suisse, en Styrie, en Autriche, en
Hongrie, sur les bords du Rhin, en Italie, en France; les
archéologues sont unanimes pour les considérer comme
étant de provenance italique. La découverte d'Eygenbilsen
est la première qui se soit signalée sur le sol de la Bel-
gique...
» Les fouilles faites avec soin depuis quelques années
démontrent que les objets étrusques recueillis dans des sépul-
tures en Gaule, en Germanie et en Belgique, ont été déposés là
à une époque bien antérieure à la conquête romaine et aux
temps de f Empire. »
Le D"" LiNDENSCHMiT : « Tout ce que vous dites des objets
(rCygenbilsen et la manière dont vous en |)arlez, obtient ma
pleine adhésion, et je suis curieux de connaître ce qu'on
pourra objecter à l'encontre... »
Id. : « Indépendamment de la route des Alpes orientales,
deux ramifications furent suivies par le commerce étrusque,
l'une par la Suisse, l'autre par les Vosges, avec un embran-
chement vers la basse Saxe. En laissant de côté les décou-
vertes déjà connues..., il y a lieu de citer... en France, les
découvertes de Magny-Lambcrt et d'Eygenbilsen (Bel-
gique).
D Une nouvelle œnochoé à bec relevé, semblable à celle
d'Eygenbilsen, a été déterrée à Bodcnbach, en Bavière. C'est
le fameux Verres : mais en émettant gratuitement l'hypothèse invraisemblable que
les épaves d'un de ces cabinets aient jui aller s'égarer sur les bords du Rhin ou
de la Meuse, peut-on raisonnablement sont^er à expliquer de niénie toute une série
de trouvailles analogues, toujours pitres de /oui iiiélaufje avec des objets romains?
Voy. ci -dessus, Bull., XI, pp. 512 et 314.
— 101 —
h fonrip étrusr/ue connue qui revient dans toutes les décou-
vertes funéraires de ce genre. »
Genthe invoque l'opinion de Meslorf et du comte Cones-
tabilfi, au sujet de Yétruscisme des objets d'Eygenbilsen, et
n'hésite pas à se joindre à eux.
Enfin, citons le savant colonel von Gohausen, direcfeurdu
Musée de Wiesbaden, qui a opéré les fouilles du tumulus de
Doerth : dans plusieurs conversations à Wiesbaden , il a
affirmé ne [)as conserver le moindre doute sur ["élruscisme
de toutes les découvertes en question, notamment sur celle
d'Eygenbilsen.
Et tout cela, sans compter les nombreuses revues et au-
teurs qu'on peut invoquer à l'appui de la thèse de l'origine
étrusque et anté-romaine d'objets analogues. Cela fera l'objet
d'un article ultérieur.
Détachons, comme il a été dit, trois adhésions nouvelles,
qu'il est opportun de faire connaître dès à présent.
Le Dictionnaire archéologique de la Gaule, époque celtique (i)
(publié par une Commission instituée au ministère de l'in-
struction publique et des beaux-arts de Paris, Commission
dont font partie les premiers archéologues de la France, des
membres de l'Institut, de la société des Antiquaires de
France, etc.), rend en ces termes compte de la découverte
d'Eygenbilsen.
(i) I, pp. 386 et suiv., v" Eygenbilsen.
Il a paru intéressant de reproduire textuellement le passage qui est peu connu
et qui est peut-être tout à fait inconnu en Belgique.
— lOâ —
Après avoir décrit la trouvaille, « M. Schuermans, ajoute
le Dictionnaire, comprit immédiatement l'importance de la
découverte. Il reconnut sans hésiter (i) qu'il était en pré-
sence d'objets de style étrusque, analogues à ceux qui
avaient été déjà découverts tant en Suisse, à Graechwyl, qu'à
Durckheim et à Doerth, au sud et au nord de Mayence. La
présence des mêmes objets aux environs de Tongres sem-
blait montrer que l'influence qui avait régné dans la vallée
(lu Rhin s'était fait sentir aussi sur les rives de la (Meuse).
M. Schuermans s'est donc empressé de faire déposer ces
curieux objets au Musée de Bruxelles. Il a en même temps
publié une brochure avec planches, sous le litre d'Objets
étrusques découverts en Belgique^ où il entre dans de nom-
breux détails sur la découverte en elle-même et sur chacun
(les objets dont elle se compose. Nous extrayons de ce con-
sciencieux travail la description des trois pièces principales :
le bandeau en or, le seau en bronze, l'œnochoé. » Suit celte
description, qu'il est inutile de répéter ici.
« La Commission partage l'opinion de M. Schuermans
et regarde ces objets comme rentrant dans la catégorie de ceux
qui ont été confectionnés sous une influence étrusque très pro-
(i) C'est peut-être un peu forcor la note : l'auteur du présent article a marché
précisément dans la même voie de Damas que le savant baron de Witte a suivie
ilcpuis; il a procédé du romain à l'étrusque, et de l'étrusque k l'anté-roraain.
Voir comme témoignage de cette évolution, Bulletin monumental, de M. de
Caumont, 1871, p. G 12, auquel il avait adressé une note sur une sépulture
romaine découverte à Eygenbilsen.
L'évolution de l'auteur lui est commune non seulement avec M. de Witte,
mais encore avec le D"" Kenner, le professeur Desou, l'illustre Virchow et le
[)' LiNDENsciiMiT lui-mémc, qui tous ont commencé par douter du caractère
anté-romaiu et étrusque des objets en question, trouvés au nord des Alpes, mais
auxquels l'évidence a successivement dessillé les yeux.
— 105 —
noncée, et appartenant à une époque sensiblement antérieure
à la conquête romaine. »
La Commission a depuis persisté dans cette conclusion ;
car voici l'opinion d'un de ses membres, d'une date toute
récente.
M. Alfred Maury, membre de l'Institut, résume de la
manière suivante le dernier état de nos connaissances sur la
matière (i) :
Il s'agit de sépultures anté-romaines découvertes récem-
ment aux environs d'Esle (a). L'auteur discute les différentes
hypothèses qui peuvent se présenter (sépultures gauloises?
id. ombriennes?) et il continue :
a Les Gaulois écartés comme les Ombriens, l'idée la plus
naturelle est de rapporter aux Étrusques l'origine de la
métropole d'Esté; car c'est précisément dans la partie de
l'Italie septentrionale oh s'est étendue pendant des siècles leur
domination, que de telles tombes, que le mobilier funéraire
qui les caractérise, ont été découverts. A l'arrivée des Gau-
lois conduits par Bellovèse, les Étrusques s'avançaient non
seulement jusqu'à la région du Pô et del'Adige, mais jusque
sur les bords du Tessin.... »
Gela pour répondre, avec l'autorité des auteurs anciens (0),
à ceux qui seraient tentés de considérer comme étrusques
(1) Journal des Savants, 1882 (avril), p. 193.
(2)_Benvenuti, // museo euganeo di Este (Bologne, 1880). Aless. Prosdocimi,
Le necropoli eiiganee di Este, e loro caratterl gênerait désunit degli scavi
eseguiti nel 1876-1877-1878; Id., Le necropoli di Este; Scoperte euganeo-
romane faite nal 1877 neisobborghi Canevedo e Morlungo; Pigorini et Strobel,
Bullelino di palelnologia italiana, etc.
(3) Liv., V, 34, 33; Justin, XX, 5; cfr. Polyb., xlix, 17; Plutarque,
Marius, xi.
— i04 —
les seules conlrées de la Toscane, etc , où les Étrusques
se sont repliés et concentrés, après l'invasion de Bellovèse.
Or, M. Alf. Maury fait remarquer que les antiquités pro-
venant des sépultures d'Esté, ou des tombes du Bolonais, de
la Vénétie et du Tyrol, présentent un air de parenté avec
certains produits de l'art étrusque exportés de ce côté-ci des
Alpes, notamment avec ceux qiion a découverts à Magny-
Lambert.
Et à Magny-Lambert, ce qui avait principalement attiré
l'attention est une ciste à cordons horizontaux à laquelle
MM. Anal, de Barthélémy, Alex. Bertrand, Flouest, etc. (i),
ont fait allusion dans les passages cités ci-dessus.
La ressemblance, ajoute M. Maury, s'explique d'autant
plus facilement que ce devaient être surtout les Étrusques du
nord qui exportaient au delà des Alpes des ustensiles, des bijoux
et des armes.
L'auteur étudie dans leurs détails les ressemblances frap-
pantes qu'il rencontre dans la comparaison des antiquités
anlé-romainesde l'Italie circumpadane avec celles de IJallslatt
et autres, découvertes au nord des Alpes.
Il y ajoute même des aperçus très frappants sur la parenté
des sépultures de l'Étrurie du nord avec l'Étrurie centrale,
et notamment avec celles de Caere, en démontrant que les
habitants de la première, plus éloignés de la Grèce, conser-
vèrent plus longtemps la manière et le goût archaïque,
tandis que ceux de la seconde imprimèrent à leurs œuvres
un caractère de plus en plus original, tout en s'imprégnant
des traditions de la Grèce.
(i) Voy. notamment ci-dessus, Bull., XH, pp. 2'2S et suiv., avec la planche de
la p, 230, où celte ciste est représentée,
— 105 —
Mais là n'est pas l'intérêt pour la détermination des objets
d'Eygenbilsen.
Il sufiit de montrer que, antérieurement à l'ère chrétienne,
il y a eu dans le nord de l'Italie une civilisation qui a été en
contact avec le nord des Alpes.
Or, cela est aujourd'hui démontré ; il suffirait à cet égard,
de la trouvaille faite à Bologne, citée plus haut, d'un dépôt
de fonderie d'instruments en bronze, contenant, entre autres,
plus de 2,000 haches de bronze dites kelts, paalstabs, etc.,
qui bien certainement n'étaient plus en usage en Italie au
commencement de l'ère chrétienne. Si on les a fabriqués à
Bologne antérieurement, ce ne peut avoir été que dans l'in-
tention de les exporter au nord des Alpes, et voilà démontrée
par le fait l'existence du commerce anté-romain des
Etrusques du nord de l'Italie avec les barbares, par les nom-
breuses routes vers le nord, à travers les Alpes, par les lacs,
par les fleuves, dont le tableau fidèle a été présenté plus
haut (i), tableau auquel il n'y a rien absolument à retran-
cher. Il n'y a rien non plus à modifier dans ce qui a été dit
quant à la spécialité de ce commerce : l'ambre de la Bal-
tique. Si certain éléphant d'ambre trouvé à Oranien-
burg (2), façonné par des mains italiennes, est retourné aux
contrées d'où la matière première avait été extraite et où le
modèle faisait certes défaut, c'est une preuve du commerce
(i) Bull, des Comm. roi/, d'arl et d'archéol., XI. p. vïU et suiv., et XllI,
p. 418.
(2) Centre, Veber den etruski&chen Tauschhandel nach dem Norden, p. 26.
On se borne ici, pour le surplus, à renvoyer quant au commerce de l'ambre de
la Baltique, aux ouvrages de Conestabile, Sovra due dischi, p. T6\ Helbic,
Osservazione sopra il commercio delT ambra, Acad. dei Lincei, 1870-77, p. 415.
— 106 —
de l'Kalie avec la Baltique, même dans l'hypothèse invrai-
semblable où il s'agirait d'ambre tiré du sol italien.
Enfin, en attendant la publication de l'énoncé des con-
quêtes de la tlièse étrusque dans ces dernières années, à côté
de l'opinion de M. Maury, qui représente l'Institut de France,
plaçons celle de ALM. Gonze et Ilirschfeld, membres de l'Aca-
démie de Berlin (j), pour nous tenir au courant de l'adhésion
(alléguée ci-dessus) des savanis de France el d'Allemagne:
a Les sépultures de Hallstatt, fouillées au nombre de plus
d'un millier, où l'on trouve une grande quantité d'armes, de
vases et d'ornements, marquent une importante étape des
relations commerciales des Etrusques : les objets découverts
portent des signes incontestables d'une fabrication italique,
cl d'absolument pareils ont été découverts récemment dans
les environs de Bologne, Les trouvailles de Hallstatt sont
d'une importance sans pareille pour l'étude de la propagation
(et de l'imitation) des produits de l'industrie étrusque dans
le nord, au temps de la République romaine. »
Terminons cet avant-propos par quelques nouvelles décou-
vertes d'objets analogues à ceux d'Eygenbilsen.
En Italie, on a encore trouvé une ciste à cordons (com-
binés avec une zone ornementale, dans le style étrusque
proprement dit), à Tolentino, dans les Marches (2). Celle
ciste était accompagnée d'objets de l'époque archaïque.
(i) Archaeolofjisch-epigraphische Mitlheilungen nus Oesterreich, III, p. 148.
(î) Annali dell' Insliluto dl corr. arclieologica, 1881, p. 218, pi. P.
Voy. aussi ibid., 1880, p. 225, pour une autre trouvaille semblable.
— 107 —
On sait par ce qui a élé dit plus haut, que deux cistes à
nervures horizontales du même genre ont élé découvertes
à Gumes et à Nocera, en pleine Élrurie centrale et dans le
midi de l'Italie (i).
Le D' r.indenschmit a, en outre, fait connaître récem-
ment la découverte à Klein-Aspergic (environ de Ludwigs-
burg), d'une ciste semblable, avec une œnochoé à bec relevé
(deux des objets d'Eygenbilsen), plus des vases de style grec,
et, en outre, il a énuméré plusieurs trouvailles de vases peints
d'origine italique, faites au nord des Alpes (2).
Enfin, la Revue archéologique de Paris a rendu compte
naguère (5) des fouilles opérées dans trois tombes à
Mercey-sur-Saône, où l'on a trouvé entre autres une œno-
choé à bec relevé, analogue à celle d'Eygenbilsen.
On reviendra plus loin sur la conséquence à tirer de
toutes ces trouvailles; mais ce qui présente dès à présent un
intérêt majeur dans la présente discussion et ce sur quoi il
convient d'attirer tout particulièrement l'attention, est la
trouvaille faite à Oppeano (4), aux environs de Vérone, d'un
objet conique, absolument de la même matière, de la môme
forme, de la même façon technique et des mêmes dimensions
que l'objet conique, de la forme des abat-jour de nos lampes
modernes, découvert avec l'œnochoé, la ciste à cordons et le
bandeau d'or d'Eygenbilsen. Sur l'objet d'Oppeano, se trouve
(1) Bull, des Comm. roy. d'art et d'arcMoL, XI, p. 253.
(î) Die Alterthumer miserer heidnischen Vorzeit, III, Heft VU et Vlli,
pi. I; Heft, XII,pl. IV, p. 61.
Voy. au surplus, Bull, ci-dessus, XVIII, pp. 73 et suiv.
(a) Livraison de février 1882.
(tj Bulleltino di Paleinologia italiana, IV, juillet et août 1878. L, Pigorim,
Oggelti délia prima et à del ferro scoperti in Oppeano ne! Veronese, pi. vi.
— 108 —
représentée une série d'animaux mylhiques, dontun ailé et à
face humaine, que Pigorini n'hésite pas à attribuer à !'« an-
tichissima arle ilalica di carattere orientale. »
Pigorini estime que cet objet, unique d'après kii, est un
casque; c'est possible, quoique des objections se présentent.
Mais là n'est pas l'intérêt pour nous ; il est dans cette cir-
constance qu'un objet unique, de style archéo-étrusque
{sensu stricto), a trouvé son congénère à Eygenbilscn : il
ne manque à celui-ci que les dessins d'ornement du
« casque » d'Oppeano.
Oenochoé, seau a nervures horizontales, bandeau d'or,
ET casque (?), tous les objets d'Eygenbilsen peuvent donc
désormais être attribués à la civilisation des contrées qu'ont
habitées les anciens Étrusques.
Disons-le hardiment : le paradoxe est aujourd'hui du côté
des rares archéologues, de plus en plus clairsemés, qui
soutiennent encore que les objets d'Eygenbilsen ne sont
pas d'origine italique et anté-romaine.
Liège, mai 1884.
H. Schuermans.
(Four être conl'umé.J
NOUVELLES ACQUISITIONS DU MUSÉE DE BRUXELLES.
Le Musée de Bruxelles s'est enrichi, dans ces derniers
temps, de plusieurs œuvres remarquables; mais avant de
les passer en revue, parlons du travail qui se fait actuelle-
ment et qui a pour objet la reproduction photographique
des chefs-d'œuvre de notre galerie nationale. La plupart des
grands musées de l'Europe ont fourni matière à des publi-
cations semblables, par lesquelles se répand la connaissance
des éléments de l'histoire de l'art, qu'on n'étudiait jadis que
dans les livres, à moins d'avoir de la fortune et des loisirs
pour voyager, et dont on se procure aujourd'hui facilement
les pièces justificatives, consistant en copies fidèles des pro-
ductions des maîtres. Deux grands établissements, celui de
Braun , à Dornach, et celui de Hanfstaengl, à Munich, se parta-
gent l'exploitation de cette nouvelle et riche veine. Il faut de
vastes ateliers, pourvus d'un matériel coûteux, pour exécuter
de tels ouvrages, et des relations européennes pour en
opérer le placement, deux choses qui manquent à nos pho-
tographes et qui les empêchent de se lancer dans de grandes
entreprises. C'est la maison Hanfstaengl qui a proposé de
faire du Musée de Bruxelles une publication photographique
comme celle des galeries d'Allemagne, d'Angleterre, d'Es-
pagne, de Russie, etc.. On comprend que cette offre
ait été favorablement accueillie. Notre galerie nationale n'est
— 140 —
qu'imparfaitement connue à l'étranger. La publication dont
il s'agit la classera au rang qui lui appartient légitimement.
Elle se composera d'environ 240 planches, de moyen et de
grand format. La maison de Munich a envoyé un atelier
tournant sur des rails pour suivre le soleil dans sa marche,
et d'habiles opérateurs sont actuellement occupés à prendre
les clichés de tous les tableaux transportables. En ce qui
concerne les grandes toiles, les opérations se feront néces-
sairement dans les galeries. Disons que le maniement des
tableaux est exclusivement confié à des employés du Musée,
tant pour le déplacement que pour la surveillance pendant
la durée de l'exposition devant l'objectif.
Parlons maintenant des dernières acquisitions du Musée,
en commençant par les tableaux appartenant à la série dite
des gothiques. La collection des œuvres des maîtres pri-
mitifs du Musée de Bruxelles excite, nous pouvons le dire,
l'étonnement et l'admiration des amateurs qui pénètrent
pour la première fois dans ce sanctuaire de l'art ancien.
Aucune occasion de l'enrichir de morceaux intéressants ne
doit être négligée. Ceux qui viennent d'être acquis sont
absolument dignes d'y figurer. Le Martyre de saint Sébas-
tien, de Thierry Bouts (précédemment appelé Stuerbout et
plus anciennement Dirk Van Harlem), est une œuvre de
premier ordre. Le saint est admirable comme type, comme
expression, comme attitude, comme dessin, comme modelé.
Au naturalisme flamand il joint une distinction de caractère
et un sentiment élevé de la forme que les meilleurs mailres
italiens du xv^ siècle n'ont pas surpassés. Il a une souplesse
qu'ont bien rarement les figures des peintres de notre an-
cienne école. Adossé à un arbre, il a le bras droit attaché à
— m —
une branche élevée, tandis que Je gauche pend le long du
corps. Le visage est calme, résigné, indifférenlà la souffrance ;
c'est celui d'un homme attendant la mort, mais ne la bravant
pas, ce qui serait un signe d'orgueil, car les vieux maîtres se
montraient sur tous les points vraiment pénétrés du sens le
plus raffiné des idées chrétiennes. Le martyr est percé de cinq
flèches, aux deux bras, à la cuisse droite, au côté et à la jambe
gauche. La naïve légende veut qu'il ait servi de cible à tout
le régiment des gardes de Dioclélien. Le peintre s'est abstenu
de ce déploiement de mise en scène. Tout le régiment est
représenté par deux archers exécuteurs des ordres de
l'Empereur. L'un d'eux vient de lancer un trait que son
regard paraît suivre encore; à ses pieds est un paquet de
flèches dont il se propose, sans doute, d'épuiser la provi-
sion. L'autre, un jeune homme de belle figure et bien bâti,
est occupé à tendre son arc avec une grande vérité de
mouvement. Ces deux figures rappellent, pour le caractère
et pour les ajustements, certains personnages des deux ta-
bleaux de la Légende de l'empereur Othon du Musée de
Bruxelles. Il faut remarquer le riche vêtement de brocard
rouge et or jeté à terre,, aux pieds de saint Sébastien, qui
est nu jusqu'à la ceinture, ayant les jambes couvertes
de chausses collantes d'étoffe brune. Ce vêtement est là
(car les primitifs ne mettaient rien d'inutile dans leurs
compositions) pour rappeler quelle était la condition du
principal personnage de l'action légendaire. En effet, saint
Sébastien n'était pas le premier venu, comme on dit au-
jourd'hui. Il jouissait de la faveur de l'Empereur, qui lui
avait donné le commandement d'une compagnie de ses
irardes. Avant embrasse secrètement le christianisme, il
— 112 —
usait de son crédit à la cour pour servir ses co-réligion-
naires, ce qui mit Dioclélien dans une grande colère, quand
on découvrit le secret de son abjuration, et fut cause de sa
condamnation. Entre deux rochers, au second plan, se tient
un personnage coiffé d'un turban, la poitrine ornée d'une
chaîne d'or et paraissant èlre un témoin officiel de la scène.
Quel est ce personnage? Est-ce un lieutenant de l'Empereur
chargé de veiller à l'exécution de ses ordres? Est-ce peut-
être Dioclélien venant s'assurer par lui-même qu'il est obéi?
A la vérité, la légende ne fait pas mention de la présence de
l'Empereur au supplice de saint Sébastien. Jacques de Vo-
raginedit simplement, après avoir parlé d'un interrogatoire
subi par saint Sébastien : « Alors Dioclétien ordonna qu'il
fût conduit au milieu d'un champ et qu'il fût percé de
flèches. Et alors on lui lança tant de flèches qu'il en fut tout
rempli comme un hérisson. » Quoi qu'il en soit, le turban du
témoin de l'action n'a rien qui doive nous étonner. Pour les
peintres primitifs de notre école, c'était la coiffure caractéris-
tique des mécréants de tous les temps et de tous les pays, des
empereurs romains aussi bien que des sultans de Turquie.
Il reste à parler du lieu où se passe l'action. C'est un
paysage très accidenté : au premier plan, des terrains gar-
nis d'une herbe touffue, parsemés de fleurettes et de plantes
vigoureuses; au second plan, un site mouvementé où sont
tracés des chemins sinueux; ici un cours d'eau traversé par
un petit ])ont, là un moulin où va entrer le meunier perlant
un sac sur les épaules ; plus loin une nappe d'eau, fleuve ou
mer, où se balance un joli navire ; dans le fond une ville avec
plusieurs grands édifices et une roule moulante conduisant
à la porte d'une forteresse.
— H5 —
Outre le grand caraclèro des ligures, lu fermclé du dessin
et l'entente du pittoresque dans l'ensemble de la composi-
tion, cette œuvre remarquable a pour mérite une grande
puissance de coloration, avec ce fini d'exécution qui, cbcz
nos Flamands du xV siècle, était exempt de sécheresse.
En même temps que ce précieux morceau qui soutient la
comparaison avec les meilleures pages de la collection des
gothiques, le Musée de Bruxelles a acquis un très beau et
très intéressant tableau de Palinier : Repos dans la fuite en
Egypte. II n'y a pas longtemps qu'on ne savait rien de la vie
de ce peintre qui était considéré comme le père des paysa-
gistes flamands; aujourd'hui on ne sait pas encore grand'-
chose de ses œuvres. On n'est même pas encore absolument
fixé sur son nom et c'est un peu sa faute, car les signa-
tures de ses tableaux ne sont pas identiques. On l'appelait
jadis Patenier et cette orthographe a été conservée dans
beaucoup de catalogues. Un tableau du musée de Vienne
est signé : opus Joachim D, Patinier, tandis qu'un autre,
du musée d'Anvers, porte cette suscription : opus Joachim
D. Patinir (sans e). Le plus embarrassant pour la fixation
définitive du nom, ce n'est pas l'absence dans l'une des
signatures de I'e qui se trouve dans l'autre, car on peut
très bien supposer que l'omission de cette lettre a été le fait
d'une distraction de l'artiste ; c'est l'interprétation duD, placé
entre le prénom et le nom. A Vienne on suppose que c'est
l'initiale du nom de la ville natale de Patinier : D voudrait
dire Dionatensis (de Binant). A Anvers on veut que ce soit
la première lettre de la particule de, et l'on appelle notre
peintre De Patinir, en le plaçant, dans l'ordre alphabétique
du catalogue, au D, où l'on n'irait jamais le chercher. M. Pin-
— 1 14 —
charl a proposé une autre inlcrprélalion du D énigmatique,
en le prenant pour la première lettre du mot dicti. S'il faut
l'avouer, nous n'adoptons aucune de ces trois explications,
qui n'expliquent rien, suivant nous. D'une part, il. n'est guère
admissible que Palinier ait eu l'intenlion de placer l'indica-
tion (en abrégé) du lieu de sa naissance entre son prénom
et son nom. Il eût plutôt mis... Joachim Palinier D, et l'on
aurait lu sans difficulté Dionalensis. En second lieu, s'il
s'était appelé De Patinier ou De Patinir, il aurait écrit la
particule entière, au lieu de faire la ridicule économie d'une
lettre. Enfin, pour admettre l'interprétation du D par dictus,
il faudrait supposer que l'artiste avait un autre nom que celui
de Patinier; mais alors, il aurait mis son vrai nom, en ajou-
tante^// Palinier. Le mot diclus ou dil^ entre le prénom et le
nom, n'a aucune signification. Après avoir déclaré purement
arbitraire et nullement plausible l'explication de celte
malencontreuse initiale, si gauchement placée au milieu
des deux signatures de Vienne et d'Anvers, nous confessons
que nous n'en avons pas une meilleure à proposer, en ajou-
tant, si nous l'osons, que nous ne tenons que médiocrement
à ce que ce mystère soit éclairci. Les questions de dates
sont très importantes dans l'histoire des artistes, parce qu'un
peintre ne peut être jugé que relativement à l'état de l'art
à l'époque où il a vécu et que, faute de connaitre exactement
cette époque, on est exposé à le considérer comme ayant
subi certaine influence, tandis qu'elle aurait été, au contraire,
exercée par lui, ce qui est fort différent, puisqu'au lieu
d'être un imitateur, il serait un initiateur. Quant aux autres
questions d'état civil, elles nous laissent assez indifférents.
Tliiorry lîouls, dont nous parlions (oui à l'heure, s'est ap-
— nb —
pelé Stuerboul jusque dans ces dernières années, el nous
lui eussions volontiers conservé ce nom consacré par l'usage.
Si quelqu'un s'avisait de découvrir que Rubcns n'était pas
Rubens, mais Vanden Broeck, il nous en coulerait beau-
coup de devoir désormais nommer ainsi l'auteur de la
Descente de croix. Moins illustre, Jérôme Bosch a conservé
son nom d'artiste, bien que M. Pinchart ait prouvé qu'il
s'appelait, en réalité, Van Aken. Pour en revenir au peintre
dinantais, appelons-le Patinier, conformément à la plus
vraisemblable de ses deux signatures ; n'ajoutons que médio-
crement foi à ce que Van Mander et après lui tous les
biographes ont dit de ses habitudes d'ivrognerie, accusation
banale portée contre tant de peintres de l'ancien temps, et
occupons-nous de ses œuvres.
On a été, jusqu'ici, presque aussi mal renseigné sur les
travaux de l'artiste que sur les particularités de sa vie. Pui-
sant à des sources d'information d'une exactitude très dou-
teuse, Waagen a dit, dans son Manuel dliisloire de la
peinture, que : « Dans les premiers temps, il peignit des
tableaux historiques dans le goût de l'école de Van.Eyck;
plus tard, il adopta celui de Lucas de Leyde. Son habitude
de peindre des figures très petites, relativement aux dimen-
sions de ses paysages, ont fait de lui le fondateur du pay-
sage, comme genre spécial dans les Pays-Bas. » Tout cela
est très arbitraire et fort inexact. Où sont donc les œuvres
de Patinier desquelles on puisse conclure qu'il fût imitateur
des Van Eyck et de Lucas de Leyde? Les peintures qu'on a
de lui donnent un démenti à cette double affirmation. Tous
les historiens de l'art flamand ne signalent pas cette pré-
tendue conformité de manière avec deux maîtres dont il
— 110 —
diffère essenliellemenl; mais tous, ou presque tous, parlent
des petites figures qu'il plaçait dans de grands paysages, ce
qui faisait de l'accessoire le principal de ses tableaux. Le
paysage a incontestablement une grande importance dans
les compositions de Palinier; mais il s'en faut de beaucoup
que l'action et les |)ersonnages qui y prennent part soient
aussi sacrifiés qu'on veut bien le dire.
Patinier avait un sujet de prédilection, sujet qu'il a traité
avec quelques différences, dans la plupart de ses tableaux, et
qui est également mis en action dans l'œuvre dont le iMusée
de Bruxelles a fait l'acquisition. C'était le Repos de la sainte
famille dans la fuite en Egypte. Sur sept tableaux de lui
qui sont au musée de Madrid, il y en a trois qui reprodui-
sent celte donnée affectionnée. En voici la description :
N" 1519 du catalogue : Repos de la sainte Famille dans
la fuite en Egypte. Marie est assise sur un monticule avec
son divin fils entre les bras. Saint Joseph s'approche par la
gauche, portant un vase plein de lait; l'âne est au second
plan, paissant en liberté. Au fond, beau paysage avec un
rocher d'un côte, et dans le lointain, en épisode, la scène
du Massacre des innocents.
N° 1520, Paysage avec le Rejws de la sainte Famille.
Marie, avec son divin fils dans les bras, et saint Joseph sont
assis, se reposant sur un monticule, au pied d'un arbre;
à côté est un petit âne; au fond, campagne agréable et
variée.
N° 1521. Repos dans la fuite de la sainte Famille en
Egypte. Marie donne le sein à son divin fils, assise dans
l'herbe au milieu d'une campagne délicieuse; de différents
côtés des rochers, des groupes d'arbres et des chaumières.
— 117 —
Ces trois tableaux se trouvaient dans le monastère de
l'Escurial, d'où ils furent tirés, en même temps que beaucoup
d'autres, pour enrichir le musée du Prado. Il est à remar-
quer que si le sujet est le même, la composition est différente;
il se renouvelle par la variété des épisodes. L'artiste s'inspi-
rait d'une même donnée ; mais il ne se répétait pas textuel-
lement. De ces épisodes, l'un des plus piquants, l'un des
plus charmants est celui où saint Joseph est allé, pendant
que la Vierge se reposait, chercher un bol de lait à la ferme
voisine pour rafraîchir ses chers fugitifs. Les personnes à
cheval sur la vérité de la couleur locale, vous diront qu'il
n'y a pas de fermes en Egypte et qu'en représentant un
village flamand, une route flamande, des arbres flamands,
le peintre s'est rendu coupable d'un mensonge. S'il a commis
une faute au point de vue de l'archéologie, il a été bien
inspiré sous le rapport des sentiments humains et nous
aimons son naïf épisode. Patinier s'est placé dans un tout
autre ordre d'idées et a employé des moyens d'effet absolu-
ment différents en peignant une Tentation de saint Antoine
où l'on remarque, outre la vérité d'expression et de mouve-
ment du saint, de charmantes figures de jeunes femmes
dont l'apparition est bien faite pour troubler le pieux
anachorète. Voici comment Viardot s'exprime au sujet
de ce tableau dans la première édition de ses Musées
d'Espagne : « Il faut placer, je crois, à l'époque des Brueghel
ou même avant, une admirable Tentation de saint Antoine,
où l'on voit le saint anachorète livré aux agaceries de trois
jeunes filles qu'excite une horrible vieille; un singe tire son
capuchon par derrière pour l'obliger à voir les charmants
émissaires du démon. Ce sujet, en petites figurines, est placé
— H8 —
dans un vaste et riche paysage. Je n'ose, même par conjec-
ture, en indiquer l'auteur, qui est à coup sûr un mailre
important, mais dont la manière s'éloigne assez des maîtres
les plus connus, pour qu'on ne puisse lui attribuer son
ouvrage. » Dans une édition suivante de son livre, Viardot
ajoute la note que voici : « Il est reconnu maintenant que
celte belle et curieuse page est de Joachim Patinier, lequel
florissait au temps d'Albert Durer, qui a fait son portrait en
1520, et de Rabelais, qui l'a cité dans le Pantagruel. «
De même que les trois Repos de la fuite en Egypte et la
Tentation de saint Antoine, un Saint Jérôme étant une épine
de la patte du lion, qui se trouve au musée de Madrid, pro-
vient de l'Escurial. Il n'y avait donc pas moins de cinq
tableaux de Patinier dans le sombre monastère fondé par
Philippe II, qui paraît avoir eu un goùl prononcé pour les
productions du peintre dinantais. On voit encore deux autres
tableaux de celui-ci dans la galerie du Prado : un saint
François d'Assise dans le désert et une composition très ori-
ginale du Paradis A l'Enfer. Le lieu de la scène est un
paysage divisé en deux parties par le Styx. On pourrait
s'étonner de la présence de ce fleuve mythologique dans une
composition inspirée par l'idée chrétienne, si l'on ne savait
que les anciens maîtres se souciaient aussi peu de l'exac-
titude géographique que de bien d'autres choses. D'un côté
est le séjour des bienheureux, au milieu d'un site garni
d'arbres chargés de beaux fruits et où coulent des fontaines
aux eaux limpides ; de l'autre côté est le séjour des réprouvés,
dans une contrée privée de toute végétation et où l'on voit
une forteresse qui sert "d'entrée à l'enfer. Ce dernier tableau
provient de la collection particulière du roi Philippe IV.
— 119 —
Au musée de Berlin il y a, de Patinier, un Repos de la
faile en Egypte, dans un riche paysage; au fond, la repré-
scnlalion du Massacre des Innocents, comme dans l'un des
tableaux de Madrid.
A Munich, un Repos de la fuite en Egypte est attribué
hypothéuquement au peintre dinantais : « Marie, vêtue
d'une robe gris-violel avec un manteau rouge-cerise et
assise dans un charmant paysage de printemps et animé par
divers épisodes, regarde avec délice l'enfant Jésus auquel
elle présente le sein, tandis que saint Joseph revient de la
forêt avec de la nourriture. » Dans la même galerie, on
donne comme étant de la manière de Patinier une Fuite
en Egypte où saint Joseph conduit l'àne sur lequel la Vierge
Marie est assise avec l'enfant. A Vienne aussi il y a un
Repos de la fuite en Egypte dans la manière de Patinier.
Dans la collection Van Ertborn, du musée d'Anvers, se
trouve une Fuite en Fgypte de Patinier, ainsi décrite dans le
catalogue : « A droite, au moyen-plan d'un paysage mon-
tueux, deux rochers abruptes et à pic. A gauche, quelques
maisons dans un vallon au centre duquel est un étang où
nagent deux cygnes. A l'avant-plan, quelques arbres devant
lesquels passe un petit groupe représentant la fuite en
Egypte. Une idole tombe de son piédestal à l'approche de la
sainte famille. A l'arrière-plan, un lac dans les montagnes;
ciel charge de légers nuages; signé Opus. Joachim.
D. Patinir. »
Le Repos de la fuite en Fgypte acquis par le Musée de
Bruxelles va représenter de la manière la plus authentique
et la plus caractéristique, dans notre galerie nationale, un
peintre dont la grande valeur, jadis reconnue, n'était plus
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suiïisammenl appréciée dans son pays, sans doute à cause
de la rareté de ses œuvres. Le tableau qui figurait précé-
demment au Musée sous le nom de ce maitre et dont l'attri-
bution était l'ondée seulement sur une ancienne tradition,
n'est pas de nature à donner une juste idée de son mérite.
Voici quelle est la composition du Repos de la fuite en
Éc/ypte, qui le met actuellement à sa véritable place :
Au centre du premier plan, la Vierge est assise sur un
tertre, donnant le sein à l'enfant Jésus, Charmant type de
Marie, plein de suaveté et de grâce naturelle; des mains
d'une finesse exquise ; robe grise et manteau rouge, étofTes
moelleuses supérieurement drapées. A la gauche de la
Vierge, le tertre sur lequel elle est assise est terminé par une
souche d'arbre dont les racines enchevêtrées sont une mer-
veille d'exécution. Du même côté, par terre, devant la
Vierge, est posé un panier fermé par un cadenas près duquel
une double besace de voyage et le bâton noueux de saint
Joseph. Ces deux accessoires caractéristiques sont textuelle-
ment reproduits dans l'un des tableaux du musée de Madrid.
A la droite de la Vierge une fontaine dont les eaux limpides
coulent abondamment et s'épanchent sur le sol, en arrosant
de belles plantes aquatiques. Au centre, derrière la Vierge, un
monticule garni d'un épais bouquet d'arbres où l'on voit saint
Joseph attirant à lui les branches supérieures d'un arbre pour
y cueillir des fruits. Cet épisode est une interprétation de
l'un des passages du récit de la fuite en Egypte donné dans
les Évangiles apocryphes, lequel est ainsi conçu : « Il arriva
que le troisième jour de la roule, Marie fut fatiguée dans le
désert par la trop grande chaleur du soleil. En voyant un
arbre, elle dit à Joseph : « Reposons-nous un peu sous son
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ombre. Et Joseph s'empressa de la conduire auprès de l'arbre
et il la fit descendre do sa monture. Et Marie s'étant assise,
jeta les yeux sur la cîme du palmier et la voyant couverte de
fruits, elle dit à Joseph : « Mon désir serait, si cela était pos-
sible, d'avoir un de ces fruits. » Et Joseph lui dit : « Je
m'étonne que tu parles ainsi, lorsque tu vois combien sont
élevés les rameaux de ce palmier. Alors l'enfant Jésus, qui
était dans les bras de sa mère, dit au palmier : « Arbre incline
les rameaux et nourris ma mère de tes fruits. » Aussitôt à
sa voix le palmier incline sa cîme jusqu'aux pieds de Marie, »
Ce n'est pas tout à fait ainsi que les choses se passent dans le
tableau de Patinier. L'arbre, qui n'est point un palmier, ne
s'incline pas devant Marie, mais devant saint Joseph. L'épi-
sode est le même avec celle variante. Ce n'est pas, du reste,
le seul point sur lequel l'artiste se soit écarté de la légende.
Rien ne ressemble moins au désert que le paysage où se
passe l'action ; Marie n'a pas lieu d'être fatiguée par la cha-
leur, comme il est dit dans le livre apocryphe, car la contrée
où elle se trouve est ombreuse et fraîche, et, si elle a soif, la
source limpide près de laquelle elle est assise la désaltérerait
mieux que ne le pourraient faire les fruits de l'arbre.
Quoi qu'il en soit, oublions le désert et prenons le paysage
de Patinier pour ce qu'il est, charmant dans son caractère
européen; aux divers plans, à gauche, une belle masse de
rochers percée d'ouvertures par lesquelles on aperçoit un site
pittoresque au possible, une pièce d'eau baignant les murs
d'un château seigneurial et que longe une route où chemine
un cavalier ; au fond, de ce côté, groupe de maisons, prairies,
rivière coulant entre des bords verdoyants. A droite, des
terrains accidentés, une gorge profonde au fond de laquelle
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estime pièce d'eau ; plus loin, un monticule couronné par des
rochers au sommet desquels se profilent les ruines d'un
château fort. Le ciel est d'un bleu verdàtre légèrement nua-
geux. Un coloris plein de fraîcheur et de transparence, une
exécution d'une souplesse en même temps que d'une préci-
sion remarquable, une observation delà perspective aérienne
surprenante pour l'époque où vivait le maître, telles sont les
qualités techniques qu'on admire dans le Repos de la fuite
en Egypte de Patinier. Ajoutons que le tableau est d'une
conservation parfaite, dont on s'étonne moins lorsqu'on sait
qu'il provient d'une collection d'Italie, où le climat est essen-
tiellement conservateur.
Nous ne pouvons pas nous dispenser de revenir sur les
calomnies dont Joachim Patinier a été l'objet, ainsi que nous
l'avons déjà dit, de la part de ses biographes. Si, comme on
le suppose par la date de son admission à la maîtrise (1S15),
il est né vers 1490, il est mort jeune, puisqu'il résulte de
documents dont la découverte est due à M. Génard, que sa
veuve vendit en 1 j24 une maison provenant de son héritage.
Comment aurait-il trouvé le temps de produire les œuvres
nombreuses qu'on connaît de lui, sans compter celles dont
on ignore l'existence, s'il avait eu, comme on l'a dit et répété
partout, la triste habitude de passer ses journées au cabaret
et s'il avait été dans un étatd'ébriété quasi-perpétuel? Ni les
sujets qu'il traitait, ni son mode d'exécution ne justifient la
supposition des mœurs dissolues qu'on lui prête. Il faut
avoir l'esprit libre et la main ferme pour faire une peinture
aussi finement, aussi délicatement traitée que la sienne. En
voyant les œuvres de Frans Hais, d'Adrien Brouwer, de
Craesbeek, on comprend que ces maîtres coloristes aient pu
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n'être pas tout à fait des modèles de sobriété et d'existence
régulière; mais le genre même du talent de Patinier inspire
de tout autres idées. On a également accusé le peintre dinan-
tais d'avoir introduit dans toutes ses œuvres une particularité
ignoble, dégoûtante qui lui servait de signature. Il n'est
pour ainsi dire pas une biographie d'artistes ou une histoire
de là peinture flamande où ne se trouve cette affirmation.
Elle est absolument, matériellement fausse cependant, car
aucun des tableaux de Patinier que nous avons décrits, et
aucun de ceux que nous pourrions mentionner encore, n'offre
le détail en question.
Biirger, qui voyait si juste, qui faisait l'histoire des
peiiitres d'après leurs œuvres, a le premier constaté le mal
fondé des accusations lancées contre Patinier par ses premiers
biographes et par leurs nombreux copistes. Voici comment
il s'exprime à cet égard dans son livre des Trésors d'art à
Manchester : « Patinier est, en général, bien faussement
apprécié par les critiques d'art. Le peintre, dans ses tableaux,
n'est point ordurier comme on a dit qu'il le fut dans les habi-
tudes de sa vie. Presque toutes ses compositions sont de petits
sujets religieux ajustés dans des paysages d'une extrême déli-
catesse. Il y en a qu'on pourrait, au premier coup, prendre
pour des Memling. » A cette exposition de Manchester
parurent quatre tableaux de Patinier : une Madeleine, un
saint Christophe, un saint Jean dans l'île de Pathmos et un
Calvaire, appartenant tous quatre au prince Albert, qui avait,
comme on le sait, des goûts d'artiste et n'admettait dans ses
collections que des œuvres choisies. Il aurait fallu que
Patinier fût absolument fou pour introduire l'épisode qu'il
ne nous est même pas possible d'indiquer ici dans des
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tableaux religieux que ses clients n'eussent pas manqué de
refuser s'il s'était permis celte grossière incartade.
Ceux qui douteraient que Palinier fut un peintre soigneux
de la dignité de son art, capable de donner le caractère qui
leur convient aux œuvres dans lesquelles il traitait des sujets
d'un ordre élevé, étant, quoiqu'on en dise, plus qu'un paysa-
giste, n'ont qu'à voir son Baptême de Jésus -Christ par
saint Jean du musée de Vienne. Devant cette composition, on
comprend qu'on art pu, en parlant de lui, se souvenir de
Memling. Au premier plan est Jésus debout dans le fleuve,
dont l'eau lui vient presque jusqu'aux genoux. Il est nu,
avec une draperie nouée à la ceinture; beau type, austère
en même temps que bon; les mains jointes à la hauteur de
la poitrine. Plus d'un peintre d'histoire serait incapable de
dessiner une figure comme celle-ci. Saint Jean, couvert
d'un manteau fendu sur les côtés, est agenouillé au bord du
fleuve, appuyant sa main gauche sur le sol et versant de la
main droite l'eau du baptême sur la tête du Christ. Au milieu
du neuve, un grand rocherdont la cime louche à une région
nuageuse où a lieu, dans une éclaircie, l'apparition de Dieu
le Père, sons lequel plane le Saint-Esprit. Vers la gauche, au
second plan, est représenté, comme épisode, la Prédication
de saint Jean-Baptiste devant un auditoire composé de per-
sonnages faisant cercle, partie assis, partie debout, et la
plupart coiffés de turbans. La droite est remplie par le cours
sinueux du fleuve entre des rives bordées de rochers et
d'arbres. Les fonds sont remarquables par les belles lignes
des terrains dont l'aspect sévère contraste avec les riantes
perspectives que l'artiste se plaisait habituellement à ouvrir.
Ces figures sont d'assez grande dimension, comparativement
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au milieu dans lequel elles se meuvent. Ce tableau n'est pas
un paysage animé ou étoffé, comme on dit, par des person-
nages; c'est un tableau d'histoire dans un fond de paysage.
On a vu, par ce qui précède, quelle était la prédilection
de Patinier pour le sujet de la Fuite en Egypte. II est impos-
sible de ne pas se souvenir, à ce propos, de la singulière
entreprise d'un peintre aujourd'hui très à la mode et qui
témoigna d'une manière peut-être encore plus significative de
son goût pour ce même sujet. Nous voulons parler d'une série
de vingt-sept compositions gravées à Teau-forte par Tiepolo et
publiée par lui en 1753, sous ce titre : Idée pillor esche sopra
la Fugga in Egillo di Giesu, Maria e Gioseppe. L'auteur de
cette œuvre bizarre a représenté tous les incidents du voyage
de la sainte Famille rapportés par la tradition et il en a ajouté
beaucoup d'autres de son invention. Ses esquisses ne sont
certes pas des modèles de style religieux ; mais on ne saurait
nier que ses idées sont souvent ingénieuses, qu'il a montré là,
comme il l'a fait dans ses sujets mondains, un vif sentiment
de la grâce et de l'élégance des figures, avec un remarquable
goût d'arrangement décoratif, et qu'il a traité l'eau-forte de
main de maître.
Le remarquable portrait dont nous allons nous occuper
renferme une double énigme : on ne connaît ni le nom du
peintre, ni celui du personnage. Maintenant que le voici tiré
de la quasi-obscurité des cabinets d'amateurs et mis au grand
jour d'une galerie publique, il va pouvoir être étudié sérieu-
sement par les critiques et par les historiens de l'art. D'autres,
plus heureux que nous, parviendront peut-être à percer le
mystère qu'il ne nous a pas été donné de pénétrer, mystère
d'autant plus irritant, que l'œuvre est de premier ordre et
— li>G —
qu'elle émane certainement d'un maître. Les attributions
ne manqueront pas, on doit s'y attendre; il en surgira
de différents côtés et de plus ou moins arbitraires. Bienvenue
sera celle qui s'appuiera sur des preuves authentiques, et
qu'on sera dûment fondé à inscrire au catalogue du Musée,
non comme une hypothèse, mais comme une certitude.
Avant d'indiquer les très intéressantes particularités qui
signalent ce portrait à l'attention des amateurs, indépen-
damment du mérite supérieur de l'exécution, nous allons le
décrire : Le personnage est un homme d'environ cinquante
ans, aux cheveux grisonnants, coiffé d'une espèce de toque
de velours noir; tourné vers la droite (la gauche du tableau);
visage mince, nez droit, lèvres serrées; le regard fixe, sans
vivacité; caractère grave, austère. Ajustement très compli-
qué : tunique en velours rouge doublée de fourrure fauve;
sur la poitrine une bande de soie brune doublée de four-
rure blanche, pardessus noir doublé de fourrure blanche
à taches rousses, dont les revers s'ouvrent sur la poitrine,
laissant voir une chemise plissée, serrée au cou par un
petit galon d'or. Les mains, gantées de blanc, tiennent
un chapelet de grains noirs attachés par un fil de soie à une
bague posée sur un coussin où s'appuient les mains du per-
sonnage, qui est debout devant un balcon en pierre cachant
la partie inférieure du corps. Le coussin, fond rouge, est
richement brodé de soie, d'or et de perles; aux deux
coins supérieurs sont les lettres A et G de forme gothique.
Derrière le personnage se dresse un large pilastre décoré
d'arabesques en forme de feuillages blancs sur fond rouge. Sur
le chapiteau de ce pilastre sont cinq enfants nus; les deux
premiers soutenant un écu d'or au lion de gueules armé et
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lampassé d'azur; deux autres portanl un cimier d'or et le cin-
quième tenant une lance, les armes du chevalier. A la droite
du second plan, on voit l'avant-corps d'un château féodal, à
l'une des fenêtres duquel se montrent deux personnages, un
jeune homme et une jeune femme, regardant avec admira-
tion une apparition qui a lieu dans le ciel, à la gauche du
spectateur, et dont il sera parlé tout à l'heure.
Au second plan, sur une terrasse, sont sept personnages
regardant l'apparition : un empereur agenouillé, ayant
devant lui, déposés sur le sol, sa couronne, son sceptre et
un vase à encens avec la cuiller ; trois femmes, dont l'une,
richement vêtue, lève la main vers l'apparition pour la mon-
trer à l'empereur; un cardinal, un héraut ayant les armes
impériales brodées en noir sur la poitrine, tenant une
épée à la main et causant avec un autre personnage.
Au troisième plan, à droite, et faisant suite cà un ensemble
de bâtiments, une tour carrée ayant à moitié de sa hauteur
un balcon surmonté d'un berceau de verdure, où sont deux
femmes les regards également dirigés vers l'apparition ; au
sommet de la tour plusieurs personnages contemplent le
miracle en donnant des marques d'admiration.
L'apparition, c'est celle de la Vierge qu'on voit dans une
gloire d'anges, au plus haut du ciel, à gauche, assise sur un
trône, ayant sur ses genoux l'enfant Jésus armé de la
croix; sous le trône de la Vierge plane un ange tenant
déployée une charte scellée de trois sceaux de cire rouge et
sur lequel on lit ces mots tracés en caractères minuscules :
Hec est
Adroite, sur un mur d'appui, un singe enchaîné occupé
à manger une noix; à gauche, sur la terrasse, un chien
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lévrier assis et une grue ; fond de paysage très riche et très
accidenté : à gauche, au delà d'un petit mur sur lequel un
paon est perché, un cours d'eau où nagent des cygnes, et sur
la rive éloignée un moulin; plus loin, un pont que traverse
un chariot trainé par un attelage de six chevaux; vers la
droite, au même plan, une route où cheminent un cavalier
et deux piétons; rochers surmontés de châteaux, groupes
d'arbres, lointains bleuâtres.
L'œuvre dont nous nous occupons est double ; il y a un
portrait d'abord et il est hors de doute que c'est le principal ;
il y a aussi un sujet de tableau, une action qui est Tacces-
soire, quelque importance que l'auteur lui ait donnée. Ces
deux parties sont-elles connexes ? C'est ce que nous allons
examiner.
Le sujet de l'action représentée au second plan du tableau,
c'est la Sibylle Tiburtine montrant à l'empereur Auguste
l'apparition de la Vierge et de l'enfant Jésus dans le ciel.
Voici la tradition dont s'est inspiré l'artiste : le Sénat romain
avait décidé qu'en reconnaissance des services qu'il avait
rendus à la patrie. Octave (Auguste) serait élevé au rang
des dieux. Averti de cette flatteuse démarche, Auguste
voulut, par un reste de modestie, consulter les dieux avant
de l'autoriser et fit venir la Sibylle, à laquelle il demanda
s'il était à sa connaissance qu'il y eût dans le monde quel-
qu'un de plus grand que lui. C'était précisément le jour
de la naissance du Sauveur. La Sibylle dit à Auguste de
s'agenouiller, et se tournant vers l'Orient, lui montra dans
le ciel un cercle d'or et dans ce cercle une Vierge très belle
tenant un enfant entre ses bras. Alors, dit la tradition,
l'Emperour, admirant une vision si extraordinaire, entendit
— 12î> —
une voix qui lui disail : Haec est ara cœli. Hic puer major
le est, ideo ipsiim adora; et il offrit de l'encens à la Vierge et
à sa mère. La tradition veut que l'église de Sa in te- Marie
connue sous le nom d'Ara cœli, à Rome, ait été élevée sur
l'emplacement même du palais d'Auguste. Dans cette église,
les religieux de l'ordre de Saint-François célèbrent chaque
année, le jour de Noël, une espèce de mystère de la Nativité.
Une chapelle est transformée en étaJjle ; des figures de cire
de grandeur naturelle et richement vêtues sont groupées de
manière à former un tableau vivant de la scène évangélique.
On y voit une Sibylle montrant l'enfant Jésus à l'Empereur,
qui s'agenouille et adore le nouveau né.
Ce sujet de l'apparition de la Vierge montrée par la Sibylle
à Auguste, a été maintes fois traité par les artistes du moyen
âge et de la renaissance, sous toutes les formes : en peinture,
en sculpture, en tapisserie, en gravure. L'une des plus
naïves représentations de cette donnée qui ait été faite est
celle qu'on voit dans le Spéculum humanae salvalionis. Au
premier plan, Auguste est agenouilé, la couronne en tète,
son sceptre déposé à terre devant lui ; les mains jointes, les
yeux tournés vers le ciel; son altitude exprime l'étonnement
et la vénération; au second plan, la Sibylle, vêtue d'une
longue robe, se tourne vers l'empereur et, élevant la main
droite, lui montre, dans le ciel, l'apparition de la Vierge
tenant l'enfant Jésus. La scène se passe dans un paysage
d'une extrême simplicité : à gauche, un arbre; au fond, un
monticule agrémenté de trois arbres et un château à tou-
relles. Au bas l'inscription : Sibilla vidit virginemcum puera,
laquelle est inexacte, puisque c'est Auguste qui voit la
Vierge que lui montre la Sibylle.
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Dans un excellent article publié par la Revue de l'art chré-
tien en 1870, M. X. Barbier de Monlault cite plusieurs
représentations de l'apparition de la Vierge à Auguste, Dans
le nombre se trouve une tapisserie du xv'' siècle, faisant
partie du musée de Cluny et qui sort des ateliers fla-
mands : « La Vierge, avec son enfant dans les bras, appa-
raît au milieu d'une vive lumière qui refoule les nuages. Au
premier plan, derrière lequel fuit un horizon boisé, la Sibylle,
coiffée d'un escoffion et suivie de ses compagnes, montre à
Octave le soleil mystérieux. L'Empereur, qu'escorte sa cour
étonnée, dépose sa couronne et son sceptre et s'agenouille
humblement. Près de là on dislingue son palais, dont le
pavillon est surmonté d'une horloge; une porte hersée
s'ouvre à l'une des extrémités. » Cette tapisserie n'est sans
doute pas la seule où la tradition de la Sibylle Tiburtine ait
été représentée. Il n'est pas de sujet que n'aient traité les
haut-lissiers flamands.
Un précieux document pour l'iconographie de la Sibylle
Tiburtine qui a échappé à M. X. Barbier de Montaultet qui
est, comme art, de la plus grande valeur : c'est la peinture
de l'un des volets du triptyque de la Xativilé du Christ de
Vander Weyden que possède le musée de Berlin. Diverses
interprétations inexactes, et dont l'une est fort étrange, ont
été données de cette composition avant que la vraie signi-
fication en fût indiquée. Décrivant une copie de l'œuvre de
Vander Weyden qui se trouve dans l'église de Middelbourg,
M. J.-J. De Smet s'exprime ainsi (Messager des sciences el
des arls de Gand, 1856, p. 348) : « Un second sujet est peint
sur une partie du môme tableau qui est à la gauche du
spectateur; il est des personnes qui pensent qu'elle repré-
— 131 —
sente la famille do Bladelin (le donateur). Cette conjecture
nous paraît peu admissible; cependatit nous devons avouer
que nous n'en connaissons pas de plus vraisemblable. »
Suivant MM. Crowe et Cavalcasellc (Les anciens peinlres
flamands) : « sur l'un des volets sainte Marie et l'enfanl Jésus
apparaissent à un empereur, ce qui signifie l'accomplisse-
ment de la prophétie de la Sibylle. Malheureusement l'Empe-
reur est vêtu comme le duc de Bourgogne » . Ce mallieu-
remement nous étonne de la part d'auteurs qui ont fait une
étude particulière des maîtres primitifs et qui devaient, par
conséquent, savoir que les anachronismes de costume étaient
absolument dans leurs habitudes. Waagen a, le premier,
pénétré dans leur ensemble les idées mystiques développées
par Vander Weyden dans son œuvre, lorsqu'il a dit : « Le
volet droit représente la révélation et l'avèneinent du Christ
à l'Occident, personnifié dans la Sibylle de Tibur qui, à
genoux et l'encensoir à la main, montre à l'empereur
Auguste Marie apparaissant dans les airs avec l'enfant Jésus
dans son giron. Le volet gauche montre l'annonciation du
Christ à l'Orient, figuré par les trois mages adorant l'étoile
au milieu de laquelle apparaît le Christ enfant. » En effet, la
naissance du Christ, ainsi que l'annonce de ce grand événe-
ment à l'Orient et à l'Occident, tel est le sens de la triple
conception du maître.
Ayant à décrire une composition dont le sujet était sem-
blable à celui qui nous occupe, M. Nieuwenhuys s'est
complètement mépris. Il s'agissait d'un tableau attribué à
Quentin Metsys et qui faisait partie de la collection du roi
de Hollande Guillaume IL Le sujet du tableau était le cou-
ronnement de la Vierge, œ A gaucho (est-il dit dans la des-
— 132 —
criplion) est agenouillé Salomon; il a la tète découverte; il
tient d'une main une toque surmontée de la couronne royale
et de l'autre il porte le sceptre; tandis qu'une jeune per-
sonne de distinction lui fait observer au ciel une gloire dans
laquelle apparaît la Vierge tenant l'enfant Jésus, entourée de
quatre anges dont un joue du violon et un autre de la gui-
tare. » Pour l'auteur de cette description, l'empereur Auguste
était Salomon, et la Sibylle Tiburtine devenait une jeune
personne de distinction.
Le sujet d'Auguste et la Sibylle a été traité par Jean
Mostaert dans l'un des volets d'un triptyque que possède
l'église Saint-Jacques, à Bruges. La Sibylle montre à l'em-
pereur Auguste la Vierge dans les cieux et l'oblige à se
prosterner. Parmi les témoins de la scène, on remarque un
personnage qui se voile les yeux de la main, comme étant
ébloui par l'éclat de l'apparition céleste. Au fond, au sommet
d'une montagne, un temple où l'on voit la Sibylle et l'empereur
agenouillés devant un autel. Cette double action, où les mêmes
personnages apparaissent deux fois, par une de ces licences
familières aux anciens maîtres, donne une interprétation
complète du texte : « Tune Sibylla ha^c impcralori ostcndit
qui, tam insolitam visionem admirans, audivlt vocem dicen-
tem sibi : llacc est ara cœli. Hic puer major le est et ideo
ipsum adora. Statim hanc aram construxit ac Ghristo ma-
trique ejus thura obtulit. »
Il y avait des détails par lesquels les peintres primitifs
savaient, en les tirant de leur imagination ou de la nature,
renouveler l'intérêt des sujets dont les dispositions générales
étaient prescrites par la tradition. C'est ainsi que l'auteur
d'une verrière de l'église de Saint-Alpin, à Chàlons-sur-
— 135 —
Marne, s'inspiranl de la donnée tant de fois trailce, a élabli
sa composition de la manière que voici : « Auguste allait
offrir un sacrifice à Jupiter, dont le temple était ouvert ;
le maître de l'Olympe, ayant l'aigle à ses côtés, s'ap-
prêtait à lancer la foudre, quand la Sibylle Tiburtine arrê-
tait l'empereur et lui montrait la Vierge apparaissant dans
le ciel avec l'enfant Jésus ; et le sceptre s'échappait des mains
d'Auguste, et il tombait à genoux comme dominé par
une force supérieure à sa volonté. » C'est ainsi également
que le peintre du portrait dont il est ici question a introduit
dans sa composition quantité d'épisodes de son invention,
mais si conformes à la nature, si vraisemblables, qu'on se
dit involontairement : « C'est ainsi que les choses ont dû se
passer. » On est frappé de la vérité des expressions et des
attitudes des personnages qui, aux différents plans, contem-
plent l'apparition et manifestent avec spontanéité, avec élan,'
leur surprise, leur admiration. Rien d'apprêté, rien de froid,
rien de conventionnel; un incident de la vie réelle ne don-
nerait pas Heu à des mouvements plus libres et plus vifs. Toutes
ces petites figures sont charmantes de grâce aisée et d'élé-
gance, en même temps que de nature. Une des choses qu'on
remarque le plus dans cette œuvre distinguée à tant de
titres, c'est la gloire d'anges qui entoure la Vierge ; les en-
tants ailés qui voltigent dans l'espace autour des personnages
divins sont véritablement portés par l'air; dans des pro-
portions minuscules, ils ne sont inférieurs aux anges de
Rubens ni pour la variété des poses, ni pour la légèreté, ni
pour la souplesse. Du reste, toutes les parties de l'exécution
attestent un talent de premier ordre. Dans le portrait, la
tête du personnage est dessinée et modelée à merveille ;
— 154 —
ce n'était pas la faute du peintre si elle n'était ni sympa-
thique, ni spirituelle; les ajustements sont traités avec une
habileté qui a su, tout en ne négligeant aucun détail, éviter
la sécheresse. Nos peintres d'étofTes et d'accessoires les plus
vantés auraient là des leçons à prendre. Dans le tableau, car
nous avons dit que l'œuvre est double dans son unité, outre
le mérite de la vérité des mouvements et des expressions des
figures sur lequel nous venons d'insister, il y a celui de la
virtuosité du pinceau qui s'est hautement signalée à tous les
plans et dans toutes les parties. Le paysage est admirable;
rien de plus parfait, en ce genre, dans les productions des
plus renommés de nos maîtres primitifs, héritiers et con-
tinuateurs des excellents miniaturistes de la cour de Bour-
gogne.
S'il ne nous est pas possible de désigner l'auteur du por-
trait, pas plus que le nom du personnage, malheureusement,
nous pouvons affirmer que la peinture est d'un maître dont
le musée possédait déjà deux tableaux, deux portraits, vrai-
semblablement des volets détachés d'un triptyque. Nous
voulons parler des portraits inscrits au catalogue sous les
n" 107 et 108 : un portrait d'homme et un portrait de
femme, tous deux agenouillés devant des prie-dieu et ac-
compagnés de leur patron debout derrière eux : saint Pierre
pour l'homme et saint Paul pour la femme. Dans le fond du
poriraitde femme est représenté l'épisode de la conversion
de saint Paul. Quant au. sujet de l'action qui se passe au
fond du portrait d'homme, elle n'avait pas été reconnue,
à cause de deux circonstances. On voulait trouver dans le
panneau où figure saint Pierre un épisode tiré de la légende
du prince des apôtres, pour faire pendant à la conversion de
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saint Paul de l'autre panneau, et les recherches poursuivies
dans cette voie n'avaient pas abouti naturellement. Le sujet
est le même que celui qui anime le fond du portrait nouvel-
lement acquis par le Musée ; c'est la Sibylle Tiburtine mon-
trant à Auguste l'apparition de la Vierge. L'empereur est
vêtu comme dans l'autre composition et dans une attitude
semblable; la Sibylle, même type, mêmes ajustements, est
pareille également pour le mouvement; là se trouve aussi,
entre d'autres témoins de la scène, le héraut aux armes
impériales sur la poitrine. Ce qui a empêché de reconnaître
le sujet, c'est l'absence de l'épisode principal, c'est-à-dire de
l'apparition de la Vierge, absence due à une mutilation
qu'on a fait évidemment subir au panneau, ainsi qu'à son
pendant. Ces deux panneaux, qui avaient originairement la
forme contournée de volets d'un triptyque cintré, ont été
indubitablement sciés par le haut. Dans la partie supprimée
du portrait d'homme, on voyait l'apparition de la Vierge, de
même qu'au sommet du panneau du portrait de femme.
Dieu apparaissait dans les nuages, faisant entendre la voix
qui effraya saint Paul et fut cause de sa chute. On aura re-
tranché la partie supérieure et contournée des volets pour
leur donner une forme plus régulière, sans penser que cette
suppression rendait les deux actions du fond inintelligibles
par l'omission de l'épisode principal de chacune d'elles,
omission que n'aurait jamais commise un maître primitif.
D'ailleurs les deux panneaux ont une forme carrée qui
n'était pas celle des volets de triptyques-
Il reste à démontrer que le volet n" 107 et le portrait
nouvellement acquis sont des œuvres du même maître; c'est
chose facile, et nous sommes ccriain que le rapprochement
— 136 —
des deux peintures ne laissera de doute, à cet égard, dans
l'esprit de personne. Nous venons de signaler comme ca-
ractéristiques l'identité des personnages qui prennent part
à l'action mystique commune aux deux tableaux. Il y a
bien d'autres identités à constater : le ton gris clair de la
terrasse sur laquelle se passe l'action ; un chien lévrier, le
même, et dans la même attitude des deux côtés ; un paon
sur le mur à gauche, la pièce d'eau avec les cygnes, la
nature du site et la facture du paysage. Il y a encore un
témoignage, irrécusable celui-ci, de la communauté d'ori-
gine des deux peintures : le personnage du nouveau por-
trait a les mains appuyées, nous l'avons déjà dit, sur un
coussin richement brodé; aux deux coins supérieurs de ce
coussin sont marqués, comme on l'a vu plus haut dans la
description, les lettres A et G en caractères gothiques. Dans le
portrait n° 107, les mains du personnage agenouillé sont éga-
lement appuyées sur un coussin tout à fait semblable ; un seul
coin du coussin qui est visible, l'autre étant retourné, et
sur ce coin se trouve le même A gothique. Après les autres
preuves que nous venons d'indiquer, celle-ci est concluante.
Quelle est la signification de ces deux lettres A et G? Est-ce
la marque de l'artiste? Sont-ce les initiales des noms du
personnage? Gette dernière supposition doit être écartée
par la raison que l'A se retrouve également dans l'autre
portrait, et que c'eût été une rencontre fort bizarre si deux
personnes dont le peintre eût à reproduire les traits
avaient eu les mêmes initiales. Ge n'est pas non plus,
très vraisemblablement, la marque de l'artiste. Les maîtres
primitifs de l'école llamande ne signaient guère leurs œuvres,
on le sait. Pour quelques tableaux de cette époque qui por-
— 137 —
taient une marque d'origine, combien de productions ano-
nymes parmi celles de tout premier ordre! Où sont les
œuvres signées de Vander Weyden, de Bouts (Stuerbout), de
Gérard David, de Vander Goes, de Memling? D'ailleurs ce
n'est pas aux deux coins opposés d'un coussin que le peintre
eût (racé ses initiales. Et si c'eût été sa marque, il l'eût mise
en entier sur l'autre coussin et ne se fût pas borné à y
inscrire un A. Ce qu'il y a de plus vraisemblable, peut-être,
c'est que l'artiste s'étant servi deux fois, comme accessoire,
du même coussin brodé et décoré des initiales du possesseur
quelconque, l'aura reproduit, dans les deux circonstances,
avec la conscience que les peintres du temps apportaient à
tous leurs travaux.
La question des armoiries du nouveau portrait nous a
beaucoup occupé. Il semble, au premier abord, que ce
soit un moyen presque certain d'arriver à la connaissance
du personnage. Malheureusement, ces armoiries, qui sont,
nous le répétons, de gueules au lion d'or, armé et lam-
passé d'azur, ont appartenu à plusieurs familles : Berghes
Saint-Winoch, Brederode, Langerack, Du Chàtel, et l'on
a cherché vainement quel personnage de l'une ou de l'autre
de ces familles pouvait avoir été l'original de notre portrait.
Une particularité curieuse à rapprocher des nombreuses ana-
logies offertes par les deux peintures que nous venons
d'analyser, c'est la sculpture de l'un des côtés du prie-dieu
sur lequel est agenouillé le personnage du portrait n" 107,
et qui a pour motif un lion héraldique. Etait-ce le rappel d'un
blason ou un simple ornement de fantaisie? Ces deux per-
sonnages étaient-ils de la même famille, ou bien toutes les
particularités qui leur sont communes dans les deux pein-
— 138 —
lures, sont-elles de pures inventions de l'artiste? Voilà des
problèmes dont il ne nous est pas donné de trouver la solu-
tion.
Encore une question : le nouveau portrait était-il, comme
l'ancien, un volet de triptyque? On serait tenté de le sup-
poser, car ce n'était pas l'usage des maîtres primitifs, qui
faisaient un portrait séparé, offrant l'effigie d'un personnage
pris dans la vie civile, de représenter celui-ci dans l'attitude
de la prière, un chapelet entre les mains, ni surtout de
grouper autour de ce personnage les éléments d'une com-
position religieuse. 11 est tout à fait probable que nous avons
ici l'un des volets d'un triptyque offrant l'effigie du dona-
teur, tandis que sur l'autre volet figurait la donatrice.
Une peinture de Pierre Franchoys vient remplir une des
lacunes de notre galerie nationale, qui doit s'attacher non
seulement à offrir les productions capitales des grands
maîtres à l'admiration des visiteurs, mais encore à réunir de
bons spécimens du talent des peintres de second ordre, de
manière à former des annales de l'art flamand en quelque
sorte vivantes, et plus instructives que les meilleurs livres
pour ceux qui veulent acquérir une connaissance réelle du
style des maîtres. Pierre Franchoys est un des artistes qui,
après avoir été tenus en grande estime par leurs contempo-
rains, sont tombés dans un injuste oubli. Que savait-on de
lui? Les biographies nous disent qu'il est né à Malines et
que les années 1606 et 1654 sont les dates extrêmes de sa
carrière; qu'il fut élève de son père d'abord, puis de Gérard
Seghers; qu'il commença par orner de petites figures
les paysages de plusieurs spécialistes; qu'il fut renommé
comme portraitiste et lutta avec Gonzalès Coques dans les
— 139 —
effigies de petite dimension; qu'il fut dans les bonnes grâces
de l'archiduc Léopold, alla passer quelque temps à Paris, où
il exécuta de nombreux portraits, puis revint dans sa ville
natale. On connaît moins le peintre quand on a lu tout cela
que lorsqu'on voit le tableau intitulé : Rubis sur l'ongle,
actuellement au Musée de Bruxelles. Est-ce un portrait,
est-ce une simple étude de fantaisie? Il serait difficile de
répondre à cette question. Le plus probable, c'est qu'il y a
de l'un et de l'autre dans cette toile, où le personnage, ami
de l'artiste sans doute, tout en étant pris dans la vie réelle,
pose comme s'il devait figurer dans un tableau de genre. Il
s'agit d'un buveur, mais d'un buveur qui n'a rien de com-
mun avec ceux de Brouwer, de Van Ostade et de Teniers ;
c'est un beau jeune homme à la figure ouverte, intelligente,
représenté en buste, de grandeur naturelle, qui vient de vider
un verre de vin dont il verse la dernière goutte sur le revers
du pouce de sa main gauche, ce qui a fait donner au tableau
le titre de Rubis sur l'ongle. Distinction et vérité du type,
dessin excellent, coloris gras et chaud, facture magistrale,
voilà les qualités qu'on remarque dans cette œuvre distinguée.
Pierre Franchoys fut du très petit nombre de peintres de son
temps qui ne subirent pas l'influence de Rubens et surent
rester originaux. Il fut, il est vrai, l'élève de Gérard Seghers
qui, lui aussi, avait conservé une sorte d'indépendance, alors
que le style de l'illustre chef de l'école flamande s'imposait
à tous ses contemporains. Rubis sur l'ongle a fait partie de
l'exposition rétrospective organisée en 1882 par la Société
Néerlandaise de bienfaisance et il y fut très remarqué. Il
appartenait à M. le comte Alb. de Beaufîort, qui vient de
le céder au Musée. Ce tableau est signé et daté Petrus Fran-
— 140 —
choys 1039. C'est donc une œuvre de la jeunesse de l'arlisle,
(jui l'exécuta à l'âge de 35 ans : on le devinerait, d'ailleurs,
sans la date qu'elle porte, à la joyeuse humeur du person-
nage et à la franchise de la peinture, qui est habile assuré-
ment, mais qui, avant tout, est jeune. On voit, de Pierre
Franchoys, au musée de Lille un portrait de GisbertMutzarts,
prieur de l'abbaye de Tongerloo, signé Peeler Franchoys,
\ G4S, c'est-à-dire de six ans antérieur au tableau de Bruxelles ;
dans la galerie de Dresde, le portrait d'un guerrier tenant un
pistolet et signé également, mais non daté ; dans le petit musée
de la ville de Malines, un portrait du sculpteur Luc Fayd'herbe,
signalé par M. Em. Neefs, dans son Histoire de la peinture
et de la sculpture à Malines, comme ayant été attribué par
erreur à Luc Franchoys le jeune; enfin, à l'abbaye de Ton-
gerloo, le portrait d'une prieure du Jardin reclus de Notre-
Dame d'Hérentals qui, au dire de M. Neefs, suffirait pour
faire la réputation d'un peintre. Que sont devenues les autres
productions de Pierre Franchoys qui existaient jadis en
grand nombre dans les églises et dans les couvents de
Malines? Quant à ses petits portraits, semblables à ceux de
Gonzalès Coques suivant les biographes, il est aisé de deviner
quel fut leur sort. On les a débaptisés pour les attribuer à
son émule plus célèbre.
Le Musée de Bruxelles n'avait rien d'Hoeckgeest, un des
maîtres hollandais qui ont excellé dans la représentation des
intérieurs d'église; il vient d'acquérir une petite page remar-
quable de ce peintre, qui est du groupe des Van Sleenwyck.
des Van Vliet, des De Witte, supérieur à ceux-là et, dans ses
meilleurs œuvres, l'égal de celui-ci. Comme toujours Gérard
Iloeckgeest a reproduit ici une vue de l'église neuve de
— 111 —
Deift. C'était là l'aniquo sujet de ses études, l'unique objet
de son exploitation picturale. Il déplaçait son point de vue,
montrait tantôt la nef principale, tantôt un des bas-côtés de
l'édifice; mais c'était toujours l'église neuve de Delft. Tout
en rendant hommage au talent déployé par l'artiste, on
s'étonne de la patience qu'il a eue de se répéter ainsi. Quoi
qu'il en soit, l'architecture de l'intérieur d'église dont nous
parlons est supérieurement dessinée; ameublement, boise-
ries, lustres, blasons funéraires accrochés aux piliers du
temple, tout est de main de maître; la lumière est abondam-
ment répandue dans toutes les parties de l'édifice. Il y a, aux
différents plans, trois groupes de figures qui sont peut-être
la partie la plus excellente de l'œuvre. Le monogramme du
peintre, formé d'un G et d'un H, avec la date de 1654, se
trouve sur une boiserie à gauche. En examinant deux
tableaux d'Hoeckgeest, qui sont au musée de La Haye, Biirger
avait pris le G pour un D. Kramm, ayant vu un G dans cette
même initiale, veut que le prénom du peintre ait été Corneille
et c'est celui qu'ont adopté les rédacteurs du catalogue du
musée d'Anvers, qui possède un intérieur de l'église de Delft
par Hoeckgeest. Cependant il fut inscrit sous le nom de
Geeraerd van Hoeckgeest dans la gilde de saint Luc à Delft
en 1639 et les rédacteurs du catalogue du musée de La Haye
font remarquer, en outre, qu'il existe dans la galerie d'Alden-
bourg un tableau très visiblement signé G. Hoeckgeest. Une
étrange particularité est rapportée à propos de l'un des deux
intérieurs de l'église de Delft du musée de La Haye. Landon,
qui en a publié une reproduction gravée dans ses Annales
du Musée, l'attribue à Emmanuel De Witte, en disant ceci
dans la notice : « Ce tableau était attribué à un peintre
— 142 —
nommé Hookgeet, peu ou point connu, et portait la signa-
ture G. H. A" 1G21. Néanmoins les administrateurs du
musée Napoléon n'ont point hésité à le reconnaître pour être
de la main d'Emmanuel De Witte. » Les rédacteurs du
catalogue du musée de La Haye font suivre cette note d'un
point d'exclamation justifié par la singularité de la façon
d'agir des experts parisiens, qui, sans tenir compte de la
signature d'un tableau et de la tradition de son origine, l'attri-
buaient arbitrairement à un peintre connu, mettant de côté
celui dont le nom n'était point parvenu jusqu'à eux; mais
on est surpris que certaines différences entre les signatures
et les dates n'aient pas attiré leur attention, ou du moins
qu'ils n'en aient point parlé. Le tableau décrit par Landon
était signé, paraît-il, G. H. (en lettres séparées) A" 1621.
Celui de La Haye porte le monogramme du G et de l'H
réunis et la date de 16S0. D'une autre part, la date de 1621
est étrange, puisqu'on sait que Gérard Hoeckgeest ou Van
Hoekgeest fut inscrit seulement en 1659 dans la gilde des
peintres de Delft. Si ces particularités ne peuvent pas être
expliquées dans l'ignorance où l'on est des incidents de la
carrière de l'artiste, elles méritaient du moins d'être
signalées. II y a au musée d'Anvers deux intérieurs d'église,
provenant de la collection Van den Hecke Baut de Rasmon,
attribués à Hoeckgeest et qui ne sont pas signés, bien que
l'artiste eût pour habitude d'apposer sur ses œuvres sa marque
et une date.
Une lacune des collections du Musée de Bruxelles vient
également d'être comblée par une œuvre absolument capi-
tale des frères Berckheyde, Gerrit et Job; celui-là pour
l'architecture, celui-ci pour les figures : une rue de Harlem
— i43 —
aux maisons de briques à pignons, auxquelles pendent des
enseignes en fer mouvantes et grinçantes au moindre vent,
ainsi qu'une autre très caractéristique formée d'un bras hu-
main qui sort de la muraille, tenant une grappe d'or sur-
montée d'une couronne. Sur le seuil des maisons, des
messieurs en conversation ; d'autres, traversant la chaussée
avec la gravité hollandaise, coiffés de. l'ample perruque du
xvii* siècle et la canne à la main; au fond, de nombreux
groupes. A gauche, sur toute la hauteur du tableau, se
dresse l'angle d'un mur en briques, avec un balcon en
saillie, très hardi et très pittoresque d'effet. Au fond, la
vieille église surmontée d'une flèche élancée. Deux grandes
parties, l'une de lumière et l'autre d'ombre, divisent le
tableau. La figure principale, une dame vue de dos, au pre-
mier plan, et marchant vers le fond, est précisément au
point de contact des deux masses; éclairée par des rayons
lumineux d'un éclat singulier, elle s'enlève vivement sur
le fond de l'ombre où elle va pénétrer. La partie ensoleillée
de la rue est vraiment étincelante. La partie ombreuse est
d'une transparence remarquable. Voilà le vrai plein air,
celui qui place l'ombre à côté de la lumière, comme dans
la nature, et non le plein air conventionnel de nos prétendus
réalistes, qui suppriment jusqu'aux demi-teintes pour placer
les objets sous un jour monotone et faux, qui non seulement
enveloppe les objets, mais les pénètre et supprime d'un
même coup saillies et profondeurs. Nous ne croyons pas
qu'il existe une œuvre plus parfaite de Gerrit et de Job
Berckheyde ; l'architecture est traitée avec précision en
même temps que grassement peinte, et les figures sont tou-
chées très spirituellement.
— 144 —
Le musée a maintenant au complet Aart Van der Neer,
représenté par des spécimens de ses trois sujets favoris :
clair de lune, hiver, incendie. C'est ce dernier genre qui
lui manquait. Les incendies ont joué un grand rôle dans la
carrière de Van der Neer, comme dans celles de son com-
patriote Egbert Van der Poel et de notre flamand Van Heil.
Il était naturel que les incendies occupassent les peintres
à une époque où ils avaient de fréquentes occasions d'étudier
de tels sujets d'après nature. Le feu prenait souvent jadis
aux maisons dans la construction desquelles le bois entrait
pour une large part, et les moyens d'éteindre les incendies
étaient fort peu perfectionnés, ce qui faisait qu'il n'était pas
rare de voir des quartiers entiers s'embraser. Aart Van der
Neer peignait donc les incendies et il y excellait. Le tableau
qui le montre actuellement, au Musée, dans sa troisième
spécialité est tout petit de dimension, mais fort grand de
qualité. Au premier plan, des terrains marécageux où pais-
sent des vaches; plus loin, un canal avec des barques; au
fond, un vaste incendie projetant de vives lueurs qui lut-
tent contre celles du soleil couchant. Ce double effet est
beaucoup moins usité et beaucoup moins facile à rendre que
celui des gerbes de feu jaillissant dans la nuit noire. Il est
ici merveilleusement exprimé.
Jacques Ruysdael était représenté au Musée par trois
œuvres, savoir : IMe grand paysage, avec figures d'Adrien
Vande Velde, acquis en 1850 à la vente du roi de Hollande,
Guillaume II; ''2" le paysage à la tour en ruine, œuvre de
la jeunesse du peintre, intéressante à ce titre, mais d'une
importance secondaire; 5" le Lac de Harlem, très bon
spécimen de son talent de marinislc. Une quatrième page
— 1/1-5 —
du maiire vient d'èlrc acquise. Inférieure aux Irois aiilres
pour la dimension, elle leur est supérieure pour la qualilé
de la peinture. C'est un joyau des plus précieux : un char-
mant coin de nature, un nid de verdure d'une fraiclieur
extrême. Une cabane en planches dans un bouquet d'ar-
bres, un bout de prairie plantureuse et au fond, près d'une
haie vive, un villageois et une campagnarde en conversa-
tion,'^voilà toute la composition. Nous ne connaissons du
maître aucune peinture plus grasse, plus exquise. Au pre-
mier aspect, on pourrait douter si l'œuvre qu'on a sous les
yeux est de Ruysdaelou d'Hobbéma, tant elle offre d'ana-
logie, en plusieurs parties, avec la manière caractéristique
de ce dernier. On sait que les deux ma-îtres se ressemblent
parfois à ce point qu'à l'époque où Hobbéma était beaucoup
moins connu que Ruysdael, bon nombre de ses œuvres ont
pu être attribuées à celui-ci, tandis que depuis que la faveur
des amateurs s'est plus particulièrement attachée à Hob-
béma, des tableaux de Ruysdael ont été débaptisés à son
profit. En ce qui concerne le petit paysage que vient d'ac-
quérir le musée, toute incertitude cesse lorsqu'on découvre,
au bas de la droite, le monogramme bien connu de Ruys-
dael tracé dans la pâte.
Tous les amateurs, tous les artistes et particulièrement les
animaliers s'arrêtent devant une toile de Snyders, réunissant
une belle et intéressante collection de tètes de cerfs et
de biches admirablement étudiées sur le vif, et peintes
avec une maestria étonnante. Comme interprétation de la
nature et comme force d'exécution, c'est un vrai chef-
d'œuvre.
Le Musée a reçu un legs important. Il n'est pas habilué à
— 146 —
de telles bonnes fortunes. Dans les pays étrangers, en Angle-
terre et en France notamment, on donne beaucoup aux éta-
blissements publics; la National Gallery, le Louvre et le
musée Gluny en savent quelque chose. Chez nous, on ne fait
guère de libéralités de ce genre. Il serait difficile de dire
pourquoi. Ce n'est pas l'usage; il y a là une nouvelle habi-
tude à prendre : voilà la seule explication qu'on puisse
donner de l'absence de ces legs généreux au profit du
public. On donne bien aux institutions de bienfaisance,
pourquoi ne donnerait-on pas aux musées et aux biblio-
thèques? L'esprit ne mérite pas moins que le corps qu'on
pense à lui. M. Gisler, l'ancien président de la Cour des
comptes, aura été de cet avis lorsqu'il a dicté des dispositions
testamentaires en faveur du Musée. D'après ses dernières
volontés, le Musée est entré en possession de la collection
de tableaux anciens qu'il avait formée. Cette collection se
composait principalement de portraits de l'école hollandaise
du xvii* siècle. La plus remarquable de ces œuvres, qui
toutes sont, d'ailleurs, intéressantes à des degrés diffé-
rents, est un portrait de femme de Van der Helst acquis
par M. Gisler, dans ces derniers temps, à la vente Nieuwen-
huys, où il fut très disputé. Le Musée a, depuis longtemps,
deux portraits de Van der Helst parfaitement authentiques,
dûment signés et datés (1664), L'un passe pour être celui
de l'artiste lui-môme et ce sont bien, en effet, les traits que
nous offrent d'autres peintures où il s'est également repré-
senté. Quant au second portrait, qui est donné comme celui
de sa femme et qui a, on doit en convenir, toute l'apparence
de faire pendant au premier, il est difficile d'y reconnaître
la belle Constance Reinst, plus tard M"* Van der Helst,
— 147 —
dont les charmes ont été célébrés par le poète Jean Vos. Si
c'est elle, le mariage l'a bien changée. Dans tous les cas, les
deux portraits sont, comme peinture, d'une qualité
médiocre, tandis que celui qui provient du legs Gisler est
de la plus belle manière du maître. Nous venons de dire
que c'est un portrait de femme : la dame, en grande toilette,
robe noire ornée sur le devant d'une large broderie d'or,
guimpe et manches blanches, est assise près d'un balcon, sur
l'appui duquel sont posés ses gants et son éventail. La tète
et les mains sont d'une grande finesse de ton et de modelé,
les ajustements sont superbes de couleur et d'exécution. Du
même legs proviennent deux portraits en pied, mari
et femme, de Nicolas Maes, d'une grande tournure, un peu
emphatiques, un peu maniérés comme toujours, mais traités
avec une remarquable virtuosité. C'est un singulier peintre
que ce Maes : il a eu deux manières si différentes, qu'on
hésite à croire que les œuvres de la première partie de sa
carrière soient de la même main que celles de la seconde.
Dans celles-là il conserve toutes les traditions de l'atelier de
Rembrandt; dans celles-ci, il cherche la pompe, le luxe,
l'éclat et tombe dans le maniéré. Toutefois, bien qu'il ait
encore quelque chose d'un peu théâtral dans l'attitude, le
portrait d'homme de la collection Gisler a une gravité d'ex-
pression et une fierté d'allure qu'il n'est pas dans l'habitude
de l'artiste de donner à ses personnages. Le portrait de
femme a de la distinction et de la grâce sans affectation ;
les ajustements sont d'un peintre qui s'entendait à rendre
toutes les élégances de la toilette féminine de son temps.
Après ces œuvres capitales, il faut encore citer comme entrés
au Musée, grâce aux libéralités de M. Gisler, de très beaux
— 148 —
portraits de J. De Bray, de P. Moreelse et de Lutlichuys.
Tous les collectionneurs ont un goût dominant, une spé-
cialité comme on dit aujourd'hui; mais tous font de temps
en temps une infidélité à leur genre favori. M. Gisler
n'était pas tellement voué au portrait qu'il n'eût parfois la
fantaisie de se donner des tableaux degenre ou des paysages :
c'est ainsi que dans son legs généreux se trouvent un inté-
rieur de Jean Molenaer et deux paysages de Bout et Boude-
wyns, spécimens agréables de deux peintres habituellement
associés et dont le Musée n'avait rien.
Ed. Fétis.
ÉPiGRiiPiiiE mmm m l\ belgiûue
SUITE (l)
LES DIPTYQUES CONSULAIRES DE LIÈGE
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Bull, des comm. roy. d'art et d'archéol., VIII, 70.
Bull. inst. archéol. liég., II, 157.
La description des diptyques de Liège, célèbres dans le
monde archéologique, devait nécessairement faire partie des
études sur lEpigraphie romaine de la Belgique.
Mais on a tant écrit sur ces diptyques et sur les diptyques
en général, que l'auteur se proposait de faire des deux
doubles inscriptions de ceu.\ d'Asiyrius et d'Anastasius
l'objet d'une simple mention, avec renvoi aux auteurs pour
le surplus.
— \n\ —
Cependant, en rassemblant ses noies préparées depuis
longtemps, l'auteur s'est aperçu qu'il circule au sujet de ces
diptyques des notions complètement fausses ; mieux que cela,
que des représentations fidèles des objets n'ont pas été pré-
sentées jusqu'ici au public; de plus, il lui a été donné de
réunir des dessins exacts, d'après des photographies, pour
trois des feuillets, et pour le quatrième, de mettre la main
sur une copie du xvi* siècle, la seule qui ait été faite de visu
et qui, tout en étant inexacte, se rapproche beaucoup plus
de l'original qu'aucune des restitutions hypothétiques effec-
tuées jusqu'ici.
Dès lors, il y avait lieu de publier un travail d'ensemble,
résumant tout ce qui a été écrit au sujet des diptyques de
Liège et y ajoutant plusieurs détails inédits tirés des manu-
scrits liégeois.
On le sait, on appelle diptyques, ôi-tuç de ir-ikjw, deux
feuilles d'ivoire ou d'autre matière, se repliant l'une sur
l'autre comme la reliure d'un livre.
Les diptyques d'ivoire ont eu le privilège d'attirer plus
spécialement l'attention des savants.
On en faisait usage dans l'église chrétienne des premiers
temps ; on y insérait les noms des saints qu'on récitait aux
fidèles, comme on en lit encore une série au canon de la messe
après le Sanclus, et on y ajoutait parfois les noms des
défunts dont on faisait alors une commémoration spéciale :
Nomina vestra légat patriarcliis atque prophetis
Cui hodie in templo diptyclms edit ebur (1).
[i) FORTUNATUS, X, lO.
— 152 —
Des diplyques consulaires furenl, par la suite des temps,
consacrés à cet usage religieux.
D'autres diptyques consulaires furent insérés dans la cou-
verture de livres religieux : évanû:éliaires, etc.
Les deux diptyques de Saint-Martin et de Saint- Lambert, à
Liège, tous deux consulaires, furent de l'une ou de l'autre
manière consacrés au culte, et c'est ce qui fit leur célébrité
tout en assurant pendant longtemps leur conservation.
Quand l'importance du consulat fut réduite à des préro-
gatives honorifiques, quand le consul ne fut plus choisi que
pDi'ini les plus riches citoyens, à la condition de répandre
des largesses sur le peuple et de lui donner à ses frais des
spectacles, dans lesquels on lui permettait de paraître
revêtu des insignes anciennement réservés aux triompha-
teurs, l'obligation des consuls d'envoyer des dons au loin
devint de plus en plus rigoureuse.
Les diptyciues consulaires, qui forment la partie la plus
caractéristique de ces dons, constituaient ainsi des monuments
de la première magistrature romaine réduite à une afTaire do
vanité (i); ils étaient envoyés non seulement aux parents et
amis du consul, mais aussi aux hauts fonctionnaires de
l'empire, tels que les gouverneurs des provinces les plus
éloignées.
Claudien (2) rapporte la coutume de la manière suivante :
Tuin virulos parJos et caetera collegit Austri
Prodigia, iiiiinanesque sinml Latonia dentés,
Qui secti i'erro in tabulas, auroque niicantes,
Inscripti rutiluni caelato coiisule noinen
Per proceres et vulgus eant.
(1) Trésor de numism. et de glypt., XVII, p. Il
(î) De lamliO. Sliliconis, III.
— 15,- —
Une loi du code Théodosien, de l'an 384, interdisait h tous
autres qu'aux consuls ordinaires l'honneur de faire pareilles
gratifications (i).
Le premier janvier, le cérémonial de l'installation du
consul commençait avant le jour. Le nouvel élu, revêtu de la
trabea et assis dans la chaise curule, faisait distribuer de
l'argent aux nombreux assistants. C'est alors qu'il donnait
ou envoyait à ses amis les tablettes portant son nom et son
image. Le cérémonial se terminait par un compliment fort
long, débité par un des plus habiles avocats ou citoyens (2).
On sculptait ordinnirem;^ntsur les deux faces du diptyque
l'image du consul revêtu de tous les ornements de sa dignité,
et tenant d'une main la mappa clrcensis, rouleau d'étoffe
qu'il jetait dans l'arène pour donner le signal des jeux (0) et
de l'autre hscipio ou sceptre consulaire, surmontédes figures
d'empereurs régnants; on voyait souvent, dans le bas du
tableau, la représentation des jeux de l'amphithéâtre et du
cirque dont le consul avait gratifié le peuple lors de son
installation. Les noms et les qualités du titulaire se trouvaient
le plus souvent en relief à la partie supérieure.
Avant la loi de l'an 384, les simples questeurs envoyaient
aussi des diptyques à leurs amis, comme on peut le voir par
(i) L. IX, De expensis ludorum : « llliid constitiitura solidamus, ut exceptis
consiilibus ordinariis, nalli prorsus alteri . . . diptydia ex cbore dandi facilitas
sit ».
(2) Ms. du doyen de Vaulx, intitulé Mémoires pour servir ii l'hisloire ecclé-
siastique du pays et dudiocèse de Liège, I, pp. 109. 161 (Bibl. de l'Université
deLiège,n° 823 [1013]).
(s) On peut lire chez Wiltheih les passages d'auteurs anciens sur l'usage de
la mappa circensis, que les uns font remonlei' a Néron, d'autres même au roi
Tarquin.
— \u —
plusieurs lettres de Symmaque (i). Mais comme Symmaque
était tombé en disgrâce à l'époque de celle loi, il n'est pas
impossible de se figurer que l'abus fait par lui de l'envoi de
diptyques aurait été pour quelque chose dans les motifs de la
décision impériale : en tout cas, celle-ci empêcha à l'avenir
le retour de l'abus.
I. Diptyque d'Aslyrius.
L'église collégiale de Saint-Martin, à Liège, possédait
autrefois un diptyque d'ivoire représentant sur ses deux
feuillets l'inauguration d'un consul avec l'inscription :
N° 450, i" feuillet : fl. astyrivs. v. c. ettni com ex.
2^ feuillet : mag vtrivso mil cons oed.
Ce qui doit être lu, avec quelques rectifications : (F/avius
Astyrius vir chrissmus et fn/ustris cornes ex mag'istrow/nusque
mî/itiae consul ordinarius).
Ce diptyque représente un consul romain émettant le
signal des jeux donnés par lui au peuple.
Le consul est figuré dans une chaise curule d'ivoire; il
est revêtu de la tofja picta, d'une tunique dite palmata, enfin
de ce qu'on appelait \q subarmalis profundus.
(i) Episl. vil in auctario : « Offero vobis cburneum diptychuni filii inei Domine
(|ui quaextorium munus exhibuit. »
Ibid. II, epist. xxi k Flavianus : « Fllius noster offert tibi dona quaestoria;
quaeso igitur ut ejiis noininc diptycha susciperc digncmini. Domino et principi
nostro auro cirruindalum diplychum misi; cacterosquc amicos eburneis piigilla-
ribus . . . honoravi. »
Ibid. V cpist. Lvi k Salentus : « Ad te diptycbuni candidat! . . . misimus. n
(Les qnaeslores candidati étaient, comme on le sait, une sorte de secrétaires de
l'empereur.)
— iS5 —
Il tient dans la main droite une mappa circensis et dans
l'autre un sceptre (i).
Il est accosté de deux personnages subalternes, l'un por-
tant une corbeille oblongue ou sporta qui renferme la spor-
tula, c'est-à-dire les pièces de monnaies distribuées en don
ou jetées au peuple lors de l'inauguration; l'autre est un
licteur, revêtu du costume militaire ou paludamentiim, et
portant les faisceaux consulaires surmontés d'un instru-
ment qui conserve peu de ressemblance avec la hache
antique.
Quant aux têtes qui figurent au haut du sceptre dans le
feuillet de Darmstadt et que Wiltheim a suppléées dans le
premier feuillet, mais qui font défaut dans certain dessin de
Langius, dont il sera reparlé ci-après, ces têtes sont, à n'en
pas douter, celles des empereurs Théodose le jeune et Va-
lenlinien III.
En effet, c'est sous le règne de ces empereurs qu'Asty-
rius, nommé dans l'inscription, fut consul pour l'Occidenl,
et avait pour collègue Protogène, consul d'Orient; il ne faut
pas le confondre, comme l'avait fait Sirmond, avec Aslerius,
collègue de Praesidius, consul en 494.
Une raison particulière d'exclure ce dernier, est l'aboli-
tion de l'usage de la sportula, entre le consulat de ces deux
Astyrius ou Asterius, par une loi inscrite au code de Jusiinien
(XII, 5); d'où la conséquence que la corbeille o\i sporta, qui
rappelle l'ancien usage, doit être attribuée au consul de l'an
449 et ne peut se rapporter à celui de l'an 494.
(i) Vopiscus, In Atireliano, 15, parle de ces différents accessoires du consulat :
« Tiinicam palmatan, togam pictam, subarmalem profondum, sellani eboratani. . .
scipioneni, fasces ... »
— 156 —
Les premières qualités mentionnées dans le diptyque sont
des dénominations de vir clarissimus et de vir illuslris que
portaient les personnages marquants de l'époque, comme
consuls, anciens consuls, gouverneurs de province, etc.
On trouve même des femmes décorées de ce titre : nevia
GALLiA c(larissima) et iNL(ustris) FE(mina).
Astyrius, le consul de l'an 449, est un personnage histo-
rique qui nous est connu par plusieurs passages de la chro-
nique d'idace (i).
« Wandali Suevorum obsidione dimissa, instante Astérie
Hispaniarum com«7e, aliquantis Bracarae, in exitu suo occisis,
relicta Gallaecia, ad Baeticam transierunt...
» Asturius dux utrmsque militiae ad Ilispanias missus,
Tarraconensium caedit multitudinem Bacaudarum...
» Asturio magistro utriusque iniUtiae gêner ipsius suc-
cessor ipsi mittitur Merobaudes... frangit insolenliam
Bacaudarum...
» Asturius, vir iUustns, ad honorem provehitur consu-
latus... B
Ces passages font connaître loules les dignités dont fut
revêtu Asiyrius, d'après le diptyque de Saint-Martin : vir
illuslris, cornes, rnagisler uiriusque militiae, consul.
Il est possible qu'il ait encore été revèlu du titre de
Patrice; mais celte dignité suprême ne se conférait qu'après
le consulat (2); d'ailleurs on la lui attribue sur la foi d'un
manuscrit de Reims, relatif à un Asiyrius portant les pré-
(1) Kdit. (ic SiK.Mo.Mi, Opira raria, 11, |)|>. 298, 299, o0'2 el 504.
[i) Quoiqu'on iciicoiitrc des innijhtri mUiliim passant direCcement ii la dignité
do I»atiice : « Félix ratriiius oïdinalur ex luagistro niiiituuj. » {Ibid., p, iJ99.)
— 157 —
noms de Turcius Rufius, qui fut « vir clarissimus, consul
ordinarius et patricius; « mais il y a controverse sur le point
de savoir si ce dernier ne fut pas plutôt Asterius, qui re-
cueillit les œuvres du poète Sedulius, et qui aurait été,
en l'an 494, le collègue de Praesidius au consulat.
Il s'est établi à cet égard une discussion qui ne rentre pas
dans le cadre du présent article (i).
Sidoine Apollinaire (2) parle de notre consul à propos
d'un orateur dont il rapporte le fait suivant, qui démontre
qu'Astyrius fut inauguré dans une ville des Gaules, proba-
blement Arles où, depuis Valentinien et Honorius, tout
consul nouvellement nommé pour l'Occident revêtait pour
la première fois les insignes de sa dignité.
Voici le fait rapporté par Sidoine Apollinaire; on y ren-
contre en même temps la narration des cérémonies de l'inau-
guration : « J'étais enfant, mon père était préfet du prétoire
en Tannée où le consul Astyrius fut inauguré; j'avais été
admis dans le plus proche entourage du consul. Celui-ci,
après avoir accompli la cérémonie de la sporlula et donné
les fastes de l'année, fut proclamé par l'assemblée des prin-
cipaux personnages de la Gaule... Ceux-ci, par un vote
spontané e( unanime, désignèrent pour prononcer la ha-
rangue l'orateur Nicetius, qui, après un exordc modeste,
prononça son discours, « disposite, graviter, ardenter,
magna eum acrimonia, majore facundia, maxima disci-
plina... », etc.
(i) 0. Jahn, Ber. (1er Sachs. Ges. der Wissensoh., III (ISol), p. 548; Rossi,
Inscripiiones cltristianae, I, pp. 325, 404; Huemeh, de Sedulii poêla vila e
scriptis, pp. 31 etsuiv.; Hartel, Ennod'ms (Vienne, 1882), p. G16.
(2) Epist.,y\\\, 6.
— 158 —
— L'inscription du diptyque a clé roproduile fidèlement
ci-dessus, de même que dans le catalogue de l'Exposition de
Liège (i), et c'est à tort que le même catalogue, un peu plus
loin (2), attribue les textes ettni et oed à des fautes typogra-
phiques rendant l'inscription inintelligible.
On ne pourrait à cet égard s'appuyer sur le témoignage
de Sirmond :
Le jésuite Sirmond, né en 1550 et mort on 1051, est le
premier auteur qui ait publié l'inscription du diptyque de
Saint-Martin, dans ses annotations sur les lettres d'Enno-
dius (3).
Voici comment il la présente :
FL . ASTVRIVS . V . G . ET INL COM . ET MAG . VTRIVSQ . MIL .
CONS ORD .
Mais c'est à tort que Reinesius, reproduisant l'inscription
d'après Sirmond, dit que celui-ci l'avait vue : « Sirmondus
vidit... »
Aucune trace, en effet, n'existe d'un séjour quelconque de
Sirmond à Liège; s'il y était allé, Wiltheim n'eût pas mani-
festé à diverses reprises le regret que Sirmond n'avait pas
vu l'inscription : « Sirmondus de hoc diptycho aliquid inau-
dierat... si diptychi hujus sculpturas contemplatus fuisset...
(1) Haute antiquité, p. 16, n" 106. Cette énonciation est signée D"- Alexandre,
chaii. Henrotte et H. Sciiuermans : les signataires avaient eu soin de rétablir le
texte, quelque vicieux qu'il fût, d'après les descripteurs de visu, en faisant
abstraction des corrections, même les mieux fondées, proposées par des savants.
(î) Ivoires, V" section, p. 23, n" 116.
(j) Elles ont été imprimées, entre autres, dans les Opéra varia de Sirmond,
I, p. 1393.
A l;j lin de la table du volume, sous la rubrique des auteurs, etc., publiés pour
la première fois par Sirmond, se trouve l'inscription du consul Aslyrius, éditée
nn 1011.
— 159 —
si Sirmondus diptychon ipsum vidisset... Sic legebatSirmon-
dus, vel (i) is qui Sirmondo titulum diplychi nostri Leodio
misit...
Or, Alex. Willheim a été en correspondance directe
avec Sirmond (2) et il était au courant des excursions scien-
tifiques de ce dernier. Mais ce qui tranche la question, est le
dicitur qui se trouve dans le passage même des notes de
Sirmond : « Asturius cujus anliquac pietatis monumcntum
hodiequc apud Leodicos servari dicitur in cburneo sacri
Evangeliorum libri operculo... »
On a donc fait connaître à Sirmond l'existence de l'inscrip-
tion dont on lui a envoyé copie; mais il n'a pas eu l'original
sous les yeux.
Sirmond, recevant la copie du texte, aura pensé avec la
science profonde qui le caractérisait, qu'il était impossible
d'admettre les lectures ettni, oed ; il les a considérées
comme des fautes et les a reclifiées d'office. Mieux que cela,
la lecture comex rîe lui disait rien ; il n'a pas songé à rat-
tacher la préposition ex, le dernier mot du premier feuillet,
au premier mot mag du second, ce qui est, en effet, une ano-
mahe, et il a étendu ses corrections à ce mot qu'il a lu et :
ce qui aurait certes été une restitution téméraire, s'il avait
vu l'inscription où ex ne peut pas laisser de doute.
Comment admettre que Sirmond aurait proposé des modi-
fications aussi radicales, devant l'inscription elle-même, sans
donner un mot d'explication? Il pouvait, au contraire, s'abs-
tenir de faire étalage d'une érudition déplacée, devant une
(0 Vel a ici le sens de ou plutôt.
(î) Sirmond, Opéra varia, IV, pp. 693 et suiv. (LeUres de l'année 1649).
— 160 —
lranscri|)lion qu'il a pu considérer comme fautive : on traite
plus cavalièrement la copie d'un correspondant qui n'a pas
toujours les connaissances requises, que l'original même de
l'inscription quand on l'a eu devant soi.
Recourons donc, en l'absence de cet original, aux copies
qui en ont été faites de visu pour le premier feuillet.
Il n'y en a qu'une seule aujourd'hui conservée...
Langius, au xvi' siècle, a copié l'inscription pour la pre-
mière face, et c'est un fac-similé de sa copie qui est présenté
ici au lecteur (i) pour le premier feuillet (pi. I en regard) :
ce premier feuillet porte bien e-ni.
Quant au deuxième feuillet, qui existe encore, il ne laisse
pas prise au doute sur la lecture o e d, comme on le verra
ci-après.
Mieux que cela ; ce second feuillet n'a pas depuis été altéré,
à un moment donné, et I'r de ord n'a pas été transformé en e,
pour faire o e d par une amputation intentionnelle ou acci-
dentelle de la partie courbe de la lettre r.
En effet, dès 1729, époque où ce feuillet était dans les
mains du baron de Crassier, il portait bien oed; car une
annotation manuscrite d'un jésuite sur l'exemplaire deWilt-
heim, à la bibliothèque de Liège (exemplaire ayant appar-
(i) Ms. (ie Langius, copie faite en l58i, appartenant au comte d'Ouitt'eraont
de Warfusée, p. 9o.
Le fac-similé, d'après Langius, est plus grand que l'original, qui est de 0'"I7S
de haut sur 0'"l-2iide large.
Il importe peu que le manuscrit de Languis, d'où ce fac-similé a été pris, ne
soit qu'une copie posthume faite en 158i seulement; c'est toujours une reproduc-
tion du monument faite au temps où l'original existait à Saint-Martin; l'auteur
de l'enluminure a dû suivre ponctuellement l'image du manuscrit original, et il a
pu, du reste, se mettre en présence dudiptytiuc lui-même.
— ICI —
tenu dopnis 1077 (i) au collège des jésuites en la même
ville), porte formellement à la p. 5 de ['Appendice : « men-
dose scribitur ord; inscribi debuit oed, significalquc ut
existimat D. Baro de Crassier ; cons(uI) o(rdinarius) E(st)
D(esignalus). »
Le docteur Lersch, de nos jours, sans connaître la suppo-
sition émise par le baron de Crassier, a émis la môme idée :
« J'ai fort bien lu, tout comme le docteur Walther, oed
au lieu de ord ; aussi ai-je songé un instant à une abrévia-
tion, comme o(rdinarius) E(st) D(esignalus) ».
Il ajoute aussitôt qu'il considère comme beaucoup plus
naturel de croire qu'il y a une faute dans le texte.
iC'était, en effet, lors de l'inauguration et non lors de la
nomination, que le consul désigné envoyait ses diptyques au
loin; avant l'entrée eiïcctive en fonctions, cet envoi eût été
prématuré et sans signification, puisque les diptyques ont
précisément pour but de consacrer le souvenir des jeux
célébrés à cette occasion.
L'explication du baron de Crassier(éditée depuis par Lersch)
n'est donc pas acceptable; mais elle constate l'état du dip-
tyque en 17:29, et, comme aujourd'hui, il faut y lire oed.
La preuve que Wiltheim avait bien lu lui-même e^m et
oed, résulte de son texte.
D'abord, parlant en général du diptyque d'Astyrius, il
s'exprime comme voici :
« Titulus per sculptoris inscitiam litteras habet incultas ;
quin et voces maie distinctas, quas légère imperitis quidem
diflicile, eruditis lamen facillimum est. »
(i) Le premier feuillet de garde porte, en effet, la mention que l'exemplaire a
été donné en 1677 au collège de la sociiHé de Jésus à Liège, par P. (iuill. de Brouck,
' — 162 —
Puis il parle spécialement des deux corrections proposées
par lui.
ET INL (pour E-Ni) : « Sic quippe juvanda et corrigenda
est tabolla quœ apices lilleraruni dctruncal, ul in t altéra
liltera conjunclionis et. »
ORD (pouroED) : « Ita enira legendum el juvanda sculptons
in litteris formandis imperitia. »
Mieux que cela, on remarque sur la -planche de Wiltheim
des « repentirs » bien marqués, au moins aux mots et . inl,
comme si l'auteur avait voulu faire disparaître le malencon-
treux R-Ni, qu'il considérait comme une « coquille. »
La vérité est donc la lecture présentée au premier passage
du catalogue de l'Exposition de Liège ; la seconde lecture en
est la très juste rectification ; mais il convenait de rétablir
le texte, tel qu'il existe, tant pour constater l'état de l'art au
v' siècle, avec les erreurs commises par les lapicides ou qua-
dralaires^ que pour favoriser les études de ceux qui, non
satisfaits de l'interprétation de Wiltheim, voudraient un jour
y proposer i\cs modifications.
Au moment où Langius les a vus, les deux feuillets du
diptyque d'Astyrius étaient possédés tous les deux par l'église
de Saint-Martin, à Liège.
Voici la note qui accompagne le dessin du premier feuillet
qu(3 Langius a inséré dans son manuscrit cité ci-dessus :
a Entre les choses remarquables qui se voient en la tré-
sorerie de l'église Saint-Martin, sont gardées deux anciennes
lammes d'ivoir engravées, comme dessus est au plus prés
despeint, servant de couverture à un ancien évangéliaire.
» Et sur la première d'un costé est représenté un consul
romain, assis en la chaire, avec inscription dessus (voir plus
— 163 —
haut), à la deuxième lamme est le mesme consul assis comme
dessus, et y at écrit (le deuxième feuillet), laquelle inscrip-
tion se peut lire en ceste façon tout au loing : Flavius
Asturius vir consularis er.ni cornes extraordinarius magister
utriusque mililiœ consul ordinarius. »
Abry, dans un de ses manuscrits (i), parle également du
diptyque de Saint-Martin, en ces termes qu'il est utile de
reproduire :
« A Saint-Martin collégiale. Ce qu'il y a de plus remar-
quable à Saint-Martin, sont deux anciens lames d'ivoire qui
sont agalhés (sic), servant autrefoys à deux couverts d'un
ancien évangéliaire. Sur le premier est représenté un consul
romain, assis en sa chaire, et le même derrière avec celte
inscription, Flavius Ashjrius vir consularis emp cornes extraor-
dinarius magister utriusque militiœ consul ordinarius : fl.
ASTYRIVS V . C . ENNI GOMES MAIBVTRIVS MIL COS ORD. »
Abry a écrit le manuscrit cité de 1670 jusqu'à 1697, et
l'a même continué depuis en y insérant des notes posté-
rieures : on pourrait donc supposer que de son temps
les deux feuillets existaient encore à Saint-Martin, tout en
ayant cessé d'être réunis comme couverture de l'évan-
géhaire.
Mais sa lecture, fautive sur bien des points, est très cor-
recte sur d'autres, notamment sur le oed discuté ci-dessus.
De plus, son texte, comparé à celui de Langius, semble
n'en être qu'une copie, où le mot engravé a été estropié et
transformé en agalhé.
(i) Ce Ms. porte le n" 60; il appartient également au comte d'Oultremont.
C'est le n» 69 des manuscrits historiques sur le pays de Liège, dont parle
M. PoswiCK, Société des Bibliophiles liégeois, Bulletin, I, p. (39.
— \u —
Seulement Abry a ajouté au texte le mot autrefois, qui
démontre que de son temps les deux feuillets étaient séparés,
un soûl restant, comme aujourd'hui, attaché à l'évangéliaire.
Voici qui ne laisse prise à aucun doute à ce sujet : Wilt-
heim, dans son Appendice, publié en 1G60, seize ans avant
le commencement du manuscrit cité d'Abry, constate qu'un
seul des feuillets du diptyque d'Astyrius était encore à
Saint-Martin : il décrit l'autre feuillet d'après l'ouvrai^e d'un
<( amateur de choses de ce genre, » ouvrage que lui a fait
connaître son confrère le jésuite André de Tornaco (i).
Mais Wiltheim ne précise pas : tout en parlant du feuillet
de l'amateur cité en premier lieu, il laisse du doute sur celui
des deux feuillets qu'il a vu. Le jésuite annotateur de l'exem-
plaire cité de Wiltheim s'(;mpresse d'ajouter cette observa-
tion : « N. B. quod diclo codici pars posterior (non prior),
diptyci pra3dicti adhuc exstet prasfixa. »
Le premier feuillet doit donc avoir disparu de l'église
Saint-Martin depuis le xv!*" siècle jusqu'au xvii% entre Lan-
ffius et Wiltheim.
Quant au premier feuillet, aujourd'hui perdu, la seule
(i) Kt lion André de Tournay, comme on pourrail être tenté de traduire le
passage de Wiltheim : « D'abord, Wiltheim, pailunt de ce confrère, l'appelle
souvent jtosler a Tornaco, sans prénom (notamment Dipt., p. 52); ailleurs
iAppendix, p. 21), il l'appelle civis leodiemis : Tornaco est donc le nom même du
personnage, et en effet «( le père André de Tornaco est mentionné deux fois dans
la Bibliothèque des écrivains de la compagnie de Jésus (par Dk IBackeh), dans le
corps de l'ouvrage et dans le supplément. Il professait la philosophie à Oouay en
■1640 et il a laissé des manuscrits conservés à Douay. Il esl aussi fait mention
de lui dans une thèse soutenue en sa présence, dans je ne sais plus quel collège ».
(Rens. de ^\. le chanoine Henrotte.)
M. le comte van den Steen parle donc ermuéinent du P. de Tournay.
— 165 ~
chose que le public en connaisse est la restilulion tic Will-
heim, reproduite ponctuellement par plusieurs auteurs.
Mais cette restitution est absolument hypothétique : en
effet, il avait sous les yeux seulement une peinture du pre-
mier feuillet d'après l'ouvrage de l'amateur cité ci-dessus (et
sur lequel on reviendra ci-après), et en second lieu, le dessin
du second feuillet qu'il avait fait prendre à Saint-Martin.
Et il a fait composer par son dessinateur, sur le môme
type, un pendant du deuxième feuillet, en y introduisant
certains détails indiqués par la peinture en question, et en
complétant, par compensation, la planche enluminée à l'aide
de détails empruntés au premier feuillet.
Or, si l'on compare la planche faite de visu, pour l'ouvrage
deWiltheim, avec la planche reproduisant le premier feuillet
encore existant aujourd'hui, on se convainc immédiatement
de l'infidélité absolue du type, et dès lors aussi de celle du
pendant.
La seule chose qui soit exacte chez Wiltheim est la dimen-
sion des feuillets, qui a été vérifiée au musée de Darmsladt
sur le deuxième de ces feuillets et qui est de 0™175 sur
0"^125.
Déjà Passeri (i) s'écriait en voyant les planches de Wil-
theim : « declinantis jam tum graphica? artis spécimen
redolet, ut ejus imago evincit. »
Pulzky (2) dit de son côté, en parlant des dessins du
(0 GORi, p. 7.
(2) « The original ivory tablets haviiig desappeared, wc are scarcely able fairly
to jiuige their style of art, known only by liie coarse and evidently inacciiratc
print of the learned jesuit Alexander VVilthem. Gori 's print being a reproduc-
tion of tbe original of Wiltheim, we can only say thaï the print differs in style
— 166 —
diptyque d'Aslyrius, qu'en l'absence des originaux qu'il
croyait complètement perdus, on ne |)eut plus juger de leur
style d'après les gravures évidemment mal soignées de
Wiltheim.
On pourrait, selon lui, en conclure seulement que les feuil-
lets du diptyque diffèrent complètement de tous les autres
diptyques connus, ce qu'on peut attribuer à leur origine
gauloise. (Cette dernière observation touche aussi au sujet
représenlé où, à la différence du plus grand nombre des dip-
tyques connus et notamment de ceux d'AnasIasius, on ne
voit point les médaillons représentant l'empereur et la famille
impériale, non plus que des scènes de jeux et d'affranchisse-
ment.)
Il a donc paru indispensable de reproduire ici non seule-
ment la peinture du premier feuille!, mais encore le dessin
du deuxième d'après la photographie (voir la pi. II, en
regard).
L'« amateur de choses de ce genre » est, en effet, Langius
lui-même, et Wiltheim a eu sous les yeux la peinture de
celui-ci : il se trouve ainsi que le seul dessin qui ail passé
jusqu'à nous est peut-être le seul (jui ait jamais été fait sur
l'original.
Wiltheim, en effet, parle d'abord de l'heureuse chance
qui lui i)crmet de faire sortir des ténèbres un second dip-
tyque : « et aliud sese e lenebris cfferret. »
and coslume from ail Ihe othcr Diplycha ; slill, liie Gaiilisli origin of the tabiet
may account for ail Uie différences. )*
Wiltheim avait confié les planches de son Diptychoit leodiense au célèbre
(rravour Natalis; c'est à une autre main bien infi^rienre qn'i! remit le soin de
dessiner celles de son Ajipemlid.
— 167 —
Le livre que son confrère André de Tornaco a trouvé el
où l'un des feuillets est peint, n'est donc pas un ouvrage qui
a vu la lumière, un livre qui a été édité, comme nous dirions :
« Invenit illud Andréas a Tornaco noster una parle pictiun
in libro hominis cujusdam talium rerum amanlis... »
C'était si bien un manuscrit (un codex, comme on disait),
que le jésuite annotateur, déjà cité, ajoute en note : « Homo
talium rerum amans, dequo supra menlio, fuit nobilisquan-
dam D. Hermannus a Wachtendonc cujus librum simul ac
codicein evangeliorum ab authore memoratum possidet
nunc (1729) D. Guillelmus baro de Crassier, i»
Ce dernier détail est erroné : le manuscrit de Herman de
Wachtendonck, qui a appartenu au baron de Crassier, est
aujourd'hui à la Bibliothèque royale de Bruxelles (i) et ne
contient pas la moindre mention du diptyque d'AsIyrius, non
plus qu'une peinture d'un des feuillets.
11 n'est pas impossible cependant qu'Herman de Wachten-
donck ait tenu le dessin du diptyque de son oncle Arnold
de Wachtendonck et l'ait passé à Langius. Voici, en effet,
une mention extraite du manuscrit de de Vaulx (2) : « Du
temps de Langius, le collège de Saint-Martin était orné de
rares esprits, surtout M. Arnold de Wachtendonck, » Et le
manuscrit reproduit cette déclaration de Langius lui-même :
« M. Arnold de Wachtendonck, homme doctissime, très
grand antiquaire el singulièrement versé dans les histoires,
avec l'assistance duquel j'ai osé travailler ce qui est ici
(i) Voy. sur ce manuscrit : Bull, des Comm. roij. d'art et d'archéol., VIF,
p. 66.
C'était le n" 3448 de la bibliothèque du baron de Crassier, ainsi intitulé ;
« Appendices variae et propria mana conscriptae ...» terminé en 1608,
(8) IV, p. 327.
— 168 —
contenu, lo reconnaissant comme le seul maître de mon
labeur. »
Peut-être donc la copie enluminée de Langius, que
celui-ci a insérée dans son manuscrit, lui venait-elle réelle-
ment d'Arnold deWaclUendonck; la tradition a pu conserver
la mémoire de celte origine et la confusion a pu se faire entre
les manuscrits de Wachtendonck et de Langius, d'autant
plus facilement que le baron de Crassier en possédait tant de
l'un que de l'autre (i).
Le manuscrit où le jésuite de Tornaco a vu la peinture
du diptyque, doit donc être le manuscrit de Langius, dont
voici les possesseurs successifs :
Après la mort de Langius, en 1575, plusieurs de ses
manuscrits passèrent à Laevinus Torrenlius, qui les légua
à l'Université de Louvain (2) ; le manuscrit avec la mention
du diptyque de Saint-Martin doil n'avoir pas fait partie du
legs : on le retrouve, en effet, en 170G, dans les mains de
Laurent de Cocq, préposé aux édifices royaux et à l'église
de Saint-Géry, à Bruxelles. Gisbert Cuper, célèbre anti-
quaire hollandais, prit le titre de ce manuscrit : Origine,
commencement de la ville et cité de Liège; Leodium Caroli
Langiiad D. Lamberti canonici, et il en copia l'extrait relatif
au diptyque de Saint-Martin, extrait qui est la reproduction
textuelle de l'inscription telle que l'a lue Langius (3).
(1) De Theux, le Chapitre de Saint- Lambert, III, p. 120. Les inaïuiscrits de
Lant.ius que possédait le twi'un de Crassier portaient dans sa bibliothèque les
n"* 5474 et 3i7j
(2) Bull, des Coinin. royales d'art et d'archùoL, X, p. 457.
(ï) Les manuscrits de Gisb. Cuper ont été donnés k la bibliothèque de La Haye,
par M. bossciiA, de Dcventer. (Fonds Cuper, Suppl. dont l'auteur de la présente
notice a obtenu communication par la voie diploniaticiuc.;
— IfiO —
« J'ay remarqué, dit Cupcr, à la p. 95, un diptychum où
estoit pcinl un consul romain, à barbe large, lenanl un vo-
lume dans sa droile, el un bàlon ou sceptre sur la sommité
duquel étoit une couronne ouverte, dans sa gauche. De
chaque côté, une personne ou huissier, dont l'un lient un
papier, l'autre un glaive, et au-dessus il y a cette inscrip-
tion :
FL. ASTYRIVS VC EttM COMEX.
» L'on y en parle ainsi : Entre les choses remarquables
qui se trouvent dans la thresaurie de l'église de Saint-Martin,
furent gardées deux anciennes lames d'ivoir, engravées
comme dessus, est au plus près dépeint... » (La .suite fait
défaut.)
Le feuillet de garde du manuscrit de Langius porte, en
outre, qu'il a appartenu à un moment donné au doyen de
Saint-Paul, Faes, puis à de Libollon, seigneur de Stevoort,
et au chanoine Jalheau, de qui il est passé dans les mains
du comte d'Oultremont, au commencement de ce siècle (i),
dont les descendants se sont partagé les manuscrits, le comte
d'Oultremont de Warfusée conservant aujourd'hui tous ceux
qui sont relatifs à l'histoire de Liège, dont celui de Langius.
Il résulte de tout cela que, dès le xvii* siècle, le premier
feuillet du diptyque d'Astyrius, dont Langius a présenté le
(i) De Thecx, loc. cit.
Comme il était possible qu'une, autre copie de ce Ms., celle qu'a possédée Laurent
de Cocq, fût celle qui est aujourd'hui conservée ii l'abbaye d'Averbode, des
renseignements ont été demandés à cet égard.
Il résulte de ces renseignements que la copie du manuscrit de Langu's que
possèdent les Prémontrés d'Averbode, émane de l'un d'eux qui l'a effectuée au
xvii^ siècle.
— 170 —
dessin enluminé, avait disparu du trésor de l'église Saint-
Martin,
Quant au second (éuillet, le chanoine de Vaulx (i) rap-
porte que M. de Crassier avait rendu service aux chanoines
de Saint-Martin, qui avaient peut-être un procès à soutenir,
et que le chapitre lui demanda par quel moyen il pourrait
lui témoigner sa reconnaissance. Le savant archéologue
répondit : « Vous avez dans votre sacristie un évangéliaire
qui ne vous est d'aucune utilité; il me serait agréable de le
recevoir. » Il le reçut en effet (2).
M. de Crassier n'a jamais possédé d'autre feuillet de dip-
tyque que celui-là, comme il sera dit plus loin à propos du
diptyque d'Anastasius.
Le feuillet du baron de Crassier, qui se trouve aujourd'hui
à Darmsladl (voy. plus loin), était déjà alors dans l'état où
on le voit en ce musée.
Voici comment Wiltheim le décrit exactement, sauf
(comme on l'a vu) à substituer aux mots prior et prima,
ceux de posterior ou altéra. D'après le style des ornements
dont est entouré le feuillet, Wiltheim conjecture que depuis
longtemps il était attaché à l'évangéliaire.
(1) De Vaulx, dans le Ms. fiéjà cité, I, p. 8l9i>is v", s'exprime en ces termes :
« Celte belle pièce est passée au cabinet de feu M. le liaron de Crassier, comme
plusieurs autres anticpiités qu'il a trouvé le moyen d'obtenir des autres collé-
giales. »
(2) Le !)'■ Walther, ouvrage cite ci-après, parle d'une fondation que le baron
DE Crassieh aurait faite en l'église Saint-.Marlin, et qui lui aurait valu en échange
le don du diptyque. (Voy. aussi Joltrli. de Itonn, YIII, p. ISG.)
Comme on le verra plus haut, le baron de Crassier possédait déjà le feuillet
du diptyque de Saint-Murlin en 1715, Or, son lils fut installé comme chanoine de
Saint-Martin en 175-i seulement (Bull. Iiislil. archéol. liégeois, II, p. 405);
rentrée de ce dernier au chapitre de cette collégiale est donc tout à fait étrangère
au don.
__ 171 —
« Prior tabula nunc c\(al praefixa cxloriori faciri codicis
Evangelioriim cum multo olim aiiri gemma ru mquc ornalu...
» Tabolla prima affixa esl fronli libri Evangcliorum cl
prout ex ornatu adjecto et reipsa, apparet multis rclro lem-
poribus eo loco posita est » (i).
El le baron de Crassier décrivait de la manière suivante
son diptyque, en une lettre adressée le 10 septembre 1715
au célèbre bénédictin Bern. de Monlfaucon (2).
» Un lectionnaire en latin des Évangiles pour toute l'an-
née, ancien de 800 ans : sa couverture est ornée d'un dip-
tyque d'ivoire, qui est la deuxième face de celui d'Astyrius,
consul en 449, duquel le révérend père Wiltheim a fait la
description dans son Appendix ad diplychon leodiense, p. 2.
Le dessus et les côtés sont enricbis de pierreries et au-dessous
est enchâssée une relique de saint Denis, dans un ovale de
cristal avec celte inscription sur l'enveloppe : de ossibus
S"-Dionysii martyris. »
Voici maintenant la description du diptyque dans son
état actuel au musée de Darmstadt (3).
« Lectionnaire évangélique, en écriture du ix* siècle.
Dans la couverture est une moitié d'un diptyque consulaire
avec l'inscription mag vtrivsq mil gons. oed (suit la descrip-
tion des détails). La couverture esl encadrée dans une gar-
{^) Appendix, pp. 1 et 15.
(2) Bull. Inst. archéol. Itég., U, p. 337. Voy. ibid. la réponse de son corres-
pondant : « Le lectionnaire dont vous me parlez est curieux. » [Ibid , p. 562.)
(5) Walther, Die Sammlumien des Alterthiims, der Kiinsl, der Yolkerskunde
und von Waffen in Grossherzoglichen Mnscitm zu Darinstadl, p. 66, ii''()85;
ScHAEfER, Die Denlmâler der Elfenbeinplastik der Grossherzoglichen Mnseiims
zu Darmstadt in Kiinslgeschichtiicher Darslellung {\ST2). p. 2-2 ; Monalsberichle
des Kônigl. Preuss. Akad. der Wissemch. zu Berlin, I8G0, p. 577; Klein,
Inscriptiones latinae provinciae Hassiae transriienanae, n» 79.
— <72 —
niluro dorée, où des figures sont gravées. Dans l'autre partie
de la couverture se trouve un médaillon contenant des
reliques de saint Denis. »
Il existait à la fin du siècle dernier, dans le duché de
F.imbourg, un certain Jean-Guillaume-Ch. -Adolphe Honvlez,
([ui prit le nom de baron de Hiipsch, de Hoizeraedern, de
Lonizen et Krickelshausen ; il avait des relations très éten-
dues (i).
Ce personnage s'appliqua spécialement à l'archéologie et
à l'histoire naturelle, sciences qui firent l'objet de publi-
cations diverses, comme son Epigrammatographia, recueil
d'inscriptions où il eut le tort d'accueillir des fabricats du
faussaire Clotten d'Echternach ; ces sciences furent aussi
pour lui l'occasion d'un cabinet « chaotique » (comme le dit
Walthcr), cabinet qu'un voyageur du siècle dernier qualifia
de « vrai quodlibet philosophique (2). »
Se rattachant par son origine à nos contrées, il parvint,
sans doute, après la mort du baron de Crassier, en 1744, à
obtenir de ses héritiers plusieurs objets (dont le feuillet du
diptyque de Saint-Martin), et transporta le tout en sa collec-
tion, rassemblée à Cologne, ville où il avait fait ses études.
(i) Walthek, ibid., p. ix, et Quix, Kreis Eiipen, p. :236.
(2) Il a paru k Cologne, en 1792, par C.-L.-i. de Buion, une Relation du
fameux cabinet et de la bibliotttèque rassemblés et consacrés à l'usage du public
par M. le baron de Hupsch, membre des Académies électorales de Mannhcim et
Munich, des Académies liollaiula'scs de Harlem, Flessingue et d'Utrccht, de
rAcadémie de IJalavIa aux Indes orientales, de l'Académie américaine des sciences
et des arls, de la Société d'antiquités de Cassel, de la Société physique de Berlin
et de plusieurs autres sociétés littéraires, etc. »
A la p. 5, on lit : « Un diptyque romain, probablement du iv" [sic) siècle, de la
plus grande rareté, v
Ses colleclions étaient ii Cologne, en l'hôtel de Mulheim, rue Saint-Géréon
Voy. Kolni.siiie ZeUung du 1.3 sept. 187.")); Quix dit qu'il habitait Johannissirasse.
— 175 —
A sa mort, le 1" janvier 180;), il légua le diptyque avec
une grande partie de ses collections, au grand duc Louis I"
de Hesso, et c'est ainsi que la moitié du diplyque d'Astyrius
est aujourd'hui au musée de Darmstadt.
Gori, d'après les dimensions du diptyque représenté par
Wiltheim — dimensions qui sont exactes — ne peut admettre
que ce diptyque ait servi au môme usage que celui d'Anas-
lasius, et dit que sans doute, comme cela a eu lieu pour un
diptyque de Besançon, les planches d'ivoire entourées d'or
et de [)ierreries, ont servi de couverture à quelque manuscrit
sur parchemin, où était inscrit l'éloge du consul Astyrius ou
de quelque membre de sa famille, ou bien quelque ouvrage
copié sous les auspices de ce consul (i).
L'hypothèse de Gorius est présentée simplement pour
mémoire; or il est piquant de remarquer qu'elle s'est réalisée,
non pas avant, mais apiès l'arrivée des deux feuillets réunis
à l'église Saint-Martin.
C'est ce que démontre l'affirmation de Langius, d'où il
résulte que les deux feuillets ornaient ensemble la couverture
d'un ancien évangéliaire.
Mais quaiid le diptyque est- il arrivé à Liège, et spéciale-
ment quand est-il entré dans le trésor de Saint-Marlin, où
les deux feuillets auraient été appliqués à la reliure de cet
évangéliaire?
Il serait aisé de fixer l'époque de l'arrivée à Liège, s'il
fallait en croire les auteurs qui identifient Mérovée et Me-
robaudes, le gendre d'Astyrius et son successeur dans le
(i) On a vu plus haut que c'est précisément un Astyrius consul (|ui a sauvé de
'oubli les œuvres de Sedulius.
— 174 —
gouvcrnemont de l'Espagne, en 44-3; rien de plus simple
alors que d'expliquer confiment , ayant succédé à Clodion
en 448, comme roi des Franks, Mérovée aurait reçu l'an
d'après un diptyque consulaire que lui aurait transmis son
beau-père et comment lui ou l'un de ses descendants en
aurait l'ait don à quelque personnage de Liège.
On peut ajouter h cela le fait analogue de l'envoi par
l'empereur Anastase à Clovis, l'un des successeurs immé-
diats de Mérovée, de présents avec les iiisignes du consulat
ordinaire (i).
Malheureusement, il est dilïicile d'admettre que Mero-
baudes, maître de la milice romaine, en Espagne, en 443,
soit devenu maître de la milice de Clodion (titre que lui
attribue le « fabuleux » Jacques de Guyse), et ce pour suc-
céder à ce dernier cinq ans plus tard, si tant est môme
qu'au témoignage des chroniques de Saint-Denis, il ne fût
pas déjà roi des Franks en 440.
Aujourd'hui on a renoncé à cette assimilation , et la
transmission du diptyque d'Astyrius à Liège est restée in-
certaine quant à sa date; aucune inscription intérieure n'a
été signalée et ne favorise à cet égard les conjectures comme
celles qu'on a faites h propos du diptyque d'Anastasius.
(Voy. plus loin.)
Il n'est pas permis de supposer non plus que le diptyque
d'Astyrius, fabriqué dans les Gaules, soit arrivé seulement
dans nos contrées avec les croisés, qui en 1^15 l'auraient
rapporté de Gonstantinople.
(0 Trésor de iiumism. et de gltjpf., I. ci/ , d'après Grégoire de Tours, cité
aussi par Wh.tbeim, \k 28.
— i7n —
Il faudrait, en ciïcl, fournir d'abord l'explicalioii de ce
détour : un diptyque fabriqué à raison d'un évcncnfient (jui
a eu lieu dans les Gaules, l'inauguration d'Astyrius, puis
transporté à Gonslantinoplc cl de là rctransporté dans nos
contrées.
Mais un indice permet de remonter plus haut : lorsque
l'évéque Éracle fonda l'église de Saint-Martin, à Liège, au
X* siècle, il s'inspira, sans doute, de l'exemple de saint
Hubert, lors de la fondation de l'église Saint-Lambert. Or,
s'il est vrai, comme le suppose Wiltheim, que le diptyque
d'Anastasius aurait été transmis à cette dernière église par
son fondateur, pourquoi n'en aurait-il pas été de même du
diptyque d'Astyrius donné également à l'église Saint-Martin
par celui qui l'avait établie?
Voici que le D' Walther, le conservateur du musée de
Darmstadt, nous apprend une circonstance que Wiltheim
nous avait laissé ignorer : l'évangéliaire encore revêtu d'un
des feuillets du di|)lyque d'Astyrius, est en écriture du
IX® siècle, et c'est également l'affirmation du baron de Cras-
sier qui, au xvfii^ siècle, dans sa lettre adressée à B. de
Montfaucon, déclarait que l'écriture de l'évangéliaire était
vieille de 800 ans (i)-
Cette date concorde parfaitement avec la supposition que,
au siècle suivant, date de la fondation de l'église, la collé-
giale de Saint-Martin aurait reçu le diptyque et l'aurait
employé à revêtir un évangéliaire d'une époque de peu
antérieure.
(() C'est aussi l'opinion de Klein, /. cil. : « biptychi consu'aris eburnei altéra
pars opercule evangelici lectionarii ex saecuto nono alTixa.... »
— 176 —
Seulement, il s'ogira, en éliidiaiit de i)liis |)rès les orne-
ments de la plaque métallique au musée de Darmstadt, de
fixer ultérieurement la date où le premier travail a été fait :
un examen de l'objet même, fait sur place, n'a pas laissé à
l'auteur du présent travail des souvenirs assez précis pour
lui permettre de conclure avec quelque certitude. Ce n'est
du reste qu'un détail secondaire; mais il convient de l'indi-
quer pour permettre de rechercher ultérieurement à quelle
époque entre le xi* siècle et le xvi', les deux feuillets ont été
affectés à la reliure de l'évangéliaire.
Ce dont il ne faut pas douter, en toute hypothèse, c'est
l'antiquité de l'enluminure reproduite sur la planche de
Langius, puisque celui-ci a vu et décrit les deux feuillets
sur l'évangéliaire.
Cette enluminure ne date pas pourtant de l'époque même
du diptyque : En effet, Claudien, dans les vers cités plus
haut, nous parle bien de lettres rouges pour les inscriptions
des diptyques, et de dorures; mais il était d'usage d'enduire
de minium les seules lettres des inscriptions (i), à tel point
que Wiltheim signale des inscriptions de Trêves dont les
caractères apparaissaient encore rouges de son temps, et,
quant à l'or, c'est sans doute aux marges seules qu'il était
réservé; aucun passage d'auteur n'autorise à affirmer qu'on
aurait polychrome les diptyques d'ivoire, et ainsi dissimulé
aux yeux la matière précieuse dont on les confectionnait.
C'est donc après l'application des feuillets à l'évangéliaire
que l'un d'eux aura été enluminé par quelque chanoine, ou
(i) Pline, XXIII, 7 : « Minium... tlaiiores littcnis in iiiiiniiorc o(i;iiii in
scalpliiras fai:i(. » Claidikn dit : nitiliini nomen.
— 177 —
plutôt par quelque subalterne de l'église Saint-Marliu, et c'est
peut-être aussi la disparate engendrée par cette polychromie
nialcnconlreusc qui, lors de la Renaissance, sous l'inspira-
tion d'un goût plus épuré, aura engagé à supprimer le
feuillet mal à propos peinturluré et à le remplacer par les
reliques de saint Denis.
Malheureusement, par suite de cette modification à l'état
du diptyque, le feuillet enluminé a été égaré, et toute trace en
est perdue, depuis Langius et le correspondant de Sii'mond.
C'est ce qui donne un intérêt particulier à la reproduction
de la planche enluminée de Langius.
Le lecteur n'aura pas de peine, en comparant celte planche
au feuillet conservé, de lui restituer en imagination son ca-
ractère archaïque, et l'impression qui résultera de cette com-
paraison sera infiniment préférable à celle que produisent
les dessins gravés dans VAppendix de Willheim, dessins
absolument incorrects.
Espérons qu'un jour le feuillet aujourd'hui égaré se
retrouvera et permettra de se faire une idée plus complète
du diptyque d'Âslyrius avec ses particularités exception-
nelles.
II. Diptyque d'Anastasius.
L'église cathédrale de Saint-Lambert, à Liège, démolie
lors de la révolution française, a possédé un diptyque repré-
sentant, comme celui de Saint-Martin, l'inauguration d'un
consul, avec l'inscription :
N° 45t.
i" feuillet : fl. .^nastasivs pavl puovs | sAviNiAPivs
POMP. ANAST.
— ils —
2' feuillet :
VIR INL. CO.M. DU.MKST KOVIT ] KT GO.NS OKD
{ F làw'ius Anaslasius Paulus Probus Savinianus Powpeius
Awai'/asius vir m/uslris cornes domeslicorum equitum et
consul on/inan'us.)
Aucune difficullé d'interprétation ne s'élève au sujet de
l'inscription ; elle reproduit tous les prénoms fort nombreux
d'un consul du nom d'Anastasius.
Le consul est représenté assis dans une chaise curule,
revêtu des habits consulaires de l'époque, plus riches que
ceux du temps d'Astyrius, notamment avec Vomophorion en
sus : ces vêtements ont été décrits et discutés longuement
par les auteurs, et il suffit de renvoyer à leurs œuvres les
lecteurs curieux de ces détails. Ils étudieront notamment si
le costume d'Anastasius est triple, comme le disaitWiltheim,
ou quadruple comme l'a soutenu Foullon,
De môme qu'Astyrius, Anastasius tient d'une main la
tnappa circensis et le sceptre de l'autre. Il n'est pas accosté
de deux serviteurs; mais la partie supérieure contient en
plus des médaillons, et la partie inférieure des scènes de
jeux publics, etc.(Voy. pi. III, en regard.)
On a conservé jusqu'à nos jours au moins trois diptyques
du consul Anastasius :
Un premier à la cathédrale de Bourges, actuellement à la
bibliothèque nationale de Paris.
Il a été décrit par Willheim et comparé par lui au dip-
tyque de Liège, pour compléter celui-ci.
Un deuxième au musée de Vérone, où l'on en possède
seulement le deuxième léuillel.
— 179 —
En(iii le diptyque de Liège; ce dernier est aujourd'liui
divisé : le deuxième feuillet ne se trouve pas, comme on l'a
soutenu, au Musée britannique, auquel le possesseur nommé
Webb l'avait présenté il y a quelques années, et qui n'avait
pas accepté l'offre. Il est passé avec la collection Webb
dans le South Kensington Muséum, dirigé par sir Philipp
Gunliffe Owen (i).
Le premier feuillet est à la Kunst-Kammer de Berlin (2) et
lorsque cette collection a été récemment fondue dans le
Gewerbe Muséum de Berlin, le feuillet du diptyque est néan-
moins resté au Musée royal, qui a bien voulu le laisser figurer
à l'Exposition de l'art ancien au pays de Liège, en 1881, et
qui a reçu, en échange de sa gracieuseté, une médaille frap-
pée en son honneur.
C'est par erreur que certains auteurs considèrent le feuillet
du Musée de Kensington comme étant la réplique de celui
de Vérone; ce sont deux seconds feuillets contenant l'un et
l'autre, d'une manière absolument identique, la deuxième
partie de l'inscription, et ne pouvant pas, dès lors, se com-
pléter l'un l'autre.
Quel était l'Anastasius, titulaire de ce diptyque?
Jusqu'à la publication du diptyque de Saint-Lambert,
on avait rapporté à l'empereur Anastase, déjà trois fois consul
et qui vivait encore en 5i7,un quatrième consulat mentionné
en cette année par une loi du code de Justinien,
(0 Renseignements contenus en une lettre de M. Augustus-W. Fuanks, direc-
teur du British Muséum, lettre datée du 2 juillet 1881.
On a donc tort de croire que ce feuillet est enlièrenient perdu.
(2) N" 758 du catalogue de ce musée.
— i80 —
Les prénoms du diptyque de Liège ne laissent aucun
doute sur la nécessité d'assigner le consulat de l'an 517 non
à l'empereur, mais à un homonyme de celui-ci.
C'était, de plus, un de ses parents : l'usage était à cette
basse époque de faire précéder le nom du personnage, de
divers prénoms (i) correspondant à ceux de ses ancêtres.
Or, si le dernier des prénoms indique Pompeius, le père
du consul, lequel était fils d'Hypace, frère de l'empereur
Anastase, un autre des prénoms A.nastasius, distinct du nom
final, pourrait bien indiquer le père de l'empereur, de qui
descendait peut-être Anastasie, mère du consul qui aurait été
ainsi à la fois le petit-neveu paternel et maternel de l'empe-
reur.
Pompeius et Anastasie, sa femme, avaient pris une part
active à la lutte de l'église orthodoxe contre l'empereur : de
là des discussions de famille et aussi une réconciliation qui
fut scellée sans doute par la nomination du jeune Anaslasius
au consulat.
C'est, en effet, un homme très jeune que représentent les
diptyques de Liège et de Bourges; les usages de l'époque
comportaient de semblables nominations : Félix, qui fut
consul d'Occident sous Théodoric, fut promu à cette dignité
étant encore enfant, ex ipso pueritiae flore.
Il est donc probable qu'il ne faut pas voir dans l'un des
portraits qui ornent le fronton du djplyque, l'épouse d'Anas-
tasius. Quoi de plus naturel d'ailleurs que de chercher dans
(«) Celui de l-'lnvius réparait pour ainsi dire sur tous les diptyques (en voir la
liste chez Pul/ky; voir aussi Bull, des Coinm. roij. d'art et d'archcol., XXII,
p. 33o,sur l'emploi général de ce nom, par les familles impériales de la décadence).
— 181 —
le portrait tlu milieu, celui de l'empereur régnant, grand-
oncle du consul, et dans les deux portraits placés en attique
dans la perpendiculaire des colonnes latérales, à un rang
inférieur (comme il convenait), Pompeius et Anastasie, le
père et la mère du lilulaire, membres de la famille impériale?
Wiltheim ne trouve pas de ressemblance entre le portrait
supérieur et la face de l'empereur Anastase d'après ses
monnaies et médailles; d'autres y ont vu le portrait d'une
femme, à cause d'une apparence de boucles d'oreilles :
cependant le costume ne peut laisser de doute.
Le personnage est, en effet, revèlu du manteau impérial ;
ce n'est donc pas le père d'Anastasius, bien que le revers du
diptyque de Bourges le représente diadème (mais sans le
manteau impérial).
Quant aux prétendues boucles d'oreilles, ce sont simple-
ment les glands qui terminent les bandelettes pendantes du
diadème.
Le diptyque de Liège, à la différence de celui de Bourges,
qui place le portrait de l'empereur seul au haut du sceptre,
y répète la représentation de l'empereur entre celles de
Pompeius et d'Anastasie.
Quant aux deux portraits placés aux bras de la chaise
curule, ce sont au premier feuillet, peut-être un frère et une
sœur d'Anastasius; au second feuillet, deux génies repré-
sentés sous la forme des vents dans les zodiaques.
On ignore quels sont les autres ancêtres auxquels Anas-
tasius a emprunté le surplus de ses prénoms, Paulus, Probus,
Sabinianus. Wiltheim a cependant émis à cet égard quelques
conjectures non dénuées de probabilité.
Gomme Astyrius, Anastasius était vir iUusiris et consul
— 182 —
ordinarius; il jiorle, en outre, la qualité de cornes domesti-
corum equilum, comte commandant les cavaliers de la garde
du corps, de la garde palatine : l'expression de comte des
domestiques à cheval, qu'un auteur a employée, est de nature
à être mal interprétée, et il convient de l'éviter, parce que
domestique, pris substantivement, ne s'entend, en français,
que de la valetaille.
De tous les diptyques connus, ceux d'Anastasius sont
signalés comme les meilleurs. Ils se font remarquer, dit
Labarte, j^ar une grande délicatesse d'exécution. Les règles
de la perspective sont complètement méconnues, il est vrai,
dans les bas-reliefs; mais les petites figures de ces bas-
reliefs sont d'un dessin assez correct; elles ont du mouve-
ment et de l'expression.
Un point important pour l'histoire de l'art est le sui-
vant (i) :
En5!7, époque de l'exécution de ce monument; le col-
lègue d'Anastasius pour l'Occident était Agapit, préfet de
Rome, sous Théodoric, qui à la tète de ses Goths en était
alors maître. On peut donc affirmer avec certitude que les
diptyques d'Anastasius ont été exécutés à Constantinople
môme, où le consulat d'Orient s'est ouvert, et sont par con-
séquent un produit pur de l'art byzantin au vi' siècle.
Le diptyque de Bourges représente au bas du premier
feuillet une scène dont les acteurs déploient différentes ruses
pour échapper à l'atteinte de lions et de panthères; des
boucliers d'osier, des trappes pivotantes leur prêtent se-
cours, pendant que d'autres personnages tiennent des nœuds
(t) Trésor du numism. et de glypt., XVII, p. 13.
— 185 —
coulants pour ressaisir les animaux féroces; cependant un
des acteurs a été atteint par une panthère.
A la place correspondante, le diptyque de Liège repré-
sente des spectateurs autour d'un amphithéâtre, et dans
l'arène, une chasse à l'ours; des mannequins sont disposés
pour donner le change aux animaux déchaînés ; au moment
où ceux-ci s'approchent, deux personnages hissent (à l'aide
de poulies?) des tonneaux attachés à un pilier, dans
lesquels ils se sont hloltis (i); un autre se soustrait à la pour-
suite de l'ours qui va l'atteindre, en s'appuyant sur un hàton
et en faisant par-dessus l'animal une cabriole de saltim-
banque (2) ; un autre fait la roue devant les ours; un autre
encore se précipite vers une loge dont la porte tenue ou-
verte, va l'intercepter en se refermant sur la bête lancée
vers lui; enfin un dernier monte sur une roue, se dispose
à lancer un nœud coulant au col d'un ours qui menace d'autres
acteurs de la scène.
A cela le feuillet de diptyque de Vérone ajoute un spec-
tacle de jonglerie.
C'est que l'empereur Anastase avait aboli dans l'amphi-
théâtre les combats sanglants d'hommes et d'animaux, qui
figurent encore sur un diptyque d'Ariobindus, de l'an 506 :
il ne s'agit plus en 517 de tuer les animaux, mais d'élu-
der leurs atteintes ; c'est le rire du spectateur, et non sa
terreur que l'on veut exciter.
(i) WiLTHErM y voit plutôt une sorte de balançoire, en invoquant le témoignage
des auteurs anciens.
(2) C'est précisément la description de Cassiodore, Variarum, Mb. V, epist.
42 : « Primus fragili ligno confisus currit ad ora belluanini... Tune in acre sallu
corporis elevato... supinata niembra jaciuntur et quidam arcus supra belluam
libratus dum moras descedendi facit, sub ipso velocitas ferina discedit. »
— 184 —
On en est revenu aux sauts de tout genre qui figurent déjà
dans l'Iliade au xviii' chant, ))our la description du bouclier
d'Achille, et au iv* de l'Odyssée, pour les fêles données par
Ménélas, et qui aujourd'hui sont relégués parmi les exer-
cices des bateleurs, avec les jongleries alors en honneur.
C'était par des spectacles aussi vils que Théodora, depuis
femme de Justinien, s'était signalée devant le peuple assem-
blé et avait conquis la faveur de la populace (i).
Mais ce qu'aujourd'hui nous appellerions un comble,
est le spectacle figuré au second feuillet du diptyque de
Liège, dans sa partie inférieure : deux hommes, les mains
liées derrière le dos, se font saisir le nez par des crabes,
et puis s'efforcent de se dégager des pinces de ces crus-
tacés (2). (Voy. pi. IV en regard.)
Du temps de Galba, on allait jusqu'à dresser des éléphants
à danser sur la corde (0). Un savant du xviii" siècle a dé-
montré que toutes ces jongleries, tous ces jeux, étaient fort
appréciés des Romains (4).
D'un goùl plus relevé sont les autres scènes représentées
sur les trois diptyques du consul Anaslasius : le registre
supérieur du second feuillet de chacun d'eux représente des
chevaux de course empanachés et ornés d'un riche collier;
les coursiers des deux factions, Venela et Prasina, qui vont
(1) Procope, Anecdotes, cdil. de 16G4(avec noies J'Enchel), p. 5-4.
(2) WiLTiiEiM pense que celle scène représente symboliquemjnl l'esclavage
opposé à l'aiïraiicliissement représenté^ur le même fenillet.
(s) MiLLiN, Mci(/(idn encyclopédique, 1810, V, p. il. Voy. aussi Spon, Recher-
ches curieuses d'antiquité, p. 'i07, au sujet d'une médaille deCaracalla, représen-
tant des danseurs de corde.
[i] Peig.ne-Delacoukt, Note sur quelques objets d'église (séance du comité
archéologique de Noyon du 9 octobre 1860).
— 185 —
se disputer la palme, sont coiuhiils par deux j)crson-
nages porleurs d'une hasie surmontée d'un cartel carre
pareil à celui de la Libéralité sur les monnaies des empe-
reurs; ce cartel, sur le diptyque de Liège, à la différence
des deux autres, se signale par une croix grecque semblable
à celle du labarum.
Sur le diptyque de Vérone, on voit en outre une scène
de théâtre, où plusieurs chanteurs, accompagnés d'un
orgue hydrauli(iue, permettent à un groupe de danseurs de
cadencer leurs pas.
Enfin, sur les diptyques de Liège et de Bourges, on voit
au second feuillet des scènes de manumission : des esclaves
sont affranchis par l'apposition surleur lêtedelamainde leurs
maîtres : les auteurs anciens nous apprennent, en effet, que
les consuls, lors de leur inauguration, avaient l'habitude de
faire don de la liberté à des esclaves ayant mérité cette faveur.
Le diptyque d'Anastasius est-il parvenu à Liège à sa date,
ou ultérieurement? Aucun document positif ne permet
d'éclaircir cette question et le champ est ouvert aux conjec-
tures.
Si le diptyque a été envoyé par Anastasius, en 517, à
l'évéque qui occupait alors le siège de Tongres, celui-ci était
Euchère ou Eucharius, nom grec latinisé, de formation
identique à celle du nom d'Anastasius lui-même. Il est pos-
sible aussi, comme le pense Foullon,que lediplyqueauraitété
donné quelques années plus tard par Théodebert, neveu de
Clovis, à Domitien, successeur d'Euchère, à l'occasion du
concile d'Auvergne de 535, où cet évêque assista.
Mais voici qui permet plus de précision :
Le diptyque de Liège porte de l'écriture ancienne sur les
— 486 —
deux pages intérieures, au revers des reliefs qui consti-
tuaient les feuillets extérieurs, quand le diptyque était
fermé.
La première de ces pages contenait les noms des saints
(le la prière dite communicanles : apôtres, confesseurs, mar-
tyrs, dont le nom se lit encore au canon de la messe; or
la liste s'arrête au temps de Gharlemagne.
La deuxième page intérieure portait ce qu'on appelait le
mémento des morts : elle commençait par les mots « mé-
mento Domine, famulorum tuorum X et X », et les noms
suivaient au génitif. Or, les seuls noms complets qu'on ail
pu lire, semblent être ceux de deux évèques de Tongres :
EBREGisi (618-630) et amandi (i) (637-650).
Gomme l'usage de ce mémento disparut dans presque
toutes les églises de la Gaule, au temps même de Gharle-
magne, les inscriptions, si elles datent du ix" siècle, comme
elles en ont toute l'apparence au point de vue paléogra-
pliique, seraient la copie à nouveau d'inscriptions anciennes,
ce qui constaterait qu'à la différence du restant de la Gaule,
l'église de Liège, comme du reste celle de Reims, aurait
persisté à suivre, en deçà du temps de Gharlemagne, l'usage
romain encore en vigueur aujourd'hui.
Quant au texte primitif de celte écriture intérieure, il
daterait de la fondation de l'église Saint-Lambert, par saint
Hubert (G99-728), lequel aurait compris le diptyque dans
les nombreux dons qu'il fit à ce temple, et sous Gharle-
magne, on y aurait, en outre, fait quelques additions.
(i) La mention asiandi, qui n'a pas été relevée par Wiltheim, a été recueillie
l';ir M. le comte van den Steen.
— 187 —
Quoi qu'il en soil, il résulle, au moins, des éléments qui
servent à établir ces suppositions que, dès le temps de
Charlemagne, le diptyque d'Anastasius servait à un usage
religieux, et, par une conséquence presque nécessaire, qu'il
était déjà dans le trésor de Saint-Lambert.
Les seules mentions du diptyque d'Anastasius que l'on
rencontre avant l'ouvrage de Wiltheim se trouvent dans YOno-
maslicum du P. Héribert Rosweyde, qui fit partie de la
Compagnie de Jésus, de 1589 à 1629, et dans les fastes
d'Aubert Miraeus.
Mais à peine en disent-ils quelques mots, et il ne faut
peut-être pas prendre au pied de la lettre l'affirmation
du premier que les feuillets intérieurs portaient des « in-
scriptions de noms de quelques saints et de quelques évéques, »
ni du second que le diptyque portait « des noms d'évéques de
Tongres, presque effacés. »
En effet, que vaut cette affirmation, du reste absolument
vague, devant celle de Wiltheim, que le P. de Tornaco dut
mettre bien des heures à retrouver quelques noms sur le
premier feuillet et qu'il n'a lu sur le deuxième que quel-
ques syllabes... igisi...
Il n'est pas probable qu'un demi-siècle entre la visite de
Rosweyde et de Wiltheim, l'élat du diptyque se soit telle-
ment aggravé, que ce qui était encore lisible vers IGOO
ait cessé de l'être vers 1650, à moins que les caractères
n'aient été frottés et usés, ce qui est possible, lors de l'addi-
tion de l'armature en bois qui existait du temps de Wilt-
heim et qui a peut-être été ajoutée depuis que Rosweyde
et Miraeus avaient vu le diptyque (à découvert?).
En 1657, Wiltheim demanda l'autorisation d'avoir corn-
— 188 —
niunicalion du diptyque cl voici à cet égard deux décisions
capilulaires (i).
« 1C)57, \\) octobris. Proposilione facla an capitulo pla-
ceatcburncarum labularum anliquarum quac in tbesauraria
iiujus ccclesiae asscrvantur, cxplicatio etsludium cujusdam
patris societalis Jcsu, dominis meis dedicanda (2), respon-
sum fuit placere, et in sumptus dominos meos consentire.
« !Go7, 24 octobris : Relecta fuerunt décréta capituli 19,
dominorum directorum 25, dominorum vero dcpulalorum
cleri 20, necnon depulalorum ordinum 23 (bujus mensis),
quae dominis meis piacuerunt, excepto uno quo de tabulis
eburneis Anastasii consuiis romani bac in occlesia asser-
valis; hinc iHud decretum circumductum fuit. »
Quel que soit le sens de cette décision (0), Wiltheim pu-
blia, en 1659, la description du diptyque, et il dit en termi-
nant son œuvre : « Et toi, noble basilique de Liège, conserve
encore pendant de longs âges pour toi et pour In postérité,
ce diptyque que son poids d'or ne payerait pas (auro contra
non aestimandum). »
Depuis l'époque de Wiltbeim, on recueille plusieurs men-
tions dans les inventaires ou les descriptions, de la custode
(i) Regisire des conclusions capilulaires, n" 1o63. (Renseignements de M. l'ar-
chiviste S. BOUMANS.)
(•}) L'ouvrage de Wm.tiieim l'ut, en effet, dc'dit^ a Laurent de Méan, grand
écolâtre du chapitre de Saint-Lambert et archidiacre de Hainaut.
(s) Circumdiicere legem, c'est l'annuler.
Or, Wiltheim obtint la communication sollicitée, car, p. 2, il dit : « Leodiense
diptychon cum nobis ostendi rogassemus, cimeliarchue tabellas geminas eburneas
protulcre, asseri ligueo junctim affixas... »
FI est même certain que Wiltheim obtint l'.intorisation de détacher le diptyque
de l'arniature en bois qui en enserrait les feuillets : « Rogavi Andraeam a Tornaco
ut tabellas («sscri enini affixac sunt) refigi impctraret. » (Ibid., p. 31)
— 180 —
en bois, capsa (i), dans laquelle, suivant un usage ancien,
était enfermé le diptyque avec les objets les plus précieux
(lu trésor. Un manuscrit d'Abry (2) cite aussi dans le trésor
de la cathédrale de Liège : « une image antique d 'yvoire à
deux figures d'hommes à la romaine bien entretaillécs. »
Il est difficile de déterminer l'époque où le diptyque
d'Anastasius a disparu de la cathédrale Saint-Lambcrl : ce
doit être au plus tard en 1794, lors de la destruction de
l'église elle-même. En toute hypothèse, il n'est pas ))crmis
de maintenir l'affirmation que le diptyque est encore conservé
aujourd'hui dans l'église de Saint-Lambert, puisque celle-ci
elle-même n'existe plus. C'est là une erreur des auteurs qui
en sont encore aujourd'hui aux renseignements puisés chez
Wiltheim.
— Le diptyque d'Anastasius a donné lieu à un procès
célèbre dans les fastes de la curiosité : il importe de rétablir
les faits sous leur véritable jour; car la version erronée, qui
a paru dans les journaux de l'époque, a été insérée dans des
ouvrages sérieux d'archéologie, comme l'ouvrage du comte
van den Steen sur la cathédrale de Saint-Lambert, et même
elle a été accompagnée de détails absolument de fantaisie,
dans les Documents et rapports de la Société paléontologique
et archéologique de Charleroi, IX, p. 40j, où il est dit no-
tamment que le diptyque a été acheté 40,000 francs par le
Gouvernement belge et a figuré à une place d'honneur dans
les vitrines de la porte de Hal.
De plus, le Catalogue des œuvres publiées par la Société
(i) RoswEYDE, /. cil , cite lin passage iiilérossant d'Eklicliard (moine de Saint-
Gall) sur ces cnpsae.
(2) Ms. n" 9i (649), appartenant ii M. le comte d'OnUremont, p. ôlO.
— 190 —
royale belge de plwlographie (société Fierlants), p. 58,
Première série des reproductions du Musée royal d'anti-
quités, d'armures et d'artillerie de Bruxelles, porte, n° 509 :
« Le diptyque de Liège, ivoire du viii® siècle. Dimensions
0™3iiXO'"28. Ce diptyque ayant été reconnu faux ne se trouve
plus au Musée. » C'est là une triple erreur; le diptyque
de Genoels-Elderen (et non de Liège) auquel cela s'applique
est du vil* siècle et c'est l'une des pièces les plus importantes
du Musée de Bruxelles, où n'a jamais figuré le diptyque de
Liège que depuis qu'il a été reconnu faux, mais présenté
comme faux (voir plus loin).
Rétablissons les faits :
M. Weale, sujet anglais, résidant à Bruges, avait été
nommé membre correspondant de la Commission royale
des monuments.
Cette Commission se réunissait alors en assemblée géné-
rale annuelle à Bruxelles, et M. Weale, à l'une de ces
séances, en décembre 1863 (i), s'écria :
« Je passe à une autre observation et j'appelle sur ce
point l'attention de la Commission.
» Il y a environ un siècle, a disparu de la cathédrale de
Liège un objet d'une grande importance : le célèbre diptychon
leodiense, publié en gravure par le père Wiltheim en
1659... Le diptyque, un monument national important, est
à vendre; un de mes collègues vient de me dire que l'Uni-
versité de Liège n'a pas de fonds pour l'acquérir. Je signale
cette circonstance pour que le Gouvernement belge puisse
l'acheter. Si le Gouvernement belge ne l'achète pas, je pré-
(i) Bull, (les Comin. roij. d'art et (l'nrchéol., MF, p. I6i.
— lOi —
fère qu'il soi! dans un musée public, et pour cela, je vais
engager un archéologue de Londres, avec qui je suis en
correspondance, à en faire l'acquisition pour le Musée bri-
tannique. »
De plus, M. Weale avait parlé à la Commission des mo-
numents, en même temps que du diptyque, d'un évangé-
liaire récemment vendu à un Anglais pour 6,000 francs,
et l'on savait à Liège que M. de Crassier avait réellement
vendu à M. Boone, de Londres, un évangéliaire pour 0,000
francs.
L'appel d'un étranger qui passait pour connaisseur et
qui n'avait pas ménagé ses critiques à l'administration belge,
ne pouvait manquer d'attirer l'attention de celle-ci; immé-
diatement les fonctionnaires compétents, croyant M. Weale
sur parole — ce fut leur seul tort — se mirent en relation
avec le possesseur du diptyque, M. X..., de Liège, avec
d'autant plus d'empressement que MM. Hagemans et Ulysse
Capitaine, des archéologues connus, avaient écrit à M. Juste,
-conservateur du Musée de Bruxelles, que M. le baron de
Crassier, mort en 1863, avait conservé des objets provenant
de son aïeul, et que le possesseur du diptyque afiirmait le
tenir de la famille de Crassier : or, celle-ci, le fait était" de
notoriété, avait possédé au moins un des feuillets d'un des
diptyques de Liège.
La négociation allait se conclure, et le prix de 20,000
francs allait être payé, lorsque l'attention fut opportunément
appelée par des savants étrangers sur la circonstance que
les deux feuillets du diptyque de Saint-Lambert existaient
encore et étaient, l'un à Berlin, l'autre à Londres.
L'exactitude de ce renseignement fut vérifiée et le marché
— 102 —
fut ronipu : jamais le diptyque n'a figuré comme vrai dans
I«s vitrines du Musée.
Une poursuile pour escroquerie fut dirigée contre le ven-
deur, qui prétendait tenir depuis 18G2 le diptyque des mains
d'un descendant du baron de Crassier, le collectionneur du
xviii" siècle.
Un des témoins, M. Schaepkens, de Maastricht, fondateur
de la Société archéologique du Limbourg, affirma que
M. Weale lui avait dit avoir vu le diptyque chez M. de
Crassier (i), « // m'a même, ajoutait-il, désigné l'endroit où il
était placé chez M. de Crassier; la conversation a eu lieu en
présence de M. de Bleser, chanoine de la cathédrale et
secrétaire de l'Exposition archéologique du Congrès. »
M. Weale, interrogé lui-même, dit être allé une seule fois
chez M. de Crassier : « il ne m'a pas, dit-il, parlé du diptyque;
mais il m'a entretenu d'un évangéliaire, et, je pense, d'un
diptyque de Saint- Lambert. »
Sur cette équivoque d\m diptyque et du diptyque, et sur
ce fait que le baron de Crassier, le collectionneur du
xviii* siècle, avait réellement possédé le diptyque d'Asty-
rius, le tribunal de Liège, par jugement du 2;2juin 1866,
renvoya le prévenu des poursuites : ce jugement fut depuis
réformé par arrêt de la Cour d'appel, en date du 31 janvier
1867, et le prévenu fut condamné du chef non d'escro-
querie, mais de tromperie sur la nature de l'objet par lui
vendu, à six mois d'emprisonnement, peine qui fut com-
muée en une peine de 2,000 francs d'amende.
(() A la vérité, un autre témoin disait avoir la conviction que M. Weale avait
vu pour la première fois le diptyque au musée de la porte de liai. Mais alors que
devient l'atTirmation de M. Weale à l'assemblée de la Commission des monuments?
— 195 —
Un des éléments de l'instruction avait été une expertise
judiciaire pour vérifier si le diptyque offert en vente était
authentique.
Cette expertise, confiée à des archéologues émériles, révéla
par la comparaison de moulages des originaux, que le gra-
veur Natalis, auteur des planches de l'ouvrage de Willheim,
avait mis du sien (comme on dit vulgairement) dans la
copie du diptyque, en y imprimant le style du xvii* siècle,
et en formant un dessin, non pas tel que l'artiste de Gon-
stanfinople l'avait conçu, mais tel que lui, Natalis, l'aurait
exécuté si on lui avait commandé le diptyque à lui-même.
De plus, Natalis avait négligé certains détails, comme la
claire-voie des portes de l'amphithéâtre, par où on pouvait
voir ce que se passait dans l'arène.
Enfin, Natalis avait, pour l'effet, exagéré les omhres.
Or, le faussaire moderne avait imité avec une exactitude
scrupuleuse le dessin de Natalis, dont son œuvre était un
fac-similé absolu qui exagérait encore en l'accentuant le
cachet personnel mis par le graveur à son œuvre.
L'expertise révéla, en outre, que la teinte de vétusté de
l'œuvre y avait été donnée par un enduit de gomme arabique
et de terre de Gassel; que quelques-unes des fendilles étaient
artificielles et n'intéressaient que la superficie; qu'elles
avaient été faites à l'aide d'un outil, et qu'elles étaient dans
une direction contraire à celle des fibres de l'ivoire.
Il y avait donc falsification évidente.
De plus, depuis le procès X..., le nom du falsificateur
a été révélé à la justice.
Un Allemand nommé Esser, s'occupait à Liège, avec une
habileté incomparable — et digne certes d'un meilleur em-
— 194 —
ploi — à fabriquer, pour tromper les collectionneurs, des
reproductions d'objets antiques, dont plusieurs, assure-t-on,
ont trouvé place dans des collections célèbres.
Il avait eu des démêlés avec Silvie Mardaga, épouse
Lepaffe, revendeuse à Liège, qui le signala au parquet, par
dénonciation en due forme, comme auteur du faux dip-
tyque.
Une instruction fut ouverte contre la signataire de la
dénonciation et Silvie Lepaffe, dont c'était précisément le
but, démontra par de nombreux témoins, qu'en effet Esser
avait un jour fait scier des plaques d'ivoire de la grandeur
des feuillets du diptyque, et qu'après avoir travaillé pendant
plusieurs mois à l'imitation des gravures de Willheim, il
avait mouillé les plaques, les avait exposées à un soleil
ardent, pour les fendiller, puis les avait fait entre auîres
traîner pendant longtemps parmi les poussières et des toiles
d'araignée, dont il avait pris soin d'activer l'action par le
frottement, etc.
L'épouse Lepaffe fut renvoyée des poursuites.
L'instruction n'a pas révélé si, cette fois, Esser avait
travaillé sur commande d'un tiers, et il allait, sans doute,
être poursuivi lui-même quand il vint à décéder, de ma-
nière qu'on n'est pas parvenu à connaître la relation que
cette affaire pouvait avoir avec la précédenle, et notamment
si le prévenu X... avait trempé dans la falsification.
L'auteur du présent article, lors du premier procès, était
chef du parquet de l'arrondissement de Liège, il suggéra
l'idée de ne pas laisser mettre aux enchères parmi les « pièces
de conviction » vendues périodiquement, l'instrument du
délit pour lequel X... avait été condamné, et le département
— 195 —
des finances, propriétaire du faux diptyque, à titre d'objet
confisqué, consentit à se dessaisir de la pièce fausse au pro'fit
du Musée royal d'antiquités, où l'on peut voir aujourd'hui
l'œuvre d'Esser, non pas exposée comme objet véritable,
mais dans une série spéciale formée de surmoulages, imi-
tations, etc. (i).
Il n'est peut-être pas sans intérêt de faire remarquer qu'à
l'époque même où se vidait devant la justice belge l'inci-
dent (lu faux diptyque de Liège, un autre diptyque d'ivoire,
également faux et également reproduit d'après une ancienne
gravure, était signalé par M. Passy à la Société des anti-
quaires de France (2) : M. de Longpérier appelait alors
l'attention sur les faussaires qui, croyant les originaux per-
dus, imitaient d'anciennes gravures avec leurs défauts, el
lançaient dans la circulation des fac-similé pour tromper
les collectionneurs.
Le compte rendu qui précède est un indice tendant à
faire croire que Liège pourrait bien avoir été un centre de
fabrication de fausses antiquités, et spécialement d'ivoires,
dont des diptyques.
H. SCHUEP.MA.NS.
Liège, juin 1884.
(1) On voudra bien leojarqucf qac !'uuleiii-, en priiscnlaut la rectificalion des
faits ci (icssiis, est absobment désintéressé : il ne faisait pas, en 186i, partie
de la Commission du musée royal d'antiquités.
{•î) Bulletin, 1866, p. 4b.
— 190 —
P. S. Dans sa dernière séance, la Commission du Musée
royal danliquités, à qui j'avais donné connaissance de la
partie finale de cet article, a cru qu'il était enfin temps de
rectifier la « légende du diptyque de Liège » reproduite
récemment encore, non plus dans des articles de journaux,
mais dans un ouvrage imprimé d'environ 4I)() pages(i). Elle
a pense (|u'il y avait lieu de rétablir les faits et elle m'a
chargé, dans cette intention, de prendre connaissance du
dossier. Il s'agissait notamment de mettre bien en lumière
le point important que, dès le début, avant toute intervention
de savants étrangers , la Commission avait manifesté le désir
de détacher de leur armature les revers du diptychon leo-
diense pour y vérifier les inscriptions constatées par
Wiltheim : à défaut de procès-verbaux que la Commission
ne tenait pas alors, il y avait lieu surtout d'apjiuyer de
preuves formelles les souvenirs très précis de ceux des
membres de la Commission d'alors, qui sont encore en
fonctions aujourd'hui.
Malheureusement le dossier ne contient de traces que de
la correspondance avec les savants étrangers et ne constate
pas les pourparlers qui avaient eu lieu directement avec le
prévenu X....
Mais un témoin précieux est ce prévenu lui-même, qui,
d'après la sténographie de l'audience, publiée par un journal
de Liège, la Meuse (n° du 22 juin 1806), fit la déclaration
que je vais reproduire textuellement.
Après avoir rapporté les négociations, le prévenu ajoutait :
tt Considérant cet objet comme une relique, je ne voulus
{^) Cet ouvrage, à sa p. 32, aspire à être lu encore au xx< siècle .: il est donc
bon de prendre ses précautions contre la légende.
— 197 —
pas qu'on le tirât de son enveloppe afin d'y voir les iuscrin-
tions, parc«^ que je craignais (m'on ne le brisât. Du reste,
celui qui l'a fabriqué aurait pu, me semble-t-il, faire aussi
les inscriplions qui doivent se trouver au dos du vrai dij)-
tyque. Ayant entendu formuler des soupçons sur l'aulben-
ticité du diptyque, j'écrivis à M. Juste, pour le prier de sus-
pendre le mandat.
» M. Juste m'informa qu'un Anglais qui avait vu !e dip-
tyque lui avait dit qu'à Londres il y avait une partie en tons
points semblable de ce diptyque. Là dessus,... jeAni donnai
une décharge par laquelle je l'autorisais à faire sortir les
plaques d'ivoire de leur cadre, afin de s'assurer de l'authen-
ticité des inscriptions. »
Il résulte de la série des circonstances de cette narration
que l'autorisation fut accordée quand il n'y avait plus moyen
de la refuser, mais qu'elle avait été demandée dès le début,
tant la Commission considérait la vérification comme déter-
minante : or, la légende ici réfutée va jusqu'à la représenter
comme s'y étant opposée. . . ,
En tout cas, le prévenu, par sa déclaration, contredit une
énonciation du jugement du tribunal de Liège, qui semble
critiquer l'abstention de toute vérification des revers.
— L'examen du dossier m'a, en outre, révélé une série
de détails intéressants :
4" Le feuillet de Berlin laisse apparaître à son revers,
contenant des inscriptions religieuses, des traces de lettres
et même de mots que le jésuite de Tornaco n'y a pas aper-
çues; il en est de même d'un ou deux mots du feuillet de
Londres. (Renvoyé, comme rentrant dans sa spécialité, au
collègue, le chanoine Reusens, qui vérifiera si la photo-
— 198 —
graphie des deux revers ne permellrait pas de reconstituer les
inscriptions tout entières. On sait que ce procédé a été
employé eflicacement pour de vieilles écritures sur parche-
min : là où l'encre avait pâli, elle n'en avait pas moins rendu
mate la surface jadis couverte de caractères, et cette surlace
reparaissait, distincte de la partie reluisante, à l'aide de la
reproduction photographique.)
2" Le procès a révélé la présence à Liège de l'usine de
contrefaçons indiquée ci-dessus. Le numéro de la Meuse
cité ci-dessus donne un narré des circonstances qui ont pré-
cédé la poursuite ; « C'est à la suite de ces faits et sur un
bruit qui avait couru qu'on fabriquait à Liège, depuis assez
longtemps déjà, de faux objets d'antiquité, qui étaient vendus
ensuite comme authentiques et à des prix élevés, que l'au-
torité judiciaire fut saisie de l'affaire. »
Le premier témoin, M. Ulysse Capitaine, disait en effet :
« Au commencement de l'année 186.i, M. Simonis,à propos
du jirocès relatif à la statue de Godefroid de Bouillon,
m'avait dit qu'il y avait à Liège une fabrique d'objets d'an-
tiquilé et que la statuette représentant Godefroid de Bouil-
lon qui avait été la cause du procès, sortait de cette
fabrique. »
Or celte statuette, qoe M. Mouriau avait exposée à Malines
(et qui est aujourd'hui dans la colleclion de M. Gielen, à
Maeseyck), est en ivoire...
Cela tend à confirmer l'hypothèse ci-dessus rapportée (i).
(<) Une lettre du 7 novembre 18Gi, de M. UE I.ongpéiuer, cité ci-dessus
a propos d'un faux diptyque d'ivoire, fait voir que ce savant distingué est allé k
Bruxelles vériûer le diptyque faux, sans doute pour étudier la relation des deux
afîaires.
— 19t) —
5" Quant à Esscr, sculpleur à Lièg(3, il av;iil coii)|iaru
comme témoin au procès X... ; il y avait déclaré : « Il y a
lieux ans, X. . . m'a remis ce diptyque qui était sale et couvert
de poussière, comme s'il était resté longtemps dans un gre-
nier. Il me l'a remis pour le laver sans me faire de recom-
mandation ; je l'ai lavé avec de l'eau de savon et un pinceau
et je suis prêt à le laver encore si on le désire. »
C'est du chef de cette déposition, reproduisant une alléga-
tion du prévenu X..., que Sylvie Lepaffe dénonça Essor
comme faux témoin : la poursuite contre la dénonciatrice
est du mois de février 1868.
A\ M. le chevalier de Theux de Monjardin possède,
comme étant de Natalis, non seulement le dessin de la gra-
vure d'un des feuillets du diptyque d'Anastasius, mais aussi
d'un des feuillets de celui d'Aslyrius : si l'attribution faite
à Natalis de ce dernier est fondée, il y a à corriger une des
énonciations ci-dessus. Mais il n'en reste pas moins vrai que
l'exécution de la gravure du diptyque d'Aslyrius est infé-
rieure et de beaucoup à celle de l'autre.
5" Le fôuillet de Berlin du diptyque d'Anastasius apparte-
nait, avant 1852, à la collection de M. le capitaine de Rosen-
berg, à Berlin ; il passa dans les mains de l'antiquaire Arnold,
qui, en 1853, le céda aux musées royaux de Berlin (Ren-
seignements de M. d'Olfers, directeur de ces musées). Le
27 janvier 1857, ce feuillet fut transféré de V Antiquarium
de Berlin à la Kunst-Kammer de la même ville. (Rens. de
M. Franks);
G" Le premier feuillet de ce diptyque, celui qui est actuel-
lement à Londres, doit avoir été acheté par M. Webb pour
12,000 francs des mains de M. Carraud, qui parait avoir été
— 200 —
un simple intermédiaire agissant au nom de M. Eug. Piol,
de Paris : mais ce dernier détail n'est articulé que comme
ouï-dire et s'établit sur certaines coïncidences plutôt que
sur des faits positifs.
7" La déposition de M. Schaepkens est encore plus précise
d'après la sténographie de la Meuse que d'après le procès-
verbal d'audience : « Lors de l'exposition de Malines, M. Wée
(Weale) m'a dit qu'il avait vu ce diptyque chez M. de
Crassier, dans un petit grenier au-dessus d'un cabinet. Il
m'a tenu ce propos en présence de plusieurs personnes. »
8" Enfin, un détail du dossier donne lieu d'espérer qu'on
pourrait bien retrouver le premier feuillet du diptyque
d'Astyrius.
« Un archéologue distingué a dit avoir vu dans le trésor
de la cathédrale d'Aoste (en Piémont), un diptyque consu-
laire ayant environ un tiers de moins que le diptyque d'Anas-
tasius, et n'ayant pas de sujet au-dessous : il ne s'y trouve
que le portrait. »
Cette description concorde parfaitement avec celle du dip-
tyque d'Astyrius, et le détail est d'autant plus intéressant
que les dimensions et les dispositions de ce diptyque sont
tout à fait exceptionnelles.
Dès que la publication du présent article avec ses planches
sera achevée, un exemplaire sera envoyée à Aoste pour
vérifier celte indication, qui semble importante.
H. S.
COMMISSION ROYALE DES MONUMENTS,
BESUME DES PROCES-VERBAUX.
SjlANCES
des .s, 10, 17, 24 et 31 mai; des 7, 14, 21 et 28 juin 1884.
ACTES OFFICIELS.
Par arrêté royal du 14 mai 1884, M. Louis Van Bics- ^"■^'^T ,
•' ' coriespon'Iant.
broeck, statuaire, professeur à rAcadéniie royale des
Beaux-Arts de Gand et à l'Ecole industrielle de la même
ville, est nommé membre correspondant de la Commission
royale des monuments pour la Flandre orientale, en rem-
placement de M. Cil. Onghena, démissionnaire.
PEINTURE ET SCULPTURE.
La Commission a émis des avis favorables sur :
i" La proposition de M. Primen, restaurateur de tableaux, pJli^î'LëoH'i.
pour le rentoilage, aux frais de l'Etat, du tableau de Van
Brée, représentant Godefroid de Bouillon déposant son
épée sur le tombeau du Clirist. Ce tableau est placé dans
l'église de Bourg-Léopold (Limbourg);
— 205
"io'Lo'lfvàln.*' 2" Les nouveaux encadrements projetés pour les pein-
tures de la salle gothique de l'hôtel de ville de Louvain
(Drabanl); auteur, M. Van Ysendyck. Tout en donnant
celle approbation, le Collège persiste à penser que le prin-
cipe admis pour la décoration générale de la salle n'est pas
celui qui convenait ;
de Mclei'^Dies. 5° Le projct relatif à la décoration du chœur de l'église
de Mévorgnies (Hainaul).
de la^Naîion — ^^^ délégués OUI cxamlué , dans les ateliers de
M. Fraikin, la maquette de la statue de Léopold P', destinée
au Palais de la Nation. Ils ont été d'avis qu'il y a lieu d'ap-
prouver ce travail.
COiNSTRUCTIONS CIVILES.
La Commission a approuvé :
Aiicieune Halle j •' i^'octroi d'uu Houvcl acomptc de 20,000 francs sur
aux draps i '
de Tournai. Jq sn^j^jj^. iq(^1 Jq 1 "20,000 fraucs accordé par l'Etat pour
les travaux effectués présentement pour la restauration de
l'ancienne Halle aux draps de Tournai (Hainaut);
"ifBruxXl''' 2" Le projet dressé par le seivice des bâtiments civils
pour l'appropriation en musée d'histoire naturelle des locaux
du Parc Léopold, à Bruxelles;
^ «"^'^''m" , 3" Le projet relatif à la construction d'une habitation de
de Middeikurke. ' ••
directeur à l'hospice des enfants rachiliques à Middelkerke
(Flandre occidentale) ; architecte, M. Beyaert;
a"ilVtembour*|; ^^ ^^' P'^jcl drcssé par M. l'architecte Baclène pour
l'appropriation en hôtel de ville de l'ancien bâtiment dit
VArse?ud, à Mariembourg (Namur);
Êcoienormaie 5« j^es plaus dc l'écolc nomialc à ériu:er à Jodoiffne
i Jodoigoe. ' o c5
(Brabant); architecte, M. Blandot;
— 203 —
6" La proposilion du Gomilé provincial des corrcspon-Q"»j,»;'«^'"^^''»'"-
dants d'Anvers tendante à faire lever le plan et exécuter le
dessin architectural du Steen et du Bourg d'Anvers, actuel-
lement dégagés par suite des travaux qu'a nécessite l'éta-
blissement des quais de l'Escaut.
— Des délégués se sont rendus, le 13 mai 1884, à Ypres luues dvprcs.
(Flandre occidentale), pour procéder à l'examen des tra-
vaux de restauration et d'ameublement exécutés dans le
bâtiment des Halles de celte ville.
Ces travaux comprennent : à l'étage, dans la grande
salle : le placement de bancs en chêne du côté des peintures
murales de M. Pauwels ; au rez-de-chaussée : le déblaie-
ment et la restauration de la partie sud et ouest, où l'on
a établi un marché couvert, et qui pourra servir également
de lieu de réunion dans des cas donnés : fêtes, réjouissances
publiques, etc.
Les délégués ont été d'avis qu'on ne saurait approuver
l'exécution des bancs placés dans la salle de l'étage et dont
les assemblages sont mal combinés. Chaque dossier est
composé de panneaux formés chacun de dix planchettes et
encadrés dans une moulure terminale. Les dix planchettes
d'un panneau sont collées l'une à l'autre et chaque panneau
est indépendant. Il résultera inévitablement de ce mode
d'exécution un retrait entre les panneaux. Ce retrait ne
pouvant, par suite de la jonction des |)lanchettes, se répartir
imperceptiblement entre chacune d'elles, deviendra la
somme de tous les retraits partiels avortés et pourra at-
teindre la dimension de 1 , 2 centimètres d'ouverture,
peut-être davantage. Pour obvier à cet inconvénient, il sera
nécessaire de rendre les planchettes indépendantes l'une
— 204 —
de l'autre et de les assembler, en les assujélissanl au moyen
de tenons placés un en haut et un en bas de chacune d'elles.
On a constaté, en outre, qu'il conviendrait de placer un
banc supplémenlaire au-dessous de la dernière composition
de M. Pauwels. Ce banc, qui ne pourrait occuper toute la
largeur de la travée, par suite de la porte et de l'escalier
qui s'y trouvent, serait placé entre cet escalier et cette porte,
de manière à laisser un espace égal libre de part et d'autre,
et soutiendrait avantageusement la grande composition
précitée.
La bande continue ménagée au bas des peintures pour
recevoir une traduction française des inscriptions flamandes
qui se déroulent au-dessus des compositions, a été peinte
à tort dans un ton différent et avec des inscriptions de ca-
ractères plus petits, resserrés entre des ornements inutiles.
On obtiendra, à la fois, plus d'effet et de caractère en re-
nonçant à toute ornementation parasite et en adoptant, pour
le bas comme pour le haut, des inscriptions sur fond rou-
geâtre uni, disposées sur plusieurs lignes.
Les délégués ont ensuite visité le rez-de-chaussée des
Halles et ils ont émis l'avis que la restauration en avait été
exécutée d'une façon très satisfaisante, La mise à nu de l'ap-
|)arcil (le la construction produit partout l'effet le plus
heureux. Il est à regretter que les étagères destinées à rece-
voir les objets de consommation aient été ornées de décou-
pures en bois d'une coquetterie inopportune et qui jure
avec la simplicité du lieu. Des formes robustes et sans
ornoinonts, comme celles qui distinguent toute la char-
pente des Halles, eussent mieux convenu.
Dans le môme ordre d'idées, on doit eriti(|uer la boiserie
— 20'i -
du bas des fenêtres qui a paru mince et les châssis de
plomb des verrières, dont l'épaisseur est insuffisante.
Ces réserves faites, les délégués ont émis l'avis qu'il y a
lieu de recevoir les travaux et de donner à la demande de
l'administration communale la suite qu'elle comporte quant
à la liquidation du solde du subside accordé par l'Etat.
M. le bourgmestre s'est entretenu avec les délégués au
sujet du genre de décoration qui pourrait convenir à la
suite des galeries de l'étage des Halles. On a d'abord désap-
prouvé l'idée de boucher les fenêtres donnant sur la cour,
pour ne conserver que celles qui ouvrent sur la place ;
toutes les baies devront rester libres. Mais la lumière
provenant de deu.x côtés à la fois, on ne pourra exécuter
ici, comme dans la galerie contiguë des tableaux, que ce
double éclairage ferait miroiter.
Des motifs de sculpture, disposés entre les fenêtres et en
d'autres endroits de la galerie, ont permis de constater
qu'une décoration sculpturale, dont il avait été aussi ques-
tion, devrait être également rejetée; elle n'aurait à celte
place ni accent, ni effet.
Les délégués préféreraient une décoration qui prendrait
pour type le pavement de la cathédrale de Sienne. Elle
consisterait, comme à Sienne, en silhouettes découpées et
remplies par un ton uni que fourniraient soit des plaques
de marbre, soit des ciments colorés. Le travail serait com-
plété par des contours très écrits et les hachures usitées
dans les sgraffti. On pourrait encore trouver moyen de
varier cette ornementation par des nielles et des incrusta-
tions de cuivre, etc., telles que celles des pierres tombales
du moyen âge et de la Renaissance.
— 206 — ,
Des compositions de ce genre, bien conçues et exécutées
avec goût par des artistes compétents, seraient certainement
d'un grand effet décoratif et auraient au moins le mérite de
sortir de la banalité.
ÉDIFICES RELIGIEUX.
PRESBYTÈRES.
Ont été approuvés :
Pnsbytere 40 ^çg travaux d'entretien à exécuter au presbytère
d'Eynthout (Anvers) ;
Prpsbvièrc 2° Leproiet relatif à la construction d'un presbytère pour
^ *""'''• la paroisse de Saint-Willebrord, à Anvers.
ÉGLISES. — CONSTRUCTIONS NOUVELLES.
La Commission a émis des avis favorables sur :
BoisSRaLrt. 1° Lcs plBHs rclatlfs à l'achèvement de l'église de Bois-
sous-Ransart (Hainaut); architecte, M. Tirou;
saime-Mario. 2" La pTopositiou dc reprendre' les travaux de construc-
à sci.aer eo . ^.^^^^ dcpuis longtcmps suspendus, à l'église de Sainte-Marie,
à Schaerbeek lez Bruxelles, et de les conduire jusqu'à leur
entier achèvement;
Monfv-Amand. ^^ ^cs modificatious apportées dans le cours de l'exécu-
tion aux travaux de construction de l'église de Mont-Saint-
Amand (Flandre orientale) ; architecte, M. Iloste ;
de crSvernas. "^^ Lc projct relatif à la construction d'un jubé dans l'église
de Cras-Avernas (Liège) ;
de litre S" Les dessins relatifs au projet d'ameublement dc l'église
dc La Ilestre (Hainaut); auteur, M. Bonnet;
— 207 -
IIS Liiiii'U'tlo.
6° La demande d'autorisalion soumise par le conseil de
fabrique de l'église de RolTesart-sous-Limcleltc (Bral);inl)
et relative au placement d'un buffet d'orgue el d'une cloche,
dons d'un particulier ;
7° Les plans de deux autels latéraux destinés à l'éLdise,. .^kI'^i;'" ,
r o N. D. (le l'aini-le,
de Notre-Dame de Pamele, à Audenaerde (Flandre orien- '' '^""•="'"'^''-
taie); architecte, M. Van Assche;
8" Le projet relatif à la construction d'un beffroi à l'église''*^"^'"''' °""'^
de Desnié, commune de la Reid (Liège); architecte,
M. Hansen.
TRAVAUX DE RESTAURATION.
La Commission a approuvé :
1" Le devis estimatif des travaux à effectuer à la tour .nStm.t.
de l'église d'Eynthout (Anvers); architecte, M. Taeymans;
'2'^ Le nouveau devis estimatif des réparations à exécuter Eguse
'l'Hcriniies.
à l'église d'Hérinnes (Brabant), remplaçant l'évaluation pré-
cédemment adoptée;
3" Le projet modifié pour la restauration complète de EgUsdie Fumai,
l'église de Fumai (Liège); architecte, M. Jamar;
A° Le projet dressé par xVL l'architecte De Gurte pour la ^giise
• •' ' f de Sainl-Bavon,
restauration de la quatrième tourelle du Iransept de l'église *^"''^'
de Saint-Bavon, à Gand, et l'exécution des flèches d'amor-
tissement des quatre tourelles dudit transept;
5'' Le devis estimatif des réparations projetées à une purlie. lît^nse
Saint-I'icrre,
des toitures de l'église de Saint-Pierre, à TurnJiout (Anvers) ; ^ r'-rui'om.
architecte M. Taeymans;
6° Le devis estimatif des réparations projetées aux toitures RgUs,-
de l'éfflise des SS.-Picrre-et-Paul, h Malines, architecte, ' •■iP''"!-
M. Meyns;
— 208 —
de M^eerendré, 7° Le plan (Igs travaux supplémenlaires, exécutés sous la
direction de M. Van Assche, pour compléter la restauration
de l'église de Meerendré (Flandre orientale);
de Marguerite- 8° Lc uouveau projet dressé par M. l'architecte Frische
laFicre.
pour la restauration de la chapelle de Marguerite-la-Fière,
édicule adossé au chevet de l'église de Saint-Pierre, à
Louvain ;
de saS-Queniin, *^° ^c comptc dcs travaux de restauration exécutés en
1883 à l'église de Saint-Quentin, à Hasselt, ainsi que la
proposition de continuer, par voie de régie, les ouvrages
restant à faire pour compléter la restauration de l'édifice.
dcSafifi-Hubeii. — La Commlssiou émet également un avis favorable sur
la demande du conseil de fabrique de l'église abbatiale de
Saint-Hubert (Luxembourg), tendante à obtenir l'autorisa-
tion de poursuivre les travaux de restauration de cet édifice
et d'en confier la direction à M. Helleputte, professeur
d'architecture à l'Université de Louvain. Il y aura lieu,
toutefois, ainsi que le recommande le conseil communal de
Saint-Hubert, de dresser au préalable un devis complet des
travaux qui doivent assurer la restauration du monument.
, ,'r8'*s« . — Des délé2;ués se sont rendus à Yprcs, le 15 mai 1884,
de Saïut-Marlin, ^ '
^^^'^'' pour y inspecter la façade sud de l'église de Saint-Martin,
dont l'état de détérioration élait signalé par le bureau des
marguilliers et par un rapport à l'appui de M. Ileynincx,
architecte communal. Les dégradations sont fort apparentes
et ne font que s'aggraver de jour en jour; des clochetons
entiers ont dû cire enlevés d'office pour éviter des accidents ;
les crochets des pinacles sont en maints endroits détériorés
ou détruits, et des pinacles mêmes menacent ruine. Il sera
donc nécessaire de prendre des mesures immédiates en vue
— :2()9 —
(l'une reslauralioii. A cet effel, on devra enlever les parties
ruinées ou menacées et les réiablir dans l'élat ancien, en
remplaçant dans la construction la pierre de France dont on
s'était servi pour le travail précédent par de la pierre dure
du pays.
— Des délégués ont inspecté, le 3 juin 1884, l'église et ^e v^iusan.
le presbytère du hameau de Vieusart, commune de Corroy-
le-Grand (Brabant), afin d'en vérifier l'état de construction.
Ils ont constaté que le mortier employé dans toute la
construction est de fort mauvaise qualité et qu'il se désagrège
de lui-même aux endroits exposés aux vents d'ouest et à la
pluie. Le sable qui entre dans sa composition est du sable
doux, qui a été pris sur place lorsqu'on a creusé les fonda-
tions, tandis qu'on aurait pu se procurer du sable rude de
Mont-Saint-Guibert,dont l'excellence est reconnue. Il résulte
de ce procédé que la cohésion des briques n'est nullement
assurée.
A la toiture de l'église, les ardoises affectent la forme
hexagonale et sont placées de manière à présenter un pureau
de 15 1/2 cenlimèlres. Mesurant ainsi par leurs bords une
étendue plus considérable que ne le feraient des ardoises de
forme rectangulaire, il est évident qu'elles doivent donner
un accès plus facile à la pluie et a la neige. L'humidité,
gagnant ainsi les combles, arrive à saturer le plafonnage des
voûtes. C'est peut-être à cette cause qu'il y a lieu d'attribuer
la chute d'une des rosaces du plafond de la nef principale :
l'ornement s'est détaché et s'est écrasé sur le pavement de
l'église. Celle-ci étant alors heureusement déserte, il n'y a
pas eu d'accident à déplorer. 11 est vrai qu'un autre motif à
cette détérioration serait aussi plausible : si, comme tout
— Clo-
porte à le croire, les rosaces ont été fixées au moyen de
plâtre sur un enduit qui n'a pas une consistance suffisante,
il est à craindre que le fait ne se renouvelle avec des consé-
quences peut-être plus sérieuses.
Une lézarde d'une insignifiance relative existe à la façade
delà tour de l'église; elle n'est probablement due qu'aux
infiltrations qui se produisent par les joints des pierres de
bordure de l'oculus, auxquelles il n'a pas été donné d'incli-
naison permettant aux eaux pluviales de s'éconler instantané-
ment
La façade du presbytère, située à l'ouest, est exposée par
suite de cette orientation, aux vents et aux pluies. L'humi-
dité y est en quelque sorte permanente et ses traces se mani-
festent 011 ne peut plus visiblement à l'intérieur des pièces
d'habitation situées de ce côté.
Le sol du jardin du presbytère est en déclivité et toutes
les pentes sont ramenées contre les murs du bas, ce qui
occasionne, lors des grandes pluies, une poussée des terres
et par suite une tendance à se disjoindre pour les matériaux
composant les murs; de là les crevasses et lézardes qui se
sont produites uniquement vers celte partie basse de la
clôture.
Pour parer aux diverses dégradations et défectuosités
signalées, il conviendra de prendre les mesures suivantes :
Pour les constructions :
Après avoir préalablement nettoyé les joints le plus pro-
fondément possible, on procédera à un rejoinloiement pour
lequel on se servira de mortier composé par moitié de chaux
hydraulique de Tournai, n" 5, et de sable rude de Mont-
Suint-Guibcrt, gâché avec le plus grand soin. Ce rejointoie-
— 211 —
menl devra s'(*lendre à loules les surfaces bàlies, tant de
l'église que du presbylèrc et des murs de clôture. Ce n'est
qu'après celte opération que l'on pourra ardoiscr la façade
ouest du presbytère pour la proléger contre riiuniidilé.
Dans son état actuel, les clous destinés à fixer les ardoises
ne tiendraient pas au mur.
Il y aura lieu, ainsi que le propose l'architecte, de couvrir
l'entrée de la cave du presbytère pour empêcher l'entrée
des eaux.
La lézarde de la façade de l'église sera bouchée et les
joints de l'oculus fermés au moyen d'un mortier spécial ; le
bas de l'oculus devra èlre taillé en pente débouchant sur un
larniicr qui rejette l'eau en saillie sur la façade.
Le pureau des ardoises de la toiture devra être réduit et
les rosaces de l'intrados de la voûte de la nef principale
seront consolidées d'urgence.
Quant aux moyens qu'il faudra employer pour préserver
les murs de clôture du jardin des lézardes et des déchire-
ments, il y aura lieu d'établir, à r^50 ou 2 mèlres des murs,
des contre-pentes, afin d'en écarter les eaux pluviales.
M. l'architecte Coulon a soumis, le 26 avril 1884, un devis
estimatif des réparations projetées à l'église et au presbytère
de Vieusart, au montant de (320 francs, faisant suite à un
autre devis, à la date du 28 août 1885, pour ardoiser la
façade du presbytère. Ce devis, pour les postes (ju'il signale,
a paru pouvoir être approuvé. On a toutefois fait remarquer
que, par suite des mesures indiquées pour parera la poussée
des terres contre les murs de clôture, un ancrage serait
superflu à l'angle S.-E. du jardin de la cure. Le devis a
paru, en outre, insuffisant quant aux surfaces à rejointoyer.
— 212 —
La porte principale de l'église a déjà été réparée; ce poste
devra donc être supprinfié.
Le Secrétaire Général,
J. Rousseau.
Vu en conformité de l'article 25 du règlement.
Le PrésiJ&?ii,
Wellens.
DE L^INFLUENGE DE L'ART FLAMAND
SUR LES ORIGINES DE L'ART ESPAGNOL («)
I
Il est assez difficile d'étudier, non seulement au musée du
Prado, à Madrid, mais dans la Péninsule tout entière, les
origines exactes de l'art espagnol. Avant le xvi^ siècle, l'art
espagnol hésite et tâtonne; c'est la barbarie; on en est
réduit, si on veut le suivre, à des documents insuffisants,
à des conjectures , ou à des témoignages incomplets de
contemporains. Sa marche et ses développements, surtout
pour la peinture, sont laborieux ; il lui faut l'aide de l'étranger
pour trouver sa voie, et nous verrons que, môme à l'époque
de sa plus grande originalité, il n'a jamais su ou n'a jamais
voulu se passer absolument de cette aide, qui lui fut si
précieuse.
Et pourtant jamais pays ne fut, aussi bien que l'Espagne,
dans une situation de nature à faire éclore spontanément l'art
chez lui, dans ses propres entrailles, s'il était vrai que
l'art pût naître par génération spontanée. Séparée par un
océan profond du monde où rayonnait toute lumière, de
cette Italie fortunée, dernier foyer des splendeurs païennes,
elle semblait condamnée à devoir vivre de ses seules forces,
(i) Fragment inédit d'un ouvrage, qui paraîtra prochainement, sur VArt
espagnol.
— 214 —
à puiser dans son sang la vigueur el la santé. Et qu'elle eût
été douce et glorieuse, cette condamnation, si les forces de
l'Espagne, abandonnée ainsi à elle-même, eussent été suffi-
santes, si son sang eût été assez riche pour n'avoir pas
besoin d'artificiels expédients!... Mais le courage et la
santé lui ont manqué dans cette tâche. Jamais l'antiquité ne
lui avait apporté les grâces de son sourire et la cadence har-
monieuse de sa blanche beauté. La Grèce ne l'avait jugée
digne que du rôle prosaïque de marchande, réservant à
d'autres, telles que la Sicile, la poésie de son art sans rival.
Les colonies établies sur les côtes ibériques bornaient aux
seules choses du commerce leurs relations avec elle. Là,
aucun marbre ne s'anima sous un ciseau d'artiste; aucun
temple ne surgit, superbe et divin, dans la majesté de ses
mystères. Les mâts des navires, les cris des matelots, les
chansons des soldats, furent tout ce que l'Espagne put voir,
tout ce qu elle put entendre de ces contrées rêvées, dont elle
ne devina jamais l'immortelle séduction. Elle grandit dans
la rudesse de ses instincts, dans la matérialilé de son exis-
tence de trafics et de batailles. Les jouissances rares de la
civilisation, le rhythme caressant des belles formes, tout ce
que ressentent d'admirations émues les esprits domptés et
raffinés, elle les ignora, livrée tout entière aux appétits
furieux de ses conquérants, Romains, Carthaginois, Goths,
— jusqu'à ce qu'une autre civilisation, radieuse aussi, mais
bien difl'érenle par le caractère, les goûts et le tempérament,
vînt lui mettre aux poings une lourde chaîne d'or.
Au contact de celte civilisation nouvelle, l'Espagne resta
barbare, et elle resta chrétienne. Les Arabes vainqueurs
étaient hérétiques; un mur infranchissable s'éleva entre
— '^I^ -
eux el les vaincus. Mais bien iraulres choses encore que les
croyances religieuses les séparaient. Ce n'est point aux sources
de l'art musulman, qui bannit toute représentation de la
figure humaine, toute image quelconque d'un être vivant,
que l'Espagne pouvait puiser l'inspiration. Les élégances ina-
nimées de l'architecture arabe restèrent donc, en dehors de
leurs éléments purement archilecloniques, lettre morte pour
elle. Peut-être, cependant, la magie de ces colorations cha-
toyantes, la somptuosité de ces tons tins chantant dans la
lumière, furent-elles la véritable cause qui fît plus tard les
peintres espagnols coloristes, comme le furent les peintres
vénitiens, soumis, eux aussi, aux influences orientales Par
contre, cette autre branche de l'art, la sculpture, dont le
règne précède toujours celui de la peinture, n'eut point en
Espagne l'efUorescence magnifique qu'elle avait eue sur le sol
béni de l'Italie, sœur de l'Espagne par la nature et par le
climat. Cette terre d'exil, trop bien cachée dans ses rochers,
n'avait pas eu la lente initiation de la forme antique, qui s'était
sans cesse dérobée à ses yeux, el, lorsqu'elle la connut, igno-
rante qu'elle avait été jusqu'alors de ses secrets, en vain
aurait-elle tenté de l'interpréter et de la rajeunir; quand elle
s'y hasardait, même avec les plus grands, Alonso Berruguete,
Gaspard Becerra et d'autres, l'interprétation, si adroite
qu'elle fût, n'était la plupart du temps que de seconde main ;
le cachet de l'individualité ne la marquait point.
Elle eut pourtant des sculpteurs renommés à l'époque de
la Renaissance, ceux-là mêmes que nous venons de nommer,
Becerra (1520-1370) et Alonso Berruguete (148G-1oGI), en
tète. Mais plus encore que les artistes étrangers qui travail-
lèrent en Espagne et dont les plus illustres étaient Jean de
~ 2IG —
Bourgogne et Philippe de Bourgogne, ils ne faisaient que
suivre des traditions italiennes et n'y ajoutaient rien qui trahit
le caractère spécial de leur nationalité. L'ouvrage le plus
considérable de Bcrruguetc sont les stalles du Coro de la
cathédrale de Tolède; la moitié a été sculptée par lui, l'autre
moitié par Philippe de Bourgogne. Le Bcrruguete apparaît
là très nettement comme un disciple, plus servile qu'il ne
faudrait, de son maitrc Michel-Ange; il s'épuise dans une
continuelle recherche de poses contorsionnées et violentes;
il a la science, et plusieurs de ses figurines sont d'une
remarquable allure; c'est très fort et parfois très puissant;
malheureusement, ce n'est pas original, La partie de la
Siikria sculptée par Philippe de Bourgogne est plus person-
nelle, avec plus de simplicité, dans l'esprit de la belle Renais-
sance. Presque toutes les figurines^ celles qui sont taillées dans
le bois et celles qui sont taillées, au-dessus, dans la pierre,
ont une grâce charmante. La grâce est le signe distinclif du
talent de Philippe de Bourgogne , et cette grâce n'a rien
d'affecté; elle reste pure, classique, dirais-je, jusqu'en ses
élégances les plus raffinées.
Les musées n'ont presque rien des sculpteurs espagnols;
à peine quelques rares héritages d'églises ou de couvents
sont-ils venus y échouer. L'un des mieux partagés, le musée
deValladolid, possède quelques statuettes de Berruguete, de
Hernandez, d'Alonso Cano, le peintre, cl de son maître Mar-
tinez Montanez, dont on voit aussi à Scville un Christ et un
sainl Dominique tout à fait bizarres et intéressants. Presque
seuls, les chapelles des cathédrales et les trésors des sacristies
ont conservé les œuvres sorties des mains des sculpteurs
espagnols, mêlées aux œuvres sorties de mains étrangères.
— ^217 —
L'habileté ou la naïvelé des artistes s'appliquaient plus volon-
tiers à construire pour les autels d'église des retables dont
ils étaient à la fois les architectes, les peintres et les sculp-
teurs, à tailler des figures de saints et de saintes dans la
pierre des cathédrales gothiques, qu'à se livrer à des fan-
taisies et des études profanes. Toutes ces œuvres éparses ne
sont pas également admirables, et plus d'une jouit d'une
réputation au moins surfaite : les deux tombeaux élevés dans
la Capilla réal de la cathédrale de Grenade et contenant la
dépouille d'Isabelle de Caslille et Ferdinand d'Aragon, de
Philippe-le-Beau et de Jeanne la Folle, ont été énormément
vantés; mais s'ils sont remarquables, c'est assurément moins
par leur valeur artistique réelle que par le mauvais goût de
leur luxe excessif; la statuaire élevée au rang de pâtisserie
décorative n'a jamais été considérée comme de la grande
statuaire.
En revanche, je ne connais rien d'aussi saisissant que la
statue tombale de don Inigo Lopez, dans la chapelle de
Saint-Ildephonse, à Tolède; le sentiment de la paix dans
la mort n'a jamais été exprimée dans une forme plus pure,
avec plus d'élévation, d'émolion et d'éloquente simplicité.
De qui est ce chef-d'œuvre? Je l'ignore. Faut-il en rapporter
l'honneur à l'Espagne? Qui sait? Quand l'histoire des monu-
ments ne nous fournit pas de renseignements précis, il est
bon d'apporter quelque circonspection dans l'attribution que
l'on serait tenté de faire exclusivement à des artistes indi-
gènes de tous les détails qui la composent.
Avant même, en effet, que, pour la peinture, l'Espagne
songeât à appeler à elle les secours de l'étranger et allât
chez lui en chercher, déjà elle les appelait pour ses travaux
- 218 —
(le sculpture cl surtout pour ses travaux d'archileclure.
Les architectes flamands, qui étaient en même temps des
sculpteurs, jouèrent un rôle considérable en Espagne, par-
ticulièrement à Tolède. Le Bruxellois Annequin de Egas, ou
plus exactement Ilantje Van der Eycken, l'ut pendant qua-
rante ans, de 1159 à 1494, directeur des travaux de la
cathédrale de cette ville, et il y exécuta tout entière la
magnifique porte des Lions, dans la façade du Sud. Son
fils, Enriquc ou Henri de Egas, prit à son tour, après la
mort de Annequin, la direction des travaux, de 149o à
1534, et fit le tombeau du cardinal de Mcndoza. D'autres
encore : François de Arenas (Van de Sande), Nicolas de
Vergara, ses fils Juan et Nicolas, Pierre Guas ou Was, et
Juan Guas, l'auteur de l'église et du merveilleux cloitre de
Sailli- Jean des Rois, tous Flamands (i). Plus d'une fois même.
(i) iM. Alphonse Wauters, dans une intéressante éUule intitulée : A propos
(le l'Exposition nalioniile d'arcliileclure (linixelles, 1885), donne les renseigne-
ments suivants sur Juan Guas : « Ce fut à lui que la reine Isabelle de Castille
et son mari, le roi Ferdinand d'Aragon, s'adressèrent, en 1477, pour avoir le
plan du temple qu'ils avaient l'intention d'élever en l'honneur de saint Jean,
comme souvenir de leur victoire de Toro sur les Portugais. Lorsque l'architecte
présenta ses dessins à Isabelle, elle n'en fut pas satisfaite et, ajouta-t-on, elle
adressa ii l'ariiste cette observation désobligeante : « La belle merveille que vous
» m'avez faite là! ». C'est alors que Guas, outré de dépit, aurait conçu l'idée
magnifi(iue qu'il mil à exécution dans le temple dédié à Saint-Jean des Hois
(San Juan de Los lleies). Isabelle en pressa l'achèvement avec ardeur et, si l'on
en croit une allégation évidemment exagérée, y lit travailler jusqu'à 1,226 uiaîlres
tailleurs de pierre. »
(;e chiffre est, en effet, inexact. Il faut lire : 122, au lieu de 1,226.
Une inscription qui se lit dans une des chapelles de l'église Saint-Juste, rappel e
en termes précis l'œuvre de Juan Guas, en mémoire de qui cette chapelle fut
élevée : « Celte chap. Ile fut faite par l'ordre d'honoré sieur Jean Guas, maître
I) principal de la première église de Tolède et maître mineur (ou en second)
» (les Geuvres du mi ddii Ferdinand et de la reine doua Isabelle, lequel fit San
— 2!î) —
Charles-Quint eut à supporlor les reproches qu'on lui faisait
d'employer avec trop de complaisance ces étrangers, dont
les services étaient de nature à porter ombrage aux artistes
du pays.
Les sculpteurs proprement dits étaient arrivés, hionlùt
après, aussi nombreux : Philippe de Bourgogne, dont nous
avons parlé plus haut, de son vrai nom Philippe Vigarni,
venu de Bourgogne, selon les uns, mais né en Flandre,
selon les autres, — le Flamand De Jonghe, qui collabora
avec l'Espagnol Grcgorio llernandez au calvaire de Valla-
dolid, — Pompeio Leoni, fils du Milanais Leone Leoni, et
Juani de Juni, tous deux Italiens, et jusqu'au célèbre Tor-
rignano, célèbre surtout par le formidable coup de poing
qu'il appliqua, au début de sa carrière, sur le nez de son
trop heureux rival Michel-Ange. On sait comment ce Tor-
rignano, arrivé en Espagne, après de longues pérégrina-
tions, y mourut misérablement en prison, victime de l'In-
quisition, pour avoir brisé de colère une statue de la Madone
qu'un duc d'Arcos, par raillerie, s'était amusé à lui payer en
maravédis. Crime énorme! Celait j)lus mal finir encore que
mal commencer. Le bris du nez de Michel-Ange avait amené
son exil, mais im exil fécond en œuvres de haute valeur,
non indignes de celui qu'il avait, par dépit, si fort maltraité;
le bris de sa Madone était plus grave, parait-il; on le lui lit
» Juan de Los Reyes, et cette chapelle fit construire Marine Juarès, sa femme. »
» La chapelle, dite autrefois de la Purification et depuis de la Trinité, avait, ajoute
M. Wauters, un bénéfice qui était à la collation de la famille de la fondatrice.
Sa petite-fille Anne, fille de François Guas, légua celte collation a un habitant de
Madrid, dont le nom trahit l'origine fiamande, don Francisco de Rosas Vau
Onchem. En mourant, en 1597, cette dame fonda trois messes par semaine, que
ilisail le titulaire du bénéfice de Jésus à la Colonne. »
— 2i0 —
Ijioii voir. Il est bon d'ajouter que le chagrin de perdre le tra-
vail d'un artiste aussi distingué ne fut pas la raison détermi-
nante dos rigueurs de la sainte Inquisition, mais bien plutôt
l'émotion qu'avait causée l'impiété de cet acte, jugé sacrilège
envers la personne de Notre-Dame la Sainte- Vierge Marie
Tandis que les artistes étrangers, sculpteurs, architectes
et bientôt après peintres aussi, comme nous le constaterons
plus loin, étaient, avant et après la Renaissance, en haute
faveur en Espagne, où ils donnaient à la fois la leçon et
l'exemple, les artistes espagnols s'en allaient de leur côté à
l'étranger exécuter des travaux importants. Le fait est qu'ils
ont laissé dans l'art des nations qu'ils visitèrent des traces
souvent considérables. Je parle exclusivement ici des archi-
tectes et des sculpteurs. L'organisation spéciale, franc-maçon-
nique, des arts et métiers au moyen âge supprimait les fron-
tières et transportait partout où il y avait une aune de pierre
et de granit à élever ceux qu'unissait la fraternité du travail.
Ainsi s'explique tout naturellement cette espèce d'échange
mutuel de bons services, ces influences réciproques qui sont
frappantes çà et là, dans l'architecture de l'Espagne et des
Pays-Bas. C'est par l'Espagne, et non par l'Italie comme on
le croit généralement, que la Renaissance pénétra directe-
ment, à la fin du w" siècle, dans les Pays-Bas, où elle s'im-
planta avant de s'implanter en France et en Allemagne. Et ce
qui le prouve, ce ne sont pas seulement les dates, mais c'est
aussi le style des premières constructions de celte époque,
élevées dans ces provinces soumises au sceptre de Charles-
Quint et de Philippe II.
En s'emparant, comme venait de le faire l'Italie, des tra-
ditions greco-romaines, l'Espagne avait su tout d'abord.
— 221 -
dans son architecture, ne pas s'en inspirer servilement. Elle
les avait combinées avec la fantaisie et la richesse des tra-
ditions arabes, dont elle avait sous les yeux, dans les mos-
quées transformées en temples chrétiens, de si splendidcs
spécimens; et les traditions arabes lui avaient servi déjà, au
XV* siècle, à créer un style en quelque sorte original, parle
mélange des éléments mauresques et des éléments gothiques,
le style Mudejar. Ce style Mudejar se rencontre à chaque
pas, dans les basiliques espagnoles; la Sa/a capilulare de la
cathédrale de Tolède, avec son portail et son plafond poly-
chromes, dorés, roussis par le temps et d'une finesse de
broderie éblouissante, en est peut-être le plus précieux chef-
d'œuvre. Plusieurs églises de Tolède ont, en guise de tours,
de vrais minarets, copiés littéralement sur les minarets
arabes. Quand vint ensuite la Renaissance, ces grâces
exquises s'allièrent aux sévérités des principes nouveaux, et
de cette alliance naquit le style Plaleresque, répandu d'un
bout à l'autre de l'Espagne. Eh bien, en plein Pays-Bas,
nous retrouvons, vivants et triomphants, ces deux styles ;
le style Mudejar, dans la colonnade de la cour intérieure du
palais épiscopal de Liège, dans la chapelle du Saint-Sang, à
Bruges, dans l'ancienne Bourse d'Anvers, — le style Plate-
resque, avec ses hardiesses et ses caprices excessifs, dans la
plupartdes bâtiments construits pendant lexvi^siècle, dans plus
d\me\)dir[[edeysidm\r?ih\eClieihinéedu Franc de Bruges, dans
le mausolée du cardinal de Croy, élevé en 1d24, à Heverlé,
près de Louvain (dans l'église des Capucins) et auquel, avant
M. Schoy (i), qui en a démontré le caractère exact, on avait
(<) Voir sa substantielle et savante Histoire de l'influence italienne sur
l'architecture dans les Pays-Bas.
— 222 —
toujours attribué une origine italienne. Ces deux styles
régnent presque souverainement dans les Pays-Bas jus-
f|u'aux premières années du xvii* siècle, au moment où
l'architeclure flamande, par l'action puissamment fatale des
jésuites, s'inspire exclusivement des traditions romaines
abâtardies.
Il est juste cependant d'ajouter à ces considérations un
léger correctif. Certes, l'influence de l'Espagne fut grande
dans les provinces qui lui étaient soumises, l'architecture de
cette époque, connue aujourd'hui môme sous l'appellation
d'architecture hispano-flamande, se ressent des exemples que
les artistes flamands étaient allés chercher en Espagne et
(jue les artistes espagnols étaient venus apporter dans les
Flandres; on ne saurait expliquer autrement maint détail
incompatible avec les nécessités de nos climats humides :
par exemple, les sombres patios entourés de colonnades,
que l'on voit encore dans plusieurs maisons de la Grand'-
Place de Bruxelles, et les toitures plates de certaines con-
structions semblables. Mais cette architecture hispano-
flamande ne fut pas non plus une imitation littérale, une
copie maladroite, dénuée de tout sentiment original. Elle
eut une physionomie à elle, bien distincte, robuste, mou-
vementée, lourde même, d'accord avec l'esprit de la nation;
les pignons aigus des toits, la profusion de festons, de gar-
gouilles, de bustes, de figurines accrochés de tous côtés aux
façades, l'ingéniosité naïve de l'ornementation des édifices
aux silhouettes tourmentées et compliquées, tout cela lui
appartient, avec ses qualilés et ses défauts, à elle seule. Et
elle se gardait bien de |)rendre à ses initiateurs du Midi sans
rien leur domicr en retour. IS'est-ce pas elle (jui leur dictait
— 223 —
ces innombrables miradors, mystérieux observatoires de la
curiosité et d(; l'amour, (jue l'on voit suspendus, dans les
villes de Castille et d'Andalousie, le long des liabilalions,
à toutes les fenêtres, à tous les étages? Et d'où l'idée en
aurait-elle i)u venir, si ce n'est de ces balcons saillants en
verre et en bois des vieilles demeures flamandes, de ces
brélèches audacieuses si en honneur dans les cités du
Nord, depuis le xiv' siècle, et qui, tout en rompant la mo-
notonie des façades, mettaient en quelque sorte la vie do-
lente des intérieurs en communication directe avec la vie
animée du dehors, en lui demandant un peu de sa joie et de
sa lumière?
II
Nous venons de voir à quels éléments la sculpture et l'ar-
chitecture espagnoles ont eu recours pour se développer, et
quel parti elles en ont tiré. La peinture, venue au monde
plus tard qu'elles, a suivi à peu près la même marche et les
mêmes développements. Inhabile à se former d'elle-même,
comme l'avaient fait l'école italienne et l'école flamande, c'est
au dehors qu'elle va demander la nourriture qui doit la faire
vivre. Jusque-là elle végète dans les ténèbres ; son enfance
est pénible. Elle n'a pas les grands éclairs de prédestination
des Giotto et des Gimabue. Elle est chétive et bégaie avec
effort ses premières paroles.
Et comment d'ailleurs pouvait-il en être autrement? Com-
ment la peinture, cet art délicat, l'art de la paix, du luxe et
du bien-être, pouvait-elle fleurir au milieu des secousses
qui, pendant huit siècles, ébranlèrent l'Espagne alTolée?
Quelle épopée furieuse, gigantesque! La mort promène sa
— 22i —
faulx impitoyable ; les fleuves roulent des flots de sang ; dans
les lueurs terrifiantes de l'incendie, la terre, inculte et
désolée, apparaît semée de ruines et couverte de cadavres.
La pairie s'est levée contre ses oppresseurs ; l'étendard chré-
tien et le croissant hérétique sont en présence, dominant la
mêlée formidable. Oui, pendant huit cents ans, toutes les
forces du pays s'épuisent dans cette lutte énorme. Pied à
pied, l'Espagne dispute à ses ennemis cha(|ue ville, chaque
bourgade, chaque forteresse, et elle ne respire enlin que
lorsque, aux dernières années du xv" siècle, la grande
œuvre est définitivement accomplie : les Arabes chassés pour
jamais.
Les quelques vestiges d'art qui nous sont parvenus,
enfouis dans des manuscrits enluminés de cette époque trou-
blée et de celle qui la précède, ne sauraient sulïîre à notre
admiration. Les portraits des souverains Golhs du Codex
Vifjilano de la bibliothèque de l'Escorial ont la naïveté des
premiers essais d'une main d'enfant; et jusque bien long-
temps après on ne voit point que l'art ait avancé d'un pas.
On a conservé des noms de peintres vivant au xiii' et
au XIV* siècles. Alors déjà une quiétude commençait à naître
dans les esprits, la délivrance n'était pas complète, mais on
avait l'espérance de la saluer bientôt. Peintres bien inha-
biles pourtant et dont il n'est resté guère que les noms :
à Valence, MarzaI, Guillermo Arnaldo; en Aragon, Pedro
de Zuera, Raymon Torrent, Guillen Tort; en Catalogne,
Juan Gasilles, Luis Borrasa. Au xv' siècle, l'astre commence
à grandir; la faveur royale s'en mêle. Ferdinand V le Catho-
lique attache à sa personne en qualité de peintre particulier
en litre Pedro de Aponte; cela se passe en 1470. Valence
— 2!2ri —
cite avec honneur, vers 14jG, Juan Reixals; la Catalogne,
LuisDalman; l'Aragon, Orliga, parmi bien d'autres. Mais
surloul la Gastille, muette et stérile avant ce temps, donne
tout à coup le signal d'un branle-bas d'art général. El tout
de suite, chez elle, nous rencontrons l'application du système
d'« importation étrangère », comme on l'a appelé, auquel
l'architecture et la sculpture avaient eu recours et qui
devait élre si utile à la peinture. Tant qu'elle avait essayé de
se soutenir par elle-même, la peinture n'avait obtenu que
des résultats très médiocres. Nous avons indiqué plus haut,
en commençant, les raisons pour lesquelles l'art espagnol
porte la marque de tant d'influences extérieures et n'a dû
qu'à ces influences de pouvoir prendre ensuite son élan. Ce
qu'il avait produit était encore bien peu de chose à l'époque
où, en Italie, en Flandre, en Allemagne, des chefs-d'œuvre,
signés de noms à jamais illustres, resplendissaient déjà d'un
éclat que les siècles n'ont pas effacé. Qu'étaient-ce que les
informes essais des artistes obscurs que nous avons cités,
vivant en plein xv^ siècle, et de ceux dont, en Gasiille,
on salue la mémoire avec vénération, tels que Juan Alfort,
qui peignait vers 1418 les retables de la chapelle delSagran'o
et de la chapelle de los Reys, niievos dans la cathédrale de
Tolède, et Jorge Ingles, l'auleur du relable de l'hôpital de
Buytrago, en comparaison de ce qui, alors el bien avant,
exislait ailleurs?... Ailleurs régnaient Giovani de Fiesole,
Jean et Hubert Van Eyck, Hugo Vander Goes, Roger Vander
Weyden... L'art en Espagne n'eut pas de ces belles aurores.
Sa splendeur fut celle d'un midi rayonnant entre un malin
brumeux et un soir appesanti par des lassitudes d'orage.
Cette fois encore, l'Espagne cria à l'aide! Et l'on vit
— ^20 —
arriver à In cour de Jean 1" un élève d'Anlonio Venezanio,
le Florentin Glieranio Starnina, — non pas vers 1415, comme
l'a dit M. Louis Viardot, ce qui eût été impossible, attendu
que Jean P"" mourut en 1590 et Starnina en 1405, mais
vraisemblahlemenl plus loi, dans les dernières années de ce
prince; en 1584, Starnina n'avait que trente ans; — puis, ;i
la cour de Jean II, un autre Florentin, Dello, que le roi créa
chevalier et qui mourut en li"}!. Après les Italiens, les
Flamands. Mais ici les incertitudes commencent, non dans
la généralité des faits, mais dans leurs détails. Des noms sont
cités dans les archives de xMailrid et de Lisbonne : Gil
Eannes, Christophe d'Ulrecht, Antoine de Hollande, Olivier
de Gand, Juan Flamenco, de 1465 à 1499 (i), sans que l'on
sache bien exactement leur valeur et le rôle qu'ils jouèrent.
Pour ce qui regarde les chefs d'école, on en est réduit aux
conjectures. On a prétendu que Roger Vander Weyden vint
à Madrid, où il était connu sous le nom de Maestro Rogel.
Il est possible que, au retour de son voyage à Rome, en
1450, Vander Weyden passa par h), comme avait fait vingt
ans auparavant Jean Van Eyck en revenant de Lisbonne (2);
(0 Cités par M. A.-J. Wauters, dans son excellent livre sur la Peinture
jlumande, p. 111.
(2) M. Alfi'ctl MiciiiELs, dans sa prélcnliouse et inexacte Histoire de la
Peinture flamande, a donné k ce voyage de Jean Van Eyck dans la Pcoinsuie une
importance risible. D'après lui, ce simple passage, en touriste, du grand peintre,
qui revenait d'avoir été faire le portrait d'Isabelle de Portugal, aurait eu des
conséquences extraordinaires et aurait sulli pour créer, du jour au lendemain,
l'art espagnol!... Ce serait vraiment miracle qu'un séjour de quelques jours k
peine d'un peintre dans un pays où il n'a certes pas eu le temps de travailler,
si peu que ce soit, ni de distribuer ses conseils, ni de prêcher par son exemple,
(fit pu avoir une vertu si prompte et si mirifique.
Mais ce n'est pas la seule illusion que les historiens, par un amour-propre
national très ma! entendu, aient caressée, à propos de ces sortes d'inilucnces
toujours fort difliciles d'ailleurs a bien déterminer.
— 227 —
rien cependant ne prouve ce passage el il n'en existe de
trace nulle part. Quoi qu'il en soit, si l'action directe, per-
sonnelle de ces chefs d'école n'est pas prouvée, la présence
de leurs œuvres et le crédit dont elles jouirent ne sauraient
être mis en doute. On en découvrirait certainement un crrand
nombre dans les coins perdus de la vieillie Gastille, où elles
sont enfouies. Le gouvernement en a rassemblé au Prado
plusieurs qui se trouvaient disséminées dans les couvents,
loin de tout œil curieux Je ne parlerai que des principales,
et celles-là seules ont excité bien des discussions.
La plus disculée, sans aucun doute, est le Triomphe de
l'Église sur la Synagogue (n" 2188 du catalogue), que l'on a
attribué tour à tour aux deux Van Eyck, à Jeati seul, à
Hubert seul, assistés ou non de leur sœur Marguerite. Je
serais assez tenté d'admettre l'opinion que M. Pedro de
Madrazo a longuement développée dans le Museo espahol de
antiguedades (liv. XXXI, t. IV), si elle avait pour objet un
tableau d'un mérite transcendant. Ce que M. Madrazo dé-
montre fort clairement, c'est que l'œuvre n'est pas de Hubert
Van Eyck, comme certains critiques se plaisent à le croire
avec Passavant. Il compare le Triomphe de l'Église à la partie
supérieure du polyptyque de Y Agneau m,ystique; cette partie
supérieure, que l'on peut voir à Gand en l'église de Saint-
Bavon, est très vraisemblablement de la main de Hubert;
car les restes de l'œuvre, conservés en originaux au musée
de Berlin, el qui sont de Jean, ont un caractère réaliste fort
différent du caractère hiératique et byzantin de celte partie-là.
Or, le Triomphe de l'Eglise est, lui aussi, empreint tout
entier d'un sentiment réaliste prononcé. Hubert ne peut
donc pas l'avoir peint. Si l'on y retrouve des analogies frap-
— 2-28 —
parités de composition avec la partie supérieure du polyp-
tyque de Gand, on on peut simplement conclure que Jean
Van Eyck — et personne que lui, n'était capable, à celte
époque, d'y apporter une aussi grande perfection de travail,
— l'a exécutée a peu près au moment où son frère, surpris
par la mort, venait d'achever les panneaux de [Wyneau
mystique qui sont de sa main. Sous l'impression de l'œuvre
fraternelle, il aura voulu, — délicat hommage rendu à sa
Riémoire, — rappeler dans le Triomphe de CF.glise la
composition et l'ordonnance de ces panneaux, tout en y
imprimant son cachet personnel bien reconnaissable. Le
mouvement et le groupement de la scène sont semblables,
l'expression ne l'est pas. Tes personnages divins ont dépouillé
leur divinité; plus d'auréoles, plus d'ailes, plus rien qui dise
qu'ils appartiennent au ciel; le naturalisme de l'école de
Bruges s'affirme et triomphe sur l'aulfîl mi;me du hijzanlisme.
Ce raisonnement, pour être parfois un pou subtil, ne
manque pas de poids. La date probable de l'œuvre et les
circonstances qui l'amenèrent en Espagne, après le voyage
de Jean Van Eyck, c'est-à-dire après l'année 1428, viennent
encore l'appuyer. En 1428, Ilubort était moi-l depuis deux
ans. Il est assez- naturel que, à son passage par Madrid, Jean
reçût du roi Juan II la commande de ce Triomphe de l'Iùjlise
.sur la Synayofjue, — /jui était un sujet vraiment national el
d'actualité; — Henri IV, le fils de ce monarque, l'offrit
ensuite au monastère du Parral, à Ségovie, où l'on constate
sa présence vers l'an 14j4; il n'en soitit (pjo pour |)rendrc
place dans les galeries du Prado.
Seulement, un giave inconvénient s'oppose à la solution
de la (juestion dans ce sens. C'est que, si le Triomphe o'e
— 229 —
l'Église possède tous les signes chronologiques et caractéris-
tiques d'une œuvre de Jean Van Eyck, authentique, il n'a
rien, au point de vue artistique pur, de ce qu'il lui faudrait
pour légitimer une pareille attribution. La coloration, tou-
jours si riche et si souple chez le maitre brugeois, est ici d'une
indigence rare; le modelé est sec, la facture pleine de du-
retés. Non, il n'est pas possible que la main qui a peint les
admirables volets de l'Agneau mystique soit la même qui
ait peint, fût-ce quelques années auparavant, cette curieuse
mais pâle imagerie. L'attribuer à Hubert Van Eyck, ce serait
enlever du même coup à ce dernier le mérite d'avoir exé-
cuté les panneaux supérieurs de l'Agneau mystique, qui
sont d'un vrai coloriste, et M. Madrazo a démontré victo-
rieusement qu'Hubert n'y fut jiOLir rien. Nous soutenons,
de notre côté, que Jean n'y saurait avoir pris part non plus. . .
Qui donc alors?
Des critiques sceptiques vont nous mettre sur la voie.
« Le sujet et la composition, disent M. Gruzada Vilaamil et
le docteur Waagen, sont de Hubert Van Eyck; l'exécution
est de deux de leurs disciples. » Ceci paraît plus vraisem-
blable, bien qu'il soit permis de douter que Jean ou Hubert
Van Eyck aient envoyé au roi d'Espagne, qui le leur avait
commandé, un tableau indigne d'eux et exécuté par d'au-
tres. Une probabilité plus sérieuse encore serait celle-ci : le
Triomphe de l'Église du Prado est simplement une copie,
défectueuse évidemment; l'exemplaire authentique, perdu
depuis, aurait été gardé par le roi Juan H et par son fils
Henri IV, qui n'en auraienldonné au couvent du Parral qu'une
répétition. L'explication — contre laquelle s'élève vivement
M. de Madrazo— n'a rien d'extraordinaire. La coutume de
— ^250 —
reproduire une œuvre d'art plusieurs fois était fort commune
jadis ; et elle avait ce grand avantage de pouvoir concilier
l'cgoïsme des propriétaires avec leur générosité (i).
C'est à cette coutume que l'on doit l'embarras où l'on s'est
trouvé pendant longtemps, et où l'on se trouve encore,
de savoir quel est, des trois exemplaires de la Descente de
Croix de Roger Vander Weyden qui existent en Espagne,
l'original. L'histoire de l'art présente peu de faits aussi cu-
rieux que celui-là. Celle Descente de croix est assurément
un chef-d'œuvre, — le chef-d'œuvre du maître que Tournai
et Bruxelles se disputent « l'honneur d'avoir vu naitre. »
Mais où est ce chef-d'œuvre? Est-il au Prado ou à l'Esco-
rial? — Au Prado, proclament tous les critiques, au Prado,
où il en existe deux exemplaires... Mais on sait que l'un
a'eux (n^StyS'), celui qui a passé successivement du couvent
des Anges au musée du Fomento (alias de la Trinité), et
enfin dans les salles basses du Prado, est une copie ancienne.
Toute la discussion porte sur l'exemplaire qui se trouve dans
« le salon de la Reine » (n'^ 1818) et sur celui qui se trouve
dans la sacristie de San Lorenzo, à l'Escorial. L'un est
l'original; l'autre est la copie, postérieure d'un siècle, de
Michel Goxie. Hélas ! on a si bien mêlé l'une et l'autre, et
Goxcie s'acquitta si adroitement de son ouvrage, que l'on n'a
(i) Ce qui prouve encore qu'il a existé plus d'un exemplaire de ce tableau, c'est la
lettre adressée de Paris, au mois d'avril 1863, par M. lUirgcr à M. de Madrazo :
l'ar hasard, il y a, eu ce moment,
tableaux M. Haro une ancienne copit
e -y< S
exposée chu/, le restaurateur de
de la Fontaine mystique de Van
Jiyck et signée du monogramme IrV A , Lancelot Blondeel probablement,
lequel a beaucoup étudié les Van Eyck et a même restaui'é au xvi<= siècle l'Agneau
de Saint- Bavon, a Gand. >
plus su distinguer quel est l'original et quelle est la copie!
Dans cette indécision, on a pris un parti énergique : on s'est
tourné avec respect vers le Prado et l'on a oublié l'Escorial.
C'est le contraire qu'il aurait fallu faire.
Roger Vander Wcyden avait peint sa Descente de croix
en 1440, pour le Grand Serment des Arbalétriers de Lou-
vain ; elle avait pris place dans la chapelle de la Gilde
Notre-Dame-hors-Murs, lorsque, en looo, Philippe II, qui
la convoitait, chargea la gouvernante des Pays-Bas, Marie
de Hongrie, de l'acquérir pour lui. Le marché fut conclu ; la
Gilde abandonna son tableau contre échange d'un orgue de
500 florins et d'une copie du retable par Michel Coxcie.
Seulement, quand "la copie fut faite, elle ne tarda pas à suivre
le même chemin que le modèle.
Or, le retable acquis par Marie de Hongrie était destiné au
monastère de ri^]scorial, la résidence habituelle, nouvellement
construite, de Philippe II, et c'est bien là, sans aucun doute,
qu'il alla directement. Quand la reproduction de Coxcie
arriva, elle fut installée dans la chapelle de la résidence
royale du Pardo, k Madrid, qu'elle ne quitta que pour
prendre place au Prado. Et ce qui le prouve, c'est la mention
qu'en fait, en 1588, un écrivain des plus sérieux, le licencié
Argote de Molina, dans une description des peintures réunies
dans ce palais du Pardo (supplément au livre de la Monteria
du roi Alphonse XI, chap. 47) : « ]Qn retable représentant
la Descente de croix, peint par maître Michel (Michel
Coxcie), peintre flamand, d'après celui que possède Sa
Majesté à San Lorenzo de l'Escorial. » Donc, à cette
époque, l'original était à l'Escorial, la copie à Madrid, et, à
cette époque au.ssi, encore bien proche de Vander Weyden,
— 2r)-2 —
aucun doute n'existait sur leur provenance respective.
Argote de Molina n'a pu attribuer à un peintre son contem-
|)orain, appartenant à l'école flamande de transition, pseudo-
italienne, une œuvre plus vieille d'un siècle, et vice-versa.
Toutes les attributions faites dans la suite ne sauraient
contredire celle-là, la connaissance des choses de l'art go-
thique étant tombée si bas que, en plein règne de Philippe IV,
en 1653, — Velasquez vivant, — le même tableau du Pardo
était donné, dans l'inventaire de Eugénie de los Rios, comme
une œuvre d'Albert Durer!
Mais le témoignage des contemporains et la logique des
événements ne soirl pas la seule preuve en faveur de l'authen-
ticité du tableau de l'Escorial. Il suffit d'un examen attentif
pour constater que l'exécution de ce tableau porte en elle les
si<Tnes évidents d'une antériorité séculaire. Le tableau du
Prado (n" 1818) est d'une facture plus moderne; il a moins
d'énergie et d'accent, et il trahit un pinceau moins esclave
de la nature; le style, surtout dans la façon de traiter les
accessoires, est un peu conventionnel et n'a point l'exquise
naïveté du style des primitifs. Le copiste a pris certaines
libertés. Ainsi la barbe du Christ, inculte, broussailleuse et
si minutieusement détaillée, dans le tableau de l'Escorial,
qu'on en pourrait compter les poils, est, au contraire, dans
celui (lu Prado, soignée, idéalisée, italianisée; c'est une
barbe suave. Enfin, autre indice important : le dessin des
trèfles de la cresleria gothique qui se détache sur fond d'or,
aux angles supérieurs du n" 1818, ont un peu plus de hau-
teur que celle qu'on leur donnait à l'époque où fleurissait le
style ogival. Tout cela dénote bien un travail flamand du
milieu du xvi* siècle. En revanche, examinez le tableau de
— 233 —
«
l'Escorial : tous les caractères de l'originalilé s'y rencontrent,
nettement accusés, non seulement dans les détails que nous
venons de mettre en évidence et que nous avons soigneuse-
ment vérifiés, sur les indications de M. de Madrazo, mais
aussi dans l'ensemble, dans la coloration plus primitive,
dirais-je, à la fois plus froide et plus fraiche que la coloration
de la copie du Prado, dans ce je ne sais quoi de pénétrant
et de doux, de gauche et de charmant, qui fait la saveur
exquise des choses gothiques.
Là, tout en haut, sur le mur blanc de la vaste sacristie
où elle est accrochée, entourée d'une modeste baguette en
bois qui lui tient lieu de cadre, l'œuvre sourit dans sa nudité
virginale et son immortelle beauté. Jamais le grand drame
chrétien n'avait encore été exprimé avec une pareille puis-
sance et une pareille majesté ; jamais le sentiment religieux
n'avait été interprété avec autant d'élévation. Dans ce
drame sublime des saintes croyances, l'héroïne touchante,
la Vierge, apparaît pour la première fois comme le troublant
et austère idéal de la douleur ; et cette douleur n'est pas la
douleur toute physique et toute terrestre d'une mère pleu-
rant ses enfants, comme celle de la Niobé antique ; c'est la
douleur unie à la beauté, la « beauté dans la douleur, » selon
l'expression de Schiller, et bien plus sublime parce qu'elle
est essentiellement morale, divine et dégagée des liens fra-
giles de l'humanité. Cette Vierge qui souffre est impassible
et calme, car sa souffrance n'est pas celle d'un corps blessé
ou d'un cœur ulcéré ; elle a un plus haut objet ; ce n'est pas
un corps qui succombe, c'est une âme qui semble défaillir
sous le poids des fautes humaines que le sacrifice du dieu
incarné doit laver dans le ciel. Déjà, voyez, le visage altéré
— 254 —
par l'angoisse maternelle s'éclaire d'un rayon d'infini. Ce
rayon annonce la récompense du sacrifice, la vie nouvelle,
la Rédemption. Sous le monde ancien qui s'écroule, le monde
jeune va surgir, triomphant !
La grandeur du génie, seule, a pu exprimer tant de
choses inconsciemment. Le propre du génie est d'être incon-
scient ; sur un bout de toile ou de panneau, il fait parler un
siècle, il résume une nation, il donne une forme tangible à
une religion de foi et de mystère. Vander Weyden a été,
sans doute bien involontairement, aussi éloquent philosophe
que peintre et dessinateur admirable. Peintre et dessinateur,
il a déployé toute sa science anatomique dans la virtuosité
avec laquelle il a traité les extrémités de ses personnages,
leurs mains, leurs pieds. C'est là qu'on distingue aisément
le véritable artiste de celui qui ne l'est pas, l'homme qui
sait de l'homme qui ne sait rien. Aussi est-ce bien cela qui a
. dénoncé tout de suite comme apocryphe la troisième Descente
de Croix que possède l'Espagne, celle qui provient du musée
de la Trinité à Madrid (n" 2193a). Les extrémités y sont
défectueuses; la main d'un peintre de l'école du maître, de
sa seconde génération, — peut-être le second Roger, Roger
le jeune, petit-fils de Roger le vieux, — est visible; mais
elle n'a point soutenu sa tâche jusqu'au bout; elle n'a point
su, ou elle n'a point voulu. Puis, il y a de notables variantes
dans la teinte des vêtements des personnages et dans lesacces-
soires, une tonalité générale poussée au roux, un terrain
plus à découvert que dans l'original, des plantes et des herbes
d'espèces différentes, et moins abondantes.
Quant aux exemplaires qui existent de celle même Des-
cente de Croix en Belgique, en Allemagne et en Angleterre,
— 2ô,S —
il serait oiseux de s'y arrêter longuement. Celui du musée
de Berlin et celui du musée de Cologne, étant postérieurs à
la mort de Roger Vanden Weyden (ils datent respectivement
de 1488 et de 1480), ne sauraient lui être attribués; ceux
diî Londres sont des copies relativement modernes. Enfin,
I;i réduction que l'on montre dans l'église Saint-Pierre, à
Louvain, est d'une qualité inférieure trop manifeste pour
être de Roger Vander Weyden ; elle date de 1443, — trois ans
après l'exécution du grand retable de l'Escorial, sept ans
après l'exécution des tableaux historiques de l'Hôtel de Ville
de Bruxelles, aujourd'hui malheureusement détruits et si
admirés par Albert Durer lors de son voyage dans les Pays-
Bas. Roger était alors dans sa plus brillante et sa plus glo-
rieuse fécondité. Il est impossible qu'il ait, à ce moment-là,
peint, en tout ou même en partie, cette réduction d'une couleur
si épaisse, d'un modelé si lourd, où rien de son habituelle
souplesse de facture ne se reconnaît. Il sufi5t d'avoir dans les
yeux la vision de la grande Descente pour être convaincu que
celle-ci n'a aucun lien de filiation avec elle. Les volets sur
lesquels, à droite et à gauche, sont portraiturés les donateurs
Guillaume Edelheere et Adélaïde Cappuyns, entourés de leur
famille et de leurs saints patrons, ne me paraissent pas d'une
valeur beaucoup supérieure ; cependant, en quelques endroits,
par exemple dans les têtes desdits donateurs, on retrouve la
vigueur de tons et la délicatesse d'expression du maitre, et
peut-être a-t-il travaillé là, mais là seulement ; et ce contraste
même entre l'imperfection du panneau central et la perfection
relative des volets est une preuve nouvelle démontrant la
non-authenticité de cette réduction qui a mis à l'envers la
cervelle des historiens et leur a fait dire avec sérénité les
— 236 —
choses les plus contradictoires (i). L'orgueil national dùt-il
en souffrir, il faudra se décider à abandonner l'illusion que
l'on s'était faite depuis iSGl de croire que l'on possédait en
Belgique une œuvre importante de Roger; la mémoire du
maître y gagnera du moins quelque chose (2).
La Descente de croix, arrivée en Espagne cent ans après
le grand mouvement qui de toutes parts secouait les intelli-
gences, n'avait plus aucun rôle direct à jouer dans l'histoire de
l'art espagnol; elle était passée au rang des choses glorieuses,
et le dilettantisme seul d'un souverain l'avait amenée là.
Mais ce n'était pas la première œuvre de Roger Vander
(1) Waagen et M. MiCHiELS disent qu'elle est antérieure au tableau acquis par
Marie de Hongrie; M. Van Even, l'archiviste de la ville de Louvain, affirme qu'elle
est postérieure; M. Michiels prétend qu'elle n'a jamais quitté l'autel Edelheere;
M. Van Even a raconté, au contraire, les longues aventures dont elle a été la
triste héroïne, jusqu'à ce qu'elle fut retrouvée un jour, dans une vente publique,
mêlée à un tas de vieux tableaux.
(î) Le Musée de Bruxelles possède, sous le nom de Roger Vander Weyden,
une Tête de femme en pleurs identique à celle d'une des saintes femmes qui figurent
dans la Descente de Croix; on la donne comme étant l'étude qui aurait servi à
Roger pour son tableau. Rien n'est venu jusqu'ici infirmer ni confirmer cette
attribution. Le caractère des draperies, avec leurs plis cassés et anguleux, et le fin
modelé des chairs plaident en faveur de l'authenticité, bien que la tonalité générale
ait quelque sécheresse. Peut-être est-ce une étude faite après par un élève de
Roger. Car pour être une étude faite avant par Roger lui-même, on peut se
demander comment d'autres éludes pour d'autres têtes ne soient point parvenues
jusqu'à nous, comme celle-ci?
Quant à la série de huit tableaux « attribués à Roger Vander Weyden »,
(n"' 54 à 41 du même Musée), ce serait faire injure à sa mémoire que de supposer
un seul instant qu'ils puissent être de lui.
En revanche, il serait intéressant d'étudier attentivement la question de savoir
si le Christ descendu de la croix, figurant sous le n" 48, sans attribution du nom
d'auteur, n'est pas une œuvre de Roger Vander Weyden. Déjà M. Edouard Fétis
{Catalogue descriptif et historique) a indiqué « l'identité parfaite de la figure de
la Vierge avec celle du même personnage dans la Descente de croix de Louvain. »
Ce qui, pour nous, est surtout frappant, c'est, outre le mérite de celte œuvre
admirable, son analogie étonnante au point de vue du caractère et de l'expression,
de la richesse et de la qualité du coloris, avec la Descente de croix de l'Escorial.
— 257 —
Weyden qui franchissail les Pyrénées; il en était une autre,
qui, à peu près en même temps que le Triomphe de
l'Église, de Van Eyck, était venue, en pleine efllorescence
artistique, éclairer le travail lent qui s'opérait de sa rayon-
nante lumière. En 1431, le pape Martin V, ou plutôt
Nicolas V, envoyait en présent au roi de Castille un trip-
tyque de Roger, connu depuis sous le nom de Pieta à cause
du sujet représenté sur le panneau central, et qu'il avait
lui-même reçu des échevins de Bruxelles, comme gage de
reconnaissance, croit-on, pour des services rendus... A cette
époque, l'édilité bruxelloise et le Saint-Père se rendaient
des services. Ou se figure l'émotion des Madrilènes lorsqu'ils
virent débarquer chez eux une œuvre de celte sorte, riche
en tons, de facture habile et de profond sentiment, et qui,
bien que datant de la jeunesse du peintre, était très supé-
rieure aux travaux des artistes de la Péninsule. Ce triptyque,
que Juan II donna en 1445 à la chartreuse de Miraflores,
fut transporté en France en 1807, lors de la destruction du
monastère, et passa successivement dans les mains de
M. Nieuwenhuys et du roi Guillaume II des Pays-Bas, alors
prince d'Orange; il est aujourd'hui la propriété du Musée
de Berlin Vander Weyden a fait mieux dans la suite;
l'allure assez disgracieuse des personnages, leur expression
un peu banale, ne portent pas encore complètement l'em-
preinte de son génie; mais, je le répète, tout cela, surpassait
considérablement ce que les Espagnols étaient capables de
produire eux-mêmes. Ce fut une révélation, et aussitôt l'au-
torité des maîtres flamands, s'imposant avec éclat par ces
œuvres et par d'autres, qui sans nul doute les suivirent ou
les avaient déjà précédées, hantèrent invinciblement les es-
_ 258 —
prits. Les rapports s'élablirent entre les deux nations, entre
le Nord et le Midi, d'une façon plus constante. Peut-être ces
rapports ne s'en tinrent-ils pas à de simples envois de
tableaux; mais les noms espagnols que l'on cite sont assez
obscurs à côté des noms flamands illustres, et l'incertitude
plane encore sur leur existence et sur leur destinée.
Le plus connu parmi ceux qui pourraient avoir, les pre-
miers, séjourné en Espagne assez longtemps pour que leur
présence fût sensible, c'est Pierre Gristus, dit Christophsen ,
un peintre de l'école des Van Eyck ; il y a de lui au Prado un
intéressant retable en quatre compartiments, qui a les belles
qualités de coloris de l'école, mêlées aux défauts personnels
de l'auteur, — de la dureté et de l'incorrection. Son influence
semble manifeste dans les peintures d'un des artistes espa-
gnols les moins médiocres de cette primitive époque, Fer-
nando Gallcchos, notamment dans les six tableaux du Prado,
consacrés à divers épisodes de la vie de saint Jcan-Baptistc
et qu'on lui attribue à cause de l'analogie du sujet avec celui
de ses tableaux, bien authentiques, conservés à Zamora et à
Salamanque. La mise en scène, le caractère des figures,
parfois l'exécution abondent en ressouvenirs des traditions
flamandes, avec plus de lourdeur, plus de gaucherie et une
coloration épaissie par les noirs opaques qui déjà com-
mençaient à caractériser l'école espagnole. Quant cà Juan
Flamenco, qu'on cite souvent aussi, était-ce un vrai flamand,
ou bien son surnom lui vint-il de ce qu'il suivait également
les Iraces des artistes du Nord, comme Pierre Nunez, Jacques
(le Valence, Pierre de Cordoue et d'autres, tous fort oubliés
d'ailleurs? N'importe, l'une et l'autre hypothèse sont signi-
ficatives; elles conduisent à la même conclusion : c'est que,
— 239 —
dès les premières productions sérieuses, de quelque valeur,
existant en Espagne et signées de noms espagnols, l'imitation
des gothiques flamands est flagrante. Jusqu'au seuil de la
Renaissance, elle se fait senlii" d'une manière constante; et
Morales lui-même n'a pas échappé, malgré son incontestable
originalité, à cet empire que tous acceptaient.
Cet empire, il ne faut pas cependant en exagérer les
conséquences; car il n'était pas seul. La popularité des œu-
vres et des artistes flamands eut des résultats plus plato-
niques qu'effectifs. La main des imitateurs ou des disciples
était encore si peu experte, leurs yeux étaient si peu sen-
sibles aux finesses et aux harmonies des colorations! Quelle
grossièi'elé dans leurs timides essais, et combien loin est
leur naïveté nialadroile delà naïveté charmante des modèles !
S'il est vrai que les arts furent alors, selon M. de Laborde (i),
« sous la domination exclusive des artistes flamands », cette
domination se traduisit bien moins par une perfection de
travail que l'on eût pu espérer d'un commerce aussi inces-
sant entre le Nord et le Midi, que par une admiration bien
justifiée, par un culte enthousiaste pour les œuvres qui
venaient prendre place dans les palais et dans les églises,
par l'accueil empressé fait à des peintres, même secondaires,
dont on reconnaissait unanimement la supériorité.
Lucien Solvay.
(i) Les ducs (le Bourgogne, t. l", Introduction, p. cxxvi.
LA TABLE DE COMMUNION
DE L'ÉCxLISE DE SAINT- PIERRE , A LOUVAIN
EXÉCUTÉE, EN 1707,
par Alexandre VAN PAPENHOVEN, d'Anvers.
Si, au commencement du xviu* siècle, la ville d'Anvers
ne comptait plus un seul grand peintre, elle possédait en-
core plusieurs sculpteurs de mérite. Depuis le décès du
dernier élève de Rubens, la peinture y élait en décadence,
tandis que la sculpture s'y soutenait vaillamment. Les sculp-
teurs anversois de cette époque laissèrent des œuvres re-
marquables, non seulement dans les édifices civils et reli-
gieux du pays, mais aussi à l'étranger.
Parmi les sculpteurs anversois du xviii* siècle, il est juste
de citer Henri-François Verbruggen, Artus Quellin, Louis
Willemsen, Guillaume Kerricx, Pierre Scheemaeckers,
Michel Vander Voort, Michel Rysbrack, Jacques Verberckt,
Alexandre Van Papenhoven et Pierre-Dominique Plumier,
qui fut le mailre de notre immortel Delvaux.
Alexandre Van Papenhoven élait un sculpteur d'un beau
talent. Ce quilei)rouve,c'estque plusieurs écrivains de valeur
attribuent une de ses productions au ciseau de François
Duquesnoy, le grand statuaire belge du xvii' siècle. Cette
— 24^2 —
production n'esl autre que la table de communion de l'église
de Saint-Pierre, à Louvain.
Nos recherches dans les archives nous ont fait découvrir
le contrat pour l'exécution de ce remarquable travail. Le
grand intérêt qu'offre cette pièce, au point de vue de l'his-
toire encore si imparfaitement connue de la sculpture en
Belgique, nous engage à la publier. Mais avant de nous
occuper de ce document, nous allons donner des renseigne-
ments biographiques sur Van Papenhoven.
Alexandre -Jacques Van Papenhoven naquit à Anvers,
de Corneille Van Papenhoven et Marie Passeur. Il fut bap-
tisé à l'église de Saint-André, le 4 juillet 16B9. Son parrain
fut Jacques De Kock, sa marraine Catherine Van Papen-
hoven (r). Le père de l'artiste était sculpteur, mais ne
s'occupait que de la fabrication de poupées. Dès son en-
fance, Alexandre montra les plus heurenses dispositions
pour l'art. On ne larda pas à s'apercevoir qu'il était né pour
pétrir la terre glaise et tailler le bois et le marbre. Heureu-
sement le père ne s'opposa pas à une vocation qui se mani-
festait d'une façon si absolue. Il donna à son fils les pre-
mières notions du modelage et lui fournit les autres moyens
d'étude pour se faire une carrière sérieuse. Lorsqu'il n'avait
plus rien à lui apprendre, il le fil admettre à l'atelier d'Artus
Quellin jeune, alors le statuaire le plus important du pays.
Ses progrès furent si rapides que le maître ne tarda pas à
se servir de son aide dans l'exécution de ses travaux.
(i) K lAjiilii i66d. — Parentes Coineliiis van l*apenhoven, Maria Fasscur;
infans : Alexander Jacobiix. Susceptores, Jacobus De Kock, Calliarina van
Papenhoven. » (liegislre des baptêmes de Saint-André, à Anvers.)
— ^4â —
En l(j98, Alexandre Van Papenhoven fui reçu franc-
maître à la corporalion de Saint-Luc. Le 16 novembre de
la même année, il épousa, à l'église de Saint-Georges, à
Anvers, Marie Bruynel, qui appartenait à la bourgeoisie
anversoise (i). L'artiste perdit cette femme après dix années
de mariage. Elle mourut dans une maison située rue Courle
de l'Hôpital. D'après une disposition testamentaire, elle fut in-
humée, le 2 juin 1708, dans l'église des Dominicains (2), où
l'un de ses ancêtres, Abraham Bruynel, avait reçu l'hospi-
talité de la mort en 1655.
Alexandre Van Papenhoven, qui occupait les fonctions
de doyen de la Gilde de Saint- Luc, du 18 septembre 1715
au 28 septembre 1716, forma plusieurs élèves. D'après le
Ligger de cette corporation, il reçut les élèves suivants :
en 1699, Pierre Overlaet; en 1707, Jacques Brunel et
Augustin Opdelaye; en 1709, Jean-François Allefelt; en
1711, Gaspar Verhaeghen ; en 1717, J.-B. Neckers et Jean-
Baptiste Vanden Hert; en 1718, André Schuyf; en 1722,
Philippe Delvout; en 1722, Ignace-François Verellen ; en
1728, Arnould Vanden Bosch. Il fut le maître d'un sculp-
teur très distingué, Alexandre-François Schobbens, d'An-
vers, mort en 1781,
Notre artiste avait l'inspiration et le sentiment, en même
temps qu'un ciseau facile et ardent. Il savait exprimer dans
(i) « 16 septembris -1698, Alexander van Papenhoven, Maria Bruynei,.
Testes ; Joannes Bruynel, Cornélius Van Papenhoven, cum disp. 3 bannis prœvio
juramenlo. » (Registre des mariages de Saint -Georges, à Anvers.)
(î) « 2 junius 1708. Maria Brunt'i (sic), liuysvrouwe van Alexander Papen-
hoven, Predikheerenkerck, par teslament, Corte Gastluiysstraet. » (Registre des
inhumations de l'église N.-D. à Anvers, quartier du Sud.)
— !244 —
le bois ou dans le marbre ce qu'il senlail dans l'âme. Ses
travaux eurent un très grand succès et la renommée ne
tarda pas à s'emparer de son nom. Bien plus, sa réputation
ne se renferma pas dans les bornes élroiles de sa patrie.
Ferdinand IV, roi de Dancmarck, l'appela à sa cour et lui
confia l'exécution de plusieurs travaux importants. Il passa
douze ans à Copenhague, y laissant des œuvres aussi remar-
quables par la conception que par l'exécution. De retour
en Belgique, il se lixa de nouveau à Anvers et y produisit
un grand nombre de travaux pour les églises et les maisons
religieuses. Quoique l'ornement fui le genre le plus favo-
rable à la nature de son talent, il exécuta aussi plusieurs
statues. En 1721, il acheva, d'après les dessins de Henri
Verbruggen, l'aulel de la chapelle de la Circoncision, à la
cathédrale Notre-Dame. Assisté du sculpteur Hamers, il
exécuta un grand bas-relief représentant la Sainte-Vierge
avec l'Enfant Jésus apparaissant à Saint-Ignace dans le
désert. Ce groupe fut placé au milieu de la chapelle Saint-
Ignace, à l'église des Jésuites. L'artiste dota également
celte église d'une table de communion très remarquable.
Alexandre Van Papenhoven collabora aussi à l'exécution
des statues du calvaire de l'église des Dominicains, conjoin-
tement avec Jac(|iies Gockx, Guillaume-Ignace Kerricx,
Henri-François Verbruggen, Jean-Pierre Van Baurcheil et
Michel Vander Voort.
En 1740, ceux de la corporation de Saint-Luc arrêtèrent
le projet de supprimer l'Académie des Beaux-Arls, afin de
s'affranchir des frais d'entretien de celle école. .Mais plu-
sieurs artistes considérèrent ce projet comme préjudiciable
au |)rogrès des arts. Dans le but de le faire écarter, six
— 24:; —
artistes, peintres et sculpteurs, s'oiïriront à l'autorité com-
munale d'Anvers pour prendre iiratuitemcnt In direc-
tion de l'école. Ce furent Pierre Van Baurscheit, Alexandre
Van Paponhoven, Pierre Boulais, Pierre Sneyors, Michel
Geeraeris et Jean Boîtiers.
Par sa résolution du 8 janvier l7/i-2, l'administration com-
munale autorisa ces artistes à prendre la direction de
l'école et enjoignit aux doyens et autres de la corporation
de Saint-Luc et de la Chambre de rhétorique la Branche
d'Olivier, à mettre les six directeurs en possession des lo-
caux, situés au-dessus de la Bourse, sous peine d'une
amende de 25 patacons à encourir individuellement. Notre
Alexandre Van Papenhoven, qui avait alors 72 ans bien
sonnés, remplit encore pendant dix ans les fonctions de
directeur de l'Académie (i). Frappé d'apoplexie, il fut rcm-
0) « Geinforraeert synde dat de Académie der teeckeninge, boetseringe,
perspeclive, architecture ende andere consten, die tsedert meer als eene eeuwe,
alhier Ioffeiycl< is opgerecht, eride door de Princen van dese Landen, met incora-
sten is begiltight, nu tsedert eenige jaercn door de directeurs derselve is vernegli-
geert ende vercort, en nu eyndelycii geheel achtergeiaeten en afgebroken is ende
de revenue daer toe verleent, elders door hun worden geemployeert, waerinne
nocbtans, soo raen vertrouwt van hooger handt in het cort sal worden voorsien,
ten welcken eynde reets veele devoiren gedaen syn, ondertusschen soo ist ora soo
loffelycke instellinge in dese stadt Antwerpen niet te laeten vergaen en stilie staen
voor het gemeen best, ende tôt aenwesinge van de jonckhcyt ende leerlingen in
dese consten, dat de ondergeteekende sigh ais directeurs presenteren, en aennemen
deselve accadeniie gratis onder hun optepassen ende te dirigeren, ingevalle de
penningen daertoe noodigh synde, connen worden gevonden, van de welcke de
ondergeteeckeiide ten eynde vant jaar aen de contribuanten bewys siillen doen,
dat de selve geheelyck tôt costen en vervoorderinge van dese accadeniie sullen
wesen uytgegeven ende bestcet. Gedaen in Antwerpen den H'" augusli 17.il,
ende waeren onderteekent : P. van Baurscheit, Alexander van Papenhoven,
Petrus B. Boultats, Peeter Snyers, M. J. Geeraerts en ,1. Rottiers. »
— 246 —
placé, le 9 novembre 1752, par son élève, Alexandre-
<■ Aeri rayne Eerw. Heei'en Borcjeineester ende Schepenen der stadt
Antwerpen.
i> Vertooiien met aile eerbiedinge P. van Hauschiet, Aiexander van Papenhoven,
Petrus Bouttats, Peeter Snyers, M. J. Geeraerdts cnde J. B. Rottiers hoe dat sy
supplianten met veel leedtwesen ende verwonderinghe verstaen hebben dat niet
alleenlyek de soo vermaerde académie der teeckenconst binnen dese stadt sedert
eeiiige jaeren seer begonst te vei'vallen, maer selfs dat de dekens ofte regeerders
van Sint-Lucas gilde entrent Sinxen laetsleden, by eene schriftelljke resolutie
door aile de leden van hunne camer onderteeckent (uytgcnomen den tweeden
suppliant), hadden vasigeslelt de selve académie totalyck te supprimeren; men
acht onnoodigh aen UE. Eerw. voorsinnigheyt te moeten voordraegen, van wateen
schadelyck ende beclachelyck gevolgh het soude wesen by aldien dese soo seer
gerenomeerde académie inder manière als voorseyt is hadde vernielight gebleven,
als ooek wat groote meesters uyt deselve voor desen syn voortsgecomen, ende
voorts aile de notoire voordeelen de welcke dese stadt daer uyt is genietende, te
moeten detailleren, dan soo ist dat de supplianten omme eenighsints te voorcomen
eenen soo droevigen voorval aïs soude wesen het vernietigen der meer genielde
académie, genomen hebben de resolutie alhier gevoeght by copy. omme op dien
voet by provisie de académie in den ganck te houden, welcke onderneming tôt
hier toe van een soo ongemeen succès geweest is dat de supplianten sigh daer
over niet gcnoegh en connen verwonderen ofte gelooven, ende wesacngaende men
betrouwt dat UE. Eerw. oock genoeghsaem syn geini'onneerl, doch alsoo het
soude connen gebeuren (het welck men niet verhoopl), dat soo een goede saecke,
door de supplianten met soo veel lever ende désintéressement ondernomen door
eenige qualyck geintentioneerde soude connen worden getraverseert, redenen
waeroramc deselve hun recours nemen tôt UE. Eerw.
» Ootmoedelyck biddende ten eynde de selve gelieve gedient te wesen de sup-
plianten te authoriseren omme by provisie de académie te mogen dirigeren ende
die houden ter gewoonelycke plaetse, tôt dat UE. Eerw. andersints sullen évidente
behooren, Dwelck doendc, etc.
» (Signé) P. van B.\l'hscheit ; Alexander van Papenhoven ; Petrus Baltiiazar
Bouttats; Peeter Snyers; M. J. Geeraerts ; J. Rottiers. »
'I Myne Heeren Borghcmecsteren ende Schepenen der stadt Antwerpen (om
redenen hun raoverende), hebben by provisie, ende tôt dat op de requeste aen
hun gepresentecrt naerder of andersints sal worden gedisponneert, geauthoriseert
ende authoriseren by desen d'Heeren P. van Baurschet (sic), Alexander van
Papenhoven, Petrus liouttats, Peeter Snyers, M. J. Geerardls ende J.-B. Rottiers,
omme te iiebben de voile directie over het houden van de Académie der teecken,
.boutsecren cnde andere consten, daer aen annex. Idque op de ordinaire plaetsen
— "lAl —
François Schobbens (i). Noire artiste, qui habitait la rue
des Juifs, mourut à l'âge de 89 ans, le lo lévrier illid. Il
fut iiibumé à 1 église des Carmes déchaussés d'Anvers (2),
où on plaça une dalle funèbre portant l'inscription suivante :
RUST PLAETS
VAN ALEXANDER VAN PAPENHOVEN,
BEELDHOUWER,
STERFT lo FEBRUARY 1759 (s).
L'artiste avait un talent facile, souple et varié. Il excella
surtout dans la sculpture décoralive. Tout ce qu'il pro-
duisit dans cette spécialité témoigne d'un grand goût, d'une
rare convenance et d'une exécution pleine de hardiesse et
daer toe synde, boven de Borse deser stadt; oidonnerende aeii die dekens,
ouderliedea ende knaepe» van Sint-Lucasgilde ende Ohjfftack, luin hier naer te
nioeten reguleren, met interdiclie aen de sclve van de voors. provisionele geau-
thoriseerde daer in, ofte aen eenige der teeckenacrs ende andere ieerlingcn aldt-er
comparerende per se vel suns, directelyck ofte indirccteiyck eenigiie de aidenninste
stoorenisse ofte beletsel dien aengaende le docn ofte te laeten geschieden ofte de
selve te niisdoen met woorden ofte met wercken, op pêne van vyftentwinligh
pattacons by ieder van hun te verbeuren, ende voorts op arbitraire corrcctie naer
gelegentheyt van saecke, ailes by provisie et donec et usque als hier vooren is
geseyt. Actuni, in collegio, den 8 januari 1742.
» {Signé) Mertens, J.-F van Can. » (/archives de l'Académie royale d'Anvers.)
{i) « Op heden 9 november 1752, is d'heer Alexander Franciscus Schobbens
aangesteit als directeur, in plaetse van d'heer van Papenhove, incapabel geworden
zynde door eene geraecktheyt. » {Registre aux résolutions, n" 22, f" 11.)
(2) (I 17 fcbruary 1759. Alexander Van Papenhoven, een sinckingh, in de
kerck van de Paters Discalsen, compt nyt de Jodestraet; de iiytvaert is daervoor
hier gedaen den 6 meert.
i> 6 meert, Alexander van Papenhoven is geweest een klyn kercklyck, comt
uyt de Jodestraat, is gesoncken in de kerck dcr paters Discalsen, den 17 february;
heeft gesongen den heer Morteinians, en gclesen Mynheer Beeckmans. [s
betalt 55 — 4 (Registre des inhumations de l'église de N.-D. à Anvers, quartier
du Sud).
[z) Voyez Inscriptions funéraires et monumentales de la province d'. invers,
t. V, p. 567.
— ^248 —
d'accent. Ses œuvres lui assignent une place distinguée
parmi les anciens sculpteurs dont s'honore la Belgique.
On sait que les confréries, qui existaient autrefois dans
nos églises, avaient coutume de consacrer la plus grande
partie de leurs ressources à faire exécuter des œuvres d'art
pour la décoration de leurs oratoires. C'est à ces associa-
tions pieuses que nous sommes redevables des œuvres d'art
les plus remarquables qu'on trouve dans nos édifices reli-
gieux. Ce fut, pour ne puiser des exemples que d;ms l'his-
toire de Louvain, la confrérie du Saint-Sacrement qui
chargea Thierry Bouts d'exécuter ces deux pages admira-
bles — la Cène et le Martyre de saint Erasme — qui font
aujourd'hui le plus bel ornement de la collégiale de Saint-
Pierre ; ce fut une autre confrérie louvaniste, celle de Sainte-
Anne, qui dota le même temple de ce splendidc triptyque de
Quentin Melsys, qui constitue actuellement la perle du
Musée de Bruxelles. Gaspar De Crayer exécuta pour une
confrérie louvaniste la ravissante toile représentant saint
Charles visitant les pestiférés, qu'un républicain français
appelé Laurent, « représentant du peuple, envoyé près
l'armée du Nord, » enleva, en 1794, de notre collégiale,
et dont l'impératrice Joséphine disposa en faveur du Musée
de Nancy, où celle œuvre flamande occupe une première
place.
Ce fut en 1706 que la confrérie du Saint-Sacrement ré-
solut de faire exécuter une nouvelle table de communion en
marbre blanc, richement ornementée, pour être placée de-
vant l'oraloire qu'elle possédait à la collégiale de Saint-
Pierre. Alexandre Van Papenhovcn venait de placer à
l'église des Jésuites, actuellement l'église de Saint-Michel,
— 240 —
un appui de communion en i)ois de chêne, servant en même
lemps de clôture du chœur et des chapelles absifhales. Ce
iravaii, qui existe encore et qui est d'un grand caractère et
d'un remarquiible arrangement, engagea hi confrérie louva-
niste à confier à l'artiste anversois l'exécution de l'œuvre
projetée.
Le 25 mai 1707 eut lieu, devant le notaire Vander
Smissen, à Louvain, la passation du contrat pour l'exécution
de la nouvelle table de communion. La confrérie était repré-
sentée par ses maitres, savoir : iVlichel Wagemans, Pierre
Van Varenbergh, G. Slaes, Charles Henskens, Jean Bollens
et Henri Van Haenewj^ck. Le sculpteur Van Papenhoven
s'y engagea à exécuter, avant le 51 mars 1708, le travail
dont il s'agit, conformément au modèle présenté par lui et
ce moyennant une somme de 1,000 tlorins de change ou
fr. 2,116-40 de notre monnaie. La table devait clôturer, en
guise de balustrade, l'oratoire de la confrérie, à partir du
pilier se trouvant à l'entrée de la sacristie jusqu'au pre-
mier pilier de la chapelle de Saint-Jean dans l'huile. Elle
devait être exécutée en marbre blanc de bonne qualité. Le
marbre devait être expertisé par des personnes compétentes.
Les panneaux, travaillés à jour, devaient être ornementés
de deux côtés, c'est-à-dire par devant et par derrière. La
corniche ou le couronnement ainsi que l'agenouilloir de-
vaient être en marbre blanc veiné. L'artiste devait fournir
tout le marbre. Mais la confrérie s'engagea à faire établir
une maçonnerie en briques pour servir de fondation au tra-
vail, ainsi qu'à fournir les ferrures pour l'attacher. Selon le
contrat, le paiement devait avoir lieu de la manière suivante :
1" un tiers de la somme le 25 mai 1707; 2" "un second
— 250 —
tiers lorsque la moitié du travail serait fournie, et 5'^ un troi-
sième tiers lorsqu'il serait complètement placé à Saint-Pierre.
Alors la confrérie devait faire constater si la table était
de tous points conforme au modèle, tant sous le rapport
des matériaux que de l'exécution. Nous avons transcrit le
texte de ce contrat et nous le publions en noie (i).
(i) « Op heden den xxiij niey 1707 coraparerende voor my notaris, présent die
naerge.noemde gctiiyglieii. S'' Alexanuek van Pai'enhûven, mecster beldtsnyder
biniieii die stadl Aiitwerpeii, den welckcii geloofl, soo en Lçelyck liy doetby desen,
te inaken en voltreckcn, tnsschen dathe deser en den lesten niarlii van den jarc
1708, alsulcker commnniebanck als hy comparant in raodel heeft gepresenteert,
vuyt le wercken ailes in witten marbelen steen in de distantie van twee pillaren
staende aen den anthaer van het Hooghweerdigh, in de kercke van Sinte-Peetcrs,
te weten van de eerste pilare comende naer den cant van den authaer van Sint-
Jans in d'Olie ende d'andere op den hoeck niaeckende den inganck naer het
sacristye van het Hooghweerdigh aUhaer, en alsoo wedersyts sluylende tusschen
de twee pillaren, op den voet dal hy aennemere sal leveren het plan ofte den
marbelen totte knielbancke, waer van den groiidt sal opgeniaeL-kt uorden door de
ondergeschrevene meesters van het Hooghweerdigh, en voorts sal hy aennemere
het voorder werck ofte het borstgeweyr van de coniniuniebank nioelen stellcn in
conformiteyt van het selve model, op synen cost alleen, sonder daer over eenighe
recompens le prcteiideren, behoudelyck datte ondergetceckende meesters sullen
leveren het yserwerck dienende oni de voorschrevene conimuniebanck en des daer
aen cleeft tebinden, sonder meer, ailes op de naervolghende eonditien :
lerst dat het borstgeweyr van de knielbanck boven die cnielbanck sal wezen
twee voeten en ses duyraen anlwerpsche inaet.
« Item, datte fignren van het werck wederzyts sullen worden vuytgewerckt,
biiytenwarts als biniienwarts, volgens die natnre soe van die figuren, fruylagien
als andersints, conforni den nioilele voorschreven.
» llem, sal den aennemere het cornis in het voorsc. werck nioeten maken in
witten gespickelden ofle gewolckten merbel en dergelycx de knielbanck.
)i Ailes ingevolgcde voorschreve gereclameerde modellete leveren goedenmar-
belsteen, ter visitatie van niannen hen des verstaende,welcke niodelle den aennemere
pertinenteiyck sal overleggen met het werck, mits allen iwelcke eu d'vnytweikinghe
van dyen, soe geloven die onder'geschreven authaermeesters van het Hoogwcerdigh
aen den aennemere op te leggen ende le betalen duysent gnlden wisselgelt, te
weten een derdo paert in contant, het tweede derde pacrt alswanneer die heilight
sal wesen vuytgewerckt, ende het rcslerende derde paert alswanneer het werck
effectivclyck sal wezen in staet gestelt altiier ter idaetse en gevisiteert conibrm te
wcsen aen het voorschreven model, soo in wittighyt van den merbel, de distinctie
— 251 —
La confrérie supporta les frais de l'acte notarié, (pii, par
parenthèse, ne coûta que douze sous. La belle position que
celle de notaire au xviii® siècle ! (i)
Alexandre Van Papenhoven entreprit infimédiatemenl le
travail et le termina avant l'époque stipulée. Gela résulte des
renseignements que nous avons trouvés dans les comptes
de la confrérie du Saint-Sacrement. Nous transcrivons en
note le texte de ces divers postes.
Van Papenhoven reçut un tiers du prix convenu le jour
de la passation du contrat. Quand la moitié du travail était
achevé, la confrérie fit remettre à l'artiste, par l'entremise
du père Bernard Vanden Houle, économe du collège des
van 't loversieraet als in de vuylwerkinglie. van de ligiiren ende represciitatic by
de modelle gerepresenteert.
» IJelovende soo deu aenncmere als d'ondergeleeckende aulhaermcesters 't genc
voorschrevcn is punclielyck l'achtervolglien en te volbrenghen, onder obligatie,
submissie en rcniintialie in foriiia. Conslitueerende aile thoonders deser en elck
in het bysonder ons tghene voorsci'éven is le doen en te laten vernienwen ende
seiitentiereii 't zy in den Rade van Brabant, Schepenen van Loven en andersins
clders, daer dit van noode wesen sal, onder gcwillighe condemnatie souder
dagement.
» Aldus gedaen en gepasseert ten tyde voorsihreven ter presentie van S' Peeter
Herlhais en Carel Doyz aïs getuyghen.
» [Signé) Alexander van Papenhoven.
» M. Wage.mans.
)' Peeter van Varenbergh.
» tJ. Staes.
» Carel Henskens. )■ My présent als notaris,
)» Jan Bollens. » Quod atteator,
B H. VAN Hanewvck. )i Van uer Smissen. »
(i) « Item, betaelt aan den notaris van der Smissen voorhet passeien van den
contracte van de coinniuniebanck de somme van tweelfl' stuyvers — 12 st. »
(Compte de la Confrérie dn Saint-Sacrement, à l'église de Saint-Pierre, à Louvain,
du, 18 mai 1706 «« % juin 1707. — Archives de l'église de Saint-Pierre.)
— 252 —
Jésuites, àLouvaiii, une seconde somme de 500 florins (\).
Dès que le tout fut achevé et placé, la confrérie lui fit
compter, par le même prèlre, une dernière somme de 530
florins (2).
A cette époque aucun artiste ne pouvait placer un travail
de sculpture, à Louvain, sans appartenir au métier des
maçons, tailleurs de pierres et sculpteurs de la localité.
C'était d'ailleurs la règle suivie dans toutes nos grandes
villes. Or, en permettant d'établir dans une église de Louvain
une production d'un artiste du dehors, la confrérie du Saint-
Sacrement devait s'attirer sinon un procès, au moins de
grands désagréments. On comprend sans peine que les
hommes de métiers étaient trop fiers de leurs privilèges pour
permettre d'y porter atteinte. Il était établi que nul sculpteur
de la localité n'était capable d'exécuter un travail aussi
imjjortant que l'appui de communion qui nous occupe.
Mais cette circonstance ne diminuait en rien les prérogatives
de la corporation louvaniste. Dans le dessein d'éviter les
réclamations qui allaient se produire, la confrérie jugea pru-
dent d'invoquer l'intervontion de l'autorité communale,
tutrice du métier des sculpteurs, comme de tous les autres
(1) « llcrn, hecftdeii rendant gelicht vuytte comme de somme van dry hondert
gulden wissclgelt cm tselve te geven aen B. van den Houte, Societatis Jesu,
volgens accorde dycn aengaende gemaeckt, voor den Notaris van der Smissen,
over de conimuniebanck welcke quitlaiitie, beneffens het slot doser rekeninghe, sal
worden geleydt in de comme. {Compte de la Confrérie du Saint -Sacrement, à
Véglise de Saint-Pierre, a Louvain, du 18 mai 1706 au H juin 1707.)
(ï) « Item, Bernai dus van den Honte, procurator van de PP. der Sociefeyt,
hy qiiittantie, de somme van dry hondert guidons wisselgclde, ten oynde om te
doen tellon tôt Anlwerpen aen S'" Ale.xandor van Papenlioven, op rekeninghe van
de marbele commuiiiebanck, by hem gemaeckt voor het broederschap van het
Hooghweerdichste, alhier vuytgetrokken in courant, l'acit ;V60 guidons. »
— ->o5 —
corps de métiers. Le conseil communal s'occupa de la
demande, dans sa réunion du 2 avril 1708. Elle résolut d'en-
tendre ceux du métier des sculpteurs, tout en prônant l'en-
gagement d'arranger à l'amiable l'artaire dont il s'agit (i).
Le maître maçon Bodevvyns établit la base en briques de la
table de communion. Ce travail occasionna une dépense de
15 d/:2 florins (2). Etienne Laurens reçut un florin 16 sous
pour avoir fourni le sable cl l'eau nécessaires à la préparation
de la chaux (5). Les ferrures furent fournies par Guillaume
Gordemans,, moyennant une somme de 11 florins (4). On
paya, en outre, au nommé Van Haeren une somme de
12 florins et 12 sous (5). Les maîtres de la confrérie offrirent
(1) « Is aen den Raede rapport gedaeii by die meesters van het vcnerabel,
inde kercke van Sint-Peeters, alhier, hoe dal sy tôt Antwerpen hebbcn doen
maecken eene seer constighe witte raarbere communie banck, ende beduchlen
dat, int innebrengen, die deeckens van het beeltsnyeders ende steenhouders
ambachle hen soude moyelyckheyt aen doen, ingevolge henné BoUe, daer dat het
selve hier niet en can geniaeckt worden, soc baden sy dat rayne Hceren daer inné
souden gelicven le versien.
» Waerop myne Heeren heliben geresolveert eerst ende voor aile te confer-
reren met die van het beelsnyeders arabachte ende, in cas van geen accomode-
œent, dat de selve myne Hceren daer inné sullen coemen te versien. » [Registre
aux résolutions du Magistrat de Louvaiu; séance du 2 avril 4708, p. loo verso.)
(2) « Ilem, betaelt aen S'' Bandewyns, meester raetser, voor gewerckt te
hebben aen de coaimuniebanck ter somme van vyliien gulden, elf stuyvers een
halven, by quittantie 15 guld. Il 1/2. p
(3) u Item, betaelt aen Steven Laurens voor het vueren \ an den savel en water
tôt het blussen van den calck totte conimuniebaiick, volgrns billet — 1 — 16. »
(4) (1 Item, aen Guilliam Gordemans voor het eyserwerck totte voorschreve
communiebaiick, betaelt volgens billet ende quitiancie, 11 — 00. {Compte cité du
8 juin 1707 au 2'2 7nai no«.)
(5) « Item, belaeit aen van Haeren, volgeiis ackoordt, van het bcvryden van
de communiebantk ende aen de selve gewerckt te hebben, ter somme van Iwelff
gulden Iwelff stuyvers — 12-12. »
— 254 —
à l'ouvrier de Van Papenhoven, pour une paire de gants,
o florins, 12 sous (i).
Le travail de Van Papenlioven eul le succès qu'il méri-
tait. Nous lisons dans le Guide fidèle contenant la descrip-
tion de la ville de Louvain, publié à Bruxelles, en 1762, ce
qui suit :
« La table de communion, qui est à la chapelle du Saint-
Sacrement, est d'un très beau marbre blanc percé à jour; c'est
un vrai morceau de maître, qui peut mieux faire l'éloge
de l'adresse de son ouvrier que tout ce qu'on en pourrait
dire. »
Au mois d'août 1798 eut lieu, à 1 église de Saint-Pierre,
la vente de tout ce qui se trouvait dans cet édifice, alors un
vaste Musée d'œuvres d'art. La magnifique table de com-
munion et l'autel de l'oratoire furent également présentés
en vente. Grâce aux maîtres de la confrérie, qui eurent la
sagesse de faire racheter, par une personne interposée, les
objets dont il s'agit, ceux-ci restèrent en place. La table de
communion et l'autel — un splendide autel en marbre —
furent adjugés au prix de 200 livres! (2) Il est à remarquer
qu'on vendait alors, à Louvain, un bon de 1,000 livres pour
un Louis d'or.
Dans la table de communion de l'église de Saint-Pierre,
Van Papenhoven avait à traduire par la plastique l'histoire
(i) « Item, aen den knccht van den beelisnyder voor cen paer liantschoeiien,
met kennissc van de meesters, o gulden 12 stiiyvers. » {Compte cité du 22 mai
1708 flM iAmai 1709.)
(2) Voyez notre édition de l'ouvrage de Guill;iume Boonen, intitulé : Geschie-
denis van Leuven. Louvain, 1880, p. 446.
— 2o5 —
du Saint-Sacremeiu. Il m magistralement satisfait à cette
obligation, ainsi que nous allons le voir.
La table de communion a une longueur de 4'"8o et une
hauteur de 75 centimètres L'agenouilloir a 16 centimètres
de hauteur et 34 de largeur. La tablette, qui forme la cor-
niche, a 25 centimètres de largeur. Chaque panneau a
l'"15 de longueur et 53 centimètres de hauteur; chaque pi-
lastre a 65 centimètres de hauteur cl 55 de largeur. Toutes
les parties sculpturales sont en marbre statuaire; l'agenouil-
loir et la corniche sont en marbre blanc veiné.
Chaque pilastre est orné d'un médaillon ovale renfermant
un sujet en relief symbolisant le Saint-Sacrement. Le mé-
daillon du premier pilastre représente l'Arche Sainte; le der-
nier, la table avec les douze pains. C'est l'ancienne loi. Les
médaillons des deux piliers du milieu offrent, le premier
le pélican, qui fait couler sur ses petits le sang de son corps
déchiré; le second, l'agneau gisant sur le livre à sept
sceaux. On sait que le pélican est une représentation sym-
bolique du Christ, qui versa son sang pour la rédemption
du genre humain.
Les panneaux sont entièrement travaillés à jour. Leur
décoration se compose de rinceaux de palmiers et de vignes,
avec grappes de raisins et épis de maïs. Dans chaque pan-
neau, au milieu de branches qui s'enroulent en volute, avec
une grâce merveilleuse, on trouve un groupe de deux pe-
tits enfants. Le groupe du panneau du centre offre aux
regards le Saint-Sacrement représenté par un calice posé
sur des images soutenus par deux Chérubins et surmonté
par la Sainte Hostie. De chaque côté du calice se trouve un
ange dans l'attitude de l'adoration.
— 256 —
Les deux autres panneaux offrent des sujets ayant rap-
port au Saint-Sacrement : IMe Baptême; 2" la Confession.
Dans le premier panneau apparaissent le petit Jésus et le
petit saint Jean, De la main gauche Jésus lient une croix
avec banderole; de la main droite, il verse, au moyen d'une
coquille, de l'eau sur la tète de son petit cousin. Une colombe,
qui ligure le Saint Esprit, plane au-dessus des deux en-
fants.
L'autre panneau représente le petit saint Jean se confes-
sant au petit Jésus. Au-dessus des deux enfants plane l'œil
de Dieu, dans un triangle, allusion à la Sainte Trinité.
Le maïs et les grappes de raisins qu'on remarque dans
ces panneaux symbolisent le corps et le sang du Christ.
La table de communion de l'église de Saint- Pierre mérite
l'admiration dont il est l'objet. C'est une œuvre sculpturale'
de premier ordre. Au lieu d'être la reproduction fidèle d'un
modèle en terre glaise par un praticien habile, c'est une
œuvre qui est sortie du ciseau de l'ai'tiste. On y constate
que c'est le maitre lui-même qui a traduit en marbre ce
qu'il avait crée. Les ornements sont distribués et arrangés
avec iniiniment de goût. Dans leur sérénité blanche et
translucide, les figures d'enfants sont pleines de charme,
d'élégance et de grâce. On dirait qu'elles ont une fàme,
qu'elles sentent et qu'elles respirent. Le groupe représen-
tant le petit Jésus donnant le baptême au petit saint Jean
est d'une grande élévation de sentiment et d'une remar-
quable perfection de rendu. Rien de ravissant comme le
groupe représentant le petit saint Jean se confessant au
|jetit Jésus. La gentillesse du jeune âge y est exprimée
avec une haute poésie. Ces petites têtes respirent une joie
— 2J)7 —
douce et sereine. On sent qu'ils sont lieureux de ce bon-
heur sans nuages que ne connaissent que les enfants.
L'exécution témoigne d'une grande dextérité dans le manie-
ment du ciseau. Les détails sont fouillés, accusés, rendus
avec une hardiesse merveilleuse. On y observe des feuilles
ornementales et des grappes de raisins qui sont frémis-
santes, vibrantes de relief et de vérité. Il est permis d'af-
firmer que l'artiste a su surmonter les plus grandes dilTi-
cultés sans tomber dans cette perfection froide, léchée, qui
dépare trop souvent les travaux de notre époque. Tout est
convenablement colorié de lumière et d'ombre. Les blan-
cheurs et les transparences marmoréennes contribuent
puissamment à faire ressortir, à mettre en évidence les
grandes qualités de celte œuvre qui constitue incontesta-
blement l'une des plus belles productions sculpturales exé-
cutées en Belgique au xviii* siècle.
Ainsi qu'il a été dit plus haut, on oublia peu à peu, à
Louvain, le nom d'Alexandre Van Papenhoven et sa table de
communion finit par être attribuée à Duquesnoy. En resti-
tuant cette remarquable production à son véritable auteur
et en publiant les pièces qui s'y rapportent, nous croyons
avoir rendu un petit service à l'histoire de l'art.
Ed. Van Even.
Louvain, le 7 octobre 1884.
COMMISSION ROYALF. DES MONUMENTS
RÉSUMÉ DES PROGES-VERBA.UX.
SÉANCES
des 3, 5, 12, 19 et 26 juillet; des 2, 9, 16, 23 et 30 août 1884.
ACTES OFFICIELS.
Arrêté de nomination d'un membre de la Commission.
Léopold II, Roi des Belges,
d'uTme.nbre A tous pfésents ct à venir. Salut,
il la rominjssion
d's mmfu'Lnis. R^vu Ibs arrèlôs du 7 janvier 1853, du 50 juin 18G2 et
du 1" mars 1866;
Vu l'arrêté royal transférant l'administration des Beaux-
Arts au ministère de l'agriculture, de l'industrie et des travau.\
publics ;
Sur la proposition de notre Ministre de l'agriculture, de
l'industrie et des travaux publics et de notre Ministre de la
justice.
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. 1". Le sieur Reusens, E., professeur d'archéologie
— 239 —
à rUniveZ-silé de Louvain, est nommé membre de la Com-
mission royale des monuments, en remplacement du sieur
Rémont, architecte, à Liège, décédé.
Art. 2. Notre Ministre de l'agriculture, de l'industrie et
des travaux publics et notre Ministre de la justice sont
chargés de l'exécution du présent arrêté.
Donné à Ostende le 28 juillet 1884.
(Signé) Léopold.
Par le Roi :
Le Minisire de VagricuUure, de l'industrie
et des travaux publics,
(Signé) A. Beernaert.
Le Ministre de la justice,
(Signé) WoESTE.
PEINTURE ET SCULPTURE.
La Commission a émis des avis favorables sur :
1° Le projet relatif au placement, dans l'ésrlise de Saint- Ëguse
Sauveur, à Gand, de dix vitraux en grisaille ; ^Gand.viuaux.-
2' Les nouvelles maquettes des statues destinées à la dé- Païais de justice
d'Anvers.
coration de la façade du palais de justice d'Anvers, sous la
réserve de quelques modifications de détails que les auteurs,
MM. Deckers et De Plyn, s'engagent à apporter dans l'exécu-
tion du modèle au tiers.
— A la demande de M. le Ministre de l'agriculture, dcTcrrasses de nie
du Commerce
l'industrie et des travaux publics, des délégués se sont ren- ^^^i;«;e.
dus à l'atelier de M. De Tombay, statuaire, pour y examiner
le modèle, grandeur d'exécution, du groupe destiné à la
— 260 —
décoration des lerrasses de l'Ile du Commerce, à Liège, et
représentant le cheval dompté par l'homme.
Ils sont d'avis, et la Commission a confirmé leur opinion,
que ce travail est d'une exécution fort satisfaisante et que
rien ne s'oppose à ce qu'il soit procédé à la fonte en bronze
du groupe.
Terrâmes de liic — Dgg déléffués out orocédé, d'après les instructions de
du Comme rcfi, o l ' r
Groupée'". M. Ic Mlulstrc de l'agriculture, de l'industrie et des travaux
publics, à l'examen du modèle, grandeur d'exécution, du
groupe exécuté par M. Halkin, pour la décoration d'une des
terrasses de l'Ile du Commerce, à Liège, et représentant
le cheval utilisé par l'homme.
Les délégués sont d'avis que le cheval, sauf quelques
critiques de détail peu importantes, est d'une exécution
satisfaisante dans son ensemble.
A l'égard de l'homme, il devra être remanié.
Cette figure est d'ailleurs plus courte que la figure du
groupe de M. De Tombay, auquel le groupe de M. Halkin
doit faire pendant.
Il serait désirable que, tant pour les dimensions que pour
les proportions relatives, les deux artistes se missent d'accord.
La ville de Liège a décidé que les modèles en plâtre des
groupes commandés seraient placés à titre d'essai sur les
terrasses de l'Ile du Commerce avant qu'on autorisât la coulée
en bronze. Cette précaution parait sage et l'on ne peut que
l'approuver.
Palais — Des déléciués ont examiné dans les ateliers de la Com-
des Bt-aiix-Artii, *^
^s[""c^"' pyg'iie des bronzes les statues dont la fonte avait été confiée
à cette Société et qui sont destinées à surmonter les co-
lonnes de la façade du palais des Beaux-Arts, à Bruxelles.
— 2(>l —
Ces slatues, au nombre de trois, représenlent : la Sculpture,
par M. G. Geefs ; l'Architecture, par M. Samain; la Pein-
ture, par M. Mélot.
La réussite de la foute a été constatée. Deux des statues,
celles qui figurent la Peinture et la Sculpture, ont été légè-
rement teintées d'une patine verte qui, au point de vue de
l'ensemble de la décoration à laquelle ces figures doivent
concourir, produirait une disparate avec la statue déjà
placée, dont le ton aurait dû être reproduit.
L'observation précitée ne portant que sur une erreur de
faible importance et des plus faciles à réparer, la Commis-
sion est d'avis que rien ne s'oppose à ce que le placement
des statues soit autorisé.
— Des délégués se sont rendus, le 4 juillet 1884, à Wal- Eri
court (Namur), pour inspecter l'étal du célèbre jubé de cette
localité, dont la démolition avait été annoncée à la Com-
mission. Ils ont constaté les faits suivants :
Contrairement à ce qui avait été rapporté, le jubé de l'église
de Walcourt n'est pas entièrement démoli. Toute la partie
fondamentale de la construction, voûtes et piliers, subsiste
encore. Ce qu'on a démoli, est le revêtement de sa façade, son
ornementation sculptée à jour et ses niches avec statuettes.
Ce travail avait été nécessité dès 1881 par des mouvements
qui s'étaient produits dans la construction et qui la mena-
çaient d'une ruine complète. Il y a été procédé avec un soin
minutieux et l'enlèvement successif de tous les détails déco-
ratifs du jubé, la facilité qu'on a eue pour les comparer, les
rapprocher et en étudier tous les ajustements, a permis de
constater toutes les erreurs et toutes les transpositions qui
avaient été commises au commencement de ce siècle, quand
de Walcoiiil.
Jiibr.
— 262 —
on avait déplacé et reconstitué à la hâte ce petit monument.
Les parties enlevées ont été nettoyées et les parties man-
quantes ou dénaturées ont été reconstituées par M. le sulp-
teur Verdeyen, de Louvain, avec une exactitude et une con-
science dignes de tous les éloges. Toute la décoration du jubé
est complète aujourd'hui et prête à être remise en place,
dans l'ordre primitif, et tel que l'avait tracé l'auteur du jubé.
Les délégués ont recommandé à M. Verdeyen de respecter
scrupuleusement la polychromie ancienne encore visible
dans un grand nombre de fragments et de s'abstenir de tout
grattage dans les sculptures anciennes. Ce n'est qu'après la
reconstruction complète du jubé qu'on pourra étudier les
mesures à prendre pour en compléter la décoration par la
polychromie et h statuaire, et sur l'un et l'autre point, ce
travail complémentaire doit être aussi sobre que possible.
Il reste encore à étudier :
\° La restauration de la partie inférieure du monument.
Là, plus d'un problème reste à résoudre : la plupart des
arcades sont faussées par l'introduction de membres étran-
gers; on voit à leur naissance des nervures qui s'interrom-
pent brusquement et dont les parties manquantes semblent
avoir servi à composer d'autres arcs, qui n'existaient pas
primitivement. Il y a là tout une étude à faire pour re-
trouver la construction ancienne comme on a trouvé la
décoration primitive;
2" La décoration de la façade, vers le chœur, est à élu-
dier tout entière, si lant est qu'elle ait jamais existé, car
elle semble avoir é(é nulle antérieurement, et l'on peut
croire que cette partie du jubé était cachée jadis par le
revêtement des stalles.
— 2(;r, -
Pour ces deux catégories de travaux, dont la première
seule est urgente, il devra être soumis dp^ dessins précis.
Ce n'est qu'après la présentation d'un projiît pour le ré-
tablissement de la partie inférieure du jubé qu'on pourra
apprécier exactement la somme encore nécessaire pour la
restauration de ce monument; mais dès à présent l'on sup-
pose qu'une somme d'une quinzaine de mille francs sera
plus que suffisante pour l'aclièvement de ces travaux,
4,000 francs environ restant encore disponibles pour les con-
tinuer. Il y aurait donc lieu de mettre immédiatement en
liquidation les derniers subsides promis, l'ensemble des
travaux exécutés ayant droit d'ailleurs à toute l'approbation
de là Commission, et de s'entendre -avec les diverses auto-
rités intéressées pour leur achèvement
CONSTRUCTIONS CIVILES.
Le Collège a approuvé les plans relatifs à la construction Théàtro flamand.
à Knixelles.
d'un théâtre flamand à Bruxelles. Il n'a pas cru devoir pré-
senter des observations sur ce projet, œuvre de iM. l'archi-
tecte .1. Baes, ne voulant pas empêcher la réalisation de
certaines conceptions architecturales qui passent aujour-
d'hui pour des nouveautés, alors surtoutque les plans avaient
déjà reçu l'approbation de la ville de Bruxelles. Il a paru
préférable de laisser faire celte expérience, qui peut être
d'utilité générale.
ÉDIFICES RELIGIEUX.
PRESBYTÈRES.
Ont été approuvés :
1° L'avanl-proiet relatif à la construction d'un presbv-, ivesbyiorf
tère à Droogenbosch (Brabant);
— <26i —
de DroSosch. 2° Lo dcvis moctifié (fr. 2,681-59, au lieu de fr. 5,051 -55)
des travaux de restauration à exécuter au presbytère de
Poederlé (Anvers) ;
deS^Nicoia. ^^ ^^ dépeuse supplémentaire de fr. 5,879-25, résultant
de la restauration du presbytère de Saint-Nicolas, à Nivelles
(Brabant).
ÉGLISES. — CONSTRUCTIONS NOUVELLES.
Des avis favorables ont été donnés sur :
de Ruyibrocck. 1" Lc projet drcssé par M. l'architecte Dumonl pour
l'agrandissement de l'église de Ruysbroeck (Brabant);
Eglise 50 Lg projet relatif à la construction d'une sacristie à
<ic Chapelle- i •>
iez-Heria.mou,. y^^y^^^ ^^ Chapelle-loz-Herlaimon t (Hainaut) ;
Eglise 50 La demande de l'administration communale de Herck-
de Herck-
Saint- am ert. g^int-Lambert (Limbourg) tendante à obtenir l'autorisation
d'employer le système de la régie pour les travaux d'agran-
dissement du jubé de l'église de cette localité;
dechcraite- ^^ ^Gs dcsslus rclatlfs à l'exécution d'un vitrail et à
.ain-osepi. ['^i^eublement de l'église de Chératte-Saint-Joseph (Liège):
auteur, M. A. Van Assche;
sai.fi?Eiutbc.ib, 5° Les plans relatifs à l'exécution d'objets mobiliers
destinés à l'église de Sainte-Elisabeth, à Gand, comprenant
une chaire, des stalles et des confessionnaux : auteur,
M. A. Van Assche;
Église de Graiv- go j^g projct relatif à l'exécution d'une chaire de vérité
sous-lloves. I "
pour l'église de Graty-sous-Hoves (Hainaut) : architecte,
M.MuIlcr;
Kgii^e 7" Un projet de baldaquin destiné à l'église de Wommer-
de WommersoiM.
som (Brabant) ;
— 265 —
8" Le rnainlien dans l'église de Louise-Marie, à ElichovedcLoufsé-Mano
T1I 1 f 11- .a Élicliove.
(Flandre orienlale), d'un confessionnal place sans autorisa-
tion préalable;
0" La proposition lendantc à autoriser la démolition du Egiise
' ' de Cappcipu.
mailre-aulel de l'éfflise de Gappellen (Anvers) ; il résulte des
renseignements qu'a fournis l'un des dessinateurs attachés
à la Commission que l'état de détérioration de la partie supé-
rieure de l'autel est tellement prononcé qu'il y a impossi-
bilité absolue de conserver ce meuble;
iO" La demande du conseil de fabrique de l'église d'Ee-EK"'^'''^^'^'"''
cloo (Flandre orientale), tendante à obtenir l'autorisation
d'aliéner le mobilier provenant de l'ancienne église de cette
localité. D'après les documents soumis à la Commission,
aucun des objets qui composent ce mobilier ne parait re-
marquable au point de vue de l'art ou de l'archéologie.
TRAVAUX DE RESTAURATION.
La Commission a approuvé les projets des travaux de ^f^'.;;;?;;""
. I- 1 églises.
restauration a exécuter aux églises de :
Malempré (Luxembourg) : réparations diverses;
Hensies(Hainaut) : consolidation des supports de la char-
pente de la tour et de l'établi de la cloche;
Swevezeele (Flandre occidentale) : réparation des toitures;
Cambron-Saint-Vincent (Hainaut) : réparations diverses
à l'église et au presbytère ;
Ingelmunster (Flandre occidentale) : renouvellement d'une
partie de la toiture ;
Sainte-Croix, à Ixelles (Brabanl) : réparation de la flèche;
Isières (Hainaut) : réparations des toitures;
— 266 —
Rousbrugge (Flandre occidentale) : tour;
Contich (Anverr.) : réparations diverses ;
Seraing (Liège) : travaux de consolidation et de soutène-
ment.
La Commission a également approuvé le compte rendu
des travaux exécutés jusqu'à ce jour au vaisseau de la cathé-
drale de Saint-Bavon, à Gand.
Église des — A la demande de M. le Ministre de l'intérieur, la Com-
Cannes Chaussés,
a Gand. n^issiou a prié l'un de ses membres, M. Pauli, de lui adresser
un rapport détaillé sur les travaux d'appropriation et de
restauration qui ont été exécutés à l'ancienne église des
Carmes-Chaussés, à Gand, en vue de l'installation d'un
Musée d'art industriel des siècles passés.
Il résulte du rapport de M. Pauli que les frais d'acqui-
sition du local, sa restauration, son appropriation et son
ameublement s'élèvent à environ 131,000 francs. Cette
somme comprend :
1" Prix d'achat du bâtiment . . . . fr. 62,764 82
2" Frais d'appropriation 50,000 »
o° Construction de l'habitation du concierge. 8,700 »
4° Chauffage à l'eau chaude 7,100 »
o" Mobilier 12,000 «
6" Frais supplémentaires pour le renouvel-
lement complet de la toiture, paratonnerre, etc. 10,500 «
Fr. 151,064 82
Tous les travaux énumérés ci-dessus sont terminés ou
sont sur le point de l'être, et le Musée ne tardera pas à être
livré à sa destination.
En dehors des travaux d'appropriation et d'ameublement
— 267 —
proprement dits, la ville de Gand s'est imposé une dépense
supplémentaire pouvant être évaluée de 18,000 à 20,000
francs, en vue de conserver au local son caractère primitif.
La voûte en bardeaux de la nef principale a été complète-
ment renouvelée ; la voûte en plein-cintre plafonnée delà
nef latérale a été remplacée pnr une voûte ogivale en bar-
deaux et les lucarnes qui l'éclairent ont été reconstruites
dans leur forme originelle; les chapiteaux et les bases des
piliers ont été restaurés partiellement et il en est de même
des meneaux des fenêtres et des culs-de-lampe recevant la
retombée des voûtes des bas-côtés. Ces travaux, que ia ville
aurait pu se dispenser de faire exécuter sans inconvénients
pour la destination de l'édifice, ont été ordonnés par elle
uniquement dans le but de conserver au bâtiment son ca-
ractère primordial et augmenter par là l'intérêt qui s'attache
au nouveau musée archéologique.
— M. le Ministre de la justice ayant désiré être renseigné Égusc
'' "^ 'de Nolre-Damp.
sur la marche des travaux de restauration de l'église de ^"^%^^2"''
. Notre-Dame-Saint-Pierre, à Gand, le rapport ci-après a été
adressé à la Commission, pour la mettre à même de satis-
faire à la demande de M. le Ministre :
« Monsieur le Président,
» Dans mon rapport en date du 21 juin 1885, j'ai eu
l'honneur de vous rendre compte de la marche des travaux
de restauration de la façade principale de l'église de Notre-
Dame-Saint-Pierre, à Gand.
» Depuis cette époque, les travaux ont été interrompus de
façon que toute la partie inférieure de la façade, ;iinsi que
le portail principal d'entrée, sont inachevés.
— 208 —
» D'après le devis dressé par M. l'architecte De Perre
une somme de fr. 4,115-0'2 suffirait pour compléter ce
travail.
» Il est à remarquer toutefois que la plus grande partie
de ces travaux est comprise dans le devis général; il ne
reste donc en réalité qu'à autoriser les travaux supplémen-
taires, évalués à 1,950 francs, plus les honoraires à 5 p. c.
dus à l'architecte, soit une dépense totale de fr. 2,053-80.
» Agréez, etc.
). Gand, le 9 août 1884.
» (Signé Ad. Pauli. »
La Commission s'est ralliée aux conclusions de ce rap-
port.
Le Secrétaire Général,
J. Rousseau.
Vu en conformité de l'article 25 du règlement.
Le Prr'.ndenl,
Wellens.
MUSÉE ROYAL D'ANTIQUITÉS, D'ARMURES & D'ARTILLERIE
Xominalion du Président de la Commission
Léopold II, Roi des Belges,
A tous présents et à venir. Salut.
Vu Notre arrêté du 5 mai 1879, portant règlement
organique du Musée royal d'antiquités, d'armures et d'ar-
tillerie;
Vu l'arrêté du mois d'octobre 1882, déterminant le nombre
des membres de la Commission directrice de l'établissement;
Sur la proposition de Nos Ministres de l'agriculure, de
l'industrie et des travaux publics et de la guerre,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. 1". M. R. Ghalon, actuellement Vice-Président de la
Commission directrice du Mnsée royal d'antiquités, d'ar-
mures et d'artillerie, est nommé Président de ladite Com-
mission.
Art. 2. Nos Ministres de l'agriculture, de l'industrie et
— i>70 —
des travaux publics et de lu guerre sont chargés, chacuu
en ce qui le concerne, de l'exéculion du présent arrêté.
Donné à Bruxelles le 13 septembre 1884.
(Signé) LÉOPOLD.
Par le Roi :
Le Minintre de V agriculture , de l'industrie
et des travaux publics,
(Signé) A. Beernaert.
Le Ministre de la guerre,
(Signé) PoNTUs.
Pour expédition conforme :
Le Secrétaire général du Ministère de ï agriculture,
de l'industrie et des travaux publics^
Bellefroid.
VERRES FARRlôllÉS M PAYS-BAS
A LA « FAÇON DE VENISE » ET « D'ALTARE
4e LJb^TTIl^E
au Comilr du Bulletin des Commissions royales d'art
et d'archéologie (i)
Messieurs,
A mesure qu'on approfondit un sujet et qu'on consulte
archives ou actes de l'état civil, les résultats des recherches
se multiplient à tel point que parfois on se sent débordé.
J'en suis là aujourd'hui, et je suis obligé d'ajourner ce
qui concerne les nouvelles découvertes faites aux archives
d'Anvers et de Namur par MM. Génard (2) et van de
Gasteele (3).
(1) Voir les trois premières leltres, Bull, des Comm. roi/, d'art et d'arclu'ol.,
XXII, pp. 153 etôoo; XXIII, p. 9.
(2) Bulletin des archives d'Anvers, Xlil, p. \2\, et XIV, p. l'28. M. Gé.naud
en a publiti des lires a part, avec dédicace en l'i/Oiuieiir de l'autour dis présentes
lettres, qu'il veut bien considérer connue le promoteur de ses recherches et de
leur publication.
(3) Annales de la Société archéologique de Namur, XVI (1881), p. 202.
— 272 —
Anjoui'd'liui j'ai à vous entretenir plus spécialement de
la verrerie à la façon d'Altare, qui a joué un grand rôle dans
la fabrication artistique du verre aux Pays-Bas.
Les archives héraldiques de Lefort, au dépôt de l'État, à
Liège, ont révélé la présence en celte ville, à la date de
1G58, de deux verriers d'Altare, Jean et Joseph Caslellano,
dont le premier a quitté son frère en 16i7, pour aller
s'établir à Nevers, en France.
Chacun des deux frères a fait souche, l'un à Liège,
l'autre à Nevers.
D'où ces relations entre Liège et Nevers?
Altare, je l'ai déjà dit, faisait partie du marquisat de
Monferrat, apanage des ducs de Mantoue de la maison de
Gonzague, et ceux-ci depuis le xvi* siècle possédaient, en
outre, le duché de Nevers, plus Rethel en Champagne, par
suite du mariage d'un Gonzague avec une princesse de la
maison de Clèves.
Clèves est une contrée voisine du pays de Liège; les ducs
de Clèves avaient le litre et exerçaient les fonctions de pro-
lecteurs d'Aix-la-Chapelle, jusqu'où s'étendait le diocèse de
Liège.
Le duc de Nevers possédait différentes terres en Flandre,
c'est-à-dire aux Pays-Bas, autre contrée voisine de la i)rin-
cipaulé de Liège, et, en outre, l'union entre la famille de
Clèves cl celle de Gonzague avait apporté à celle-ci les terres
souv(îraines d'Oulre-Meuse (i).
Des relations entre des personnages habitant Liège et la
famille de Gonzague se révèlent d'ailleurs dans le mariage,
(f) Di-; (ioMitEiîViLLE, Lex Mémoires du duc de Nevers, I, pp. 10 et 171.
— 273 —
en 1634, de l'ex-chanoinc de Sainl-Lamberl, François de
Lorraine, avec sa cousine Claudine de Lorraine, dont la mère
était Marguerite de Gonzague, sœur de Ferdinand et Vin-
cent II, ducs de Mantoue, et cousine de Charles de Gon-
zague, duc de Nevers.
Gela explique non seulement comment des verriers
d'Altare, mais même comment des verriers de Champagne,
dont Rethel faisait partie, sont allés s'établir à Liège; indé-
pendamment des gentilshommes verriers d'Altare, dont je
reparlerai , voici un verrier champenois sur lequel je ne revien-
drai plus (ne pouvant le rattacher à la verrerie artistique) :
on lisait, en l'église Saint-Thomas à Liège, l'épitaphe d'un
Remy Joltrin, verrier « français, natif de Rethel en Cham-
pagne », mort à Liège, où il était établi et où il s'était marié
le 16 avril 1646 (i).
Il y a donc lieu de s'occuper parallèlement de l'histoire du
verre artistique en France et aux Pays-Bas.
France.
L'historien de Thou (2) nous apprend que Henri II avait
établi à Saint-Germain en Lave des verreries à l'imitation
de celles de Venise, et l'on découvre, en effet, des lettres
patentes du 13 juin 15ol, enregistrées au Parlement le
3 février 1552 (r-i), par lesquelles Henri II accorde à Theseo
(1) Rcns. de M. le chanoine Henrotte.
(2) Ilisloire, XIV, 141; voy. aussi I.ecraxd d'Aissy, Histoire de la vie
privée des Français, III, p. 186 (2« édit., par Roquefort, p. 2-22, qui rapporte
erronénient ceUe innovation k Henri IV).
(s) IsAMBERT, Recueil général des anciennes lois françaises, XI il, 18'k
— 27i —
Mulio, gentilhomme verrier, natif de Bologne (i), le privi-
lège exclusif de fabriquer et faire fabriquer en France les
« verres, miroirs, canons et autres espèces de verreries à la
façon de Venue. »
Les lettres patentes rapportent que Mulio, à la persuasion
(lé notables personnages, avait quitté son jiays natal pour
importer en France la verrerie à la façon de Venise; qu'il
avait été obligé de s'outiller à très grands frais et qu'il était
parvenu à fabriquer des verres qu'on trouvait « de mémo
beauté et excellence que ceux qu'on voulait (lire : soûlait,
ûcsolerc, avoir l'habitude) apporter de Venise; enfin, qu'il y
avait lieu de le protéger contre la crainte de se voir victime
de contrefaçons de « son dit ouvrage à la façon de Venise, et
par ce moyen frustrer du remboursement des frais et mises
par lui à sa venue et commencement, soutenus et faits »
dans le royaume.
Palma Cayet (2) ajoute que la verrerie de Saint-Germain
avait été installée avec grande solennité, etLegrand d'Aussy
(citant les Observations de Belon sur les singularités trouvées
en Grèce et en Asie), dit, de son côté, que les verriers de
Saint-Germain, ne pouvant se procurer les cendres de
Venise et les cailloux du Tessin, employés à Murano, y sup-
pléèrent par lesablon d'Étampcs (qui fut trouvé meilleur) et
par les soudes de Provence.
(1) Le prénom du verrier est écrit Thèses ou Tliesct?, d'oii la rectificalion toute
iialiircUe Tlicseo, laite dc^jii par M. Pinxiiaiît (Iliill. des Comm. roi/, d'art et
d'archéol., XXI, p. 571).
Il est dit orit^inaire de Boulogne-la- Grâce, ce qui indique Bologne en Italie,
qualiliéc la granse, à cause de la fertilité de son terroir (voir les Dictionnaires de
MoKÉRi et de Thomas Cokneille).
[i) CItronologie seplenaire de l'Histoire de la Paix, etc. (édit. de 101 1),
p. ilO v».
— 27.') —
Malheureusement, à cause des guerres civiles, la verrerie
de Saint-Germain continua seulement jusqu'au règne de
Charles IX, où, selon l'expression de Palma Gayet, « elle
s'était entremise el de tout cessé. »
Henri III, successeur de Charles IX, fut un grand admi-
rateur de l'industrie verrière d'Italie ; de passage à Venise, à
son retour de Pologne, il alla loger à Murano, y visita les
fabriques de verre et y fut l'objet de fêtes somptueuses orga-
nisées par la sércnissime république (i); mais si son admi-
ration se manifeste en Italie par une concession générale do
noblesse à tous les verriers de Venise et Murano (-2), on ne
signale de lui aucun effort pour protéger en France la
fabrication du verre à la façon italienne.
Il appartenait à Henri IV et à ses zélés conseillers, Olivier
de Serre (3) et Laffemas, de favoriser l'art du verre, comme
tant d'autres arts de luxe, en dépit de la résistance de Sully,
l'homme utilitaire et pratique (comme nous le qualifierions
aujourd'hui). Le grand roi avait du reste devant lui l'exemple
de Louis de Gonzague, duc de Nevers, prince de grand
(() Le Gendre, Nouvelle histoire de France, II, p. 709; deThou, /. cit., VII,
p. 78, delà trad., qui cite parmi les compagnons de Henri III, à Venise, Louis
de Gonzague, duc de Nevers, dont il sera question ci-apiès.
(2) Cecciietti, Monofjrafia délia Yetraria veneziana, p. 267.
(3) De Thou, latinisant ce nom, en avait fait Serranus, comme il appelait
Chartier= Qiiadrigarius, d'Entraygucs = Interanines, Joyeuse = Lepidiis, etc.
Les traducteurs et copistes en ont fait un « certain Serran, » dans lequel il serait
difïïeile do reconnaître Olivier de Serre.
De Thou appelait aussi un connétable et un maréchal de France : magister
equitumon tribunus militum; il est vrai qu'en Belgique, de nos temps, un capi-
taine de grenadiers a été appelé sur une médaille oITicicHe : cou. phimae exercit.
BELG. CENTVRIC...
— 27G —
mérite (i), dont un de ses historiens, Guy Coquille, disait :
« Les affaires du menu peuple étaient les siens propres plus
importants. Il s'est donné à cognoistre et sçavoir toutes
sortes d'affaires et négoces, voire jusques aux subtilités et
petites inventions dont chacun use en son art, science ou
mestier. » C'est à lui, en effet, qu'on attribue la création de
l'industrie de la faïence à Nevers, à l'aide d'artistes italiens,
par suite de la découverte faite dans le Nivernais de terres
propres à la fabrication des majoliques.
Louis de Gonzague, devenu duc de Nevers et de Rethel,
par son mariage avec Marie de Clèves, inaugura ce que
de Saintemarie appelle le siècle d'or de Nevers ; il ne pouvait
manquer de songer aux gentilshommes altaristes, sujets de
son neveu le duc de Manloue, et Palma Cayel nous parle de
son intervention, en un passage important à citer, parce
qu'il démontre que la verrerie d'Allare était bien une verrerie
artistique et non simplement industrielle, comme on pourrait
être tenté de le croire.
« Le duc de Nevers, en sa maison de Nevers, avait faict
recommencer ledit artifice de verreries de cristal à la façon
de Venise, non seulement pour les verres de cristal, inais
pour les couleurs de (opase, esr)ieraudes, jacinthes, aigues-
marines, autres jolivetez qui approchent du propre naturel
des pièces vraijes orientales. »
(i) Il faut, il l'égard de ce prince, se délier du témoignage de Sully, qui ne pou-
vait pardonner à Louis de Gonzague d'être possesseur de Nevers, alors que
Nevers avait appartenu ii la maison de Béthune, dont était Sully.» La mort du duc
de Nevers, dit Sully, Mémoires, IM, p. I5(édit. de rabbé de l'Écluse), délivra
enlin le roi d'un serviteur aussi incommode qu'inutile. » Cfr. ibid., I!, p. 516,
et DE Saintemarie, Hcclicrchcs historiques sur Nevers. p. 2lo.
— 277 —
Maître Adam (Billaul), qui vivait dans la première partie
du xvii' siècle, et qui imprima ses Chevilles en 1044, y cite,
en parlant deNevers :
Ses fragiles bijoux et ses trésors de verre.
Ce qui prouve que les traditions de la fabrication artis-
tique du verre, dont parle Palma Cayet, avaient été con-
servées dans la ville natale du menuisier-poète de Nevcrs.
Pour en terminer avec la verrerie de Nevers, suivons ses
traces au xviT siècle et au \\ni\
Quoique, d'après Legrand d'Aussy, Labarte aiïjrme que les
fabriques de Nevers, après Henri IV, ne firent que languir,
le poêle Thomas Corneille (i) déclare, sous Louis XIV,
que « ce qu'il y a de plus remarquable à Nevers, c'est
la verrerie qu'on peut appeler le pclit Muran (Murano)
de Venise pour la rareté des divers ouvrages de verre qui
s'y font, et qu'on transporte dans toutes les provinces de la
France. »
Voilà certes encore une preuve du caractère artistique
de la fabrication des Allaristes, puisque Corneille compare
leurs œuvres à celles de Murano.
Et il s'agit bien d'Altaristes ; car Lefortnous fait connaître
deux générations de membres dô la famille Castellano, (-la-
blis à Nevers :
Jean Castellano (cité plus haut), époux de Marie Ponta,
qui était, comme lui, originaire d'Altare. Il est mentionne
dans un certificat de noblesse des consuls d'Altare du G juin
1662, légalisé par l'évêque de Nola, et dans un arrêt d'ad-
(i) Dictionnaire universel, oéographique et liisloriqiic. Paris, 1708.
— 278 —
mission aux privilèges de la noblesse, rendu en France par
le Conseil d'État, le 9 avril 1066.
Son fils, Michel Gaslcllano, écuyer, maitre de la verrerie
de Nevers, reconnu noble en France par déclaration du
14 juin 1007; or celui-ci vivait encore en 1715, époque où
il signe un acte à Nevers.
Les fournaises de Nevers paraissent n'avoir pas été éteintes
de sitôt, car les différents dictionnaires spéciaux publiés
au xviii* siècle, depuis celui de Baudrand (I70o) jusqu'à
ceux de Bruzen de la Martinière (175G), d'Expilly (17C8)
et à celui de Moréri (i), parlent tous de la verrerie de Ne-
vers dans les termes les plus élogieux, comme d'une chose
que les voyageurs ne négligent pas de visiter, etc., etc....,
tandis que ces publications sont absolument muettes sur les
verreries à l'italienne de Lyon, Melun, Paris, dont je repar-
lerai plus loin.
Et il doit exister encore d'autres louangeurs de la ver-
rerie artistique de Nevers, car Touchard-Lafosse (t>) écrit
ceci : « Les écrivains de l'époque citent les verreries qui
existaient dans son enceinte. On doit présumer même que
les articles de ce dernier produit n'étaient pas exécutés
sans quelque sentiment de l'art, jjuisque plusieurs auteurs
parlent des vases à pied (5), (pii sortaient des verreries de
Nevers. «
J'en étais là de mon travail, où j'avais, par inductions,
(1) Savary poiirlaiit, dans son Dictionnaire de commerce, public en I7i2, ne
cite Nevers que pour les faicnccs.
{2) La Loire historique, pittoresque et hiorjropliiqiie, H, p. 6iS.
(5) CcUe indication mettra sans doute M. l'abbé Boltillieu sur la voie pour
retrouver les auteurs cités que j'ai, quant à moi, cherchés en vain.
— 270 —
conclu à rexistcncc de la verrerie de Ncvcrs jusqu'à une
époque avancée du xviii* siècle, quand des renseignements
nouveaux me sont parvenus, qui confirment ma thèse.
M. l'abbé lîoutillier, curé de CouIanges-lcz-Nevcrs, vice-
président de la Société Nivernaise des lettres, sciences et
arts, à Nevers, qui m'avait été signalé par M. Mariano
Brondi comme s'occupant des verriers d'Altare établis à
Nevers, a bien voulu m'adrcsser le résumé de son étude,
qui paraîtra sous peu, sous le litre iV Histoire des genlils-
hommes verriers et de la verrerie de Nevers.
Il divise l'histoire de la verrerie de Nevers en trois pé-
riodes :
«Premièue PÉRIODE (2'' moitié du xvi^ siècle). LesSarodei\).
Jacob Sarodo, natif d'Altare, quitte Lyon, puis Melun, et
vient à Nevers fonder la verrerie à l'appel du duc de Nevers,
Louis de Gonzague. On le rencontre dès 1585 sur les regis-
tres paroissiaux. Il fait enregistrer les privilèges royaux con-
cédés aux gentilshommes verriers. D'humeur aventureuse et
véritable artiste, Jacques Sarode quitte Nevers et va fonder
une autre verrerie à Paris. Son neveu, Horace Ponte,
lui succède comme maître de la verrerie de Nevers avec
Vincent Sarode, frère de Jacques, et quantité d'autres mem-
bres de ces deux familles. Les échcvins, fiers de leur ver-
rerie, offrent aux princes et grands seigneurs de passage
à Nevers des verres de cristal raffiné.
{i) Les Sarode, Ponte, Caitellan, de Honiiiol, dont il est question dans le
résumé du travail M. de l'abbé Boutili.ier, sont membres des familles Saroldo,
Ponta, Castellano, Pormiolo, toutes d'Altare. Le nom de Perrotto a aussi été
signalé en cette localité, et M. Mariano Brondi m'apprend que des Perrotti existent
encore à Bormida, aux envir. ns d'Altare.
— 280 —
» Première période, suite (lCOO-1643). Horace Ponte,
deuxième maître de la verrerie de Nevers. Nombreux mar-
chés pour achats de bois, de soude, de terre blanche, de
cailloux blancs. Intervention, au mois d'août 1G19, de
Charles de Gonzague, auprès du Roi, en faveur d'Horace
Ponte et François Sarode, contre Bernard du Buisson, gentil-
homme verrier français, se disant syndic des gentilhommes
verriers français. Mémoire des curieux ouvrages de verre
offerts à la Reine en 1622, lors de son passage à Nevers.
Horace Ponte joint à son commerce de menu verre le trafic
de gros verre ou verre à vitres, dont plusieurs manufac-
tures importantes existent depuis longtemps dans les forets
du Morvand, près Nevers. (Ces fabriques sont tenues par
des verriers d'origine lorraine, les d'Hennezel (i) surtout).
C'est la période la plus brillante de la verrerie nivernaisc.
Horace Ponte meurt à la fin do l'année l64o. Sa veuve,
Suzanne d'Albane, d'ailleurs fort riche, cesse la fabrication,
mais reste à Nevers, où elle meurt en 166G ou 1C67.
B Deuxième période. Les Castellan (1647-1726). La prin-
cesse Marie de Gonzague ne veut pas que l'œuvre de Ludovic
périsse; elle fait venir encore d'Altare, Jean Castellan,
lequel arrive à Nevers au mois d'août 1647, avec son neveu
Bernardo Perrotto. Ce Bernard Perrot s'en va ensuite à
Orléans, après que le contrat d'association avec son oncle
a été rompu, et il y fonde une verrerie sous le patronage du
duc d'Orléans; il y fait souche. Jean Castellan obtient do
Louis XIV, en 1661, des lettres patentes lui concédant le
(0 Les Ileniiczcl, de nonnc/clles et autres variaiiles, sont des verriers de
Lorraine, dont le nom est cité par MM. Houdoy, van deCasteele, etc., à propos
des Pays-Bas et du pays de Liège.
— 281 —
privilège de la venle de tous ses ouvrages de verrerie, pen-
dant trente années, sur la rivière de Loire, depuis Nevers
jusqu'à Poitiers, à l'exclusion de tous autres marchands,
à l'exception toutefois des verres de Venise et des verres de
fougère verte, qui n'auraient été mis en couleur, lesquels
peuvent être débités et vendus dans toute l'étendue du
royaume. Jean Castellan meurt en 1070; son fils Michel lui
succède, avec son beau-frère, Marc de Bcrmiol, époux de
Marie Castellan. A partir de lG8o, il reste maître de la
verrerie et meurt en 1721, âgé de 70 ans. Sa veuve, Mario
Gentil, continue pendant quelques années, mais est obligée
d'abandonner une charge au-dessus de ses forces.
» Troisième époque. Les Bormiol (1726-1780). Bernard
de Bormiol, neveu de Michel Castellan, rachète la verrerie
et obtient des privilèges royaux. Lui aussi était d'origine
altarèse. Louis Castellan, fils de Michel, devenu majeur,
s'efforce en vain de rentrer en possession des privilèges
accordés à son aïeul, Jean Castellan. Bernard de Bormiol
meurt âgé de 71 ans, le 24 octobre 174.5. Sa veuve, Cathe-
rine Lévèque, nommée tutrice de ses cinq enfants mineurs,
continue la fabrication jusqu'en 1780, où la verrerie tombe,
comme la plupart des faïenceries, sous le coup de la con-
currence anglaise et le menace des malheurs qui se prépa-
rent pour la France. Analyse des registres de livraisons de
la veuve de Bormiol. Ces registres nous donnent le détail
de tout ce que fabriquaient nos verriers. »
Nous avons déjà vu apparaître dans ce résumé du travail
de M. l'abbé Boutillier les noms des villes de Lyon, Melun,
Paris; il convient de recueillir à cet égard de plus amples
détails, s'il est possible.
— 282 —
De la fabrication du verre à la véniliennc à Lyon, il y a
peu à dire : celte industrie est mentionnée tout à fait en
passant dans les lettres patentes de Henri IV, dont il va être
parlé; mais ces lettres sont pleines de détails intéressants,
en ce qui concerne Melun.
Rappelons-nous que Louis de Gonzaguc, duc de Ncvers,
avait fait venir à Nevers des verriers altaristcs.
Henri IV ne pouvait se laisser devancer par les grands
seigneurs de sa cour. Aussi Palma Cayet nous dit-il que
« finalement il falloit que tous biens revinssent au Roy,
victorieux de tous troubles et empcschements, pour faire
revivre et régner un chacun art en sa propre splendeur et le
ramener à sa perfection la plus grande qui puisse. Le duc
de Nevers deffunct en donna au Roy les mouvements pre-
miers... (i). »
Louis de Gonzague était mort en '159o, laissant les
fournaises de Nevers florissantes : deux ans après, en
août 1597 (2), Henri IV attirait à lui des verriers altaristes
de Nevers, en leur accordant des ])rivilèges pour la verrerie
de cristal.
Le roi débute par cette déclaration écrite an camp
d'Amiens; c'est tout un programme de la réforme du com-
merce et de l'industrie à celte époque : « Chacun sait assez
bien quel bien, profil et ulililé est provenu à tous les
(1) Bien que la correspondance do Hcnii IV el de Louis de Gonzaguc (IS89
il 1593) soit très volumineuse {Mémoires du duc de Nevers, II, pp. 207 h 577),
on n'y retrouve rien au sujet des manufactures de verre; mais il est prob:iblc que
riE GoMi'.EHvii.LE, ('■diteur de ces Mémoires, aura élagué tout ce qui ne concernait
pas les événements politiques.
(2) I.SAMIiEIlT, /. cit., XV, p. 1G4.
— 285 —
royaumes et républiques par le moyen des aris el sciences,
seul fondement do leurs richesses et embellissemens, el
combien les hommes qui par leur long eslude, diligence el
expérience, les ont inventés et introduits, ont esté recognus,
honorés et récompensés d'un si louable labeur, afin que tant
parleur témoignage que jiar la prospérité de leurs mérites,
les autres fussent poussés d'un même désir à rechercher,
à leur exemple, non seulement la perfection des premières
inventions, mais encore à trouver, avec plus haute contem-
plation, plus hautes et plus belles choses non cogneues à
l'antiquité, pour s'acquérir par là une honorable louange... »
Le roi déclare que Jacques et Vincent Sarrode, frères, et
Horace Ponte, leur neveu, ont agi conformément à ces pré-
ceptes, en l'art et science de verrerie, dans les fourneaux et
verreries de cristal de Lyon et Nevers; qu'ils y ont acquis
telle réputation en la perfection de leurs ouvrages, que la
plupart des verres dudit cristal dont on s'est servi à la cour et
à la suite du roi, et partout dans le royaume, ont été apportés
des verreries de Lyon et de Nevers. En conséquence, il
renouvelle en leur faveur les privilèges successifs de ses
prédécesseurs.
Spécialement, à l'effet de diminuer le prix du transport et
par conséquent de la marchandise livrée à Paris, il autorise
les Sarrode et Ponte à établir une verrerie à Melun sur la
Seine, avec privilège dans un rayon de trente lieues autour
de Paris, et avec révocation de tous privilèges contraires
qui pourraient être, par inadvertance, accordés à d'autres.
La seule exception contenue dans le privilège concerne
les verreries de Feugère et de Pierre, qui se trouvent établies
el s'établiront aux environs de Paris et de Melun, el
— 2S/1- —
Poirson (i) a pense que Feugère cl Pierre sont les noms de
deux fabricants; mais il y a lieu de se demander s'il ne
s'agit pas de genres de fabrication.
En effet, la verrerie se servait, on l'a vu |)lus haut, de
cailloux du Tessin, de cailloux blancs, pour fournir la silice
nécessaire à la fabrication du verre ; de là peut-être la déno-
mination de « verrerie de pierre. » Quant à celle de verrerie
de feugère, elle pourrait bien correspondre à la fabrication
du « verre de fougère » que j'ai déjà, Messieurs, eu occasion
de vous signaler (2). J'ai retrouvé depuis la mention de
congés, accordés de 1528 à 1548 aux verriers de Normandie
pour opérer dans des forêts la coupe des fougères qui,
réduites en cendres (s), formaient la soude à combiner avec
le sable pour la fabrication du verre (^). De plus, Savary (5)
divise les verres à boire en deux classes, les verres de
cristal et les verres de fougère : d'où la conclusion que,
d'après le diplôme de Henri IV, le privilège pour la fabrica-
tion du verre artistique ne préjudicie pas à ceux qui ont été
ou pourraient cire accordés au verre ordinaire. Cela et pas
autre chose.
(1) Histoire du règne de Henri IV, 2« paitie, 1" vol , p. 81 .
{i) Bull, des Comm. roy. d'art et d'archéol., XXII, p. 168.
(3) M. Mariano Brondi m'écrit que ce procédé normand est encore en usage à
Altarc. Uc mon côté, je lui signale que les verriers de Normandie s'appelaient
(I les Messieurs » (Millet, Histoire d'un four à verre de l'ancienne Normandie ,
p. 40), de même que ceux d'Aitare étaient qualifiés de « les Monsit. » Ce seraient
lii des indices d'origine normande : M. Clkfa, m'écrit le même M. Brondi, ne
persiste pas, par suite de mes observations, à soutenir l'origine flamande des
Altaristes.
(i) Millet, /. cit., p. 10; voy. aussi Savary, /. cil , IV, p. 1189.
(5) //. cit., p. •119C; M. l'abbé Boltillier, dans son résumé, on l'a
vu ci-dessus, parle aussi de « verres de fougère. »
— ^85 —
Quoi qu'il en soit, les noms de Sarrode et de Ponte sont
bien des noms d'Allaristes : le premier n'est aulre que celui
des Saroldi, déjà mentionné dans ma troisième lettre {{), où
apparaît également celui de Ponte, qui a de nouveau été
mentionné ci-dessus, comme étant celui de la femme de
Jean Castellano.
Ces Saroldi ne se contentèrent pas d'établir une usine à
Melun; ils en fondèrent aussi une à Paris, car de Tliou (2)
parle formellement de verreries établies à grands frais par
Henri IV, dans Paris même, à l'imitaiion de Venise, et cela
ne peut se rapporter qu'aux frères Saroldi et à Ponte, qui
avaient obtenu privilège, comme on l'a vu, à l'exclusion
de tous autres, à trente lieues à la ronde de la capitale de
la France.
C'est bien certainement à un de ces Saroldi, établi à
Paris, que se rapporte l'incident suivant (0) :
Un Conseil de commerce avait été institué par Henri IV,
et ce Conseil eut à se préoccuper des moyens de favoriser
l'industrie française. Or, les gentilshommes verriers italiens
refusaient de faire connaître à leurs apprentis français les
secrets de leur art; d'où, disait-on, grand préjudice pour
les pauvres gentilshommes nécessiteux de France qui pou-
(1) Bull, (les Comm. roij. d'art et d'archéoL, XXIF, p. 25.
(î) L'abbé de l'Écluse, dans son édition des Mcniùires de Sully (VI, p. 25,
note), fait sans duute allusion à te passage de de Tiiou (d'autres auteurs n'ont
pas été retrouvés), lorsqu'il dit : « Je trouve encore dans quelques écrits de ce
teraps-!a qu'il s'établit des manufactures de cristal et glaces de Venise, de perles
bien imitées, et plusieurs autres que le célèbre M. Colbert a portées depuis à une
si grande perfection. »
(3) Champollion-Figeac, Mélanges historiques tirés des collections manus-
crites de la Bibliothèque nationale (Collection de documents inédits sur l'histoire
de France), IV, pp. 170, 193, 19G, 208, 287.
— ^S() —
vaient pratiquer celte branche d'industrie sans déroger et
dont les verreries étaient supprimées par la concurrence
italienne.
On assigna devant le Conseil un des Italiens du nom de
Serode; or, il s'agit bien d'un Altarisle, car, dans sa
réponse, il allègue qu'il ne peut, sans autorisation de son
souverain, le duc de Mantoue, Ibrfaire au serment de garder
les secrets de son art, d'autant pins qu'au cas contraire
tous ses ouvriers le quitteraient et abandonneraient, ce qui
lui tournerait à grand préjudice.
A quoi il fut obvié, au témoignage de B. Laffemas (i),
par lettres de naluralité accordées d'office (2) aux gentils-
bommes verriers italiens, par lesquelles ils se trouvaient
dégagés de leurs serments envers leur patrie, et c'est ainsi
que les Saroldi, devenus les de Sarode, seigneurs du Verger,
ont fait souche en France, où on les a déjà rencontrés ci-des-
sus (3), où on les retrouve encore sous Louis XIV, et où
enfin leurs descendants existent encore en Poitou (i).
Le détail suivant pourrait concerner la fournaise des
Allaristes créée à Paris sous Henri IV : « On a vu autrefois,
dit Savary (:j), une verrerie assez considérable établie à
Paris, dans le faubourg Saint-Antoine, mais qui n'a pu se
(1) Cité par Poip.son, /. cil.
(4) P.'ir mesure de défense nationale cl non comme le dit Neymarck, Colbert el
son temps, p. 27G, à propos de lettres semblables accordées sous Louis XIV, à
litre de récompense « pour services rendus au pays. »
(3) Bull, des Comm. roij. d'art et d'archéol., XXIII, p. 23.
(4) Benj. FiLLON, L'art de terre chez les Poitevins, pp. 164 et 210. Les ver-
riers altaristes du Poitou avaient pour auteur un Vincent de Sarode, qui est sans
doute celui du privilège de Henri IV.
(5) L.cil , pp. 1197 et 1200.
— 287 —
soulcnir el que le prix excessif des bois fit bienlôl loinher;
on n'y fabriquait que des verres à boire et quelques coiid-
chels, façon de cristal. »
Mais comme Sauvat(i),en 17-2/1-, parle d'une verrerie exis-
tant alors au faubourg Saint-Antoine, il est à supposer plutôt
qu'il s'agit d'une verrerie fondée par Colbert, dont je vais
vous parler, et que la fournaise des Italiens, sous Henri IV,
existait plutôt rue de la Verrerie ou de la Champverrerie, où,
d'après le même, les vieilles gens avaient vu faire des verres.
C'est, en effet, comme je l'ai dit plus haut (2), dans « un
des faubourgs de Paris, et autres endroits qui seront trouvés
des plus commodes en ce royaume, » qu'au mois d'octobre
I6G0 (Lettres patentes enregistrées au Parlement le 12 jan-
vier IG66), Louis XIV accorda h un Français, Nicolas Des
Noyers, privilège non seulement pour la fabrication des
« glaces et miroirs des mômes et diverses grandeurs, netteté
et perfection que celle que l'on fait et fabrique à Moran
(Murano), près de la ville de Venise, » mais encore pour
celle des « lustres, vases de toutes façons, verroteries pour
les Indes, esmaux, pièces de cheminées, verres de cristal,
services entiers de table, de toutes formes, manières et gran-
deurs, tant pour servir à l'ornement des maisons royales
que pour la commodité publique, le tout par les ouvriers
vénitiens qui sont ou qui viendront en ce royaume, et ce
pendant le temps de vingt années (5). d
(1) Anliquilés de Paris. (Paris, 1724), III, p, 50o.
(4) Bull, des Comm. roy. d'art el d'arvliéoL, XXIII, p. 16.
(3) Le texte de ce document, qui manque h la collection d'IsAMBERT, est repro-
duit dans VHisloire de, Paris, de Féliuie.n et Lobineau, V, p. 205.
Ce texte est simplement analysé par Alb. Nevm \ ncK, Colbert et son temps, \). 276.
Cfr. RxpiLLY, Y' Paris, pp. 413 et 417.
— :288 —
A la vérité, Des Noyers s'occupa plulôt de la manufacture
(les glaces, qu'il avait établie rue de Reuilly, au jaubourçi
Saint-Antoine (i), et qui fut le berceau de la fabrication actuelle
de Saint-Gobain (sujet rentrant dans la verrerie indr.strielle
et non artistique); mais il n'est pas impossible qu'il se soit
occupé aussi, dans un établissement spécial au môme fau-
bourg, de la fabrication des menus produits de l'art de la
verrerie, à l'imitation de Murano.
C'est ainsi que Bussolin (a) rapporte que sous le ministère
de Colbert quelques Français parvinrent à découvrir le
procédé employé à Murano dans la fabrication du cristal et
que, rentrés dans leur patrie, ils perléctionnèrenl ceux qui
étaient alors en usage.
Mais ce qui tranche la (luestion, est un [lassage des mé-
moires de Louis XIV lui-même, rédigés en 1671, où il s'ex-
prime en ces termes, |)our l'année 1060, en distinguant les
divers gcni-es de fabrication : •( Cet exenq3le lit établir en
peu de temps dans mon état beaucoup d'autres manufac-
tures, comme de draps, de verres, de glaces (ô). >
— Quant aux autres verreries artistiques de France, celle
de Nantes, dirigée par Ferro, en i58D (a), ne recul pas toute
la protection sur laquelle elle pouvait compter; dès l'année
suivante, Jean Ferro fut expulsé de la ville, sous prétexte
(ju'il faisait renchérir. le combustible, et si plus tard il obtint
()) KXI'ILLY, /. cil.
{^) Les célèbres verreries rie Venise el de Murano, \). ôi, d'après Parkes,
Essais chimiques, IV, p, 95.
(i) Mémoires \nM\é& parCh. Dreyss (Vny. Gaii.laiuhn, Histoire du régne de
Louis XIV, III, p. 166).
(i)Voy. ci -dessus, XXIII, p. lo.
— :289 —
par grâce de pouvoir eonliiiuer, co ne lui (\ni\ cliariic rie
la singulière obligation de no point acheter du bois (\).
Celles de Poitou ne sont plus mentionnées par aucun au-
teur du xviii" siècle.
Celles de Melun ont survécu; mais l'industrie arlistiiiue
ne parait pas y avoir existé longtemps ; car Dulaure (2) ne
l)arle plus pour celte ville que d'une labritiue de verres
à vitres; avant lui, le minisire Necker, dans son rapport
à Louis XVI, ne cite rien de la verrei'ic ou même de la
fabrication des glaces, comme d'une des industries de
Paris (ô), et Legrand d'Aussy (i), en France, à la lin du
xviii''. siècle, borne son énumération à trois verreries indus-
trielles, dont celle d'Anor, en Uainaul.
— Pour compléter la liste des localités de la France où
l'on a fabriqué du verre artistique, il se pourrait qu'on dût
y ajouter Saint-Cloud.
En effet, Savary, aj)iès le |)assage cité plus haut à propos
de la menue verrerie (dont la manufacture du faubourg
Saint-Antoine), ajoute immédiatement qu'une manufacture
semblable était établie à Saint-CIoud depuis le commence-
ment du xviii^ siècle, et avait assez bien réussi au point de
satisfaire à la consommation de Paris.
Comme Savary (•)) ajoute que de son temps les Fi-aneais
n'enlevaient plus à Murano les verres et vases de cristal,
(1) GuÉPJN, Histoire de Nantes, p. 267.
(2) Histoire des environs de l'aris, VI, j;. :2oO.
{ô)Wid., VIII, p. 465.
(4) L. cit.
(s) II. \\. 485. Au vdl. IV, pp. 1197 et \-200, Savahv dit que les verres étaient
imposés à l'entrée en France a raison tic 10 livies le cent pesani, sauf ceux «e
Venise, qui payaient le triple.
— 290 —
soit pour boire, soit pour servir d'ornements, parce qu'ils
avaient établi chez eux des « manufactures l'emportant
beaucoup sur celles de Venise, » il faut croire que Saint-
Cloud, dont il parle, et Nevers, qu'il omet, mais dont l'exis-
tence pour la fabrication des verreries artistiques est dé-
montrée malgré son silence, faisaient amplement concur-
rence à Venise au siècle dernier.
Enfin Savary, qui imprimait son dictionnaire en 1742,
paraît avoir ignoré l'existence d'une verrerie créée à Fon-
tainebleau, deux ans auparavant, par Antoine Cléricy, de
Moustier (i). Comme la mention de cette fabrique est tirée
d'un « État des offices que le Roi entretient pour son service
et ses maisons et bâtiments du Louvre, les Tuileries, Saint-
Germain en Laye, Vincennes et autres, » il est à croire qu'il
s'agit bien d'une verrerie artistique.
Il y a donc à ajouter aux villes où, en dehors de l'Italie,
on a fabriqué du verre à la façon italienne, les villes fran-
çaises de Lyon, Saint-Germain, Saint-Cloud, Fontainebleau,
Orléans, non citées par moi dans la nomenclature de la
cinquantaine de villes où, en dehors de Fllalie, l'on a imité
Venise et Altare.
— A l'étranger, j'ai encore à citer, outre ce que j'ai déjà
dit : 1" Amsterdam, qu'un voyageur du xviii" siècle com-
pare à Alexandrie d'Egyj)te, ville où, comme on le sait, on
s'occupait de la fabrication du verre artistique. Invoquant un
passage de Vopiscus (;2), De la Bai-re de Beaumarchais (3)
(1) Compte rendu de la Société française de numismaliqae et d'archéologie,
V (l8T.i), p. 567.
(2) Quatre Tyrans (in Saliiriiiiiii, VIII).
(3) Le Hollandais (lollics sur l;i Iloll;iiiilo uncicniio et nioderne, Francl'orl,
1738), G7.
— 291 —
dit : « C'est une ville opulente, où tout abonde, où personne
ne vit dans l'oisivelé : les uns y soulTIent le verre..., telle
était autrefois Alexandrie, telle est aujourd'hui Amster-
dam. »
2" Londres, où en 1070, le duc de Buckinghaiii, voulant
élever une grande manufacture de verres et de cristaux,
l'ecourut à Venise pour avoir quehjucs ouvriers (i) ;
7i° En 1650 (2), on nous signale, en outre, des Berovieri
travaillant en Angleterre et en France; des Darduini, xMaz-
/oie, Santini, àGrlitz; un Serena, en Espagne; des Zufii, à
Corfou. Tous étaient de Murano.
On le voit, l'Europe entière était exploitée par les ver-
riers italiens, qui y avaient transporté leur industrie et qui
fabriquaient partout du verre « à la façon de Venise. »
— Et puisque j'en suis à compléter ma liste, où figure
déjà l'Asie Mineure comme ayant participé à cette fabrica-
tion extra-italienne de produits à la façon d'Italie, qu'il me
soit permis d'y ajouter la Perse : d'après Savary, un Italien,
dans des temps assez rapprochés de celui où il écrivait,
s'était transporté en Perse et pour 50 écus y avait enseigné
aux Persans à vitrifier la fritte et à souiller le verre. La
première manufacture en fut établie à Schiras, qui s'est,
depuis, dit-il, conservé la réputation de faire le plus beau
verre. Celui d'Ispahan, au contraire, était le plus laid.
(1) BussouN, /. cil , d'après Pahkes, /. cit., et Hougton, Ol>serralioit.'< sur
l'économie domestique el commerciale, H, p. -i3.
Labarte, Histoire des aris iudustriels, IV, p. 398 (2* édit.), pense néanmoins
que les usines eréées par le duc deBuckingham se livrèrent exclusivement k la
fabrication des glaces et miroirs.
(2) Zanf.tti, Guida di Murano, p. 218.
^i):2 —
Liège.
Après cet aperçu relatif à l'industrie du verre en France,
où nous avons vu la grande influence de l'élément allariste,
à Lyon, Nevers, Melun, Paris, Orléans, reprenons la fabri-
cation artistique du verre à Liège.
Ici, à la différence de ce qui précède, où j'ai accumulé,
})Our ne plus y revenir, si possible, tous les renseignements
relatifs à la fabrication, même non allariste, je laisse de côté
la façon de Venise, cl j'aborde directement l'époque où la
façon d'Altare domine à Liège.
J'ai été en léger désaccord avec MM. Mariano Brondi et
Buffa, les historiograplies d'Altare, au sujet du caractère
artistique de la verrerie de cette localité.
Ils fondaient leur appréciation sur le fait qu'on ne trouve
à Altare, en fait de verres anciens, aucun produit (|u'on
puisse comparer à ceux de Venise; M. Brondi citait spé-
cialement des sphères de verre qui ornent l'église de l'An-
nonciation, fondée en 1651, à Altare, par Matteo Buzzone,
et (les débris trouvés ou conservés à Altare; M. Buffa estimait
que « l'art allariste fournissait les objets d'usage plus général
et quotidien, tandis que l'art nmraniste et vénitien, suivant
les traditions de l'art byzantin, qui avait donné à Venise ses
premiers maitres, avait le monopole de la fabrication des
objets de luxe, des verres à perles, à marguerites, à mosaïque,
à imitation de pierres précieuses, des perles dites con-
ter ie, etc. »
Je pense bien les avoir ébranlés, en leur objectant t|ue
Louis de Gonzague, qui créa aussi à Nevers la faïencerie,
à l'aide d'ouvriers ilaliens habiles dans l'art des majo-
— 2f)3 —
liques (i), ne se fût pas donné la peine d'appeler dans son
duché des Altarislos, s'il n'avail pas attendu d'nux des
œuvres capables d'attirer l'attention et même l'admiration
de Henii IV, (elle que ce roi l'exprima dans les lettres
patentés de 1597.
Au surplus, nous avons à ce sujet le témoignage d'un
contemporain, Palma Cayet, qui parle précisément de l'imi-
tation des pierres ilnes et «antres jolivetés» à Nevers, où les
Altaristes seuls étaient établis.
A Liège, l'influence des Altaristes se signale d'une ma-
nière certaine, dès le second quart du xvii" siècle.
En effet, nous trouvons, en l'année 10:26, des documents
de la cité de Liège (2), nous montrant deux Liégeois qui
onireprennent en cette ville la fabrication du verre, à l'aide
de « maîtres italiens. »
Cette dénomination générale de maîtres italiens est un
indice d'origine altarèse; en effet, tous les verriers signalés
jusqu'ici comme venant de Venise ou Murano, se qualifient
constamment de gentilshommes vénitiens ou muranistes;
aucun n'omet l'indication de cette origine, qui était une sorte
(le titre d'honneur. Les gentilshommes verriers venant
d'Altare, plus modestes, ne se parent pas, comme les
Vénitiens, de la désignation de leur patrie, et souvent ils se
qualifient simplement d'Italiens : pour établir la provenance
(1) Larousse, v» Nevers.
Tolt.iiard-Lafosse, La Loire historique, pittoresque et biographique, II,
pp. G.iS et 098.
(2) Reeès de la Cité, 1626-27, pp. li .-t K! (Bibliothèque de l'Univorsite,
il Liège). Ces docuraents .sont du * 5 et du * 10 août IG-26 (je dt^signerai par l'asté-
riqiie les documents que n':i pas relevés Al. van de Casteele dans son travail
cependant si complet).
~ 294 —
de plusieurs d'entre eux, il a fallu procéder par des com-
j)lémen(s de recherches dans les archives, ou par des in-
ductions que facilite d'ailleurs le petit nombre des familles
des Monsh, d'Altare.
La verrerie créée en 162G, à Liège, s'occupait de la fabri-
cation des émaux et de la mise des verres en couleur; car
les impétrants cités dans les documents de IG^G, à raison
des métiers dont il s'agit pour eux de faire relief (i), énon-
cent ainsi l'objet de leur industrie : « plusieurs contrefac-
tures de pierres précieuses, esmailles de touttc sorte de
couleur... » Ils énum.èrent leurs ouvrages, <( esquels en-
trent or, argent, esmailles, terres plombées et non plom-
bées, couleurs, etc. »
Ce genre de travail est précisément celui qu'indique
Palma Cayet comme étant à Nevers celui des Altaristes.
Mais il n'y a pas lieu de tirer argument de cela pour
considérer le travail des émaux et de la mise en couleur du
verre comme étant une spécialité des Altaristes : le pro-
cédé de la coloration du verre, déjcà indiqué par Pline (2),
avait été retrouvé à Venise, où un chimiste habile, Paolo
Godi de Pergola, avait, dès le xv* siècle, donné aux verriers
Berovieri, une série de formules pour la coloration du verre,
(<) Ces métiers sont d'abord celui des orfèvres, ce qui ïc comprend, et ensuite,
ce qui est moins explicable, celui des flockeniers ou cliandelions. Cela était reçu b
cette époque ; car nous voyons à Middelbourg les marchands de verres et de graisse
former une seule cor|)oration {Revue belge de numismatique, 1874, p. 58), et en
France les marchands de chandelles faisaient aussi le commerce de verres [Eucij-
dopédie, commerce, \\\, p. 808).
(2) Uiat. nat., XXXVI, 66; XXXVn,7o; Thek. Pûi.lio, Htsl. Aug., in Gallien.,
XII, cite une anecdote cii l'on voit l'impératrice Salonine, trompée par un mar-
chand qui lui avait vendu de fausses pierres précieuses.
— 29o —
et l'historien Sabellico, parlant de ce siècle, raconte avec
enthousiasme les merveilles de la fabrication de Miirano,
qui par leurs couleurs variées, rivahsaient avec les Heurs
des prairies et les pierres précieuses (i).
Si l'on rapporte parfois à une date pUis récente l'arl de
colorer le verre, c'est à raison d"une invention nouvelle des
Magag'nati, pour laisser au verre coloré toute sa transpa-
rence (2) .
D'ailleurs, dès le commencement du \vi* siècle, Scriba-
nius et d'autres auteurs, dont j'aurai occasion de parler ulté-
rieurement, disent qu'à Anvers on travaillait à la mise du
verre en couleur, et à Anvers l'élément vénitien domine;
car c'est à peine si l'on peut y trouver parmi les verriers
vénitiens un seul nom qui se ratlachc plus ou moins à Allarc,
c'est celui d'un verrier nommé Schinco ou Santo Schinco,
nom qui ne parait pas vénitien, mais qui était porté à Altare
ou aux environs.
Si l'on ne peut tirer argument du genre de l'industrie, il
est certain au moins que des Altaristes ont été employés dès
le début dans la reprise de la verrerie à l'ilalienneà Liège, en
iG26; car nous rencontrons encette ville en lG2o un Antonio
Buusson, Italien, qui s'y marie, et qui est bien certaine-
ment (5) le Antonio Buzzone ou de Buysson, Altariste,
signalé par M. van de Casteele en IGGo, comme se livrant
encore à l'industrie du verre liégeois à la façon italienne
(i) TuRGAN, Les grandes usines, IX, p. ol et siiiv ; I.abarte, /. cit., IV, 208,
210; Sauzay, La verrerie, p. 28.
(â) Yriarte, Venise. Histoire, art, industrie, "^.lïo.
(s) Ou son tils, du même prénom.
— i^on —
dans l'usine des Bonlionime, et celle-ci s'est signalée par le
grand nombre d'Altarisles qui yoni été altachés.
Or il s'agit de démontrer que cette verrerie des lion-
homme et celle de leurs prédécesseurs, les de Glen, n'ont
été que des continuations de celle de 1020, inaugurée pour
le travail artistique du verre, à l'aide de gentilshommes
al ta ris tes
Les deux bourgeois de Liège qui fondèrent la verrerie de
1G"20 méritent do retenir un instant l'attention par leurs
noms : ce sont Gérard Ileyne, dit des Preits, el son gendre
Ijmiù Marias.
Si un acte de 1055, cité ci-après à propos de la veuve de
ce dernier, ne le qualifiait de docteur en droit, je serais
tenté de voir en lui quel(iue verrier d'Altare ou de Murano,
d'autant plus que parmi les Marius qui apparaissent ci-après,
(el est appelé Mario (contrat du 9 janvi?'!- lOGO), (cl au(re
est qualifié ^< gentilhomme verrier», (i Ire (pie ne prennen(
])as à Liège les verriers autres qu'italiens. Cependant le nom
de Mario n'est pas encore signalé soit à Altare, soil à
Murano (i).
Mais peut-être Louis Marius es(-il un descendant de ver-
riers de 1509, que la cessation des verreries en 1G07 aura
rejeté dans une autre profession, et qui ayant conservé les
traditions, aura excité son beau-père à rétablir celte indus(rie
après le (aniisper omissuni de Foullon (2).
lleyne n'a pas conservé d'intérêt dans l'industrie verrière,
(1) Vi'.iAKiF., 11. ^t"2, cite toiilofois, en l"/)o, un Miii'iu. peintre sur verre, à
Veiii.se.
(î) llevoir ce (|iif j'ai dit ii ce sujet. /.'«//. des ('oiiim. roij. d'art cl d'urchévL,
XXI r, p. 149.
— 207 —
donl. on ne (rouve pas de monlion dans son loslament en
1635, pas plus que dans celui de sa veuv(> en KîTô (i) ;
peut-être céda-t-il son usine aux de Glen.
Mais si Marins, comme c'est probal)le, prit part ;i la ces-
sion, les siens restèrent attaches à la verrerie.
Un verrier imporlant de Venise, Francisco Santino, engagé
chez les Bonhomme, avait épousé Catiierine Marins (2); or,
un Louis Marins, distinct du gendre de Gérard Heyne, se
qualifie oncle du fils de ce Francisco Santino (3); de plus,
Francisco apparaît comme intéressé ou comme témoin en
deux actes homogènes de même date (4), el l'un de ces actes
est passé en la demeure de Meclilildc des Preits, veuve de
Louis Marins (5).
Voilà une série de (ails (pii, à défaut des actes parois-
siaux, où il y a des lacunes, peuvent être considérés sinon
comme la preuve certaine, au moins comme un indice de
l'existence dans la verrerie des Bonhomme de deux géné-
rations de Marins après Louis, le gendre de Heyne :
Louis Marias, = Mechtilcle des Preits.
mort en 1G55.
Louis Marius, gentilhoniine verrier, Catherine Marius,
engaçcé en 16G9, . épouse de Francesco Santino.
parrain en 1070, 1678, 1684 (G).
Jean-Prancesco Santino, engagé à la même date que son oncle Louis Marius
(i) Voir ces actes au greffe des échevins.
(2) Voir l'acte de naissance du (ils, cité plus loin.
(3) Acte du notaire Pawea du 21 décembre 1660.
(0 Ibid., 24 et 27 octobre IG.-io.
(s) Les actes de la paroisse de Saint-Adalbeit nous l'ont connaiire le décès, ii la
date du U juillet 1055, de l'avocat Marius, qui fnt enterré aux Minimes.
(f.) Dans l'acte de 1670 (7 avril), il a poiu" iMunmère Catherine Xantliin (l'épouse
— "298 —
A la naissance do ce Jean Francisco Sanlino, assistèrent
comme parrain et marraine, un maître de verrerie de Murano
et la femme de l'un des deux frères Bonhomme (i).
Déplus, un Benoit Marins, « gentilhomme verrier » qui
n'a pu être rattaché aux précédents, était engagé chez les
Bonhomme en 1066 : c'était peul-élrc encore un (ils de
Louis Marius-des Preits {-2).
La verrerie des Bonhomme, où les Marins s'engagèrenl,
doit donc avoir élé celle qui avait été fondée par le premier
Louis Marins, et l'on retrouvera sans doute quelque jour
l'acte de cession par ce dernier aux de Glen, auteurs des
Bonhomme.
Ce qui vient d'èlre dit explique la continuation de la pré-
(Ic Fr. Santino), qui apparaît encore en 1071, sous le nom de Catlierinc Marins,
dans nn acte de baptême d'un enfant de Louis Marins et de sa femme, nommée
Elisabeth van Belgens.
(i) Voici cet acte de la paroisse Sainte- Véronne :
K 11 jnni 1655, Johanncs-Franciscus, (iiius Nobiiis Doraiui Francisci de Sanc-
tinis {Sanlino) Vencti Moraniensis et Dominae (Annae) Catharinae de Marys
{Marins), conjugum, baptizatus est; suscipientibus Nobiii Domino Gaspare Bru-
ncrot {Dntnoro), Trium Coronarum (de la verrerie des Trois Couronnes, l'une
des plus importantes île Murano) Veneti Moraniensis et Domiceiia Maiia de Glen,
uxore Domini llenrici Bonhomme, n
Ce Gaspar Bnuioro apparaît en lG-29, à NanuiV (acte cité par M. van de
Casïeki.k, en son récent article).
(a) Le 21 janvier 1677, il assiste comme parrain avec Marie-Flisabeth Marius
au baptême d'un enfant d'Engeiliart Honderlach, verrier allemand, cité par
M. VAN DE CaSTEELE.
p. s. Pendant rimpression, je retrouve l'acte de naissance de ce Benoit Marius,
à regard duquel ma supposition s'est réalisée (on y voit apparaître comme par-
rain, un personnai^e important de l'époque, le mai'quis romain Oct. de BulTalo,
qui se trouvait alors à Liège pour le service du roi de France, Daris, Histoire
(lu diocise cl de la principauté de Liège pendant le xvii» siècle, I, p. 23G) :
Paroisse Notre-Dame aux F'oiits : a 22 mars KiiG. Benedictus-Octiivius, filius
I). Ludovici de Marins et D'i'"' Mcchtildis de Prez, coiij.; susc. Illustriss. D.
Octavio Marchionc de Boufalocte, et D'^i'^ Catharina de Marius. »
— 299 —
pondérancc de rélcmciU allarislo à Liètçe, sous les Bon-
homme comme sous leurs prédécesseurs : sans coniredif,
il y eul aussi des Vénitiens ou Muranistes engagés à Liège,
témoin le Sanlino cité; mais généralement leurs engage-
ments sont postérieurs à ceux des Allaristes, et Sanlino ou
autres de ses compatriotes furent précédés de longtemps par
des Monsu d'Altare, qui avaient sans doute été attirés à
Liège par Buzzonc et les autres gentilshommes verriers
italiens de 1620.
En 1C58, les Bonhomme avaient déjà remplacé les de
Glen; or, dans un contrat du *1G avril de cette année, Jean
Caslellano, celui qui depuis alla s'établir à Nevers, y
figure avec Guillaume Varaldo : l'acte lui-même n'a pas éîé
retrouvé; mais les termes en sont rappelés en un contrat du
*o mai ICio, où Joseph Caslellano, frère de Jean, s'engage
pour deux ans, aux conditions qu'avaient acceptées ce
dernier : les redevances envers les consuls de l'Allar y sont
stipulées payables par mois.
Le *24 juin 1645, devant le notaire Colbau, pareil contrat
est signé pour un an par Genesio Varaldo et son frère Guil-
laume et enfin par Joseph Caslellano, déjà nommé.
Ces trois actes sont antérieurs à ceux qu'a fait connailre
M. van de Casteelo, et si l'on y ajoute la convention qui a
été contractée fort probablement en 1020 entre Ileyne et
Marins d'une part, Buzzone et les autres Allaristes d'autre
part, l'introduction de la verrerie à la façon d'Altare est
reportée à un quart de siècle en arrière.
Mais M. van de Casteele avait déjà posé les jalons pour
des recherches à faire en remontant au delà de 1650.
D'une part, il nous cite la présence à Liège de Joseph
- 500 —
Gastcllano dès 1045, dalc où il s'y est marié, ce iiui implique
déjà par soi une résidence anlérieure de plus ou moins de
temps.
D'autre part, le même liabile chercheur avait signalé une
relation au passé dans l'octroi accordé par Ferdinand de
Bavière, en IG.'iO, où l'on rencontre quelques mentions sur
iesiiuellcs il n'est pas inutile d'insister (i).
Les impétrants allèguent qu'il n'oni pu jouir du bénéfice
de privilèges concédés (/epuu quelques années, et sur ce, le
doyen et le chapitre de l'église cathédrale reconnaissent
qu'en effet les Bonhomme « avec permission et privilège
leur accordé par S. A. S""', ont depuis quelques années en
ça, redressé en ce pays la manufacture des cristals et cris-
tallins, .. et que cependant quelques particuliers se seraient
présumé d'exercer le même art en le seigneurie de
Fragnée... » En conséquence, le Prince leur accorde un
nouveau privilège pour un nombre déterminé d'années.
Depuis IGaO, les contrats ont été recueillis par M. van de
Gasteele d'une manière à peu près complète, et nous possé-
dons à Liège les noms des Allaristes dont la nationalité est
aujourd'hui bien déterminée que voici :
BUZZONE (!2).
Le premier Altariste qui se signale à Liège est Antoine
Buzzone. En 1025, en la paroisse de Sainte- Véronne, il se
marie et est (|uali(ié d'italien : il était donc établi à Liège
même avant la reprise de 1020, d'où la question de savoir
(t) Conseil des finance:! , LXXX, p. :238 \°.
(i) Variantes : Jbutzont', Buusson, de Buysson.
— 301 —
si, comme les Marins, il n'élail pas mi (Icscciidaiil des
gentilshommes italiens du siècle passé : l'on iroiivc cnlic
autres un Jérôme du Buisson reçu bourgeois de Liège en
IG08 (i).
Antoine Buzzone avait épousé Elisabeth Dcipayre.
Or, des actes de naissance de l'époque (Sainle-Véronne,
28 juillet 1624, 14 juin 1G28), nous montrent des alliances
entre les Delpayre et les de Glen, et les de Glen, on le
sait, sont les auteurs des Bonhomme dans la verrerie à l'ita-
lienne.
En outre, en l()ôl,le 6 juin, .\.nk)ine Buzzone apparaît
comme parrain, à Sainte-Véronne, d'un enfant de Marie
Dcipayre (sa belle- sœur?).
Tout cela tend à conîirmer ce qui a été dit ci-dessus de
l'identité des établissements verriers qui portèrent succes-
sivement le nom de Ilevne et Marins, de Glen et Bonhomme.
Il est certain d'ailleurs que les Buzzone s'attachèrent à la
verrerie des Bonhomme; car on trouve dans les minutes du
notaire Pawea un acte d'engagement de Giullio Cesare But-
zone, en date du * 1" février 1648.
Il y a, de plus, l'acte du 24 décembre 1665(2), concer-
nant l'engagement d'x\ntoine de Buysson, altarisle (celui ou
le fils de celui du mariage de 1625), et aussi des actes de
baptême du 0 novenibre 1664 et du 15 décembre 1667, où
(0 Table ajoutée au registie de Bourgeoisie, finissant en 1608, qui est a la
Bibliotlicque de l'Université.
En la paroisse de Saint-Ad.ilbert, on trouve, en 1620 et 1627. un Laurent
de Buisson, époux de Gertrude de la Coste; mais il est douteux q'i'on puisse les
rattacher aux Buzzone d'AUare.
(•2) Van de Casteele, p. 30.
— 502 —
apparaissent un Cc^ar cl un Jules du Buisson (pcul-èlrc
ensemble le Jules-César do l'acte de 1G48 : dans le premier
de ces actes, la marraine est une de Glen).
Voilà à quoi se réduisent les renseignements sur les mem-
bres de la famille Buzzonc, qu'il faut se garder sans doute
de confondre avec certains de Buisson mentionnés à Liège,
au x\if siècle, dans les actes des différents greffes : M. l'abbé
Boutillier nous fait connaître d'ailleurs (voir ci-dessus) un
du Buisson, non seulement français, mais môme verrier,
qui se trouve en op})osition avec les verriers altaristes.
Castellano (i).
C'est une des premières familles d'Altaristes qui se signalent
à Liège; c'est aussi celle qui y persiste le plus longtemps,
puisque nous la retrouvons jusqu'à une époque assez avancée
du xviii" siècle.
Le héraut d'armes Lefort, qui épousa une Gastellano, a
dressé une généalogie de cette famille (2), el l'on y voit
qu'elle portait pour armes : d'azur à la tour d'argent,
sommée en chef d'une aigle éployée d'or, ledit écu sur-
monté d'un heaume d'acier, tourné à droite, ouvert, treille,
grillé cl liséré d'or et doublé de gueules, aux liachements ou
lambrequins et boucles d'azur et d'argent, d'où sort poui'
cimier une aigle au blason de l'écu.
(1) Variantes : Castellan, Castillan, Castollain, Chastclan, etc. Ce n'est pas
cependant ii Altare, mais à Calcare, dans le voisinage, qu'existent la place et
la fondation Castcllano dinit j'ai parlé dans ma troisième lettre. (Rens. de
M. Brondi.)
{i) Lefort, 3" série, liU. C; vo\, aussi i' série, VH, pp. 53, S4, 140, 1o9.
— ."SOS —
Jean el Joseph Castcllano, des actes de 1658 et 1643,
élaient iils de Guillauuie CasLellano, écuyer, el petils-lils do
Jean, originaire d'Allare. Les deux fi-ères apparaissent encore
comme associés dans un acte de 1045, passé à Liège au
sujet d'un hérilage dit de liearewarl, liors de la porte
d'Avroy(i). M. van de Gasteele nous a déjà fait connaître
que cet héritage provenait de l'épouse de Joseph Castellano,
Anne Balen.
Jean Castellano, né à Altare vers L^97, époux de Marie
Ponta, devint maître de la verrerie et y eut pour successeur
son fils Michel, qui vivait encore en 1715.
Jean Castellano obtint, le (ijuin 1662, une attestation de
noblesse de la part des consuls d'Altare, légalisée par l'évèque
de Noii, le 26 septembre suivant. Ce document, en latin, est
identique à celui dont B. Fillon a donné le texte pour les
Saroldi du Poitou : Il y est notamment dit que les Cas-
tellani, de père en fils, ont, de temps immémorial, exercé
la profession de verriers, « cela est une preuve de noblesse;
car les plébéiens qui ne sont pas de race noble, ne sont pas
admis à Altare à exercer l'art du verre, ce qui est vrai et a
toujours été reconnu publiquement {-z).
Une procédure contradictoire, suivie en vertu d'un arrêt
du Conseil du 22 mars 1666, par un commissaire chargé
de la vérification des litres de noblesse et de la poursuite
des usurpateurs, dans les généralités de Moulins el Bourges,
(i) Greffe Stephany, t65G-l(jii5, p. i-io v". Voy. aussi acte du notaire Pawea
du *16 mai 1645.
(i) Les consuls d'Allare qui délivrent celte di^daration sont Jacqufs-Pliiiippe
Saroldi, Cliarles Boiinioli, Antoine Rachetli, Jean Hachetti, Ale.xaadie Ponta et
Antoine Mireinuo.
— 501 —
aboiilil k 11 juin 10G7 ;i lu pleine i-ecoiin;iissatiec de la
îioblcssc (le Jean Caslellano.
Guillaume Castcllano s'arma de celle reconnaissance
])Our |)rendrc à Liège le lid'e d'éeuyer e( [lour jouir des
privilèges de la nol)less(^ (|ui l'urenl rormellcmenl recuntius
en laveur de ses deseeiidanls.
Il avail épousé en premières noces Anne Balcn, lille de
!\rartin,ai)olliicaire, mailre du niélier des orfèvres, métier
dont il fit relief en I(H8, assisté de Tiuillaume Varaldo, Jules-
César Buzzone, Allaristes, el Rimondo Carnelle, Vénitien,
tous (pialinés comme lui de gentilshommes.
Il épousa depuis Jeanne de Sarde (de Sarode?), qui appa-
raît comme marraine en un très grand nombre d'actes de
Sainte-Véronne, paroisse d'où dépendait le faubourgd'Avroy,
où étaient les verreries des Ijoniiomme el où liabitaienl la
plupart des vei'riers, spécialement Guillaume Gaslellano,
dont le domicile (I) est indiqué «sur la i-ivièi'c d'Avroy,
li')rs et lez Liège. »
Les eidanls de sa seconde femme n'ont pas marqué- dans
l'art de la verrerie; mais de la |)remière il avail eu :
r Giiillaum(,'-Fran(;ois Cash llano, qui siiil, (-cuyer, b;i|)-
\'\>r à Noire-Dame aux l'onls le 17 ^e|)lendJr(• lOiO, cl
ayaiil en |)0iii' parrain Guillaunic \araldo. déjà nommé;
I, LU ;kIo (le décos de Saiiilc-Vcioniu' d(i i kiviitr lOTi luiiio li^ii.'' dcfiiide
(|iii demeurait 'i dioz Monsieur GuilicHiiic ii l;i Vcirorie. » Il s";iiiil y^ix ddule de
(iiiilhiuine Custe!i;ino; (•ciKiuiaiil la veri'eiic des Italien, était « en Joiikeux p,
e'esl-ii-dirc à un endroit assez (éloigné do la Meuse; elle Liait, en l(j;is cas, dis-
tincte de la verrerie d'Avroy, la(|uelie t-lait celle des Mai, (établie an xviir siècle,
«■n concurrence avec celle des Boiiliomine. (Hectifier dans ce 6cns ce (|ue j'ai dit
dans ma prwirre lellrc ci-dessus, \\\\, [>< l.SN; je rcvirndrai <\\r iv poinl.)
i2° Robcrl-Albert liaslollauo, gciililliuiiiiiic verrier en lu
verrerie ilc M. de Mol, h Ijruxelles (non .signalée jusqu'ici);
il épousa Marie-Meclilikl(; d'Opleuvvo, mourut en 1G88, à
Bruxelles, où il lui enterré en l'église Sainl-Géry. Sa veuve
se remaria avec Claude Colnel, gentilliommc verrier (i).
Guillaume Casiellano (lils de .losepli), gentilhomme ver-
rier, à Liège, épouse Françoise du Château (2), dont il eut :
i"* Joseph-François Casiellano, baptisé à Sainte- Yéronne,
le 14 janvier 1071, (jui épousa N. du Château, sa cousine-
germaine, et l'ut avocat à la vénérable cour de Liège.
Il reiiuil, à Nevers, une expédition des actes de recon-
naissance de noblesse qui y avaient élé accordés à des mem-
bres de sa famille.
2° Lambert Casiellanu, baptisé le 4 décendji'e 1(I7(), a
Sainle-Véronne, gentilhomme verrier, (jiii mourut en 1721,
où il fut inhumé, en la même église, le 25 juin.
Les deux frères furent l'objet de cerlilicals d<> noblesse,
délivrés en 1713, 17IG el 1721; le premier u'.- laissa (jue
des lilles et un lils, mort en bas âge.
Le second eut pour lils uni(|ue :
Jean-Guillaume Casiellano, genlilhomiiie verrier, «jui
épousa, le 18 iiuvembre i7i6, Isabelle- Dorolhéc de Melan. Il
(i) J'aurai à ni'otxiipcr dos Coliicl, voiliers [liiilùt iiuiiistriolN ([u'arliblc-,
(iiiiis les Piiblicdlions de la Sociclé (iirhrolofiiqiic de (:h(trler<H. Je n'ai pas
retrouve la moiniire preuve de rallogalidii (|iii date du siècle passé, ([uc les Colnet
l'usseiit d'origioc véiiitioiine.
(■2) Aux actes de baplènie de leurs enraiiîs (et de ceux de ses (ils) assistent
eomnie parrains et marraines plusieurs verriers el leninies de verriers : Tilnian
van Gelick, rran<;ois Baion, Jeanne de Sarde, Marie Casiellano, ele. Guillnume
Casteliauo, de son cùlé, apparaît comme coaipèrc d'une Culherinc Santino, parer.le
d'un verrier vénitien, ciaMi a Liè;iO, et déjà uonintO ci-de.'sus.
— 306 —
obtint un c(M"tificat de noblesse en 1739, el il apparaît, dans
une capilation de l'an 1756, pour le faubourg d'Avroy,
comme marchand ouvrier de verrerie.
Il eut plusieurs entants; mais on ne rencontre plus après
lui de membre de sa famille qui soit qualilié verrier (i).
Les Gastellani p.araissont avoir encore des représentants
de leur famille à Liège au présent siècle, d'après les tables
de l'état civil dressées depuis IHOO, où ligurcnt de nombreux
Caslelain, etc.
Varaldo (2).
Genesio Varaldo n'apparait pas dans les actes paroissiau.x
de Liège; il doit èlre niorl ou avoir rpiiiié le pays peu après
l'acte de 1645.
Son frère Guillaume était sans doute resté célibataire, et il
semble avoir eu pour spécialité de tenir sur les fonts baptis-
maux les enfants tant des maîtres de la verrerie que de ses
collègues verriers.
En 1658 {7i), d(! 1645 a 1658, puis en 1671 et 167:2 (i),
on le rencontre notamment comme pan-ain de deux enfants
de Henri Bonhomme et Léonard Bonhomme, id. de Marc
Ferro, de Rimondo Gamelle (de Murano), etc., el on lui
associe comme marraines Oda de Glen, épouse de Léonard
Bonhomme, Élisabelh de Glen, Marie de Glen, Marie Ferro,
Jeanne de Sarde, épouse Gastellano, etc., etc.
(i) Voy. (lifl'érentb actes de la famille Cabkliaiio, aux regiitres de la Cour
d'Avroy, A, 54 (du ♦ 3u juin lCo3), A, 47 (du * 19 août 17:20), etc.
(î) Variaulea : Varalde, Valrade, Waliade, Waraldi, Waïade, Varade.et mêiue
Vanile.
(3; Actes de baptême de .^.-D. aux l'onls.
(i) Id. (If Saiiite-Véronne.
— 307 —
Il était donc le parrain allilré des enfants de parents un
peu notables qui naissaient dans la population groupée
autour des verreries : nous l'avons déjà vu figurer comme
parrain d'un jeune Gastcllano.
La prédilection pour ce personnage comme compère, de
la part des femmes, notamment de la famille de Glen, alliée
aux Bonhomme, qui tenaient d'elle la verrerie, pourrait faire
supposer que Guillaume Varaido était un parrain généreux ;
on suit sa trace jusqu'en 167:2, époque où il disparaît dans
les actes, en laissant plus de vingt-cinq filleuls et filleules, la
plupart avec le prénom de Guillaume et Guillelmine.
Il était du reste tolérant; car, en 1059, il avait accepté
d'être parrain, avec Claudia Ferro, d'un enfant illégitime de
Charles Colnet.
MiRENGO (i).
Antoine Mirengo (aussi Jean-Antoine dans certains actes)
était établi à Liège avant son engagement de 1 648, et y avait
épousé Catherine Rigo, sans doute sœur de Jean Rigoz,
Vénitien, qui lui-même s'était marié cà Liège, avant 1645, avec
l'Anversoise Marie Hoffman, comme le prouve un acte testa-
mentaire du 25 novembre de cette dernière année. Ce Jean
Rigoz paraît avoir émigré à Liège avec toute sa famille
(de crainte du Conseil des Dix?); car o!) trouve un grand
nouibre d'individus de ce nom dans les actes paroissiaux
de Sainte- Véronne.
Antoine Mirengo eut plusieurs enfants , et parmi les par-
rains et marraines on distingue plusieurs membres des
(0 Variantes : Meringo, Mirengho, Mereingo, Meringoz, etc.
— 'OS —
ramilles Bonhomme, de (lien, Caslcllano (Aniio P.alen), cl,
(le pliLs, circonslanco déjà nolée, Sara Vinc\, d'Anvers, la
veuve d'Ambrosio Moniiarda; il signait scsacles « Anliioino
Meringoz, gentilhomme italien, « et il recherchait les rela-
tions avec la noblesse, car on voit le seigneur Conrad de
Bergues tenir sur les fonts un de ses enfants.
Il apparaît encore comme parrain d'enfants d'un verrier
de Venise, Cingano, le \l\ décembre !6G7, et d'un verrier
(champenois?) Nicolas Rennevelle, le 2\i avril 1G()8.
La trace de Mirengo se perd à Liège vers 1070,
Un homonyme était, en 16(>:2, l'un des consuls d'Altaro
(voy. ci-dessus).
M. l'abbé Boulillicr me lait connaître en outre qu'à
Xcvers, en la })aroisse d(\^ vei'riers, le 27 janvier 1607 et
le 17 janvier 1008, comparait comme parrain, ce honorable
homme Panio Mii-engo (var. : Myranguei, ittdiien (verrici'». «
FKf.llO fl).
Les Feri'i ^onl originaires de Muraiio, d'où se délachèivnt
f[U('l'(urs-iins d'i'nlre vnx pour aller s'établir à Allare : on
les y retrouve dans les actes paroissiaux dès l'année l.'JO t {21 ;
mais ils pourraient bien y éii'c arrivés plus tôt.
En effet, certains Feri'i paraissent avoir émigré en Pro-
vence vers l'an 14i2, à l'arrivée de René d'Anjou, lorsrpi"il
fut chassé de Naples |»ar Alphonse d'Aragon : de là on a
(1) Variantes : de Feer, de l'or, de lii l'ayrc, lic iWll'iiiK' tl iiicme roicl.
Rkbocl, I\'o/f.< historiques sur les familles tic Ferri/ et d'Escrivaii, p. J, cite,
de son cùlé, les variantes plus nombreiisL-s encore du nom des Ferry, de ProNenci-.
(î) Rens. de M. Miuiaiio Hhuniii. Ces actes sont les plus ancien-, qui ;iit'nt été
COI 1 servies.
— r,<M) —
conclu qu'ils venaieii( (!.■ l'Italie méridionale, ol on assii^ne
à celle conirée leur lieu d'origine Lanta, au diocrsc de Nola,
dans l'ancienne l'ouille (i) : or, il est (rès possilde qu'il
s'agisse du diocèse de ^oli, près de Gènes, el qu'il faille
changer le nom, du resle inconnu : Laula en Laliar, c'esl-
à-dire l'Allare ou Allare; Jean Ferro, souche des Ferry de
Provence, ('Mail nt' à ce Lanla.en lô.l.'î, et serait ainsi ai-i'ivû
d'Allare.
Quoi qu'il en soit, les Ferri, lanl de Venise que d'Allare,
étaient fort disposés à se transporter loin de leur pairie. En
effet, nous trouvons plusieurs Ferry, au xvi" siècle, associés
aux Golnet, à Froide-Chapelle, Genappe, Xamur et Fon-
laine-l'Évèque [r,], et il se pourrait hien que ces Ferry fussent
les parents des Ferri de Liège du siècle suivant ; de plus,
nous avons déjà rencontré un Jean Ferro à Nantes, en lo88;
le nom de Giacomo Ferro fui proclamé à Venise en 1507,
avec sommation de retourner dans un bref délai sous peine
de cinq ans de galères (i). Enfin l'Altariste Léandre de la
Fayre, autre Ferro, éiahli à Liège, quitta cette ville clandes-
tinement, en 16(38, ce qui amena les Bonhomme à se mclln-
en mesure de le faire arrêter à Amsterdam (:;).
Pendant ([uelque temps cependant la famille Ferro avait
pris résidence à Liège.
(i) Ri:i:uLr,, /. cit.
(i) 11 est il rcinaiHiiicr co|ii-iiiiaiit quo le blason des Ferry, de Provence, ne
corresponJ pas avec celui des Ferri, de Venise, tel qu'il ligure sur les Oselh-
(niéreaux de Mnrano), déciils par Fabbé Zaxetti : d"a/ur à nne ancre de sable,
accostée à gauciie d'une comète (de mônîe?), ee qui n'a rien de commun avec les
armoiries décrites par Heboul. (liens, de M. Mariano Uro.m.i..
(s) Voii- mon article sur les Golnet, annonié ci-dessus.
(»"! Cecciietti, Momgrafia, etc., p. 117.
(s) .\rte ilii iK.laiiy l'iiwea, du 1:2 iioùt liiriy.
— 310 —
Sans remoiUor à un Jean de Ferro («loutoiix) qui épousa,
en 1050, Françoise de Glen, on rencontre à Liège, dès 1650,
un Marc Ferro, époux de Callierine Langlois, dont il eut
plusieurs enfanls, au haplème desquels assistèrent Jean
de Glen, Oda de Glen, Marie de Glen, Léonard Bonhomme,
Guillaume Varaldo.
xMarc Ferro lui-même, sa femme, Catherine Langlois,
ainsi que Nicolas Bonhomme, tinrent sur les fonts des en-
fanls de Marie Ferro, épouse Oginne; en outre, cette Marie
Ferro et une Marguerite Ferro furent marraines de plu-
sieurs enfanls de verriers, entre autres de Jean et François
Colnet.
Tout cela démontre bien qu'avant l'engagement violé par
Léandre Ferro, en 1568, les siens avaient déjà auparavant
exercé à Liège l'art de la verrerie.
Quant au fugitif Léandre de la Faire, il avait, après son
retour, épousé, à Liège, Anna Kenne, et un sien enfant fut
tenu sur les fonts par Alexandre Ponta, en janvier 1674.
Pont A (i).
Les Ponte n'existent plus à Altare; mais ils figurent dans
plusieurs actes concernant cette localité.
D'abord dans les lettres patentes de Henri IV, citées plus
haut, d'où l'on peut induire que sa mère était une Saroldo.
Un Barthélémy et un Alexandre Ponta sont dénommés
dans l'attestation de noblesse délivrée aux Saroldi le 4 fé-
vrier 1645 (rapportée par Fillon)et dans celle du 6 juin 1662,
(i) Ou Ponte.
— 311 —
en faveur des Gastellani (areliivos do LoforI). Go soiil deux
des consuls d'Altare
Enfin, nous avons vu que Jean Caslellano, celui qui s'éla-
hlit cà Nevei's, avait épousé une Marie Ponla. Alexandre
Ponta, de l'acte de naissance du fils de Léandre Ferro, est-il
le consul de r;m lliOâ, (|ui serait venu à Liège en 1G74 et
qui, se trouvant de passage en cette ville, aurait servi de
parrain à renf.nit de Léandre Ferro? La chose est d'autant
plus vraisemblable que c'est la seule trace retrouvée de lui
à Liège, à l'ét st civil, et qu'il n'en existe aucune dans les
contrats de notaires, où, il est vrai, il y a des lacunes.
iMassaro (i).
Encore un nom d'Altare relevé par M. van de Casteele,
mais que je ne connais à Aliare que par les déclarations de
noblesse citées ci-dessus (2).
Celle de 1 045 mentionne François Massaro, comme notaire
instrumentant, et Françoise Massaro, comme marrain > d'un
enfant Saroldo.
Je n'ai rien trouvé sur les Massari établis à Liège, en
dehors de la demande formée par Sébastien Massaro, engagé
à Liège par ses frères François et Vincent Massaro, h l'elTel
(le résilier son contrat pour pouvoir entrer dans la vie reli-
gieuse, sinon qu'un Octave .\iassar(o?) figure coiniiie maiire
de verrerie dans une capitalion anlérieure à 1701, citée par
M. van de Casteele.
(1) Aussi Masaro.
(2) M. Mariaiio Crondi me conimunitiue leur blason, qui est couné par une fasce
de gueules (sic), au chef d'azur chargé d'une aigle d'or et à la pointe de sinople,
rharsiée d'un fer de laneod'or; cimier : une coquille.
OiiKNO (l).
Les Greni sonl oncorc une l'ainillf d'Altarisles île prove-
nance vénilienno; lesGreni abondent dailleurs en Lombardie
depuis les lemps les pins anciens (2). Les acles des paroisses
d'Allare, les premiers en date rpi'on possède (159^ à Kll;)),
mentionnent déjà lesGrcni en iriO.".
C'est bien vraisemblablement aux Greni qu'appartiennent
Antoine et Baptiste Grain, dont l'engagement en l():iO est
rappoi'lô par M. van de Gasteele; car leui- acte d'engagement
stipule la redevance babituelle aux consuls de l'Altare, et à
Altare on ne connaît pas d'autre nom se rapportant à
celui-là.
Il n'y a pas limi de ratlacbcr les Greni aux Reni (pii
apparaissent à Liège dès le commencement du wn*' siècle;
mais il n'est pas impossible de les j.ippoi'ter aux Greny, qui
depuis lOôl jusqu'en I(W)"2, se rencontrent dans les registres
de Sainte-Vèronnc, en relation avec ceux des Glen, Houhon,
de Wilré, laiiiilles alliées à celle des Bonbomiiie.
Seulement, il l'audrail considérer ces Greni comme ayant
été attacbés i\cs le principe, comme les Buzzone, à la fabri-
calion i\o Ileyne et Marins, en j(r2(>, et celte bypotlièse
est coudtattue par le l'ait qu'aucun des nombreux Greny qui
figurent aux aeles 110 |t(>rle le jni-nom de Baptiste ou
d'Antoine.
(1) Varianlês : (ii'cimit, Cr.iin, Cieni, pciil-èlio Creiii, Crmier,
{i) Rens. de M. Mmiuii.i lînoNDi.
r,ir, -
IkRTOLUZZl.
Les Bei1oluz/i soiiihltiu (rorioine V(Miili<jiHK'; ils sonl on
effet menlionnés, en 160.-), sous la l'orme Z/or/o/tm/ dans le
Livre d'or de Murano (i) ; mais sous la forme Bertololti, on
les rencontre, an xvii'" siècle, dans le Livre d'or de Savone (u),
non loin d'Allare, et aujourd'hui ils constituent l'une des
douze laniilles encore existantes des Monsu d'Altare (r,), où
ils apparaissent dans les plus anciens actes paroissiaux
encore conservés, dès 151)2 et JoO;j (4). D'après M. Mariano
Brondi, les Berlolossi de Venise seraient arrivés à Altare,
au XVI* siècle, pour initier les Altarisles à certains procédés
de l'art du verre.
Des Bertoluzzi s'établirent vraisemblahlemenl à Liège, à
la même époque que les autres Altarisles; mais la preuve
n'en a pas été trouvée dans les actes. Seulement on sait
qu'il y a à Liège plusieurs familles Uorloloci, dans laquelle
il y a encore eu un mariage le 20 avril IHSi.
Nous savons par Biilïa que les huit familles primitives des
Monm d'Allare étaient les Bordom", Bnzzom', Bormioli,
Biancardi, Brondi, Rachclli, Varaldi et Saroldi.
(t) Za.nf.tti, Guida di Miiroim, \>. t208.
(.i) Girolanio Hos>i, Giornale ur(tUUro-<ienealoijico (lijiJomatko, de l'Aradt-iire
liéraldique de l'isc, aoi'it 1884, n" 2, p. 30.
(s) Bi'FKA, L'I'iiiversila deW aile vilreo di Allaie, p. Ô8.
(*) Ri-ns di^M. Mariano Rr.o.Ni)i.
— 5li —
Deux de ces familles, les Buzzoni et les Varaldi, ont eu
(les représentants à Liège au xvi" siècle.
A ces familles vinrent s'ajouter par la suite des temps les
Berloluzzi, les Greni, les Lodi, li's Mirenghi, les Marini, les
Negri, qui existent encore aujourd'hui à Altare, où ils ont
fondé la nouvelle association coopérative avec les représen-
tants encore subsistants des familles primitives.
Trois de ces familles, les Greni, Merenglii et peut-être les
Berlolozzi, ont contribué à la renaissance artistique du verre,
au xvii' siècle, à Liège.
En outre, il a existé à Altare diflërenles familles advenlives
de Monsh, familles qui y sont aujourd'hui éteintes, les Negri,
Somaglie, Ponte, Massari, Gasiellani, Ferri.
Les quatre dernières ont fourni des gentilshommes verriers
aux usines des Bonhomme ou sont mentionnées dans des
actes relatifs à ceux-ci.
Sur vingt familles d'Altare, neuf, soit près de la moitié,
ont ainsi leur nom attaché à l'industrie liégeoise à la façon
italienne. El Altare, comme nous l'apprend Amati, n'est pas
même une ville, c'est une bourgade de 1,700 à 1,800 âmes.
Venise, la grande cité, n'a pas fourni de membres d'autant
de ses familles de gentilshommes verriers à toute la Belgique
qu'Altareà la seule ville de Liège...
il serait donc bien important de distinguer parmi les
verres fabriqués aux Pays-Bas, les verres à la façon d'Altare
des verres à la façon de Venise.
A cet effet, la Gommission du musée royal d'antiquités de
Bruxelles a institué une enquête à l'elTel non seulement de
distinguer |>;irmi les beaux verres dits de Venise de ses
collections les verres belges qui n'y sont pas mentionnés
— 315 —
jusqu'à présent, mais encore parmi les verres belges ceux
qui ont été fabriqués par (b-s geiililsbununes vcniers origi-
naires ou de Venise et Murano ou d'Altare.
Si la façon de Venise parait avoir prédominé à Anvers et
à Bruxelles, celle d'Allare a été sinon exclusive à Liège, —
qui a compté aussi des vei i-iers muranistes dans ses usines, —
au moins prédominante ; car un grand nombre de contrats
des gentiisbommes vénitiens leur imposent la condition de
travailler aussi à la façon d'Allare (i).
De plus, la façon d'Altare a pénétré nième à Bruxelles, où
nous avons vu <|u'un Castellano était allé s'engager,
M. Mai'iano Brondi a bien voulu accepter la mission de
recbereher, non |)as seulement à Al (are, où l'on n'a guère
cliance de rencontrer autre cbose (jue des verres ordinaires,
mais dans les palais, les cbàteaux, les trésoreries des églises,
|)ar tout l'ancien Monlérrat et l'ancien ducbé de Mantoue, les
modèles de verre ancien (jue le lieu où ils ont été recueillis et
conservés peut faire présumer avoir été fabriqués à Allare.
Si, comme on l'a annoncé, l'exposition universelle d'An-
vers de 1885 comprend une sectio.n de l'art ancien, j'ai
vivement engagé M. Mariano Brondi à y exposer le produit
de ses recherches {"i).
Cela sera, il faut l'espérer, le point de départ d'une classi-
(ication méthodique, dont, il faut bien l'avouer, nos musées
et collections privées, si abondants en verres artistiques,
ont été privés jusqu'ici.
(0 Voir ci-après.
(î) Quant à l'indusUic d'aujourd'hui, Altare y prendra égalenient par(, sur mes
instances, et outre les succès qu'elle est appelée à recueillir pQur la perfection et
le bon marché de ses produits, j'appelle, comme M. Eiu. de Laveleye, rallenlion
sur la coopération du capital et du liavail, dans les statuts des verriers d'Altare.
— 510 —
ll[. VOCABILAIHC.
Edidions les tenues donl les verriers du xvn' siècle se
seivaieiil pour leur Aibricalion el ses |>roduils; peul-êlre y
irouveroiis-nous des rcnseii2,nenients utiles à la classidca-
lion el des expressions bonnes à être remises en usage.
Mallieureuseinent celle étude ne nous fournira pas encore
de quoi distinguer la façon de Venise de celle d'Altare; car
si les contrats Cws genlilsiiotnnries verriers de Liège rensei-
gnent spécialement le « verre à la huequc « comme une
spécialité des Allarisles, un grand nombre de ces actes
imposent aux Muranistes et Vénitiens engagés par les
Bonhomme l'obligalion de travailler à la façon d'Altare, en
adjoignant aux venrs « à la buc(pie » toute una énuméralion
d'autres verres, « selon le nombre que les Allarisles font... »
Les gentilshommes verriers vénitiens Paul Maciolao el
François Santin en l(»;i;>, Nieolas Stua en IC'i.'J el lOCi,
Francisco Cingano el Francisco Roda en 1667, s'obligè-
rent ainsi ii Liège à travailler à la laçcm des seigneurs alla-
risles.
Cela no signilie pas (pie les verriers muranistes s'enga-
geaient à IravtiilItT non seiilenuMil en verrerie line, mais
aussi en verrerie plii> itrdinaire; cîii" les Bonhomme, en
dehors el à côté des verreries des Italiens, dites de cristal,
en possédaient d'autres où ils avaient engagé non seulement
des verriers du pays, mais i\o^ Allemands, des Français de
Champagne, de Lorraine, elc , et ils se seraienl bien gardés
de Wùi'ii venir (}v>, (iivii'uns de Cènes des représentants de la
mollié des faniille^ d'Altare, s'il se lut agi de leur demander
^••ulenl( ni *k'^ modèles d»' v( rrc ordinaii-c, d'usage quotidien.
— ."17 —
Dire aux .Muranislcs et Vcnilicns : Vous li-availlorcz aussi
bien à la façon tl'AUarc que de Venise, siuniliail clone : Eu
fail d'ccuvres artisli(|ues, vous no vous contenlere/ pas de
nous donner celles de volrc pays; vous nous lahriciuerez
aussi à la manière d'AKare, qui, depuis Buzzune, en lOtiri et
1626, les Casleilani et aulrcs, de 1658, a conquis laveur
dans le goût liégeois.
Pour déterminer la valeur des verres indistinctement
fabriqués par les Uonbomme, on peut prendre les élémenls
suivants ;
1" Un acte de parlage de l<J,")!>, où les deux frères
conviennent du prix des marcliandises en magasin;
T Une échelle de pi'oporlion établie dans le même acte,
où un nombre déterminé de telle ou (elle classe dobjels est
donné pour 100 verres de cristal ;
ô" Enfin le salaire des ouvriers, (jui, d'après la compa-
raison de cerlains éléments, peul être évalué au (juart du
prix de venle (ainsi le verre à serpeni, vendu li paltars,
élait payé à l'ouvrier 1 llorins les iii, soit ô I/o pallars pièce).
L'on obtient aih>i, en ramenant les prix uniformémcnl par
cent pièces in :
rioiiii;. l'altnr».
Gros verres simples. ... 3 10
(i) Les ;t|'pi'oxiiii;ilioiis soiil iiianiuccs par une astérisque; il semble <)ue dans
cette liitic (lu capital avec le salaire, on tmdait tleja à irJuirc lehr-ci autant que
possible; d'm les eliiiïrcs approxiuialils doivent plutôt élrc renforiTs que réduits.
Car en lOG" cl 1069, les Boidumiine ne pavaient p'us à leurs ouvriers qu'un
patacon pour 160 verres à l)iL're, 1-20 id. lioôcs au \iu, 110 id. à bucK, 7u id. a
vit), -24 id. à serpent, 18 id. ii bétes, i-2 a (leurs; or il est impossible, par
exemple, ([ue les verres à seipeni, vendus au public 70 11. le cent en IGoii, ne
valussent (dus douze ans idus tard qn'inviron 20 fl.; d- même pour les verres a
bêles cl a llour.*, qui devaient efûlpr i/"> ou V^l en plus.
318 —
Beckers à bierre; vihoz .
Verres simples
Verres blancs .
* Verres à bierre à ondes .
» à escarbolle
* » à côles
» glacés cl moulés
» coupés à ondes
* Verres à buck
* Verres à bierre el à vin unis
Reumers verts
Verres verls au vin .
Verres de ci-istal
Tassettes à contilures
Demi-flùles ou restillons
Verres ;i la vénitien ne
Flûtes ordinaires
Bouteilles de Spa
Grandes maslerleltes
Verres à boutons à la façon de L
7o Beckers lisses el 25 glacés
Basses coupes lisses.
Beckers moulés
Flûtes ordinaires
Verres à l'anglaise à lu bière ;
règles
Ciboires lisses.
Verres à serpenl
Coupes loumassines .
Coupes il trois piliers
nie
deux
orins.
Paltars
3
15
5
6
!!2
13
13
14
15
10 à K>
20
30
55
41
4S
OU
02
70
KO
10
- ÔIO —
riurlii-.
Verres à bclcs. .... llKi
i*ossins cl sinclles, uuriiiuls . . h2(i
Verres à fleurs . . . . l'iO
Bocaux à deux cols . . . . :2i(i
Coupesloumassiiies à un ser|iL'iil . ^^iO
La j»Uis chère des pièces rabri(|uécs au wi* siècle par
les Bonhomme coùlail donc "2 florins 10 pallars...
El dire (ju'aujourd'hui lIgs pièces qu'on pouvail alors
se procurer à meiflcur marché encore, atlcignenl dans les
vcnles plus que la cenlaine des plus coûteuses d'alors, même
en lenanl compte de la différence de valeur de l'argcnl!
Il était important de mettre en j)résence lès prix des
verres, pour se rendre compte de leur importance relative;
cela éclaircira d'autant le vocabulaire que voici en ordre
alphabétique, avec des jwints d'interrogation entre paren-
thèses pour les poiiits non encore éclaircis (i) :
Allemands (verres), aussi nommés : « gros allemands ».
Dénomination générale comprenant sans doute non seule-
ment les verres verts à vin, les rhcumers, mais les verres
à metlrc en couleur ; un verrier Furnon, qui dirigeait une
verrerie allemande au quai de Fragnée, s'était astreint à une
clause (jui ne se rencontre pas dans les contrats des Altaristes
el Muranistes; il devait s'interdire de faire aucun verre
émaillé, pour son compte ou pour celui d'autrui. On croit
(i) Les ronscib'ncniciUs qui suivcnl sont L'iiiprunlos àCtauLTii, Dclle origine
e dello svolgimcilo MV nrle vetraria Muruiiese; id , Monoyrafi'i délia veiraria
Yeiteziana e Muranese ; Zaneiti, Guida de Murano; Savary, Dictionnaire de
commerce; Encijcloiièdie (arts et métiers), in<lcpoiitiamuiciit de ceux (|ue je dois à
M. Mariano Brondi, d'Altarc, etc.
— 0^20 -
avoir reiiian|u6 (|uc le verre éinaillé labriqiié en Belgi(|U(',
à riiiiitalioii de ceux d'AlIcniagne, se signale par des repré-
sentations de branches de muguet, comnfie on peut en voir
un exemplaire au Musée d'Audenarde, datant de la lin
du XVI* siècle.
Anglais (verres h Tanglaise). Les contrats portent « verres
à l'anglaise à la bière à deux règles » (":').
Becken; bierre Beckers ou Bechers, nom llamand ou alle-
mand des verres à bière; pareils produits rentrent dans la
catégorie de ceux (|u'on confectionnait en la verrerie de
Fragnée.
Bêles (verres à). Ce sont sans doute des verres où, en 1 069
(contrat des verriers Marins et Santino), l'industrie des
Ijonhomme, trente ou quarante ans après ses débuts, essaya
d'introduire, dans l'ornementation de la tige des vases, des
représentations d'animaux, de fleurs. ïurgan lait remarquer
à ce propos que les verres à bêles et à Heurs, si c'est bien
de ceux-là qu'il s'agit, étaient exposés à tous les caprices de
la fusion, et, par conséquent, à des variétés infinies, parce
que l'artiste était forcé instantanément de modifier son
œuvre et de transformer un cygne en dauphin, une rose en
une autre fleur.
Bocals à deux cols. L'expression n'offre pas d'ambiguïté;
mais que signifient ces deux cols? Sont-ce des vases à deux
orifices, comme les flacons doubles pour huile el vinaigre?
Bouteilles à eau de Spa. Ce geni-e appartient à la fabrica-
tion des gros verres : M. Albin liody, l'historiographe de
Spa, n'aura pas de peine à retrouver la forme des récipients
d'eau de Spa au xvii" siècle. Rabelais (I, o : t les propos
des buveurs ») dislingue entre bouteille el flacon : « bouteille
— 3-21 —
est fermée à houcliuii et (laccoii ;i viz », (li>liiirli()i) t|uc
Taboiiiol répèle dans ses Bigarrures.
Boulons. Les verres à deux, à (rois, à (jualif Itoulons,
porlaient aussi le nom de « verres à 35 llorins le cenl. » On
les demandait surtout à Lille : il esl à croire qu'outre une
l'orme eléterminée, en laveur dans celte ville, on ornait ces
verres de pastilles de verre do couleur en relief, qui y ligu-
raieiil des boutons; de nombreux produits [>résenlent en
effet celte particularité. Les verriers italiens n'employaient
guère que la canne, le pontil (voir au mol concerre), les pin-
cettes et les ciseaux ; ils ne se servaient de moules que pour
estamper des ornements accessoires, comme les boulons dont
il s'agit sans doute ici. Cependant, dans le langage en usage
aux derniers siècles, Savary nous apprend que les verres à
pied se composaient de trois parties : la coupe ou calice, le
boulon et la patle; les verres à deux, Irois boulons, pour-
raient donc bien avoir été des verres à boulon double, trij)le,
comme un verre que représenle Yriarle, et dont plusicnirs
spécimens ont été conservés à Liège. Certaine expression du
contrat de 16oo . « verres à (|ualre boulons el les anses
dt^ssus à la façon de Lille », fait supposer que certains de ces
vases à boutons avaient deux anses.
Branches (verres avec). S'il s'agit d'un genre d'orne-
ments en guise de branchage, je ne me souviens pas d'en
avoir vu de spécimen.
Bur-k (verres à), dits aussi à la buque. En flamand buik,
en allemand Bauch, en italien Ouccone, sont des expressions
se rapportant au venlre; les verres à buck sont donc des
verres pansus, el l'expression est comprise à Altare, d'où
-M. Mariano Brondi m'écrit en me donnant la forme de ces
— r,>22 —
verres (|ui n'uni pas de pied, mais dunl la panse s'élargil
comme celle dos tonneaux : ces verres élaienl une spécialité
des Allarisles.
CliaîncUes (verres à). Dans la nomenclature des prix
ci-dessus, les verres à chainclles remplissent un rôle secon-
daire. Sinon on pourrai! songer à des verres où les anses
cl les ornements du pied sont rattaches par des chainclles de
verre coloré, formées d'anneaux mobiles : un verre de co
genre, à chainelles en verre bleu, a l'ié accpiis récemment à
Liège par le musée de Diisseldorf,
Cibors. Ciboires, coupes,
Concerre, Rimondo Carnclle s'engagea vis-à-vis des Bon-
homme (acte du (> mars 1G51) à « faire le concerre, comme
à njaitre conseur appartient. » Gliarpie verrier avait i)Iu-
sieurs aides, quatre aides (izatori (pour alliscr le feu) cl un
conzaiirer, armé d'un pontil, appelé conzaura (\). C'est à
cela sans doute qu'il est fait allusion.
Côles, demi-côles (verres à). On ne peut guère se ligurer
ces verres (pie comme représentanl soit un melon, soil un
demi-melon, dont les cotes resscmbleid juscpi'à un cerlain
l)oint aux godrons verticaux des verres i-omains; il faut
attendre (ju'un spécimen ou un fragment trouvé à Liège
justilic la supposition.
Coupes. Une disliiiclioii est à établir, semblc-t-il, entre les
coupes et les sinqiles verres ou gobelets ; ceux-ci n'uni pas
de pied, tandis que les autres ont les trois parties citées
ci-dessus : la coupe, lu boulon cl la patte. Le nom de coupe
se donnait sans doute au vase lui-même. Ce qui porte à dis-
fi) Ti-liCAN, l.cil., IX, p. 08.
.•)2io
tinguer les coupes des verres, est la diiïérence de prix assez
notable signalée ci-dessus entre les verres et les coupes à
serpent. Les coupes se distinguent, d'après leur forme plus
ou moins élancée, en hautes, basses, etc.
Cristals, cristallins. Tel était l'objet tie la fabrication (ks,
Italiens à Liège, tant Altarisles que Muranistes ; les verreries
où ils travaillaient portaient le nom de 4 verreries decristals».
Tandis que l'expression de cristal, cristallin, se rencontre
partout dans les contrats des Italiens, Salviali, au témoi-
gnage d'Yriarte, voudrait qu'on réservât l'expression de
verre aux produits italiens et qu'on aj)pelàt cristal ou verre
cristallifié celui des manufactures étrangères. La proposition
a quelque fondement : le cristal, combinaison où entre
l'oxyde de plomb, était connu des Romains, et le secret n'en a
été retrouvé qu'au siècle passé. Le cristal et les cHstallins
des Vénitiens et Altaristes sont simplement du verre que les
Italiens, par un secret qui leur était propre, étaient parve-
nus à dégager de la nuance verdàlre qui se signalait dans le
verre des autres pays. Gela sans doute en introduisant déjà
du plomb dans la fritte : en effet, on a remarqué dans les
actes de 1C2G, cités ci-dessus, que les Italiens faisaient usage
de « terres plombées » pour la fabrication de ce qu'ils appe-
laient a cristal » ou « cristallin »; mais, comme ils recher-
chaient la légèreté pour leurs produits, ils affectaient de ne
pas admettre à dose trop grande le plomb dans leurs verres.
De là, le verre de Venise ancien n'est pas parfaitement inco-
lore; il est toujours un peu grisâtre, et sa légèreté est duc
;i la quantité très petite de minium qu'il contient (1). Dans le
(1) TUROAN, IX, p. 78.
— 324 —
« cristal » moderne, au contraire, l'oxyde de plomb est inlro-
diiif à doses systématiques, ce qui augmente la pesanteur
spécifique des produits et l'ur transparence incolore.
Émail. Le verre émaillé, comme celui de Fiirnon (voir
plus haut) était du verre en général verdàtre, sur lequel, en
Allemagne et aussi à Liège, on peignait en émail différents
sujets avec plus ou moins de finesse. Mais, par émail et
émaux de diverses couleurs, il faut entendre, sans doute, le
verre coloré dans la masse, comme on le lit dans le recès
de 1626, pour les Heyne et Marins, ainsi que dans le
contrat de Rimondo Carnelle daté de 1651, où l'expression :
« faire émail » s'explique par celle de « mettre le cristal en
brune couleui' »,
Escarbotte (verre à). L'escarbot, qui sans doute a donné
son nom à ce genre de verre, est-il le coléoptère de ce nom,
l'animal de La Fontaine, dont il dépeint la lutleavec l'aigle,
ou bien est-il le vulgaire escargot? En Normandie, d'où, par
bypothése, proviennent les verriers d'Allare,on dit, au témoi-
gnage de Lacurne de Sainte-Palaye, escarbot pour escargot;
d'où esprit d'escarbot, terme d'injure, et l'on semble d'accord
pour considérer le jeu de Gargantua enfant : Escarbot le
brun, comme ayant reçu son nom de l'escarbot -= escargot.
Dans ce cas, le verre h escarbotte serait tout simplement le
verre en spirale, et l'on en a conservé à Liège un très grand
nombre où la coupe conique est revêtue à l'extérieur de fins
replis en hélice. Cette supposition est autorisée par le prix
minime des verres à escarbotte. 11 est à remarquer toutefois
que Rabelais fournil imssi l'expression escarbotter, pour
éparpiller conmie le font, pour les matières (|u'ils fouillent,
les escarbots = scarabées.
— 5^25 —
Fleurs (verres à). Celte expression s'enlend sans flou le,
non d'un porte-houquet, mais d'un vase orné de tlcurs au
pied : le Musée royal d'antiquités de Bru\eilos en possède
un très bel exemplaire.
Flûtes, demi-flùtes, grandes el doubles tlùles. Cela
concerne sans doute les verres allongés plus ou moins
coniques, comme nos verres à Champagne, qui en ont conservé
le nom dans le langage familier; d'où l'expression fhVer le
vin. La /lùle à boire le vin se retrouve dans un pi'overbe
rapporté par Rabelais : « il souvient toujours à Robin de
ses fleules »,et l'on est d'accord pour voir dans cette expres-
sion une allusion aux flûtes que Robin a trop vidées et
auxquelles il doit sa goutte. C'est sans doute le vin de Cham-
[lagne qui a amené l'usage des flûtes. Or, ce vin était connu
au xvi" siècle : une tradition rapporte que Charles-Quint,
François 1", Henri VIII et le pape Léon X, possédaient
chacun, à Aï, un clos avec un vigneron à ses gages pour
lui envoyer tous les ans une provision de ce vin pétillant.
En hollandais, on dit également ////// pour désigner un verre
élancé (i).
Fritte; faire fritte est une opération à laquelle s'engagent
certains verriers de Liège. Fritta, qui vient de friccia
(renseignements de M. Brondi), est une expression italienne
pour indiquer la matière calcinée dans la corime et formant
la masse vitrifiée soumise à l'action d'un feu plus violent où
le soufllcur cueillera ce qui est nécessaire à la fabrication.
{<) Kn voir le dessin sur un uiéreau rlf ^VnUMbtnWii {lievue belge de niiinisma-
tique, 1874, p. 5o) : un sait que .Middelbouii; a ^ossétié une veci'crie a Tita-
lienne. {linll. des Comm roij. d'art et d'nrchéol .. XXFIl. p. 19.)
— Ô2fi —
C'est ainsi que l'expliquenl aussi Cecclietli et ZancUi ;
Savary l'a consacrée en français pour désigner soil l'opéra-
lion de la calcination, soil le produit de celle-ci.
Glacés (verres). Celle expression est opposée dans les
contrais àcelle de verres « lisses ou pas glacés » que semblent
indiquer certains actes, comme ayant une valeur trois fois
moindre. On peut sup))0ser qu'il s'agit du ke-glass, verre
dont la surface a l'air d'être congelée, comme on en a repris
la fabricalion de nos jours. Cependant d'autres actes assi-
milent complètement pour le prix les verres lisses et les
verres glacés.
Haling. L'expression se trouve dans cette phrase :
« faire frittes, haling, mettre le verre en couleur... » (?).
Lisses (verres). Voyez le mot glacés.
Masterleltes. Mastello en italien, veut dire bassin, d'où le
diminutif ?;ifts/e//e//o. M. Brondi m'écrit que l'expression est
encore en usage à Altare, et Cecchelli cite les masietlelli
parmi les objets que les verriers employaient à la fabricalion
des verres à boire, devaient savoir fabriquer pour obtenir la
mailrise. (Voy. Oncles.)
Olives. L'expression était aussi employée à Venise, où
les mailres avaient à fabriquer des « Gotli del Principe à
oliva », des « Goiti de Cipra con gamba oliva « . Les coupes
lisses à l'olive, les verres à haute olive dont parlent les
conirals liégeois, concernent sans doute les verres dont la
jambe (gamba) avaient la forme d'une olive. Cecchelli nous
apprend qu'à Venise les « olivettes » se faisaient dansjes
fourneaux à émail et pâtes en canne ; mais il s'agit là
d'olivettes en verre citron ou blanc pour les sauvages d'Amé-
ri(|iie on hs noirs (rAIVi((ii(; (la verroicric des voyageurs),
— V27 ~
et cela semble ne rien avoir de commun avec les verres à
olive.
Ondes (verres à), verres coupés à ondes. L'onde, d'après
Savary, est un défaut de la fabrication qui rend vacillanUîS
l'image des objets qu'on regarde à travers le verre affecté de
ce vice ; mais ici il s'agit d'un effet semblable recherché par
le verrier, à l'instar du rcsic de Venise, qui comprenait
notamment un « maslellello àw^j(/rt» parmi les chefs-d'œuvre
pour obtenir la maîtrise.
Ourinal. Il ne s'agit pas ici, sans doute, du vase d'usage
vulgaire auquel ce nom fait penser, car Cecchelti nous cite,
toujours parmi les types de chefs-d'œuvre, les vases suivants :
« grosso orinal con suo capello ; oiinal de bagno maria con
suo capello ; orinal pisano; orinal col lavro grosso » , ou « col
labro con duc mani di laltiino nell oro. » Ces différenis
accessoires indiquent qu'il s'agit, d'une manière générale,
de vases de verre d'assez grande dimension, comme on
appelait ourinal en alchimie le fourneau dans lequel se cui-
sait et digérait l'œuf hermélique.
Pillfirs (verres à trois). Le nom s'explique de lui-même :
piliers = piliers; mais ce genre, (jui était des plus coûteux
(voir ci-dessus), n'est représenté dans les collections par
aucun spécimen à moi connu.
Possins (et non pessens). Ce nom (posson, possinet), en
wallon liégeois), est synonyme de burette (i).
lieisne (verres à pâlies de). Ce genre de fabrication
apparaît .seulement en IGCO et principah^ment, si non e.xclu-
sivemenl, il s'applique à des verres à bière qui ('taieMl sans
(i) Ri'MACil", 1ti<:!iotinfiin wulto)!.
— 5-28 —
doute appuyés sur trois supports en forme de pattes de
grenouillo (reisnc = rana, grenouille).
Résinions. L'expression semble être indiquée dans les
acies comme synonyme de demi -flûte. Resliel en vieux
français signifie herse, ce qui ne fournil aucune aide pour
l'explication du terme.
liheumer, rliemeur et autres variantes du mot allemand
Romcr, qui signifie bocal et qui indique aussi communément
le verre à boire le vin du Rhin, ayant déjà alors la forme
encore en usage, comme on le voit par certaines représen-
tations du xvu^ siècle (i).
Le rheumer vert doit cependant être distingué du verre
vert à vin; car les deux genres sont cilés dans les actes, l'un
à côté de l'autre; mais quelle est la dislinclion à établir
entre eux?
Serpenl (verres, coupes à). Quoi qu'on dise, en général,
dans les contrats, « à un serpent », au singulier, il y a lieu
])robabk'ment d'appliquer l'expression aux coupes dont la
tige est formée de deux serpents à crête, s'enroulant capri-
cieusement l'un dans l'autre (les Fluegelylaeser des Alle-
mands, les verres à ailettes ou ailerons des Français). Mais
y a4-il aussi des verres, c'est-ù-dire des gobelets sans pied,
avec des serpents? Les « verres à serpenl » sont classés
parmi les verres de forme extraordinaire; ils appartiennent
donc à la même série que les verres à fleurs, à bêtes, fabri-
qués postéi'icuremenl.
Sinelles. Expression qui semble donnée, sinon comme syno-
nyme (ou diminutif?) de possin, au moins comme présentant
(<) Voy. un Rômer (à boutons ou petits mascarons) sur une médaille de 1621,
Rei'ue behie de iiumhnidtiqiie, 1876, pi. VFII, (!:,'. 25.
— ?>21> —
de l'analogie avec cet objet : k's sinelles appartiennent donc
sans doute à la classe des burettes ou vases de petite dimen-
sion. Sinelles ne serait-il pas cependant l'i'quivulentde snelle,
srhnelle, qui, en flamand et allemand, indiquent un vase à
boire de forme cylindri(jue allongée? En vieux français,
sinaille signifie un manche ou un brandon ; encore une fois,
il n'y a rien à tirer de là.
Sonnclles (verres à). Sans doule des verres à deux coupes
opposées, dont l'inférieure porte un battant pour la faire
servir de clochette : on en a vu paraître un spécimen à une
vente récemment opérée à Liège.
Cependant une phrase des contrats de 1G67 et 16G9 tend
à faire croire que le verre à sonnelles était simplement une
variété un peu plus difficile à elïecluerque le verre à bière or-
dinaire : « un palacon, toutes sortes de voire à la bière : cent
et soixante, à la réserve de ceux à sonnettes : cent et dix. »
Tassetics à confiture rebordées, analogues sans doute à
nos pots en verre de môme usage : leur forme était sans
doute aussi simple; car on comptait parfois deux tassettes
pour un verre, ou au moins trois iassetles pour deux verres.
Toumassines (coupes). Basses coupes toumassines; coupes
loumassines à un serpent (?).
Visez. Dans la phrase suivante de l'acte de partage de
1Gj5 : « les haultes, que l'on appelle bière beckers, et
visez (pcuit-ètre vilwz??). (?)
Certaines expressions pourraient sans doute être expli-
quées par le patois en usage en Normandie, où, je l'ai déjà
dit, est pour moi le berceau des Altaristes; mais je n'ai pu
me procurer jusqu'à présent ni les vocabulaires normands
de MM. l'abbé Decorde, Léon Dubois, Edelesland et Alfred
— Ô3() —
Duméril, Le Ilérichcr, Métivier, Jorel, non plus que l'ouvrage
de 0. Le Vaillant de la FielTe (les Verreries de Normandie,
les gentilshommes et artistes verriers normands, Rouen,
1875), que M. l'alibé lîoulillier me signale comme important.
L'énuméralion étendue et détaillée qui vient d'être pré-
sentée ne comprend pas certains verres que Ton considère
comme liégeois.
Tels sont les verres « fré^s » dont j'ai déjà eu occasion
de parler, quoicpron en trouve avec serpents ou ailerons,
circonstance qui pourrait tendre à leur attribuer quelqu'une
des expressions ci-dessus inexpliquées, comme celle de
coupes loumassines.
Tels sont encore les verres à boulon ou lige cylindrique
contenant des spirales de filaments de verre de couleur où se
monircnl isolés ou mêlés le blanc, le rouge, le verl, le bleu,
le jaune. Depuis l'exposilion de 1880, on les appelle « verres
à pied vermicelle, » et des renseignements puisés dans les
inventaires de famille du comle van den Sleen de .leliay,
tendent à leur faire donner le nom de Valzolios : le mariage
de Jean-Maximilien de Bonhomme avec AnneValzolio n'ayant
eu lieu qu'en 1G72, c'est-à-dire depuis les actes analysés
ci-dessus, daterait par là-même d'une époque postérieure à
la création de ce nouveau genre en usage seulement depuis
la lin (lu wir siècle.
Tels sont encore les verres gravés, dont l'industrie îles
Bonliomme jusqu'à la même époque ne parait jias s'élre
occupée, quoique l'invention de la gravure sur verre remonte
à IfiOT Cl), et, en elTel, Ions les verres gravés connus qui
(i) I.AhAinr, /. lit., IV I'. :>'|J.
|)or(cii( des anuuiries liégeoises se rappurleiil ;i îles pei'sun-
nage plus récents.
Il en serait de même enfin des lasses et soucoupes en
veiTO cmaillé ou doré, dont on rencontre un certain nombre
dans les collections liégeoises, et, (juand elles sont en verre
blanc mal, qu'on distingue de la porcelaine à laide de la
trace du ponlil (ou attache brisée de la canne du \errier)
qui se trouve à la partie inférieure, tandis que le fond est uni
au tour pour la porcelaine.
Il est à espérer que les éludes continueront dans ce sens,
et permettront un jour — l'heure ne semble pas avoir encore
sonné — de distinguer et de classer les verres de diverses
provenance :
Les verres italiens provenant d'Italie;
Les verres allemands j)rovenant d'Allemagne;
Les verres à la faron de Venise, d'Allare, ou d'Allemagne,
fabriqués aux Pays-Bas.
Ll entin, parmi ceux-ci, les verres fabriqués dans difle-
rentes villes de la Belgique actuelle : Anvers, Bruxelles,
Liège, lluy, Namur, auxquelles j'aurai à ajouter aussi (land,
où je montrerai ullérieuremeni (ju'on a aussi érigé, mais
seulement au xvfii* siècle, des verreries de cristal.
J'ai l'honneur, etc.
II. SciIUEr..M.\NS.
Liège, septembre I88L
l\ S. Ajouter à la dernière phrase non seulement Gand,
mais encore Chàtelet, près de Charleroi :
Voilà f|u'au moment d'émettre le « bon à tirer, » je
ÔOli
découvre dans les Conclusions capilulaires (Archives de
Liège, Reg. liH, p. ô(i"2j ([n'en août 1654, Anllioinc de
Buisson avait oblenu un privilège, pendant six ans, ))our
fabriquer du verre dans la bonne ville de Chàtelet, dont le
chapitre de Saint-Lambert était seigneur, privilège qui fut
continué en 1641 en faveur des frères Bonhomme.
ïl ne parait pas possible de douter de l'identité (à moins
(pi'il ne s'agisse d'un j)ère et de son fils) de :
1" « Antoine Buusson, italien, » marié à Liège en 16:25;
"2° Anthoine De Buisson, veri-ier, établi à Chàtelet de 1054
à 1640;
3' « Antoine Butzone, gentilhomme verrier altariste, »
engagé en 1663 chez les Bonhomme.
S'il en est ainsi, il y aura lien de comprendre Charleroi
dans le champ des recherches pour retrouver des verres à
la façon d' Al tare,
— Dans la supposition où la seconde femme de Guillaume
Castellano, Jeanne de Sarde, aui-ait été une Saroido, les
familles d'Allare auraient été représentées à Liège dans la
proportion de dix sur vingt : juste la moitié.
H. S.
CREATION D'UN MUSEE DES ECHANGES INTERNATIONAUX.
nOLLEGTION DE MOU-LAGES ET REPRODUCTIONS DE MONUMENTS
ET OBJETS DART.
Léopold II, Roi des Belges,
A lous présents et à venir, Salut.
Vu Notre arrêté du 17 mai 1871, jwrtanl nomination
d'une Commission chargée d'organiser, entre la Belgiijue el
les pays étrangers, un système d'échange d'œuvres artis-
tiques, scientitiques et littéraires;
Vu la loi du budget général des dépenses de l'exercice
courant;
Sur la proposition de Notre Ministre de l'agriculture, de
l'industrie et des travaux publics,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. l". Le fonds des reproductions d'œuvres artistiques,
réuni par les soins de la Connuission royale belge des
échanges internationaux, constituera un établissement distinct
administré par ladite Commission, sous la dénomination de
« Musée des échanges internationaux, collection de mou-
lages et reproductions de monuments et objets d'art. »
Art. "I. Noire Minislrc de l'agricullure, de riiuluslric cl
des Iravaux publies csl ehargé de re.xéculloii du préscnl
arrèlé.
Donné à Bruxelles le 30 oclobrc 1884.
(Signij) LÉOPOLD.
Par le l\oi :
Le Minislrc de Cauricdtarc, de V Industrie
cl des travaux publics,
(Signé) Cliev" de Moreai;,
l*our e.xpédilion euiiforniC :
Le Secrétaire ijénéral do. Miithtère de Pa^ricidlurc,
de l'Industrie et des travaux publics,
(Signé) BELLErr.oiD.
COMMISSION i;OVALK l)l':S MOMJMKN TS,
RÉSUMÉ DES PROGÈS-A'ERBAUX,
SÉANCES
des (-, 13, 18, 20 et 27 septembre ; des 4, 1 1,517, 18. 25 et 31 octobre 1884.
ACTES OFFICIELS.
Nominalion d'un membre correspoiidanl de la Commission
royale des monumenls.
Léopold II, Roi de^ Belges,
A tous présents et à venir, Salut,
Vu les arrêtés royaux des 51 mai I8H0 et H février .^omin.tio,.
il'un membre
1 of) 1 ■ rori'ospondanl
' (Je la Commission
Vu l'avis de la Députalion permanonic du Liinbourg et ,,„, ^"/„»J^,„l,. "
du Gouverneur de cette province;
— oôC) ~
Sur la proposition de nos Ministre.^ de l'agi'iculluro, de
rindusli'ic el des travaux jinblics et de la justice,
Nous avons arrêté el arrêtons :
Art. 1"'. Est nommé membre corrcs|)oiidaht du Comité
provincial des monuments pour la province du Limbourg,
on remplacement de M. le Cdicvalier de Corswarcm, décédé,
M. Jules Courroit, statuaire, professeur à l'Académie des
Beaux-Arts de Ilassell.
Art. 2. Nos Minisires de ragi'iculture, de l'induslric cl
des travaux publics el de la justice sont chargés de l'exécu-
tion (lu présent arrêté.
Donné à Bruxelles le '-21 octobre 1884.
(Signé) liLoroLD.
Par le Roi :
Le Ministre de 'a judke,
rSigné) V.w. WoKSTF..
Le Ministre de faijricHUun. de f'indiatriç
(f des travaux piilUca,
(Signé) A. Bli:E^,^AERT.
Pour expédition conforme :
Lf Secréi'iire Général du Miiidèrt de Pa//ruiilti(re, de l'industrie
et d(!s travaux putjticf,
(Signé) Bellefi;oid.
sacrtsiic
crii«>.
Poiiiluiduo
PEINTURt: ET SCULPTUliE.
La CoiiiiiiissioM a émis des avis l'avurablcs sui- :
■1" Le dessin d'une vcrrièn; à (.'xéculei' |)(»ur la calliédrale |j';:'',',7i'',p,''
de Bruges, aux frais de M"^' Van Lede ; ''"''"
2" Les dessins de deux verrières deslinées à réalise de ,,«'•*'''''•',
• i^ lie noiMi'rgh'iii.
Somcrgeni (Flandre orientale) ;
5" Le projet concernant le pcnilurage de l'église et de la,'jf^^^^^.\^*
sacristie de Cras-Avernas (Liège), ainsi (jue la |troiiosilion
du conseil de fabrique de confier ce travail à M. Meunier-
Coulure, sans recourir à une adjudication publique;
i° Les maquettes de deux statues destinées à la décoration s.|m,itp
' ilu l'.tit-tjdb'oil.
du squart! du IVtiL-Sablon, à Bruxelles, l'une représentant * s,;',',';,^''^'"
Mercalor, par M. Van Bicsbrocck, l'autre Locqucnçjhkn ,
par M. GodolVoid Vanden Kerckliovc.
— Des délégués ont examiné, dans r'alelicr de M. Fraikin, s.amc
le modèle en terre de la statue du roi Léopokl I", destinée
à décorer la salle des séances de la Cluunlirc i\Q'i> Représen-
tants.
Ce travail a é(e approuvé. La statue est bien composce,
avec d'incontestables (pialités d'éléganc<', de grandeur et de
ressemblance.
~ Des delémiés ont exaiiiiné la décoi'alion intérieure de tphn-
' ■ Saiiil-Josil'll,
l'église de Saint-Joseph, à Louvaiu. Les peintures du chœur, y,|:„~^;
des chapelles, des bas-C(Jtés, des transepts et de la nef prin-
cipale sont terminées.
Les délégués ont constaté que l'auteuj-, ^L Joris, a salis-
fait aux observations présentées anlérieuremenl par la Com-
mission et que le travail est exécuté confoi'mém^nt au plan
approuvé le 13 avril 1882.
- 538 -
Il y a lien cependant de faire remarquer que, dans le
projet, la peinture des fûts des colonnelles s'équilibrait
comme valeur de tons avec les bases des piliers, qui ne de-
vaient pas recevoir de couleur et conservaient la teinte
naturelle de la pierre bleue. En exécution, les Ions des piliers
ayant acquis une vigueur plus intense, le contraste entre
ceux-ci et la pierre naturelle est devenu trop sensible. Il pourra
facilement être remédié à celle défectuosilé en teintant la
pierre.
Quant au chemin de croix qui doit faire partie de la dé-
coration de l'église, l'administration fabricienne n'a pas
encore donné suite à son exécution.
Ëgiisp — Des déléûués qui ont visité réalise de Sainte-Anne,
•l." Sainte-Anne, c3 l O
DécoMifnn. à Gand, ont constaté que xVI. Canneel avait achevé la déco-
ration de tout le mur d'entrée qui fait face à l'autel. Le
principal motif de celle décoration est une vaste composi-
tion vepviiseiïVàul l'Entrée du ChrisI à Jérusalem. Elle est
fort bien traitée, avec plus de largeur et (\e souplesse que
les premières compositions de Tauteur, et, à la réserve des
points de principe touchés dans un rapport précédent, on
n'a que des éloges à faire de la conscience qui a présidé à
ce travail. Les délégués ont été avertis que les fonds allaient
manquer pour le continuer. L'État a fait jusqu'ici les deux
tiers (le la dépense; or, son concours aux communes et aux
fabriques d'église poui- l'exécution de travaux de l'espèce
est rayé du projet de budget de 1885.
Il y aurait lieu aussi d(! prendre des mesures |)Our assu-
rer, au point de vue de l'art, l'unité du ti-avail qui s'exécute
sans plan d'ensemble, et des compositions sur une échelle
l'cduilc (Icvraiciil préalablement être exéclitées.
— .--9 —
Enfin, la dernièro composition de M. Cannool ocoupniil la
place réservée hnbituollemonl. au jubé, on est on dn^il diî se
demander qnelle esl la place doslinée à nelni-ei et s'il y a
une décision prise à cet éiïard et un plan arrèlé.
— Les délégués (pii ont inspecté, à la date du 1>H août '',i!.''B?uge9.'''
1(S84, les has-reliefs placés à titre d'essai par le sculpteur
Van Nieuwenhuyse dans les niches de la façade de l'hôtel
de ville de Bruges, se sont trouvés devant une série de
compositions de différentes dimensions et de relief différent.
Pour la dimension, ils pensent unanimement que le sys-
tème de bas-relief qu'il convient de prendre pour type de
la décoration de toute la façade, est celui dont on a surmonté
la porte d'entrée. Quant à la saillie, il y a lieu de traiter en
haut-relief les compositions qui seront placées au-dessus des
culots existants, et en bas-relief, pareil à celui qui surmonte
la porte d'entrée, les compositions à placer dans les niches
simulées d'une profondeur moindre.
La composition des bas-reliefs, c'est-à-dire le groupement
des figures, a paru d'ailleurs généralement de nature à être
approuvée. Les délégués se bornent sur ce point à quelques
observations de détails :
Dans l'un des bas-reliefs les plus rapprochés du bas-relief
central, la figure assise, qui appuie la tête sur sa main, a la
tète mal attachée; dans le bas-relief qui suit, où Dieu le
Père apparaît dans un nuage, cette figure a trop de relief,
semble-t-il, pour une apparition et eût dû être moins ma-
térialisée;
La même observation a été faite pour la composition re-
présentant Daniel dans la fosse aux lions. L'artiste a
trop détaché l'aile de l'ange qui assiste à la scène et il
— 5iO ~
pût mieux valu un peu perdre celle aile dans le fond;
Dans le Jugement de Sulomon, on remarque que Salomon
csl assis de profil, dans un trône qui se présente de face;
celui-ci devrait élrc modifié. Le soldat qui va partager l'en-
fant entre les deux mères, est une ligure trop courte.
Enfin dans le dernier bas-relief paraît, au-dessus du Irône,
une draperie qui se détache trop du mur, sur lequel elle de-
vrait s'effacer davantage.
Sous la réserve de ces diverses observations, il peut être
passé outre à l'exécution des bas-reliefs ci-dessus indiqués.
On a aussi soumis aux délégués la question de savoir
s'il ne convenait pas d'orner de feuillages le seuil uni placé
sous le bas-relief qui surmonte la porte d'entrée. Les délé-
gués sonl d'avis que le seuil doit rester tel qu'il est, que celle
simplicité est un repos nécessaire dans cet ensemble déco-
ratif, et qu'on devra exécuter de même les seuils des niches
analoû:nes de In fncado.
'D'
CONSTRUCTIONS CIVILES.
La Gomniission a approuvé :
Hùi.1 eommui.ai 1" Lc nrojcl drcssé par M. rarehiteete Van Ysendyck,
lie SliaiT-bca. I j 1
pour la eonstruclion d'u'i liùlol communal à Scliaerbeek
(lira ban t);
iniiint 2' Lc projet de Hicade, en style classique, de l'Institut
^ 'le'i'r '"^''' phy'^iologirpie à ériger à l'Universile de Liège. On croit
devoir néanmoins conseiller à l'auteur, M. Noppius, d'ap-
porter quelques modifications à son travail au cours de
l'exécution du projet.
Palais .10 jusiicp — Dcs délégués se sont rendus, le 0 octobre 1884, à
•le Mriliiic'. Il
Malinos, pourv inspocler les Iravaux exécutes au palais uv
— 5^1 —
justice de celle ville (ancien liùlel de Margiierile d'Aulriche),
en vue de rendre aux façades leur caraclère arlistique
primilif.
lis onl conslaU' que celle reslauralion, acluelh'menl ler-
minée, a été conduile avec un soin el un lacl parfaits el
qu'elle constitue une 1res intelligente restitution d'un i\i'^
édifices civils les plus inléressanls du xvi^ siècle que possède
le pays.
Le concierge du palais de justice a soumis à l'examen des
délégués une série de sept dessins à l'aquarelle exécutés
d'après les peintures qui ornaient la salle devenue aujour-
d'hui la salle des Pas-Perdus, et qui onl disparu depuis long-
temps. Ils représentent des membres des maisons de Bour-
gogne el d'Autriche, ancêtres de Marguerile d'Autriche; ce
sont :
Philippe le Hardi, Jean sans Peur, Philippe le Bon,
Charles le Téméraire, Marie de Bourgogne, Maximilicn,
Philippe le Beau.
Les dessins, tout en paraissant apocryphes, ont néan-
moins une belle allure décorative el ils pourraient servir de
guides pour une reproduction des anciens tableaux que
Ton restiîuerail à leur place laissée libre dans la salle.
Les délégués avaient encore à examiner sur place la pro-
position soumise par la Dépulalion permanente de la pro-
vince d'Anvers, tendante à compléter la décoration de la
façade du palais par une statue représentant la Justice. Ils
sont d'avis que celte proposition peut cire admise : il existe,
en effet, à la façade principale donnant sur la rue de l'Empe-
reur, une niche vide qui semble attendre ce complément
décoratif. Une mnquetlo, au tiers d'exéculion, a été pré-
— U^2 —
sonf«'^o par M. Willf^ms. stafuairo, h Malinos. D'après cft
projet., la slafuo aurai! 1'"80 do hauteur Cette dimension
serait exagérée eu égard à la hauteur de !a niche, les yeux
de la statue devant, d'après les règles hahiluelleinent suivies,
se trouver à la hauteur du point de centre de l'archivolte. Il
conviendra de ré luire la dimension de la figure de façon à
obtenir l:i disposition précitée. Les délégués ont invité
l'auteur à remanier son esquisse; en cas d'approbation «du
projet, ils lui ont recommandé de donner plus d'élégance à
la figure, qui est un peu massive, et de laisser par places
des repos dans la draperie, dont les plis ont une importance
trop égale.
ÉDIFICES RELIGIEUX.
PRESBYTÈP.KS.
R(.,,arai,ous D,js jjyjs favorablcs ont été donnés sur le projet relatif aux
pre^hyuns. j.j'.p;, ,.,^| j()„g ;, effectucr au presbytère de Walcourt (Namur),
iiiiisi que sur le projet concernant la construction d'une
annexe au presbytère de Bornhenn (Anvers).
ÉGLISES. — CONSTRUCTIONS NOUVELLES
Ont été approuvés :
Eglise 1" Le projet relatif à la construction d'une tour à l'égli.se
de Mcmbacb. ' •* "
de Membacb (Liège);
Egiisp ^2° Le maintien dans l'éûrlise de Zuydschote (Flandre oc-
cidenlale) d'une table d'autel, en marbre blanc, qui avait été
placée sans autorisation préalable.
Incidemment on a appelé rallenlion de M. le Ministre de
la justice sur un ))aragraphe du rapport du Comité des
corrpspondrjnt.s de la Flandre nceidenlalo, dont l'avis avait
été demandé surTalTaire précédente, et qui signale l'état de
délabrement do. la tour de l'église et de ses cloclielons ;
5" Le projet dressé pour le niacement d'un nouvel ora;uo Rruso.!,.
dans l'église de Leeuw-Saint-Picrre (lîrahant) ;
4" liO projet relalifà l'exécution d'un irrillaG:e au cime- ciimière
' •' • ' '^ (le M.Txplas
(ière de Merxplas (Anvers) : architecte, M. Tayemans;
5* Le corn: le des travaux exécutés, à la fin de l'exercice h^'^o
des SS.Mirlicl-
I8S5, pour la construction du porche nord de l'églisc^ collé- à^nni'ioîi',^'.
gialedes SS -Michel-et-Gudule, à Bruxelles.
TRAVAUX DE RESTAURATION.
La Commission a approuvé :
1" Les projets de Iravaux de restauration à exécuter aux Eguses
' "' .lo Itotlicin
églises de Rolhem (Limbourg) et J^oucques (Flandre orien- ''''« ''"'"■i"«s-
laie) ;
2° Le devis estimatif des réparalions ])rojetées à la tour Kt-iisodeM.,,
de l'église de Meir (Anvers) ;
5" La demande en autorisation d'exécuter par voie de, .'■'»'!•"■
• d.' Sailli l'ien.'
régie la première catégorie des Iravaux de restauration
à effectuer à l'église paroissiale de Saint-Pierre, à Thiell
(Flandre occidentale) ;
4" La proposition de démolir deux murs nul l)OU(dienl Egi.se
' ' 1 d On nam|i
les arcades sous la îour de l'église paroissiale d'OosIcamp.
Ces murs ne coniribu'înt en rien à la stabilité de la tour et
par suite de leur disparition la superficie de l'église sera
augmentée d'un tiers;
5" Le compte rendu des Iravaux de restauration exécutes epiise
a I église de Notre-D:)m(\ a Anvers, pendant le premier ^ Anvm
semestre 1884;
!i Ihiclt.
— 34!
3,i:ij:i.iobDvie, 0' Le compte rendu des recettes et dépenses effectuées
b Mdlin. "
Kgliscde N.-D.
kKidobDvIp
b Mdlims."
coinpu-. pendant l'année 1885 pour la restauration de l'église de
Xûfrc-Dameau delà de la Dyle, à Maiines,
di'Tot'r^àf — ^^^ Commission a émis un avis favorable sur la pro-
position du conseil de fabrique de la calbédrale de Tournai
tondante à obtenir l'aulorisalion de démolir les portiques et
revêtements de marbre qui encadrent les deux autels du
transept. Les marbres provenant de cette démolition pour-
ront èlre utilisés comme lambris dans la grande sacristie,
ainsi que pour le renouvellement du soubassement du
li'ùno épiscopal. On en formerait également les marcbcs
du petit autel du Saint-Sacrement, que l'on i)rojetle de
construire.
r.Biuo — Dans son rapport du 8 mai 1875, adressé au dépar-
àAnvors. (çf^-jQj^( de la justice, à la suite de contestations relatives au
droit de mitoyenneté entre le conseil de fabrique de l'église
de Notre-Dame, à Anvers, et les propriétaires des maisons
attenantes à cet édifice, la Commission avait émis le vœu
que toutes les conslruclions accolées aux monuments fussent
exproi)riées, autant dans l'intérêt de la conservation do
ceux-ci que pour leur aspect extérieur, souvent dénaturé
par des agglomérations parasites. L'administration commu-
nale, d'accord avec la fabrique, s'occupa de réaliser l'isole-
ment de l'église de Notre-Dame, et, grâce à l'appui du dépar-
lement de la justice, sept maisons furent successivement
expropriées et démolies. Précédemment, on avait déjà fait
disparaiire un immeuble formant un ôv?, côtés du prolonge-
ment du portail extérieur vers la |ilace Verte; dos négocia-
lions étaient entamées en vue df^ nouvelles acquisitions.
Le t'.'(ll(''L''(' ;i niiiH'Jt'' iiislaminoiil r;illrnlioi) de M. \o l\li-
— !)4-i —
nistre de la jiislice sur la nécessilé de poursuivre cl de
compléter l'œuvre commencée.
— Des délé£çués ont examiné, en l'éi^lise de Nolre-Damo i-gii'Mi.- n d.
"^ . • an.l.'IJdclaDvIc
au delà de la Dyle, à Malinos, les propositions de la fahrique ' """"'•
en vue de faire effeclner à col éditice une nouvelle série de
restaurations dont le devis s'élève à 80,000 francs.
Ces travaux sont renseignés de la manière suivante :
1° La reconstruction avec dos meneaux en piern» des six
fenêtres des bas-côtés du chovut de l'église à 3,000 fran(.'s
par fenêtre, ci fr. 18,000
2" Renouvellement des six fenêtres du chœur
à 5,500 francs 21,000
5' Renouvellement des deux grandes IV'nèlres
du transept, à 10,000 francs .... 20,000
4° Renouvellement de six fenèlres du vaisseau
de l'église, à 5, -iOO francs 21,000
Total. . . fr. 80,000
La fabrique compte elTeclucr cos travaux à raison d'une
dépense annuelle d'environ la, 000 francs, de façon à les
terminer en l'espace de cinq années.
Les délégués ont constaté qii3 l'élat des fenêtres que l'on
propose de restaurer est des plus défeclueux. L'architecte
dirigeant les travaux a arrêté la ruine imminente de quel-
ques-unes d'entre elles au moyen de palliatifs, dont les effets
n'auront (ju'une durée foi't restreinte; ainsi, il a reconstitué
des meneaux et des rinceaux au moyen d'une sorte de mastic
de pierre, assuré par des crochets. Mais ces mesures, outre
qu'elles sont insuflisantes, ne peuvent même êlrr- appliquées
provisoiromenl à loules 1rs fenèlres dégradées. Cerlaines
— ôin —
n'oni plus (lo monoaux; (rnulrps non possèdent que des
trniu'ous rpii so d('lac!ionl pnr fng-meiUs et menacent la
sécurité piibli(inc.
Vu ers cousiflérntinns, les di'-li'gués ont été d'avis que la
restauration c.A pleinenioni jusiifiéc et que les prix cotés an
devis sont en rapport avec les travaux à exécuter.
Le derrré d'urirence de ces travaux a été trouvé conforme
;i l'ordre indiqué par le devis de rarchifeele.
Les délégués ont constaté qu'on avait placé dans l'église,
sans autorisation, des verrières dont Texéculion prête à de
sérieuses critiques. L'ancien curé de la paroisse les ayant
reçues en don, a cru pouvoir se passer de l'approbation
administrative.
Anciennp église .^ — Conformémenl aux insiruclions de M. le Ministre de
de Loekon.
l'agriculture, de l'industrie et des travaux publics, des délé-
îïués se sont rendus, le 13 octobre 1884, à Laeken, afin
d'examiner s'il était encore possible de conserver à l'état de
ruines les parties de la vieille église que la dé-molilion n'au-
rait pas encore atteintes à ce jour. 11 entrait dans les vues
de M. le Minisire de maintenir, comme un spécimen pit-
toresque de l'ancien sanctuaire de Notre-Dame de Laeken,
ces fragments (pii, revêtus de lierre et de plantes grimpantes,
devaient relier au cimetière la tour, le transept et le cbœur,
dont le maintien est décidé, ce dernier présentant un intérêt
des plus marquant» au point de vue de l'art et de l'archéo-
logie.
Crt aménagement d(>s ruines aurait été analogue au irSi-
vail exécuté en Angleterre pour la conservation des restes
de l'abbaye de Canterbury.
Les délégués ont ('lé d'avis que la démolition de certaines
- 547 —
parties de l'église esl li-op avancée pour (pic l'on puisse
encore réaliser ce programme au moins dans son entier. Il
ne subsisle des nefs et de la façade que les murs d'enceinte
jusqu'à hauteur de la moitié des fenêtres environ ; les arcades,
les arcs doubleaux, les colonnes morcelées des nefs n'exis-
tent plus qu'à l'état de décombres gisant sur le sol. Ce qui
reste débouta peu d'intérêt; l'espace compris dans le péri-
mètre du vaisseau de l'ancienne église est d'ailleurs très
exigu.
La chapelle de Sainte-Barbe, privée de son porche, qui
doit recevoir une destination dans la restauration prévue de
l'ancienne abside, ne présenterait pas d'éléments bien
pittoresques.
Le projet de conservation complèti; des ruines ne pourrail
donc aboutir à une solution satisfaisante, et dans l'état
actuel des lieux, on doit se borner à conserver le chœur,
le transept et la tour.
Le plafond, en style renaissance, de la sacristie, est dans
un état de dégradation des plus avancés. Par suite du mau-
vais état de la toiture, des parties sont depuis longtemps
défoncées, et l'humidité filtre à travers celles qui subsistent.
Comme document artistique, ce plafond n'offre pas dans sa
disposition et ses détails la beauté d'invention et la souplesse
d'exécution qui distinguent d'autres ouvrages du xvii'' siècle
dans certaines églises de la Belgi{|ue. Néanmoins il con-
viendra d'en faire prendre un dessin à titre de renseigne-
ment.
Les délégués ont encore remarqué doux pierres lombales,
non encore remisées, ainsi (in'un béiiilicr de l'cpoipic romaiM;
qu'il importerait de mettre à l'abri.
— UH —
Quant ;iu suridus des objoîs provenant de l'ancienne
église cl dignes delre conservés, la lislc en est détaillée
dans le rajiport de la Coniniission, en date du ^8 août 1875.
Le Sccrclaire (iénéral,
.1. Rousseau.
Vu en confonnite de l'ailicle "2lj du réglenienl.
Le P réside ni ^
Wklllns. ■
I\ E C H E R C H E s
Sl'R I,ES
ORIGINES DE L'ART ELAMAND
ou MOYEN AGE
L'arl n'a point pris naissance dans nos contrées septen-
trionales; il s'y est acclimaté, au point même de devenir
une expression nécessaire à notre génie national ; mais le
germe en a été transplanté de l'étranger, et, toujours, la
Grèce cl l'Italie, liérilières d'une race et de traditions qui
se perdent dans la nuit des temps, ont allumé le foyer rayon-
nant qui a éclairé les |)euples plus lents et plus arriérés du
Noi'd.
Cependant, l'influence exercée, par l'Italie principale-
ment, sur noli-e nation, semble au premier abord avoir été
insignitiante, tant le génie du peuple belge s'est toujours
montré vigoureux et productif; mais on |)eul la démêler,
dès les temps les plus reculés, et démontrer, par des re-
cherches comparatives, (ju'elle a fourni l'inspiration |)re-
mièreà toutes nos écoles de peinture, leur a montré la roule
à suivre, et leur a souvent procuré les moyens de mettre
en lumière les qualités exceptionnelles dont un grand
nombre de nos artistes étaient doués.
— 3;io —
Il Cil lioi'S (le duulc (juc la ci\ilibaliun piciiiicic, dans dos
conirccs, diil y pcuclrer d'abord à la suilo des conquérants
romains; ])las lard, par les efforts des pieux missionnaires
que révèché de Rome, destiné à grandir démesurément,
envoya répandre sur notre sol la semence de l'Evangile.
Non seulement ils apportaient avec eux un rite nouveau,
des cérémonies dont les moindi-es détails étaient déterminés
d'avance, mais encore un art traditionnel, déjà en usage
(lejiuis plusieurs siècles à Romo et dans les gi-andes villes
italiennes, et dont la plupart d'entre eux étaient dépositaires,
car les monastères d'Italie étaient de véritables écoles d'art
et de sciences à cette époijuc.
Ils li'oiivèi-ent assurément ici des organisations proiu-es
à continuer leur mission, dans un sons toutefois assez bar-
bare, et avec des velléités d'indépendance, mais il est indu-
bitable que tous les lypcs primordiaux de Fart septentrional,
même ceux qui paraissent d'une 0)igin;ilité i)rutale, ])euvent
être ramenés, par une étude suivie, à des modèles romains
ou du moins méridionaux, desquels ils se sont écartés, à la
longue, uniquement par le fait de l'ignorance cl de la naï-
veté des artistes indigènes.
L'art, sons le l'ègne de (îbai'lcniagne, s'i!i>pirail directe-
ijienl de Rome; les monnaies lu'imitives ne sont que l'imila-
lion bai'bai'c de lypcs anléi'ieiii's romains (i). Cr'llcs (jni sui-
virent les sceaux faits pour les seigneurs et pour les abbayes,
sont l'imitation des modèles traditionnels, dont on retrouve la
(i) Rapport adressé à M. le MiiiisUc de l'iiiiériulir, ai no:ii do la So(iclé
arcliéolotiiqiie de Naimii', pmir l'annc-c I8S0. — Voir rtklio du l'arlcmciil (\\\ \"
au 6 avril 1881.
(race dans les luoiiuiinnls (iu Bas-l'JniMic. \.v> sujels d'oi-fc-
vreric, do sculpture cl d'émaillerie (|ue nous a laissés celle
époque primilive, sonl aussi prciipie Inujours la rrpruduc-
lion informe de molils hyzuulins ou romains, (jui oui lini par
disparaître enlièremenl sous les modifications incessanles
que leur faisaient subir le travail grossier et le génie inculte
des artistes franks.
La civilisation carlovingienne provenait de trois sources
lointaines : de lîome, de Byzance et des Arabes. On sait
que vers 755, Abdérame 1*'' avait in)primé un élan gran-
diose aux arts et à l'inslruelion, et que les Arabes appor-
tèrent, en Euro|ic les chiffres indiens; (pie, sous Charles
Martel, c'est aux Sarrazins que Ion fui redevable de la
fabrication dos tapis; que le calife llaroun-al-Rachid en-
voya à l'empereur Ghai'les des ambassadeurs porteurs de
cadeaux importants, parmi lesquels figurait un pavillon avec
tiùnc. Le rôle de Byzancc dans le développement de nos
contrées était plus direct (i).
Eli 757, le prenn'er oi'guc fut envoyé à l*épin, i)ar Con-
^laiitiii Copronyme; i)ou auparavant, les édits de Léon
risaurien avaient poussé les artistes et les lettrés grecs vers
Borne, et les mai'chands génois, vénitiens, niai'seillais com-
nierçaienl journellement dès lors avec Constantinople et
Alexandrie, ce (\uï rejaillissait sui- le progrès de la cour
franipic.
Paul I" adressa, en 78G, à Pépin le Bref une horloge
■à rouages. Les marbres du j>aiais d'Aix-la-Chapelle prove-
naient de Rome; les colonnes, de Ravenne. Tout l'art e( la
(i) 1\0S1M, SlOlia (icilii Piilnid ilaliiiHff, l. III, |>. i'J, nok'^.
- 352 —
science de l'époque deCharlemagne, se concenlreul dans les
calhédrales cl dans les couvents de Liège, de Lobbes,
d'Ulreclit, de Sainl-Ainand, de Saint-Berlin, où l'empereur
introduisit la liturgie romaine, le cliant grégorien, les orgues,
tandis que le clergé ignorant, dissolu, laissait le peuple
encore attaché aux superstitions païennes.
Charlemagne employa pour ses sceaux la (igure de Mai'c-
Aurèle et le Jupiter-Sérapis; Pépin I", la tète d'Auguste;
Louis le Débonnaire, le buste de Commode, et Lothaire V,
celui d'Alexandre Sévère. Mais il devait exister naturelle-
ment chez les Franks, comme on le retouve dans les peu-
plades les plus barbares, une sorte d'art sauvage, vivant,
personnel. Nous montrerons plus tard (pi'en Italie même se
remarquent, à côté des restes byzantins, des productions
plus médiocres, dont le caractère un peu lombard, sans
culture, a certain rapport avec l'expression primitive de
toutes les nations septentrionales du moyen âge (i); on en
trouve des Iragments à Sainte-Agnès de Rome, et dans les
fresques du porli((ue de Saint-Laurent hors des murs.
D'autres, comme celles de l'église souterraine de Saint-Clé-
nient, présentent même parfois un bizarre assemblage de
fragments byzantins avec des parties naïves qui se rap|)ro-
chent des ouvrages réputés lombards.
Toutefois lunifiue source de perfectionnement à cette
époque, c'était l'art romain et byzantin, dont le slyle complet
et régulier, pourvu de proportions et de mesures, s'accordail
avec toute architecture, car les essais incertains de l'art
dans le Nord n'avaient d'autres canom que le goût de l'ar-
(I) J. lii liCkiiAitDi, ber Cicérone. Lcip/.i;;, 1870, \\. 486w.
liste of, par leur irrétiularilé iiiùino, ils élaient impropres
aux travaux ejrandiosos (^l rohcllos aux oxip;ences de la dé-
eoration.
Ce que nous pouvons nommer l'art de Iradilion provient
en droite ligne des premiers artistes chrétiens, qui étaient
romains, mais qui, selon les vues des pères de l'Église, ont
organisé foule une série de types décoratifs e( symbolifpies.
Ces types ont été surtout perfecîionnés à l'époque de
CiOnslantin, avec un caractère |)lus fastueux, mais l'Italie
l(^s a conservés longtemps assez conformes à leur aspect
primitif et ne s'est abandonnée que vers le ix* siècle à la
mode byzantine.
A leur tour, Giolto et ses émules ont pris quelques-uns
de ces types, les plus habituels et les plus caractérisés, et
leur ont même donné parfois une tournure nouvelle, ce
qu'on observe dans le Christ crucifié, le crucifix ailé de
saint François, le nimbe., qui abondent dans leurs œuvres.
Comme preuve des emprunts faits par Byzance à l'ancienne
Rome, on peut citer, au musée de Latran, dans les peintures
des catacombes, la main dans les nuages représentant le
Créateur; une peinture vraiment païenne du cimetière de
Saint-CalHxle, qui montre un Eole ailé dans une auréole et
des nuages de soleil couchant; parfois on voit dans les
inscriptions des constructions figurées avec un arc soutenu
par des colonnes de style byzantin. Vers 408, le mono-
gramme p^, dans un médaillon avec des colombes symé-
triquement placées et de petits anges qui semblent être des
amours romains; les grandes reproductions de mosaïques
chrétiennes, les apôtres drapés de blanc, sont évidemment
d'artistes romains travaillant sur commande ecclésiastique.
— 5o4 —
Sur un sarcophngp néo-cliivlicii so voit un huslo cnclK.'
dans le fcuillngo d'un pommier, elle serpent enroulé aulour
de l'arbre; les deux mains du Père Elernel sorlenl dos
nuages; le reste est purement païen.
Or, voilà des types (pie Ton peut suivre, avec peu de
modilieations, jusqu'au xv' siècle; les preuves nous en sont
Iburnies par la mosaïque de ral)side de S'-Maria in Navi-
cella (ix" siècle), celles du chœur de S'-Maria in Trastevere
(il 45), par loute l'école lalino-hyzanline, )iar celles de
Memmi etd'Orcagna. En elTel, l'Ilalie se soumit pendant une
longue période, à l'influence des artistes grecs, et en même
temps les produils de celle influence, envoyés dans nos
contrées, comme des reliques sacrées, étaient l'idéal de ceux
(jui s'efforçaient ici, sous la direction ecclésiastique, d'ouvrir
une voie aux arts.
Dès le vi' siècle, les manuscrils grecs ou orientaux pas-
saient d'un couvent à l'autre, estimés au plus liaul point,
par exemple l'évangéliaire Syriaque de la bil)liolliè(pie
Laurentienne. La décoration monumentale et d'usage joiu'-
nalier fournil aux peintres les premières occasions de s'exer-
cer librement, et l'expression la plus élevée de l'arl du
moyen âge resie un ensemble de sujets purement reli-
gieux.
De là une divergence enire les formules de l'ai'l civil et
religieux.
Tandis que l'ornementation (dont les modèles, rares dans
le Nord, se basaient sur des matériaux inconnus dans nos
pays) se modifiait ra|)idement sous les doigts de nos travail-
leurs, dont le sens artiste avait promptement deviné qu'il y
avait un parti à tirer de nos plantes et de nos feuillages, la
— .>,).) —
convenlion rcliuicnse rcsiail mailiv-sso des siijols à ligures
et principalement dc^ ligures syniljoii(|iies ou idéales, qui
ne se présenlaienl pas à l'esprit sous une forme liahiluelic
et connue. C'est ainsi (pie, dès le i\'" siècle (i), ou \w\\\
trouver des manusei-ils dont les sujets sont copiés d'après
des peintures hyzanlincs (^2) et mêlés d'ornements, soit
franks, soit lombards, qui s'écarlent déjà considérablement
du style grec. A dater de celle époque, l'ornement allecle
dans nos contrées un caractère de plus en plus national et
original, mais la composition byzantine continue à dominer
et les types religieu.x restent empruntés à l'Orient, jusqu'au
xiv' siècle, et plus lard prennent leur origine en Italie.
Qu'il nous soit permis de noter ici quelques-unes des
hases de nos assertions précédentes :
Les mosaïques du cliœur de Saint-Ambroise de Milan
(852), celles des SS.-Nérée-el-Achille, à Rome, sont bar-
bares, avec des détails copiés d'après les travaux grecs.
Dans le livre du prêtre Isidore, fait à Padouecn 1070, et
qui se trouve encore dans la sacristie du Dùmc de celle ville,
on peut reconnaître une foule d'images symboliques, telles
que les paons (qui datent du iv' siècle) et pourtant le carac-
tère de ces peintures est presque lombard.
Un passionnai de l'abbaye de Saint-Gérard, appartenant
au séminaire de Namur et datant du \i" siècle; les com-
mentaires de saint Augustin (xii" siècle); un Évangéliaire du
xii" siècle, appartenant à l'Université de Liège, présentent
celte réunion de caractères différents.
(1) Jacob BuRCKiiARDT, Der Cicérone, p. 'fS.T.
(•i) nibliotlii'qiic royalo do Bckii|iio, prnvoiirint de l'alibnyo do Saiid-Maitiii
il Toiirrni.
Dans ce même ordre d'idées il os\ indispensable de citer
encore le Reciœil de Canons de l'abbaye de Slavelot
(ym" siècle) (i), un Evangéliaire du ix*^ siècle (2), l'oflice
des Anges (xi" siècle) (3), l'Evangile du xi* siècle de
l'abbaye de Saint-Gérard de Brogne (4), le Cantatorium
(xii* siècle) (.;), le Liber Floridus de l'Université de Gand
(xM*^ siècle), enfin le Psautier du xiii* siècle de l'Université
de Liège, dont les figures, de style frank, ont cependant
l'aspect byzantin, dans tout ce qui touche à la partie
mystique.
Mais si l'on doit reconnaiire (jue rinlluence de Rome a
été la plus puissante sur notre art religieux primitif, tout
au moins jusqu'à la fin du xiv* siècle, il faut avouer aussi
(|ue cet art frank, saxon, gothique ou lombard, car au fond,
l'origine élait unique, se développa d'une manière vigou-
reuse, d'abord au fond des cloîtres, puis dans l'ornementa-
tion, pour finir par se substituer à la formule traditionnelle.
Chez nous, comme en Italie, le sentiment de la nature
produisit une vraie révolution, bien que son expression
naïve fut greffée sur des habitudes décoratives, et les pein-
lures de la Biloke, à Gand, les miniatures des manuscrits
n"^ 1787, 1483, 4782, 9217 de la Bibliothèque royale de
Belgique, peuvent être comparés aux travaux italiens con-
temporains. Mais la véritable peinlure llaiiiamlc dulr du
milieu du xiV siècle.
(ij Bibliothèque rovale de Belgique.
(i) Id.
(5) Id.
(4) Appartenant au séminaire de Naniur.
(b) Appartenant a M. Jullien, a Bruxelles.
— 357 —
Soi) essor coïncide avec le développcnieiU des confréries
arliili(|ues, qui, elles aussi, pourraient, comme l'organisa-
tion même de nos communes, n'èlre pas étrangères à une
source italienne En effet, si nous laissons de côté les origines
municipales de Rome, de Pise, de Gaëte, etc., qui semblent
remonter plus haut que la conquête des Barbares (i), il est
certain pourtant nue des villes italiennes et provençales
jouissaient d'une constitution communale bien avant l'an
1000, et que le droit municipal se propagea sans doute du
Midi vers le Nord (2).
Ue même, les confréries de peintres de Florence et de
Sienne paraissent avoir existé avant le milieu du xiv* siècle
et la corporation des sculpteurs de Sienne dated'avanl 129:2 ;
les œuvres de nos peintres du xiv*' et du xv' siècle démon-
trent un progrès rapide qui semble avoir été déterminé par
l'exemple des artistes italiens.
C'est surtout dans le domaine religieux qu'il faut recher-
cher l'origine de l'art du moyen âge.
Bulïalinacco disait « que les peintres s'occupaient tic
représenter des saints et des saintes sur les murailles et les
planches de bois, alin de rendre, en dépit des démons, les
hommes plus dévols et meilleurs. »
Les inscriptions placées au bas des tableaux de Jean de
Pise, dans l'église de Saint-André de Pisloie, de Duccio de
Buoninsegna, dans le dôme de Sienne, de Gélase à Ferrare,
marquent une profonde dévotion.
(1) Brunetti, C'orf. diplomal., I, 355, 454.
{i) EiCHHORN, Origines de la constilulion municipale des villes de Germanie,
— Thif.rry, Uécits des temps mérovingiens, cliap. V, p. 2;)7. — M.\ry-Lafo.n,
Souvenirs historiques des munieipalilés et des républiques de la Provence, iiîi'2.
— r):»8 —
\.ci slaliils (le la corporation des peiiilrcs de Sienne, en
13o?), conimencenl en ces termes :
« Nous sommes parla grâce de Dieu, appelés à manifesler
au\ hommes gros.siers (|iii ne savent pas lire, les choses
miraculeuses opérées par la vertu, cl en vertu de la sainte
loi : noire foi consiste principalement à adorer et à croire
un Dieu éternel, un Dieu d'une puissance infinie, d'une
sagesse immense, d'un amour et d'une clémence sans bornes ;
persuadés qu'aucune chose, quelque petite qu'elle soit, ne
peut avoir commencement ou fin sans ces trois choses,
c'est-à-dire sans pouvoir, sans savoir et sans vouloir avec
amour. »
Voilà assurément des idées élevées et qui s'éloignent fort
de l'intérêt mercantile, but qui parait d'ordinaire celui de la
constitution de sociétés professionnelles.
Aussi doit-on croire, |)ni' cela même, (pie les confréries de
Saint-Luc ont eu pour promoteurs les membres du clergé
qui, à ceîle époque, considéraient encore l'art (omme un
(les principaux soutiens de la religion.
Cela nous ramène encore une fois à l'influence du Saint-
Siège et, par conséquent, à la subordination aux idées ita-
liennes, des commencements do notre art du moyen âge,
autant dans son expression teebni(|ue (pie dans son organi-
sation sociale (i).
La première moitié du xiv^ siècle, trop |ieu étudiée, est
une époque de la plus grande; importance dans l'Iiisloirede
la peintui'e.
Il est positif que Giotio et ses émules ont produit un effet
(i) OFr,r.\ V.M.i.r. l.cllere f!r>irsi,\. I.
incommensiirahlo en Ilolic On snil l«s rolalions de et-
maiire avoc lo Danlc, celles tic Mcmmi avec Pclrarqiie, cl
les voyages nombreux que firenl ces deux peintres dans
plus de ving-l cilés, où GioUo laissa des œuvres de la plus
liaule valeur pour l'éitoque, et en Provence, où le Iransl'crl
du Saint-Siège leur permit de faire apprécier leur style nou-
veau .
Les remarqu;d)les travaux d'architecture de Giotto, ses
mosaïques, tout semhlail fait pour attirer l'attention publique
et pour avoir une action même au delà des Alpes, par le
moyen des prêtres, qui avaient des relations incessantes avec
ritalie.
Aussi ne doit-on pas s'étonner si notre école, jusqu'alors
encore barbare, sorltoulà coup, vers lôoO, de cet étal de
torpenr, el si l'on voit bientôt se succéder des peintres d'his-
toire religieuse, protégés par les abbés de Sainl-Bavon, entre
autres, jusqu'au momenl où l'avènemenl de Philippe le Hardi
donne lieu à une sorte de renaissance flamande,
Ce|)endant il n'est pas inulile de déterminer comment
nous attribuons à rftalie une pari dans l'éducation de nos
artistes, tandis que, selon certains auteurs, c'est de l'école
germanique que dépendrait absolument la nôtre.
Certainement, avant celte époque, la dilTérence entre la
langue allemanJe el la notre était bien faible, el il y avait
tant de rapports entre les mœurs {\e>. deux peuples, (pie
l'on pouvait pour ainsi dire les confondre, d'aulanl plus
que la religion était commune,
Mais, au xiv* siècle, la situation selail déjà sensiblement
modifiée, el en particulier dans les arts.
Si, en sa qualité de Germain, Wolfram von Ksschenbaeb
— 560 —
vanto les écoles de poinUire de Cologne et de Maeslrichl,
ce pnssnge ne donne pas à enlendre qu'il n'y eût pas
en Flandre ou ailleurs des peintres tout aussi méritants,
mais seulemenl que Tauleur a pris ses points de comparai-
son (l.ins un rayon appréciable par le public auquel il
s'adressait.
[/'S peintures de la Biloke, qui dalenl de I^.SO environ,
valf.Mil bien les a poires de l'église de Sainle-Ursule, à
Cologne (I2'24) et leur style rappelle un peu celui des
anciennes mosaïques gréco-lombardes. La Sainte-Marguerite
du musée de Cologne est un ouvrage très primitif; les
lignes, 1res simples, sont couvertes d'une couleur légère et
plate; les figures sont allongées et les poses guindées.
Les manuscrits flamands du xiii* et du niv*" siècle nous
montrent, dans une voie différente, des qualités au moins
égales à celles des ouvrages allemands. D'ailleurs, à la liste
de peinires que Cologne nous offre (i), nous pouvons
opposer une liste presque égale de peintres d'bisloire gantois.
Tout en ayant eu peut-être des relations entre eu.x, les
artistes flamands et ceux de Cologne sont indépendants les
uns des autres, mais la plus grande part d'inspiration leur
est venue directement du Midi (^2). Toutefois, tandis que les
Allemands conservèrent et accentuèrent la tradition i)yzan-
line, les Flamands, au contraire, s'en éloignèrent peu à peu,
tendant vers le naturalisme.
Dans nos provinces, comme dans la Péninsule, l'exemple
donné çà et là par un homme de mérite a éveillé l'émulation
(1) J.-.I. Meri.o, Die Meisler der AUkoelnisrhen Slalerschulc, Koein, 1852.
(2) Kdci.Efs, Hundbiirh der Malerei, t. Il, p. 160, note, et p. 598.
— 361 —
dans les villes où il vivait Iravaillé, et ses ouvrages ont suscité
(les artistes. A ce tilie, l'école de Cologne ne pourrait reven-
diquer (jueique influence sur le développement de la nuire
que s'il était prouvé que MeisterWilhelm, le véritable mailre
de cette école, a dépassé de beaucoup en talent ses contem-
porains flamands.
Or, il faut èire bien |)révenu en faveur du style gernia-
nique pour lui accorder celte supériorité, si l'on tient com|)le
de la ddTérence du sentiment national. Le premier tableau
d'un mailre flamand conteiiiporain de celui de Hei-le est
celui de Melcbior Broederlam, qui, sous plus d'un i-apporl,
peut rivaliser avec ceux de l'artiste de Cologne.
L'examen comparatif de leurs œuvres fait surgir aussitôt
l'idée de sources d'étude différentes.
Les figures du peintre flamand sont de proportions ordi-
naires, et send)lentdes types assez vulgaires qu'il aurait clier-
clié à embellir : de là résulte une sorte de recherche, de ron-
deur qui fait sourire, contrastant avec les formes grêles,
élégantes de Wilhelm,qui a traduit, selon son sentiment, des
lyi)es byzantins qui lui étaient proposés comme modèles.
Broederlam sembie, au contraire, avoir arrondi des
formes naturellement triviales pour pouvoir alTionler le
parallèle avec les œuvres de Gioito ou de Memmi, très
estimées à la cour pontificale.
Tout en lui indique cette idée préconçue :
La Visilalion, avec son fond de rochers aigus d ses
auréoles, a je ne sais quoi qui rappelle Memmi.
Les banderoles que tiennent les anges, les clicinbin.s à
ailes rouges, et la figure du Père Éternel lui-même |)rovien-
nenl de l'école de Sienne. L'architecture, loin d'être
— 7y{-yl —
ci)i|tiiiii(L'L; il rAUeiiiagdc , iMiipellc par sa couleur les
fresques de Giollo cl sa t'oriue nionie, avec le duiiie, les loils^
le caiiipaiiilc, a des rapports nombreux avec le goul italien.
Les anges qui voltigent en haut du diptyipie n ont rien de
gcrniani(iue.
Tout au |)lus pourrait-on retrouver dans la ligure assez
lourde de saint Joseph, ou. dans la barbe du patriarche un
rellel du sentiment allemand, et encore y a-l-il là plutôt du
rapport avec l'ancienne école hollandaise. La colonne d'où
tombe une idole, le coussin doré, sont de source byzantine;
l'ange de l'Annonciation est purement flamand, ainsi que
le paysage et les plantes.
Enfin, dans le parquet à damiei", dans les bâtiments
dépourvus de perspective, dans la robe à Heurs de la sainte
Vierge, dans les dorui'cs, nous découvrons tous les carac-
tères d'une main habituée à des travaux décoratifs et faisant
un effort pour égaler ih^ leuvres ilalieimcs. Cette |U"coccu-
palion df la )iart d'un peintre employé à Dijon ne doit jioint
nous étonner.
De 15G0 à 1370, Uibain V, (jui porta le premier la ti'iplc
liare figurée dans le tableau de I3rocdorlam, attira vivement
sur lui l'attention du monde religieux, do même (juc Sainte-
Catherine de Sienne, dont on connait les rapports avec tout
ce (|ui poss(Mlail ipirl(pi(; aulorilé on théologie, en art ou
en science. Ce |)onlife, né à Boauvais, fui accueilli comme
un sauveur (|uand il voulu!, en 13()7, reporter à Uonjc le
siège pontilical : il y reçut même l'empereui' d'Orient, venu
))our abjurer le schisme.
Sou"^ son successeur, qui était Français également, Calhe-
l'ine Ijonineasa actpnl par ses écrits miraculeux u\n^ réputa--
— T){)ô —
lion (le sainlclcj ijui rejaillil iiuluicllciiiciil sui' l'ijcolc de
|ieiiilurc religieuse siennoise, déjà si dislinguée.
Enfin en 1578 commença le grand scliisnic d'Occident,
qui, jusqu'en 14^9, déchira la chrélienlé, el dans le(|uel
Clémenl VU, élabli à Avignon, eut pour parlisans les Fran-
çais, les Bourguignons, les Lorrains, tandis ({ue rAlIcmaguc
el le nord des Pays-Bas reconnaissait son compétiteur.
Les choses étaient dans cet état (juand Broederlam fil son
œuvre de Dijon : est-il fort étonnant qu'il ail eu l'occasion,
ainsi que les autres peintres de la cour de Bourgogne, de voir
des tableaux de Giotlo ou plutôt de Memmi, mort à Avignon
en 1518, et dont les couvres ne devaient pas manquer à la
résidence pontificale età la cour de France, et ipi'il ail été plus
impressionné par l'école italienne que par celle de Cologne?
Toujours esl-il que sa peinture n'est point allemande cl
que, dès lors, apparaît dans nos contrées un style tellemenl
national el dislinct que le doute n'est plus possible; peu
après les peintres germaniques semblent devenir, au con-
traire, tributaires de notre école.
L'auteur du livre d'heures du duc de Berry (n" 1 1000 de
la Bibliothèque royale à Bruxelles), Jean de llesdin, y a mis
une composition el des figures à l'italienne, des ciels foncés
rappelant ceux de MenHni,des i-ochers et des di-aperies d'une
couleur méridionale; à la i)aue 150, on renianiue une gloire
el des anges rangés (jue l'on attribuerait presque à G. da
Fiosole. Sous bien des rapports, le style se i'ap|)roche de
celui de Broederlam, mais les iigurcD de la sainte Mcvixc el
des apôtres semblent tributaires de Giotlo (i). Les vêlements
(I) Voir lu p. lOi cie cc ffiaiiusciii.
— 364 —
sont grisailles à l'encre de Chine; Broederlam a employé un
tel procédé pour préparer ses glacis, nnais avec plus de blanc.
Le frontispice de ce manuscrit est une [èie byzantine (]ui
vienl corroborer nos assertions au sujet des modèles de nos
artistes.
Le n" 4485 de la même BibliolliC(|ue léunit à des frag-
ments dans le sentiment byzantin un style général rpii se
rapproche de l'œuvre de Broederlam.
En revanche, que trouvons-nous au uiusée de Cologne
parmi les ouvrages au.xquels on peut assigner une date à
peu près certaine, tels que la légende de sainte Ursule
(1540-1547)?
Un travail rude, assez coloré, mais encore asservi au style
de Byzance; sans perspective ni science de la forme, avec
un fond étoile, de gros jjoissons flottant à la surface de l'eau
comme dans les mosaïques grecques : quelque chose d'en-
fantin et des étoffes imitées d'après les sculptures, et qui ne
donnent absolument |)oiiil l'idée de notie art flamand.
Nous conviendrons c(!pendanl que sur les volets se retrou-
vent, encore imparfaits, les éléments des volets du tableau
de Van E\c]i,l''Adoralwn de tAyneau, par exemple, les cava-
liers, les troupes d'anges, etc. Cela sullil-il jiour faire
admettre que les Van Eyck ont étudié à Cologne, ou bien
c(>s éléments ont-ils été imposés ;i l'arlisle par un clerc, ou
bien encore la cathédrale de cette vdie n'était-elle i)as alors
une sorte de lieu de pèlei'inage d'où l'on rapportait des sou-
venirs arlisti{|ues?
D'ailleurs, notre école entendait l'art d'une façon plus
simple que celle de Cologne, car si elle |irésente des exemples
de peinture murale et de miniature, n\\ trouverait diflicile-
— 005 —
iijcnl, coiiiiiic dans les ii" (S;i cl iS(i du milice Wiillratï-
Ricliarlz et comme dans cerlains anciens [ra\ aux ilalicns,
un mélange de peinture, d'émaillerie ou d'oilèvrcrie cl de
sculpture en bois, ou même de plaire.
L'ancienne Colon ia Agrippina avait consei-\é des rcslcs
romains qui devaient iniluer longtemps sur l'art de celte
cité : l'art llamand n'avail, lui,ipie des objets pieux apporlcs
de l'étj'anger.
Quanta Slej)lian Lucliner, il est contemporain de J. Van
Eyck, et oi'iginairc de Constance, ce (pii ùte encore à
Cologne un excmjjle à donner.
l*armi les successeurs de Van Eyck, Memling.seul semble
avoir emprunté des sujets aux bords du Rhin.
Ce qui n'offre aucun doute, c'est (pie noire art du moyeu
âge doit son origine à une source purement religieuse.
Créé pour le culte, dirigé par le sacerdoce, exercé par les
prclre-s ou les moines, il devait être naturellement asservi
aux formes et aux expressions anciennes (pii traduisaient
les dogmes et les syndiolcs.
Cependant le culte subissant lui-même des modilicalions
selon les pays, le clergé étant recruté dans la na!ion et subis-
sant l'ascendant de son entourage, l'expression ne jwuvait
rester bornée aux lypes des premiers chrétiens, et les clercs
s'efforcèrent peu a peu de perfectionner la tcchuiipie et
même d'improviser, sans toutefois abandonner les symboles
de rigueur, bases de leurs compositions, et seul moyen pour
eux d'expliquer clairement leurs sujets.
Mais si, comme nous l'avons vu, l'art làtonnant et naïf
des Barbares s'est formé peu à peu, comme à i-egret, par
la vue cl l'élude d"s modèles romains et byzaulins, si pen-
— 506 —
(l;iii( loiigloin|)s les Grecs et les Luliiis lurenl les seuls ;ii-
tisles d'un mérile reconnu, si les moines étaient asservis
à ces motièlcs méridionaux, il doit s'ensuivre que l'appren-
tissage artistique n'était autre que l'imitation de ce style
étranii-er.
En effet, la seule expression transmissihie par leçons ou
par copie, était l'expression sculpturale ou monumentale
j-eligieusc, soit latine, soit byzantine, et des scènes entières
étaient copiées (i) et rej)roduites comme de simples frag-
ments. La naïveté d'un maître laïque, l'inilialivc d'un élève
dépourvu de principes ne pouvaient lutter contre un style
religieux très décoratif, très avancé sous le rapport techniciue,
car l'ouvrage iVEi'âdius de atU Unis Bomanorum , qui date du
x*" siècle environ, donne des détails nondjreux sur les pro-
cédés et la composition des matières colorantes, etc.
Cette préoccupation des procédés s'explique; les peintres,
même du plus grand talent, s'occupaient de travaux de pure
ornementation et même de peinture de bâtiments : Gentile
da Fabriano n'élait-il pas le magisler maijùlronnn (2) du
dôme d'Orviete, en 1417?
La polychromie n'est-elle pas une des parties les plus
importantes de la peinture (3)? Ne trouve-t-on pas les slucs
dorés et les reliefs coloriés dans les ouvrages des nombreux
peintres de celte époque (i)?
Sous l'impulsion de Guido de Sienne, de Duccio, de
Giotlo, les Italiens commencèrent à utiliser certains types
()) V(»ir.l. [{uhckiiaudt, i)t'r CiciTonc, pp. 't83 cl i84a.
(i) no.siNi, Sloria dcllii l'/llura iinlianu, t. III, p. il.
(î) Ueli.a Vai.i.k, Sloria del diionw d'Orvieto, doc. (il, p. 299.
(i) .MoHKi.i I, AïKiiiimn, p. ^1, et Hicci p. 175.
— 5()7 —
établis, on les iMoililianl un pou à leur fantaisie et en essayant
de représcnlcr, d'après les mêmes principes, les costumes
de leur temps, les attitudes de leur époipie, le (oui de mé-
moire et par une tension d'esprit acharnée. Le dessin d'après
nature, (|u'atteslenl les œuvres de Giotto, amena ensuite un
rapide développement.
Au point de vue de l'art, rien ne justifie l'enthousiasme
qu'excitèrent les tableaux de Cinjabué, de Giotto, de Duccio;
mais cet enthousiasme local el patrioli(jue s'explique par
la rivalité qui dès lors s'établit entre un art indigène, con-
temporain et vivant, el l'art froid, sans originalité, des
mosaïstes étrangers.
Toutefois, nous tenons à constalej- un fait : c'est (pi'il ne
faut pas attribuera la seule étude de la nature ou au géme
de Giotio l'expression nouvelle ({ui caractérise les œuvres
italiennes à dater de ce maitre, pas plus (jue dans nos pro-
vinces on ne peut atti'ibuer comme caractère à la Renais-
sance produite par les Van Eyck une élude exclusive de la
nature.
Ce système serait tlatteur sans doule; un examen super-
ficiel attribue à toutes ces peinluies une sincérité ïialive, el
elles paraissent telles à côté de l'art conventionnel desGrecs;
mais, au musée du Vatican, nous avons observé dans un
petit tableau byzantin, à petits sujets, donné par le pape;
Pie IX, et dans un retable repré.sentanl la Crucifixion, tous
deux ti-ès anciens, les anges voltigeant, habituels à S.-Meni-
mi, et dans un diptyque en ivoii'e, du temps de Constantin,
pourvu de la huive romaine, les chérubins et les anges à
ailes croisées, el tous les autres types (pi'ii employés l'école
de Giotto.
— 308 —
Il n'y a (.loue eu là (luc niodilicalioii do roiidu et d'expres-
sion ajoulce à l'emploi des modèles anlérieurs, e'esl-à-dirc
un progrès bien indiqué par le dévelo|)pemcnl graduel des
arts et des seicnees, ou un recul produit par les vicissitudes
de lu civilisation.
Les devanciers et les initiateurs des peintres laïques ont
été les religieux et leur base d'études, les travaux romano-
byzanlins(i).
La composition, le cboix dos sujets, toute la lliéorie, en
un mol, provcnail des prêtres ou clercs magislri arlîuin
uc sacrœ Iheologiœ exiinii profcssorcs, auteurs, le plus sou-
venl, de l'ordonnance des tableaux commandes.
Si l'on recliercho les types primordiaux qui doivent avoir
le plus servi de modèles à la plupart des artistes du moyen
âge pour l'arrangement des tableaux, on peut se convaincre
qu'ils furent fournis par les diptyques cl autres travaux en
ivoire, ou en orfèvrerie émaillée, objets d'art et de piété,
de forme et de dimension portatives, dont la provenance est
surtout méridionale, el qui devaient cire le luxe des prêtres
comme celui des seigneurs.
Les inventaires du xiv' siècle le prouvent du reste.
C'est une continuation plus large cl plus libre de l'art Ira-
dilionnel romain, qui a produit des orlèvn^s tels (jue le frère
Hugo, des miniateui'S tels (|uc les moines de Slavelol, les
abbesses d'Alden Eyck, des peintres tels que ceux de riiô-
))ilal de Gand, des fresques de la cliai)ellc comtalc de
Mons, etc. (-2).
(1) Alvin, Bullelin de l'Acailémie, 18GI, 2' série, y. GT9.
(i) Voir Annales du Cercle archéologique de Mous, l. NI, pp. 327 cl .suiv.
— .'(')<) —
L'aclion de l'Ilalic est moins éviclonl*' dès qu'apparaît l;i
peinture purement civile, mais elle reprend avec les Van
Eyck et s'accentue d'année en année à partir de 1450.
Cette assertion peut sembler étrange, mais à l'aide de
bonnes photographies, la comparaison entre les œuvres
italiennes et celles de nos maiires peut se faire, abslraclion
faite de la couleur, et les Spincllo, Squarcione, les Bellin,
les successeurs d'Orcagna, Verrocchio, etc., ont certainement
fait impression sur nos Flamands.
Les panneaux du centre et de droite du tableau de
CAfjneau, h Gand, respirent le style italien, qui a plus lard
été si en honneur dans nos provinces. Mais avant les Van
Eyck, la question n'est point la même et exigera une élude
approfondie.
Nous croyons avoir établi que l'art inné, réaliste ou naï-
vement naturaliste, n'est qu'un germe, un embryon, ou pour
mieux dire, un tronc sur lequel vient se greffer une suc-
cession de formules imposées, ce qui consliluo la science,
l'éducation de l'artiste.
Quelques peintres de noire siècle ont tenté de faire pré-
valoir cet art tout personnel, croyant qu'à lui seul il peut
produire sufiisamment. Nous n'avons pas à apprécier ces
tentatives, mais, au moyen âge, Fart naïf et d'instinct n'a
rien produit à lui seul, et toujours il a été uni à un travail
imposé ou traditionnel.
Cet art n'est donc pas pour nous une source productive.
En revanche, nous avons à étudier :
1° Les reliques de l'art latin et byzantin ;
2" Les types symboliques modifiés et renouvelés par
Giotto o| son école ;
— 370 —
.")" Les modes ni los types prol'anos du \iv"sièclr, qui
constilucnl aillant de diversilés remarquabirs, de caraclèros
permctlanl d'assignor à unp, œuvre d'arl une date on marque
d'origine.
Un exemple précisera mieux noire idée.
Si l'on contemple une leuvrc d'arl quelconque, soit un
lahleau d(^ l'école des Van Eyck, ou une miniature du
xiv'' siècle, soit une statue de Claus Sluter, on est frappé
d'abord du sentiment vrai (jui se dégage de celle œuvre,
(]ui |»arail copiée consciencieusement d'a]")rès nature.
Mais aussilùl on découvn', ou bien un tapis servant de
dais, déj.à connu, une auréole déjà vue ailleurs, un air de
lète, une pose débauchée, une main sur ia poitrine, tandis
que l'autre est levée avec afléctation ; on remarque aussi que
les (Igures tranquilles sont le mieux réussies, et que celles
(|ui expriment un fort mouve;nent ou un raccourci soni
manquées, parce que l'artisle n'avait pas de modèle typi(|ue
pour baseï- son rendu. Tout cela est emprunté et pi'ovicid
de l'éducation de l'artiste; c'est sa science.
D'où proviennent ces modèles typiques? C'est ce que nous
nous sommes imposé la làcbe de recbercber.
Après avoir établi clairement par des l'ails ce qui nous
est venu par l'Italie, de Fart byzantin, nous trouverons,
mêlés à l'art naïf ou réaliste, des l\|»es ol'liciels ou prol"an(!s,
ado|)lés après la cbutedu byzantin, et créés par des maîtres
hardis, qui parvinrent à traduire par une expression nette
et décorative, en ra[)port avec le goût du temps, les figures
des souverains et d'autres éléments d'usage habituel. Ces
créations magistrales, comprises selon les nécessités de l'art,
devinrent un sujet d'étude pour l(;s travailleurs de second
— Â7I —
ordre; ces types parvinreiil chez nous, iii;iis nos jirlisles ne
les ulilisèreiU qu'avec des iiiodiliciiliDiis (|ut' leur iiis|iirail
leur iiislincl na tu rn liste.
TYPES ET STYLES DE l'aI'.T HELIGIEUX PHIMITIF.
L'arl symbolique, qui a formé les premiers artistes et leur
a donné l'audace d'envisaiÇ(M' peu à peu la nature, était,
quoique routinier, une science et i-on pas un art incertain
de novices. Dès que l'Eglise romaine se décida à arborer
le luxe et l'apparat, les artistes et les objets d'art de Byzance
furent préférés aux simples productions de l'art primitif des
catacombes et surtout aux grossières productions nationales ;
du VII* au xiii^ siècle, l'artiste italien fut laissé à une sorte
d'abrutissement, quand il ne se mettait pas sous les ordres
des Grecs. Dans des villes telles que Venise, s'établirent
des colonies entières de Grecs mosaïstes pendant |)lus
d'un siècle.
Les mosaïques de l'Italie se divisent en deux classes dis-
tinctes : celles qui sont antérieures au vi* siècle et qui sont
encore un peu dans le sentiment antique. Celles qui parais-
sent byzantines, postérieures au vi* siècle.
Parmi les premières, on dislingue celles du Temple rond
de Sainte-Constance à Rome, dont la voûte, ornée de mo-
saïques décoratives du iv^ siècle, présente des vendanges
à la Pompéienne et des ligures romaines de satyres, de
paysans, de bouviers.
Dans l'église de Sainle-Pudentienne, une mosaïque d'ab-
side de 590, montre le Sauveur, assis sur un tabouret carré,
byzantin, entre des apôlres el deux femmes, personnifiant
- r,7i —
l'église des juifs et celle des païens clirislianisés; celles-ci
ont le caractère romain do la décadence : les déiails symbo^
jiques sont plulùl romains que byzantins.
A Saint-Paul liors des murs, les mosaïques de la Iribune
datent du xin'' siècle (120G), mais sont la reproduclion
d'une mosaïque du v*" siècle el ont encore un style romain,
tandis que celles de l'arc, à l'inléi'ieur, monirent clairement
la tradition née avec Giollo ; un médaillon rond du Sauveur^
avec une auréole el soulenu par deux anges à ailes Irico-
lores, du style de S. Memmi; ce Iravail dale du xiv* siècle.
A SS.-Cosme-et-Damien, la mosaï(pie (52G-.jôO) repré-
sente des nuages, dont le type a persisté jusqu'en liiOO,
mais l'Agneau avec une croix et un rouleau de papyrus
sigillé est bien néo-clirélien et non pas de slyle barbare ni
jjyzanlin.
Les mosaïques de Tare interne du cliœur de Sainl-Laiirenl
liors des murs semblent être les premières qui aient subi
riniluence byzantine (r)78-590j. Celles de l'abside de Sainte-
Agnès liors des murs (02^)-G38) tournent au byzantin (la
couronne de sainte Agnès est presque franque encore) celles
de S.-Stefano rotondo (()42-G49) appartiennent aussi u la
transition.
L'art indigène de l'Ilalie luli;iii cependant contre l'in-
fluence grecque, soit en imitant d'anciens travaux roniains,
soit par des mosaïques lombardes, naïves et rudes, telles que
celles du cbœur de Saint-Ambroise, de Milan (8ô2), celles
de SS.-Nérée-et-Acbille, à Rome, de S'-Maria délia Navi-
cella (817-824). Le caiactère national se retrouve encore
dans les figures longues el minces de S"'-Cécil(\ à Rome,
dans los anges et Ir-s pri'lres en robi' l»l;int'lit' de Sainte-
- 075 —
Prassôcle (style des calacombes) (817-824); les travaux sans
propordons et de tradition nco-chré(icnne de Saint-Marc
(827-844-), ù Venise, les mosnïiiuos du xfii* siècle du por-
liijue de celle i)asilique, dûnolenl la main des nationaux
dirigée par des Grecs, tandis (|ue h» pui' caraclère l)\ zanlin
se montre dans la l^al.i d'Oro i!)7(i) laite à Conslanlinople
même.
Le système artistique du Kas-Empire se basait sur des
réminiscences de l'antique, mais avec des formes roidies;
il était produit, comme à présent, dans les couvents de
ealoyers d'Athos (i) par une copie continuelle. Ce système
de formes domina hientùt en Italie.
Non seulement des villes étaient quelque peu dépendantes
du culte p;rcc, mais l'arl byzantin avait des qualités parti-
culières d'ornementation. A dater du vu*" siècle, il y avait
unité de vues à cet égard dans le clergé romain et grec,
et ce ne fut qu'au xi' siècle que le scbisme s'accentua visi-
blement.
Ce respect pour l'art du [Îas-Empire fut transmis à nos
contrées, où il resta une sorte de modèle d'inspiration à peu
près sacrée.
Au couvent de Karès se conserve un manuscrit traitant
de la façon dont les moines doivent représenter les images
sacrées et les faits bibliques (-2). L'arl ne s'exerce là que
selon la tradition, comme au moyen âge.
Dans nos contrées couvertes du voile de la barbarie, au
XI* et au xn* siècle, les rares nriisles provenant des pé|»i-
(1) Voir J, Hup.cKiiARiiT, her Ciceroue, p. 479/.
(2) Dupp.nx, Mdfiiifl tl"u:oni>iiriiii}ii'' ihii'lii'inir.
— 374 —
nièros do Siiinl-Gall ou du Monl-Cassiii, Lazare, Mélhodius,
Noikcr, Modeslus, Sinlranime, Thiemon, Tulilon, Théo-
phile, répandaient leurs conventions artistiques, types qui
avaient été l'ohjet de discussions sérieuses, comme le rituel
et la liturgie, et de là des points de ressemblance entre les
ouvrages subséquents de pays différents.
Les moines italiens se répandirent en France, en Angle-
terre, en Belgicpie; les Grecs en Rulhénie.
On recherchait les reliques de Byzance. En 1^207, le car-
dinal Capuimo enleva de l'église de Conslanlinople le corps
de saint André. Les faces noires, sur cuir, du Sauveur ou
de la Madone étaient considérées comme sacrées.
Aussi les travaux belges les ))Ius anciens sont-ils une
copie enfantine de sujets byzantins.
Lors de la belle exposition de l'art ancien, au cloitre
Saint-Paul, à Liège, en 1881, le manuscrit illustré par les
sœurs Herlinde et Renilde, en 7:25, iiH'rilail la première
place à cet égard, et le n" 10 du catalogue, ouvrage du
ix*" siècle, avec un caj-aclère frank imité du byzantin, renfer-
mait un ly})e d'auréole et d'ailes que l'on retrouve dans
toutes les fresques religieuses du Giolto.
Dans le n" 8, du xi* siècle, beaucoup plus achevé et très
byzantin, se montrent les plis de robes habituels à Cimabuë,
cl le n" IG fourmille de symbolesconnus, lels(|U(' les flammes,
une main rayonnante, etc.
Le trésor d(; l'église de Tongres pos.sède une; couverture
d'Lvangéliaire de même prov(Miance d où l'on trouve déji,
détail intéressant, une Vierge dont l'allilude serpentine est
si coirimuno ;iu xiV siècle, et un ange agcnitiiillr, avec une
bandenilc déjà 1res gothique.
~ 57:; —
Le n>li(|u;iii'(' de siiiiitc Ursule, de l;i iiicinc colleclion,
(le la même époque el d'un travail bien plus avancé, est déjà
(oui à fait de ce slylc fleuri qui fui surtout de mode en
Angleterre et qui donna lieu, chez nous, à une sorte d'ara-
besque contournée, dans les vignettes et l'ornementation.
La châsse de saint Mengold, de la collégiale de Iluy,
faihï en 1175, dans un sentiment grec, mais remaniée en
1560, porte des lioris rampants et une figure de seigneur
d'un caractère tout à fait original, mais peut-être postérieur.
Le reliquaire de saint Hadelin, de l'église de Visé
(xir siècle), dénote aussi, malgré des détails plus récents,
la copie d'œuvres méridionales.
Il on est de même de la couverture d'Évangéliaire appar-
tenant aux sœurs de Notre-Dame de Namur, due au frère
Hugo d'Oignies, au xtii' siècle.
Quant à la châsse de saint Remacle, de l'église de Slave-
lot (xfii* siècle), elle est un vrai travail de transition; ses
ornements sont déjà gothiques, ses statuettes sont un
mélange de frank et de byzantin, et il s'y trouve une figure
de chevalier très réaliste. Une Vierge en bois doré de
l'église de Saint-Jean, à Liège (xiii' siècle), rappelle Cima-
buë, et la Vierge de Dom Rupert, en pierre dorée, du
xi" siècle, a les mêmes caractères (i)-
Plusieurs des trésors inestimables que je viens de men-
tionner ont été visibles à Bruxelles lors de l'Exposition
nationale de 1880, de même que les pièces suivantes, (jui
méritent un ex;unen approfondi :
L'Évangile de l'abbaye de Saint-Laurent (x' siècle) (-1),
(1) Musée archéologique de L'ège.
(i) N" n tlii Catalogue ollicu'l ilc l'KNpn.sJliDii iia'iaiiale de 1880.
— 57() —
imilation flagrante, avec des foi'mos arrondies, de travaux
o-recs.
L'Onice des Anges (i), du \f siècle, manuscrit l'iiùnan
de la Biljliollièque royale, lourde imilation, visible dans les
apôtres, dans le nimbe, etc.
Les Evangiles de l'abbaye d'Averbode (-2), appartenant
à rUniversilé de Liège, style IVank dérivant du byzanlin.
L'Evangèliaire du ix*" siècle (3), imitation libre, ainsi que
les n'" 14, 10, 40, 2o du même catalogue.
Le riluol de l'abbaye de Sîavelol est plulùl une copie de
travaux du Bas-Empire romain que de Byzance même.
Olte propension persiste dans l'arl monacal jusqu'au
xv*" siècle et <iième plus tard, et l'on peut consulter à ce sujet
les n°' 1787, 5074,4783, de la Bibliothèque royale, les
n" ni)')-179G provenant des moines de Groenendael
(xiv" siècle); à cùlè d'une ligure du Sauveur, byzantine, on
y voit des moines lisant, très naïfs.
Le n° 4483 (xn'*" siècle), avec des détails traditionnels que
l'on reirouve un siècle plus tard, a aussi le caractère de la
copie des Grecs, de même que les n"' 9061-0:2, Psalterion,
qui parait Anglais.
Maison ne saurait rencontrer un meilleur exemple de la
copie de miniatures grecques exécutée librement, avec une
sorte de rudesse indépendante, que le Spcciilitm humaine
salvalionis, manuscrit en flamand (n'' 281 de la Bibliothèque
royale). On y voit le dessin l'ail de mémoire d'après des cru-
cifix ou des travaux byzantins, spécialement dans les sujets
(i) N» 20 (lu n)("n)e r.'it.iloLiie.
(î) iN" r.7, i,i.
(:>) N" 10, id.
— 577 —
d'AbiiLT, de la scpulUirc du Clirisl, de la doicciitc de Croix,
du calalahiue, c(c.
Xolrc pays u'élail pas seul asservi à la foniiule grecque
pour les ouvrages religieux.
Lo slyle de presque loulo l'Allemaguc, jusqu'au xV' siècle,
élail formé d'emprunts à cet arl, loul en reslaul dilléreiil
du noire.
Si lècole de Prague a réellemcnl existé, elle a dû s'inspirer
enlièrenicnl de Byzancc, ce que prouvent la tète de Clirist
sur le suaire, peinte en 13G8 |)ar Thomas de Mutina, el la
mosaïque extérieure du sud du dôme de Prague, exécutée
en 1571, qui dépendent absolument de ce slyle.
Celle influence gréco-latine subsista jusfpi'au xvi' siècle,
dans des retables el des triplyipies. Beato Angelico la subit,
dans un antiphonaire du couvent de Saint-Marc, el ce|>cn-
danl à celle époijue le cours de la civilisation avait amené
une source d'inspiration nouvelle et imporlante (i).
Nous ne tenons aucun comjj'e de la tendance innée (jue
Ton découvre dès les temps préhistoriques el (|ui se traduit
chez l'enfanl par un arl embryonnaire, désir instinctif de
reproduire un asiicct par lequel l'esprit a été frappé.
Cette expression individuelle, non transmissible parfois,
est presque toujours modifiée par ce fait (juc l'artiste est
|)étri dans le moule d'une éducation journalière à cause du
milieu qui l'cnlourc.
Mais nous devons constater la naissance d'un style pi'oduit
par le contact d'une civilisation étrangère, el qui donna une
poussée remarquable à l'art du moyen âge.
(i) Rosi>'i, Storia dclla PiHidd, p. 7 i, t. 1.
— 57« —
Al;i SAXON £T NOI'.MAM) OU liOTHIOUL: PRIMITIF.
Après Tan lOOO se iiKiniInsia (l;ins rarcliilrcluri!, mère
cic'saulres arts décoratifs, une ardeur parliculière.
La Cathédrale de Tournai, eoinineneée vers 1 020, el consa-
crée en 10G6, el d'aiUrcs monuments d(; celte époque d(î
transition, el même parmi ceux qui l'urcnU consiruils au
milieu du xri" siècle, tels que la chajielle de réglisc abbatiale
de Slavelot, celle du Saint-Sanii de Bruges, etc., montrent
clairement la puissance des souvenirs de l'art romain el
byzantin.
Mais cette tendance se métamorphose peu à peu avec les
croisades.
L'arc brisé ogival ne paraissant qu'au commencement du
xii** siècle, l(îs croisés semblent n'avoir pas été dans nos
contrées les moins actifs propagateurs de ce style nouveau,
dont l'épanouissement complet coïncide avec le règne de
saint Louis,
Vers ce temps, les Normands étaient déjà solidement
établis dans la Sicile et le royaume (ie iNaples, et, dès la
même époque, les croisades établissaient un contact forcé
entre les Occidentaux (!t l'art luxueux des Sarrasins.
Sur des monnaies siciliennes, les symboles du ci)rislia-
nisme et de l'islamisme sont confondus.
En Sicile, on parlai! (juaire langues; les édits étaicnl
publiés en ces langues, et chaque peuj)le régi par sa loi. Le
plan d(! l'égli.se de la Martorana, à Païenne, esl grec, et une
mosaïque, datani de l'épofpie (l(> la fondation normande de
cet édilice, repré.sente le loi Roger, vêtu du costume
byzantin.
— 1579 —
Rog(M' I"', quoique ad versainMles Gi-ecs, créa un archi-
mandrite, bien que les évèques de Sicile dépendisseiil de
Rome. Il fil coiislruire avanl I152 la chapelle de Saiiil-
Pierre, ù Palerme (i).
Guillaume II (1180-1189) lit Ijàtir l'abbaye de Monréale,
ce superbe monument de style siculo-normand , dont les
mosaïques el les ornemenis à i^radins sont des décorations
vraiment musulmanes (2).
Le nord de l'Italie offre des restes lombards (|ui ne sont
pas sans rapport avec le style saxon le plus rude, mais peu
comparables au slyle normand si rapidement développé.
L'influence normande elsuève sur l'ai-t de l'Ilidie méridio-
nalea été constatée par M. Salazaro dans son opuscule sur
la culture artistique de cette contrée {i).
Déjà, en 1 184, la civilisation était très avancée; en Sicile
et les chefs normands se mirent très intelligemment à la tète
de ce mouvement, ce qui dénote en eux un tact très rare, ou
déjà un degré d'éducation très sérieux.
Un manuscrit en dialecte gallejo, intitulé l.oores du
S'^ Maria (i), fait au xv*" siècle dans le style archaïque du
xiv®, et rempli de détails orientaux, d'ornements de style
ogival, donne un bien curieux exemple de la façon dont la
transition doit s'être opérée, aussi bien dans le .Nord (|u'en
Sicile et en Espagne.
()) SPRhNGER. Die Millelaltcrlicke Kniinl in l'alcnno. JBiiiin, 18<)!t, p. 10.
(i) A. DE (Jel'leneer, Le l'orliigal, p. 19.
(5) Salazaro, Sitllu colliira arlislica ilell' Hnltu iiu'ndioitdle. iNapoli, 1877,
p. lo.
(♦) Bibliothèque Magliabcuchi, a Florence.
— 580 —
Les ariiioii'ici), roi'iioiiientalion cli'ganlr furcMit le rcsuhat
iriiiiicdiul ties ra|)|)orls dû nos OccidcMitaux avec les Sarra-
sins, el il Callail une race apte à l'assiinilalion, coirinie la race
normande, pour dclermincr ce résullal, car les canij)agnes
de Giiarlcuiagnc n'avaicnl rien produil de pareil.
Nous sommes convaincu ()ue c'est de là cpi'esl parli le
signal des modes nouvelles, des mœurs, du goûl, en un
mol, (|ui régit le .\ll^ le xiii'^ el même encore le xiv^ siècle,
el lorsijuc Thomas Beckcl écrivait aux cardinaux : « Déjà
noire Roi suit les traces des Siciliens el même il les devance » ,
il établissait la source du uroarès des arts de luxe et de la
civilisation dans la Graiide-Bi'clagnc,
Le premier style dil gotliiipic est une sorte de traduc-
tion de rornemcntalion sai'rasin'>, mêlée au romano-byzantin,
en (ypcs saxons, slyle caraclérislique des races du Nord.
L'union de la ivice normande avec celle de l'Anglelcrrc
n'a fait (|u'en vivilier l'expression, qui restait grande et plus
sérieuse, mais moins line et moins délicate en France, où
Pierre de Monlreuil, le niailrc ès-ieuvres de Louis IX., bâtit,
a son retour d'Orient, la Sainte-Cliapelle, l'abbaye de Poissy
et le réfecluirc de Saint-Gei-main des Prés.
Sainte-Marie de (iambridge, Sainte-Marie d'OxIbrd, Saint-
Pierre d'York, el surtoiil labbaye de Westminster sont les
ly|)es les j)lus purs du goût normand-saxon.
Mais les lypes les |)lus inléressanls de l'art ogival se trou-
vent en Normandi(\ et déjà avant la conquête et avant la
croisade, la calliédrait; de Coulances, bàlie en 1030 et inau-
guréecn lOoG, dont !<• porlaii méridional est la jtlus ancienne
partie, celle de Morlain, dalanl de 1082, si ces chiffres sont
exacts, peuvent avoir été coiiçiios p;ir suit': des relations des
— .ISI —
navigaleurs noniiaiuls avec l'Oriciil, ou bien par Miilc tics
|)clcrinages (lui précûdèrcnl la première croisade. Mais il est
plus probable que ces édilices daleiU de quelques années
plus lard.
Dans les pays allemands, le plus ancien monument
golhiqueesl l'église de Fribourg en Brisgau, commencée en
1130, ce qui vient a|)puyer notre hypothèse.
L'abbaye aux hommes de Caen possède à côté de parties
dans le goùl delà (ransilion, mais d'une sinqilicitc grandiose,
des détails qui permettent la comparaison avec d'autres
monumenis normands, pour suivre la tendance vers le
gothique le plus pur. Mais l'abbaye aux dames surtout est
remarquable sous ce rapport. Les dents de scie, les masca-
rons, tout à l'ait IVanks, l'ornement on ceinture ou en tresse
Iranque, se mêlent à des cai-rés ou des losanges, de façon à
donner pour ainsi dire un aspect arabe à certaines parties
des travées extérieures, do la colonade supérieure de la net'.
Ce caractère est surtout visible dans l'aspect général.
L'église de Titan, près do Caen, uiïro dans l'ornementa-
lion cette tendance orientale ])lus caractérisée encore, et pro-
duite cependarit p;ir des carrés et des zigzags seulement.
Dans cette église, o[ dans la cathédrale de Bayeux, il est
curieux de constater combien le style gothique normand
subsé(iuenl se lie facilement au style do transition frank,
basé sur les plans romans. Un ornement tressé, entrelacé de
losanges, et d'autres détails au-dessus des arcs des travées
de la nef a|)|»uiont ici notre opinion.
('/est évidemment par un mélange, une sorte d'éclectisme
réunissant à la fois des souvenirs grecs, ou classiques; qui
abondaient en Sicile, à l'inspiration arabe et à ce style roman
— 582 —
nolablemcnt travesti pnr les copistes IVanks ou saxons, que
s'est dégagé le style lancéolé.
Il serait absurde de prétendre cependant que, dès la pre-
mière manifestation de ce style nouveau, l'effet en ait été
foudroyant. H cette influence, assez générale, il a fallu au
moins cent ans pour s'imposer; mais bien certainement les
voyages maritimes, le séjour en Sicile, qui était devenu une
escale, y ont contribué.
Mais l'architecture n'a régné (|uc sur une partie de l'orne-
mentation, et la sculpture, plus intimement liée à la repré-
sentation de la nature, n'a point puisé ses caractères aux
mêmes sources.
Ici, nous nous trouvons, dès le xiii'' siècle, en présence
d'un style défini, qui se développe jusqu'au xv*, et dont le
caractère subsiste surtout dans des attitudes serpentines,
visant à la grâce et au mouvement, au lieu des figures
froides et inanimées des Byzantins. Cette tendance réagit
sur le dessin en général et nos peintres se sont mis aussitôt
sur le même pied que les artistes de France et d'Angleterre.
Mais dans la statuaire, l'initiative revient sans aucun doute
à la France centrale, et les modes, la recherche des poses,
des types provinrent de cette contrée, sans doute par l'in-
fluence des souverains et de leur cour. Rouen, Paris,
Chartres et Rheims, furent sans doute aussi des centres
d'action très importants (piant à la sculpture Mais l'étude
de cet art nous suggère une observation intéressante ;
Deux manières de voir s'étaient établies dans le monde
religieux au sujet du Christ crucifié, l/une, celle des Grecs
orthodoxes, le montrait constamment serein, beau et intact
(le corps, malgré sa souffrance tout humaine.
~ 585 —
L'autre, plus réaliste, voulait provocjuer dans l'ànie des
spectateurs, par l'aspect de la maigreur et des souiïrances
de ce corps divin, une pitié qui pût tourner au prolil de
la religion.
De là, les efforts des sculpteurs qui s'écartaient de l'école
Gjrecque pour représenter une contorsion, un mouvement
du corps, une flexion du torse suspendu par les bras déjà
exsangues.
Les confréries des sculpteurs, nommées dans nos provinces
Jliesusmannen, étaient principalement imbues de cette ten-
dance, et il est positif que ces sociétés d'artistes existaient
dès le.xii^ siècle, sous la protection des évoques construc-
leurs d'églises. Cette même flexion, plus conventionnelle
que gracieuse, se retrouve, après la figure du crucifié, dans
celles des madones avec l'enfant, dans les diptyques en
ivoire, comme dans l'orfèvrerie religieuse.
Elle ne paraît que vers le milieu du xiii'' siècle, dans des
types profanes el unie aux modes de l'époque, lorsque le
développement des institutions communales fait naître le
sentiment laïque, el elle se montre pleinement dans le xiv%
avec l'ornementation flamboyante, le luxe des costumes et
le goût anglo-normand, dans l'arl comme dans les ajuste-
ments.
La France, l'Angleterre, l'Allemagne et notre pays mon-
trent un engouement grandissant pour ces attitudes forcées,
d'abord dans la sculpture, ensuite dans la peinture elle-
même, et les manières affectées en honneur à la cour de
France, par exemple, ne suffisent pas à en justifier l'emploi.
Il y a là un parti pris d'élégance exagérée, de grâce sup-
|)osée, d'élasticité, qui a |)ris sa source dans les habitudes
(.Ws sculplcui's L'I ijui a é(c suivi |iai' Icui.s conliiiualciirs.
Les (Icssinaleurs rappoilaiit loul à la y-L'oindrie (ce que
prouvent les Iracés au trait de celte épofpic), ces altitudes
linii'ent par passer dans les mœurs arlisli(iucs, |)ar devenir
do vrais poncifs, légués comme une tradition.
Les ffoùts fastueux des cours souveraines ou féodales ne
peuvent avoir été étrangers à l'essor de cet art élégant, jteu
fait pour caractériser une inlluence houi'geoisc. Tandis que
la noblesse, comme le clergé, s'entourait d'objets de luxe
el de piété tout à la fois, les communes, à peine organisées,
préoccupées de leur propre conservation, et s'occupant de
travaux d'utilité publique, ne pouvaient encore, avant le
x[v* siècle, lutter de faste avec les autres pouvoirs.
L'art pictural des temps pi-imilifs ne consiste qu'en déco-
ration et en enluminure.
Les produits de l'Angleterre et de l'Irlande sont prccieuK
à cet égard comme sujets d'étude et de comparaison, i^e
Codex Ebnerianus, d'Oxford, du vr siècle, est une copie du
byzantin, mais avec des tendances saxonnes visibles (i).
L'Évangile de Lindisfarne monlrc que du vi' au viii' siècle
s'était formé un style irlandais et anglo-iiiandais s|»écial.
Au vin'' et au ix* siècle parait un style anglo-saxon, sous
l'inlluence de Gbarlemagne, el de nouveau asservi à la
mode romano-byzantine. L'enti-elacemcnt des lignes et des
motifs caractérise ces écoles (-21.
Peu ;i peu Tari anglais se dégage el, du \'' au xi' siècle,
(i) Voir n. llL'MPiiiiL\s, ilte illaminalcd book< i>l ihc mnidlc-uijes. i.oiidrcb,
184U.
(i) Brili.vli iiuisciim, Duriiaiubook, CoKoii MSS.
apparail un slylc riclio, magninquo, di.slinct des aiilros, qui
semble (Mre la base du système national subséqucnl, et qui
a pris naissance dans l'école d'art de Winchester, sous l'in-
fluence d'EtheKvold : c'est ce cpio l'on a nommé opus an-
(jlicum.
Ce style est toujours ;i la byzantine, mais déjà très hal)ile,
large, |^lus naturel, et mêlé du goût saxon dans les orne-
ments entrelacés.
Déjà au XFi'' siècle, l'école du Rhin se fait remarquer
aussi, mais sans originalité, tandis que l'enluminure anglaise
devient de plus en plus fleurie. Les miniatures du couvent
d'Arnstein sont encore la traduction lourde et franque du
latino-byzantin, et, de même, la construction do ce pays
reste longtemps convenlionnclle et asservie à la construc-
tion romane.
Sous l<^ rapport pictural, il est évident que le style né au
commencement du xii'' siècle, ne produisit, dans notre pays
surtout, que des résultais peu importants; les indices qui
nous sont restés de la peinture de celle époque montrent
tout au plus des progrès dans l'ornemenlalion, et un peu
plus d'habileté dans la représentation de la figure humaine,
mais toujours avec un cacliel de rudesse franque ou native.
Il était donné au xiii' siècle de faire naitre et au xiv de
développer en ce genre, en même temps que le style ogival
secondaire ou rayonnant, avec son ornementation tour-
mentée et fleurie, des attitudes affectées et visant à la grâce,
enfin un style définitif dont l'Angleterre semble avoir été la
principale dépositaire.
A l'époque où les sceaux français semblent encore des
pastiches fin franco-byzantin (par exemple, le sceau de
— 586 —
H(!iiri I", 1055), nous avons un exemple très remarquable
de slyle saxon-anglais (donl l'union élail inlime avec le
Normand primilif) dans la célèbre tapisserie de Baveux,
qui n'est point due, sans doute, à la reine iMalhilde, mais
bien faite sous ses auspices ou dans son entourage.
Les bordures porlenl des animaux grossièrement repré-
sentés, dindons, chiens, elc. (i), de rarcliileclure encore
romane, des figures de juges, des bouclieis à dragons
(PI. VIII), (|ui ont bien le caraclère saxon pur. On y voit
la volonté de s'affranchir de la copie byzantine, mais point
encore le style dit gothique; et cependant cerlains détails
(PI. XI, XV, XXI) dénotent un sentiment intense de la vie
et de l'expression, et il y a des préoccupations orientales
(PI, XV et XXF), telles que les chameaux, le tatou, animal
des Indes, etc.
Les arbres, conçus d'une façon ornementale (PI. XXXV,
XXXVI, XXXVII, XLVI,XLVll, LV, LIX, sont l'embryon
de l'ornement gothique des miniatures anglaises.
La planche Ll, représentant la Table ronde, a été repro-
duite dans des illustrations françaises des siècles suivants.
Cet art est certainement antérieur au uôlre et montre de
l'initiative, de la largeur dans les idées, enfin un sentiment
artistique (jui clierche à progresser.
Le sceau de Gui de Laval, en 1095, montre le même ca-
ractère liormand et naturaliste à la fois; il en est de même
de b(!aucoup de sceaux de cette époque et de cette conli'ée,
surtout à mesure (|U(' l'on avance dans le xii' siècle. Nous
(«) De Launey, Origine de la tapisserie de liai/eux. — J. (^omte, La tapisse-
rie de liayeiix. I*;iiis, KoIIimIhM, iH'iH.
— ?Î87 —
donnerons comme exem)3les celui d'Adèle, comlesse de
Suissons (1186), des sceaux normands de 4195, 120:2, elc.
Celui d'Adèle de Champagne (1190) montre même
déjà un peu de celle llexion serpentine qui se développe si
Ibrt au lemps de saint Louis.
Quant à l'arl religieux, qui régil aussi les sceaux de pré-
lats et d'abbayes, il ihï suit pas le mouvement que l'on re-
marque dans la cour el la noblesse, cl qui était déterminé
parla mode (i).
Les sceaux religieux restent fort longtemps barbares,
franco-byzanlins, et même habilement exécutés dans le
goût byzantin, tandis que les autorités civiles l'ont imiter
parfois des monuments gallo-romains.
Ainsi les sceaux de l'évêque d'Auxerre, en 11 20, de celui
d'Orléans, en 1161, et d'Avranches, en 1161 et 1190, sonl
franco-byzantins; celui de l'archevêque de Rouen, en 1209,
est d'une transition très habile déjà. Celui de l'évêque de
Lisieux, en 1170, montre un luxe tout à fait anglo-normand
dans ses ornements de costume, sur un motif franco-
byzantin.
Mais à côté de l'art imposé, il y eut sans doute, avant le
xiii" siècle, avec l'expansion démocratique de nos communes,
une tendance libre vers la j'éalilé, s'oxerçant sur des sujets
profanes. A Rome même, les peintures de S.-(îlémenl mon-
trent la même particularité, du iv* au x' siècle. Seulement,
l'élément civil qui bornait chez nous le goût artistique à un
luxe décoratif, ne favorisait pas beaucoup celle figuration
(•) Voir le Costume au moyen âge d'après les sceaux, par G. De May. Paris,
Dumoulin et i."=.
— r.8s -
barbare ol rudo, qno réprouvail si Ibrl S'-lioninrd. Une sorlo
de pata, à comparlimcnls, avec figures de clercs el d'aljbés
peintes à l'eau d'œuf sur le cadre, en 123a (i), nous donne
une idée de cet art primitil', dont la continuation se retrouve
avec des caractères de style national dans le Roman de la
Rose, avec miniatures flamandes, appartenant à la Biblio-
thèque royale. Certains tableaux ruthènes sont conçus de
la même façon, et les manuscrits anglais de la pcriode
saxonne nou> montrent également ces caractères de sin-
cérité.
Au XIII* siècle, cet art naïf s était élargi el l'on trouve par-
fois dans les ouvrages de nos contrées une étude du mouve-
ment vrai et un cachet d'observation remarqua hie, surtout
quand on songe que l'habileté de l'artiste consistait à ramener
à des formes géométriques le dessin d'après nature. Le
sceau de chasse de Oeoffroi de Lusignan, en 125:>, nous le
prouve.
Dés que los j>rincipes décoratifs purent s'allier à des formes
usuelles, à des modes, et permettre l'initiative de l'artiste, un
style nouveau s'introduisit jusque dans les monastères, par
nn mélange curieux de types symboliques, d'ornements
arabes, de feuillages ou de figures tout à fait saxons, car il
ne faut pas oublier que l'Angleterre, le nord de l'Allemagne
el les Pays-Bas étaient pour ainsi dire unis jiar des liens
communs de mœurs, de goûts cl même de langage, tandis
que le nord de la France el la Belgiipic étaient aussi liés par
des rapports étroits.
Aussi la renaissance qui se produisit en Italie ;q>rès le
(i) CtiapellP du Snint-Santr. à Bruges.
— r,sii —
Cimaliiic, 1)0 dovanca-l-cllc [tas do l)cancoii|i un moiivomont
analogue dans nos conlrées. Nous avons vu un ai-l do slylo
affoclc, visant à la grâce, orné, i-icho en invention, mais
qui semble soumis à une mode générale el lyrannique, se
développer au xiv* siècle, el celle rénovation de style è(re
accompagnée d'une sorte de lloraison architecturale; mais
cet épanouissement élail préparé de longue main, el le nord
de la France semble, comme l'Angleterre, avoir été un centre
de progrès artistique, dans la première moitié du xin° siècle.
Le sceau du chapitre de Meaux (1217), celui de l'abbaye
de Sainl-Chéron de Chartres (I^ô'l), montrent pleinement
cette influence nouvelle. Le sceau de Marguerite, comtesse
de Winchester (1235), bien que roido dans son style, est
purement normand. Celui du chapitre de Paris, de 1259,
(pioique calqué sur le byzantin, a une Vierge traitée d'une
façon naturaliste; en revanche, le sceau de l'archevêque de
Cantorbéry, de la même année, a un aspect ogival large,
pleinement dans le style de Saint-Louis, bien vivant.
Celui de l'archevêque de Rouen (12o6), avec son ogive el
sa madone sur une sorte d'autel et deux anges en adoration,
est admirable de stylo, de mouvement et d'attitudes, ainsi
que d'exécution purement gothique. Il est déjà comparable
à celui de la nalion de Normandie de l'Université de Paris
(1398), qui est un véritable modèle de style fleuri el orné.
La miniature montre les mêmes caractères :
Les heures de Saint-Louis, exécutées en \TM)(i), sont
d'un travail très avancé pour l'époque, moins maniérées et
cependant empreintes do moins de naturel dans le senli-
(i) Ril)li(j!lii'f[iio nalifiiialc (le Paris.
— ,"i;m) —
meiil (|uo ii\s inaiiuscrils ll;iin;iii(ls dv. la inèiiie ùpoque;
cl l'on remarque, par un inanuscril de la Bibliolhèque de
R.-S. Holford, (jue l'art, français avail dans l'ornemenl des
i-apporis intimes avec l'anglo-saxon. Un psautier (i) dit de
la Reine Marie (de licSO environ) a toutes les altitudes des
miniatures llamandcs de ce temps, ce qui prouve une sorte
d'unité de vues entre les deux écoles artistiques.
Le British Muséum possède un psautier latin fait en
Flandre en LlOO, dont les beaux ornements sont du slyle
anglais lleui-i, et le manuscrit de la Somme le Roy, par
Frère Laurent {1279), dont les miniatures françaises à fond
d'or dénotent la même élude (2).
Le slyle anglais, en 12G4 (3), était déjà très ornementé et
très riche, comparé à ceux du continent, ce que l'on
remar(|ue dans la chapelle du Collège de Merlon à Oxford,
dont les clochetons ont bien le caractère anglo-normand, de
même que les vitraux datanl de la lin du xiii* siècle.
Un manuscrit fait à Norwich pour le frère R. de Ormesby,
vers 1280, au temps d'Edouard PS paraît déjà postérieur de
plus de oO ans, à cette date (4).
L'Anglel(îrre était alors au courant de tous les progrès et
|)Our l(^ moins aussi civilisée que la France; la Flandre, qui
s'enrichissait par son industrie, lirait ses ressources d'au delà
(lu détroit.
Henri 11 avail 20,000 mercenaires brabançons à .sa solde;
en I2I0, Jean sans Terre accorda à Ions les aventuriers
(1) Britisli Muscum.
(ï) Bi'itisli Museimi, ca.s(' 11, U.
fs) l>uoi\. Types d'fircitilecliin' i/othique, \Ht>\.
(i) SiiAW, lUuminaltd (iniiiiiiciils, 1833, .s|icciiiieii IX et X.
— 501 —
brabançons cl. |)oil('vin> les lerres doses bnions rclx^lles, (U
ilenaccournl un Ibule. Les souverains anglais favorisaient
d'ailleurs i'éiniiïralion des Flamands.
En 12(15, la ville de Hambourg jugcail ulile d'élahlir en
Angleterre une Com|)agnie commerciale. En 1298, il y avait
dans les maisons anglaises un luxe que ne connaissait pas le
conlinent.
La Normandie, {|iioi(|ii(.' la source du langage français, fut
florissante pendant deux siècles et demi sous la domination
anglaise, surtout sous le régne de Henri H, dont l'inlluence
se montra jusqu'en Italie, en 1167. Ce ne fut qu'en 1217
que Philippe-Auguste put rassembler les débris épars d'une
monarchie française (i).
Nous avons donc bien des motifs de prendre au sérieux
l'influence de la Normandie sur l'art de cette époque, et
après le règne de saint Louis, qui fit surgir un art français,
celui d'Edouard consacra, par le triomphe des Anglais sur
le sol de la France, la prédominance des modes anglaises.
Le noyau de tout cela était les Normands.
Oxford luttait avec Paris, dont l'Université avait de nom-
breux professeurs anglais. P>ien que la poudre à canon soit
mentionnée dès 1558 dans les registres de la Chambre des
comptes de Paris, l'artillerie d'Edouard HI épouvanta les
Français en 1546, comme une chose encore inconnue.
Tout cela dénote une situation prospère que les progrès
artistiques ne font que confirmer.
L'art flamand, quoique devancé, semble avoir repris
rapidement sa place.
(i) (>A>Tii, Histoire Huivei selle, I. X. p. "241.
Tandis fiuVn 124,') le sceau de l'cvèqne de Saintes, quoi-
que habilemenl Irailé, reste dans le goûl franco-hyzanlin
(comme celui du chapilre de Soissons en 1:231, monlrant
une Vierge hyzanline), une Vierge sur un sceau flamand de
12î>.'> a les (rails d'une carmélite; les sceaux de la ville de
Gand, di; 127') et années suivantes, arrangés à la byzantine,
ont pourtant une arcliileclurc gothique pure, un mouvement
naturel de ligures à l'aspect flamand, et ne semblent pas
étrangers à l'ai't de l'époque de saint Louis. En 1280, un sceau
de Floi'ent de Ilainaul nous représente une figure bien cam-
|)ée, (|ui ressemble aux fresques flamandes de cette époque,
et qui n'a plus l'ien de cette imitation barbare primitive.
En 1287, la figure du Sauveur, du sceau de Henri de
Gand, archidiacre de Tournai, est presque modei'ue. En ÏÔOÛ,
les sceaux de Damme et de Calais oiïrent des navires vus et
observés, tandis que jusqu'à \T^^)S on trouve des sceaux de
maires, de consuls, copiés ou plutôt pastichés d'après des
ouvrages gallo-romains.
D'ailleurs, dès le commencement du xiv^ siècle s'établit
une sorte de concurrence artistique entre le Nord et le
Midi, et si notre pays ne nous a laissé de traces de son acti-
vité que depuis 1559, si nous ne pouvons juger les tableaux
perdus de 15.")0 environ, il est certain (jiie nos artistes ont
suivi dt' près ceux de France et d'Angleterre, et que Jean
de Bruges, Jean de HesiJin, M. Broedeilam, elc, ont eu des
prédécesseurs capables de lutter avec leurs voisins. iMais
nous assignons à la renaissance artistique en Belgitpie la
date de 1550 environ, (pii coïncide avec la naissance des
Gildesde |»('iiilr(s, et avec une remarquable expansion d'art
en France el en An'-ilch-rrc
— r^!)5 —
En cITel, les spL'ciiiK'ns iDauniliquos du Salislnirv Hook
du lîrilibli Muscum el, plus liird, du manuscrit de la vie de
saiii( Edmond, avec leurs orncmcnls d'un caracicrc plus
maigre, j)lus délicat, mais plus riche aussi, avec leurs feuilles
nombreuses et séparées, leurs branches imilaiil le houx, une
sorle de brio italien (pii semble développé par l'habilelé
calligra[»hique, peuvent passer pour les modèles du genre.
En même (emps, dans les sceaux, par exemple, on ren-
conlrc, parfois avec surprise, des alliludes et un caraclère
naluralisfe et Her, qui font |)enscr aux bi'onzes de la belle
épocjuc d'Orcagna, de Donalello, etc.
Le sceau de Louis le Ilutin (1515) en est un exemple
frappant, et un aulre de 1575, public par M. De May (i),
l'est encore davanlage.
Ainsi, tandis que les papes d'Avignon favoi'isaienl l'intru-
sion dans l'art religieux du Nord d'un symbolisme à formes
nouvelles, mieux en rapport avec le naliiraiisme (jue la l'or-
mule ancienne, dans l'art el dans l'ornemenlation civiles se
faisait jour une expression nouvelle aussi, dérivant surtout de
la sculpture, et convenant parfaitement aux verrières, aux ta-
pisseries, très anciennes dans l'Artois, et même aux njiniatures
de romans écrits, qui constituaient vraiment de l'art portatif.
Ce mélange a formé le style caractéristique du \iV siècle.
Mais sur celte tige déj'i vivace est venue se grelTcr tout à
coup, dès les premières années du w"" siècle, une propension
intense vers la vérité dans le rendu, tendance (|ui régit forcé-
ment toutes les périodes de perfectionnement el de protec-
tion artistiques.
(i) Voir Le Coslinuc fin iroijai àije. truiirh les sceaiKi, p;ir (.'<. l)i, May.
~ Â04 —
Nous en voyons encore de nos jours un exemple bien
concluant. On se lasse aisémenl d'iinagcs conventionnelles,
fussent-elles aJinirablemenl exécutées, et le goût, dès qu'il
se généralise, exige que les chairs peintes soient des chairs,
que l'air circule dans les intérieurs, que chaque matière
représentée soit rcconnaissable.
Dès lors, des efforts simultanés de tous les artistes pour
satisfaire les Mécènes, provoquent la naissance d'ur)e IbriMule
nouvelle qui semble effacer les précédentes.
Ce fait s'est produit à l'époque des Van Eyck.
L'art de celle période est le résultat d'une étude sincère
delà nature, atin d'obleiiir un aspect vrai, combiné avec une
éducation dont tous les modèles et les inspirations existaient
dans la tradition ancienne.
Les œuvres réussies dans ce genre par les maîtres les
plus renommés devinrent aussitôt des types imposés à la
copie, absolument comme deux siècles plus tard (otite notre
école copia les Rubens.
Sans sortir du Musée de Bruxelles, nous pourrions déjà
prouver aisément ces ré|)étitions (pii excluent l'idée d"une
simple inspiration d'après nature, et montrer l'usage l'récpient
de lypes symboliques des siècles précédents.
Nous n'en donnerons qu'un exemple ou deux :
L(! n" 588 du Musée de Bruxelles reproduit encore, même
au xvi" siècle, le crucifix du saint François recevant les
stigmates, appartenant au musée de Turin, et (|ui a été
reconnu comme une œuvre de Van Eyck (i).
Les II"" iî) et M) du même musée re]nvsenleiil la même
(il lliill. rfc.v ('.iiiiuii. nu/, il'iiii ri d'nirlicol .. 188."», .Nolico df M. 11. liymaiis.
— :>or) —
Vicrgfi dans une gloiro layonnanlo el onlourûe d'anges tout
à fait archaïques.
Le n" ];'), dans la figure du l'en; Kiornel, el dans les
anges velus de robes à rellels, montre clairenienl riinilation
des devanciers.
Nous ne citerons |)liis ([u'une dernière œuvre à l'appui de
notre conviction, mais celle œuvre est digne d'une altenlion
particulière :
C'est une Descente de croix attrihuée à Vander Goes, el
(jui se trouve dans la sacristie de l'église de Saint-Sauveur, à
Bruges.
Cette œuvre est à fond d'or quadrillé, de style archaïque el
a été reproduite au xvi" siècle dans un lahieauqui figurail à
l'exposition d'Amsterdam sous le n" '291, section rétros-
pective.
L'hôpital Saint-Jean de Bruges possède le même sujet,
mais de la tin du xv'' siècle, avec un fond de ciel remplaçant
l'or, et le musée de Cologne en a une ancienne copie
(u" r>()8) qui passe pour un original.
Or, l'hôpital Saint-Jean de Bruxelles po.ssédait autrefois
une reproduction de ce tableau, datant du xv siècle, et
d'une très belle exécution, sur fond noir, qui semble avoir
été en partie doré. Cette œ>uvre, qui a plus que toutes les
autres le caractère d'un travail de maître, appartient à une
famille de Bruxelles et nous la croyons vraiment de Hugo
Vander Goes.
Il est donc évident que si la nature était employée |)ar
les peintres de cette époque, le caractère ancien n'élait
jamais absent de leurs [)réoccupations. Il formait môme la
base de leur éducation, car les églises étaient |)our eux de
— 59G —
vérilables lml^ccs, <>ù ils alhiicut cliiTchcr leurs inspiralions,
el c clail dans le délail seul, el pcul-è(rc clans la couleur que
sV.NCiraienl leurs facultés naturalistes .
Toute cette élude a d'ailleurs pour but général de prouver
une fois de plus celte véi'ilé Irop contestée, que l'art n'est
point un )iroduil spontané du uénie, fju'il s'est toujours
composé au moins autant de science et d'expérience <jue
d'inspiration, el enlin (jue reclectisme est toujours le sysicnie
le plus l'alionnel, le seul pour ainsi dire capable d'élever
l'expression d'un artiste.
Ebi.Aii Bals.
Maître Jean BORMAN,
LE GRAND SCULPTEIR BEL(tE DE LA FIN DU W'' SIECLE.
— c-^SrfCo>&^ —
LE RETABLE DE L'ÉGLISE DE GÙSTROW.
AU GRAND DUCHÉ DE MECKLEN130URG,
EXÉCUTÉ l'AR Jean BOIÎJrAN.
et orné de peintures attribuées à Bernard Van Orley.
JEAN BORMAN.
L'hoinino dont le nom se Irouvc en fêle de ce travail est
un sculpteur belge de la iin du xv'' siècle, que le pays doit
honorer à l'égal de ses meilleurs artistes. Il était doué d'un
talent à la lois original et abondant. Nul parmi ses contem-
porains n'a taillé le bois avec plus de hardiesse et d'accent;
nul ne l'a animé d'un souille plus poétique. Il produisit des
compositions en haut-relief, qui valent incontestablement les
compositions de nos plus grands peintres de l'époque.
L'artiste portait le nom de Jean Borman. Le temps avait
complètement efïacé son souvenir. En fouillant les archives
de l'époque, on avait rencontré son nom; on avait constaté
qu'il avait beaucoup travaillé. Mais on n'était {)as parvenu
— Ô!)S —
;') rcirotivcr ses (uviires. Ce uv lui iiu'cn |K7(i (uruiic dc-
cuuvcrlc, l'aile dans un nianuscril (]c?, aivliives de Louvain,
nous pcrmil d'établir (|ue le relabic rcprésenlanl le Supi)licc
de. saint Georges, que possède le Musée de la porte de liai,
à Bruxelles, est sorti de son ciseau (i). Celle Iroiivaillc as-
signa à Borman une première place dans l'histoire de la
sculpture nationale. La découverte récente de son nom sur
un retable plus important encore (|ue celui dont il vient
d'être parlé, doit le l'aii'e considérer comme le plus grand
sculpteur belge de son époque. MaliieureusemenI, le dernier
retable se trouve hors du |)ays. Il décore l'église paroissiale
deGùslrow, ancienne résidence du grand duc de Mecklen-
bourg. Cet autel intéresse doublement la Belgique, l'œuvre
de Borman étant décoj'ée de peintui'cs attribuées à Bernard
Van Orley, le peintre de la Cour de Marguerite d'Autriche,
gouvernante des Pavs-Bas.
Un savant allemand, M. le D'' Frédéric Schlie, conseiller
auliquc et directeur du musée grand-ducal de Schwerin,
vient de consacrer un intéressant travail au retable de Giis-
Irow. Cette notice, accompagnée de belles planches photo-
graphiées, nous permet de faire connaître à nos conipa-
li-iotes cette seconde œuvre de Borman (-2).
En publiant, en 1877, dans ce Ihillcliii, un petit travad
sur le retable de la porte de IfaI, nous avons fait connaître
(1) l.'iiulciir (lu iclahlc de UD5 du Musée de lu porte de liai, it livuxelks,
dans le lUill. des Connu, roy. d'art et d'archéol. de 1877.
(?) ha.'! Mtarwerk dcr helden Uriis.'tpicr Meister J;iii Bonnnn uiid nerniiort
van Orlcy, in dcr l'farrkirche zn Giislrow. Ncun fidiophotiujraplikn mit Kuncr
ertduterung von Uofrnth lY Fricdricli Sclilic, Direct or de.i Groslierzoliclien
Muséums iu Schivcrin. Verla/j vou Opil, uml Comp , iu Gii^trow, 1883, iiifo'iu.
(|iiel({ucs reiiscigiicinonls sur .leati Bonnan et sur Pascal
liorman, son (ils. Depuis lors nos recherches nous ont luil
découvi'ir phisieurs tiélails nouveaux. Nous avons jugé ulilc
(1<' groupiM' ici les rcnsei,uneiuen(s biographiciues connus
jusqu'ici sur le grand arlislc, avanl tic nous occuper du
retable de Gus(row.
Dans les documenls de l'époque, le nom de l'arlisle esl
orthographié BounEMA.NS, Borreman cl Borma.n.
Ainsi qu'on le verra plus loin, un travail sorti de son
ciseau est signé Borman. C'est, à notre avis, la Ibrnie qui
doit i)réva!oir.
Borman a dû venir au liionde vers le milieu du xv' siècle.
On ignore jusqu'ici le lieu de sa naissance. Mais !c nom (pi'il
portail prouve qu'il était lïamand.
Il est renseigné comme fils de Jean Borman, le vieux,
dans un acte échcvinal du 9 janvier 1480, par lequel un
Tondeur de Bruxelles, maître Jean van den Naenhove,
s'engagea à livrer une j)orle en l'oiitc de laiton pour être
)ilacée à l'entrée du chœur de la collégiale de Sainl-Picrre,
à Louvain (i). L'artiste avait probahlemenl fourni le modèh'
pour l'exécution de cel iniportant travail, dont nous nous
proposons de nous occuper ultérieurement. Il avait un IVère,
Guillaume Borman, qui vivait en 1510.
C'est sous l'inlluence des maitres de l'école des Van Eyck
que se forma et grandit le talent du jeune artiste.
(i) « ... de somme van viffUcli l'iiisgiilden ^Ye!ku Jan Borreman, de onde,
eiidc Jan Borreman, zijn sone, wonende iiider siadt van Uruessele, gclocit
liebbuii iiidivisum den meesters ende kercmeestcrs, ten tyde wesciidc, le resti-
liiercn, in gevallc die selve mecsler Jan (van den Naenliovc) tvoirs. wcrik niet
en volbrachtc »
.kle dif ^ januier l'iS*), I«.
— 400 —
Rorman liahilail Briixellos.
Autrefois, (ians les villes de Belgiqu<\ les sculpteurs
faisaient partie de la corporation des maçons et tailleurs de
pierre, placée sous l'invocation des quatre Couronnés. I^a
Gilde bruxelloise avait, a l'église de Sainte-Catlierine, un
autel dédié à ses patrons SS. -Sévère, Sévérien, Gorpophore
et Victorien. Borman y fui admis en 1179. Dans .son acte
de réception , il est qualifié de Poorter ou bourgeois de
Bruxelles (i) Cet acte est la pièce la plus ancienne concer-
nant l'artiste, retrouvée jusqu'ici, A cette époque, lorsqu'un
ouvrier changeait de résidence, il était tenu de se faire
admettre à la bourgeoisie avant de pouvoir entrer dans un
corps de métier. Le te.xte de l'acte d'admission de Borman
à la corporalion des maçons nous fait supposer qu'il était
étranger à Bruxelles. S'il eût vu le jour dans celle ville, on
l'eût qualifié de bourgeois natif de Bruxelles ou geboren
poorter van Brussel.
Borman travaillai! à Bruxelles à une belle, féconde et
glorieuse époque pour l'art, c'est-à-dire sous le règne pros-
père de Philippe le Beau et sous l'administration intelli-
gente de Marguerite d'Autriche. Alors la capitale acluelle
de la Belgique offrait de grandes ressources aux artistes,
à cause des nombreuses et importantes constructions (pfon
y élevait de toutes parts. Grâce à ce mouvement, Bruxelles
devint l'une des plus belles villes de Pays-Bas.
Les sculpteurs bruxellois travaillaient pour les édifices
civils et les bùlels de laristocratie; mais ils travaillaient sur-
tout pour les monuments religieux. Les églises leur ofl'raient
()) Hegistre aux inscriplious de celle confrérie.
les plus grandes ressources. Ce lut alors (ju'on commença
à placer dans nos temples ces retables en chêne garnis d(;
liauls-reliels, abrités sous dos arcades ornées de dais et pi-
nacles ajourés, fouillés avec la délicatesse et la variété de
la dentelle. Cesaulcls, on W. sait, étaient polychromes avec
une graïuh; richesse. L(\s nuances chaudes et hrillanics de
l'or s'y mariaient aux couleurs les plus pures, les plus
fraîches, les plus agréables.
Dans la bourgeoisie bruxelloise, Jean Borman parait avoir
occupé un rang honorable. Il faisait partie, avec sa femme,
(le la confrérie de Saint-Sébastien, à l'église de Saint-Géry,
(jui constituait en quelque sorte une annexe du Serment des
Archers. Son inscription dans le registre de cette associa-
tion porte ce qui suit : « Jean Borreman, tailleur d'images,
et sa femme. » (Jan Borreman, ùcUsnycler, en syn wy/f.)
Dans celte Gilde, il eut pour confrère un autre artiste
remarquable, Mathieu De Waeyer, Tauleur des admirai)les
stalles de Sainle-Gertrude, à Louvain (i).
Borman était considéré, ainsi que nous le verrons à l'in-
slant, comme le meilleur tailleur d'images {die Leste meesler
beellsnydeie) de Bru.xelles. Il avait un atelier bien monté,
iccevail beaucoup de commandes el employait plusieurs
compagnons (yesellen). L'artiste était digne de ce succès.
On constate dans ses œuvres qu'il n'épargna rien, ni temps,
ni labeur, pour atteindre la perfection. Bien qu'imbu de la
poésie, du charme el du parfum des légendes sacrées, il
abandonna l'ascétisme outré, les niaigres figures des sculp-
(i) M. Alphonse. Wauters, liernard van Orley, xu famille el ses œuvres, daiis
le Uulleliu lie l'Académie roijule de Belgique (1881), ;r série, t. 1, p. 441.
— /.02 —
leurs anciens. Dans ses produclions, la i-oitleur des poses,
l'imniobililé exlalique des temps prccédenls, ont fait place
à une imilation plus exacte de la nature. Ses personnages,
bien campés, bien équilibrés, bien distribués, présenleni
de tous les côtés d'iieureux profils, des groupes cbarmanis.
Rorman travailla non sculemenl pour Hruxelles, mais
aussi pour les autres villes du pays.
En 1401, l'artiste exét'ula une statue en pierre d'Avesnes
représentant saint .lean rEvangéliste, pour être placée dans
l'une des niches du tabernacle de l'autel du Saint-Sacrement,
à l'église de Saint-Jacques, ùLouvain. Il restaura, en même
temps, une statue représentant saint Jean-Baptiste, décorant
le même tabernacle. Ce travail occasionna une dépense de
54 sols. Dans le compte de l'église de Saint-Jacques, l'artiste
est qualifié de tailleur d'images ou beehle.wyder (i).
Déjà Borman était un artiste en renom, lorsqu'il exécuta,
en 149"), pour la chapelle de Notre-Dame du dehors, à
Louvain, le retable qui se trouve actuellement au Musée de
la porte de ïlal, à Bruxelles, et qui doit être considéré
comme l'une des productions les plus remarquables de la
sculpture flamande de la fin du \v' siècle. En nous occupant
de ce splendide retable, nous pensions qu'il n'avait jamais
été polycliromé. C'était une erreur. Le travail a été enliére-
menl polychrome, il l'était encore en ISI", lorsqu'il fut
transporté de Louvain à Bruxelles. Malheureusement, il a
été nettoyé à une époque où l'on ne comprenait plus la haute
valeur de la polycliromie du xv' siècle. Depuis lors le temps
a répandu sur ces sculptures celte harmonieuse poussière,
(i) Compte lie l' église île Saint-Jacqxcs, li J.ourii'ni, de 1491.
— iOÔ —
code niagi(jue Iranie qui donne aux clioses du passé cet
aspect myslérieux où l'on ne rcconnail presque jilus la main
de riîomnie.
Au commencemeni du \vj' siècle, le métier des bras-
seurs était la corporation industrielle la plus puissante de
Lou.vain. Ce métier possédait à la collégiale de Saint-Pierre
un oratoire dédié à saint Arnould, son patron. En ITiO'»,
le métier résolut de doter cette chapelle d'un nouvel autel
dans le goût d(; l'époque. Il fallait évidemment un retal>l<;
en rapport avec l'opidence de la corporation. On en demanda
le plan à Mathieu Keldermans alias Van Mansdale, arciii-
tecte ou maiirc-ouvrier des maçonneries de la ville. C'était
un artiste de talent, à la l'ois architecte et sculpteur, mais
qui ne pi'ali(iuail que la sculpture en pierre. Mathieu Kel-
dermans appartenait à la grande lîimillc aitistique de ce nom.
Comme architecle de la ville, il avait succédé à un artiste
très remarquable, Alard du llamel, architecte, sculpteur
et graveur (i). C'était en iîiOi. Keldermans était un artiste
très laborieux. Il plaça des jubés en pierre d'Avesnes dans
les églises de Werchter, Tervueren et Notrc-Dame-du-Lac,
à Tirlemont. Il exécuta un magnifique tabernacle pour
l'église de Wetteren, en Flandre. Mathieu Keldermans avait
épousé Marguerite Uyter Ilellicht alias Lenaerts, qui lui
donna huit enfaiils. L'arlisie, qui élMii l]ls d'un autre Mathieu
Keldermans et d'Elisabeth Van Ilorenbeke, dicta son testa-
ment devant maitre Jean llcrbel.son, alias Tcsch, prêtre,
notaire apostolique, le 1 ;> septembre 1.j2G. Il mourut avant
le 9 janvier Iu27.
(t) Conf. noire notice snr Alard De llamel, dans le Diilh'lin du Comité delà
province de Itrahant de In Coi/ivii^sion r<ni(i]e des Mtommenh. ISS'-2.
— 404 —
Nous plaçons ici ces quelques lignes biographiques sur
Keldermans, rédigées d'après les actes des archives de Lon-
vain, par le molif que l'artisle eut des rapports avec
Borman (t).
Mathieu Keldermans fournil le plan denriandé par la cor-
l^oration des hrasseurs. Alors on avait l'habitude de confier
l'exécution des objets d'ameubleiucnl destinés aux églises,
non à un sculpteur, mais à un menuisier, par le motif que
la menuiserie en forme la base. Cependant le menuisier
n'exécutait que le meuble proprement dit, recourant à un
sculpteur |)our les parties décoratives de son travail. A cette
époque, il y avait un élan, un zèle et une entente admirables
dans l'art.
Le métier des brasseurs résolut de conlier l'exécution du
retable au menuisier louvanisle Jean Petercels, alors très en
renom. Le 8 février 1506, Petercels se présenta devant les
échevins de Louvain, à l'effet de contracter avec les bras-
seurs. Les contractants furent, d'une part, le menuisier ac-
compagné de sa femme, Gertrude Vasont, et d'autre pari,
Godefroid Zegers, Adrien Vander lleyden, Antoine Van
Bladel, jurés de la corporation, avec Josse Vrancx, Henri
De Gruyter et Jean Boschmans, maiires de l'autel de Sainl-
Arnould. Le texte du contrat, que nous avons retrouvé dans
les protocoles des échevins de Louvain, nous donne de
grands détails sur l'autel que Borman décora de sculptures.
Nous croyons utile de nous y arrêter un instant.
D'après le contrat, dont nous publions le texte en note, le
retable devait être divisé en plusieurs compartiments juxla-
(•) Actes des échevins dv l.oiivitiii de l50i à 1526.
— 4 or; —
posés et superposés les uns aux autres. Ces compartitiKMils
devaient être couronnés de dais ajourés, reposant sur des
colonnetles ornées de rinceaux dv houblon à cliàlons. La
parlie centrale devait comprendre un grand comparlirnent
et cinq petits compartimi^nls, ('es compartiments devaient
èti(! ,qarni.s de i-roupcs en liant-relief, représentant la
légende de saint Arnould. Un grand compartiment et trois
petits compartiments devaient être réservés pour y placer des
scènes de la vie du saint patriarche Job, tandis qu'un
nombre égal de compartiments devaient offrir aux regards
des sujets puisés dans la vie de saint Ghislain.
Dans le contrat, il est stipulé que tous les groupes et
toutes les statues isolées, destinés au retable, devaient être
exécutés par Maitre Jean Borman, demeurant à Bruxelles
{van de fiant meesler Jans Borreman, woonende te Brussel).
L'autel devait être achevé à la Saint-Jean (24 juin) 1508,
sous peine d'une amende d'un florin du Rhin pour chaque
semaine de retard.
Le bois à employer au retable devait être du chêne coupé
en bonne saison et sans le moindre défaut. Toutes les parties
pouvant être exécutées en ivagenschot, devaient être con-
fectionnées dans ce bois. Le retable devait être pourvu de
volets apprêtés pour être ornés de peintures.
Le prix de cet important travail était de 212 florins du
Rhin, somme très considérable pour l'époque, le florin du
Rhin étant une monnaie en or, d'une valeur intrinsèque
de 10 francs (i). Le jour de la |)assation du contrat, le me-
(i) « Gond zy allen lieclen dat Jaii Petercels, scrynraakere, heeft verdingt en
at'iii,'enomen te maken, tcgen Goirde Zegers, Adriane Vanderheyden, Anllioiie
Van Bladel, als -(■swoirnc vaiidfii lîrit'ders aml)achle,eii tetien den selveu Goirde,
— iOO ~
miisior Priorcels reçut une avance de 130 florins du Rliin. Il
loiiclin nno sornnio de 70 florins, le II) seplend>re l-SOT; lo
Joose Vrancx, Henric de Griiytere en Janiie Boschman, briecicren, als meesters,
nu 1er lyl, vanden Re^'imcnte van sinte Arnouts outaer, in Sintc Pelcrs kercke,
le Loevene, oen werck van eender tafelen, op don voirs. outaer, inder manieren
liier nae volgende : te wotone dat de voiis Jan Poteroels sal sculdicli zyn le
laakene, de voirs. tafele en backe, met zynen gesloeten docron, goel on werlyck,
uni vast le blyven, op dat nien dairop gocde vasleportcrtiiere inaken sal innegcii,
als di'M amliachle dat believen sal, en alsoe opgaende nit-l /yiioii tnJK'inatiilen en
melsi'irien fu wcUsel, gelyc don pati'ocn dat luitw yst, en golyck MATn\s Kki.ueh-
MANS, deser stadt niecster nielsere, don giunt vanden selven palrot-ii getrockrn
beeft, niet minderen niaer beteren, en den baek met synen poenlen, te vvelen
(iinidddste perck me! ceneu gioolen poenle en vyf cleyn poenten vanden levene
oit miraciiien van Sinte Anionll; de twee andcre percken van Sinte Job en Sint
(leleyn, yegelyc een groot poent en drie cleyne poenten, oick van hueren levene,
als voere, alsoemen dit bevinden sal met barer legcnden, en die percken vulkn
gelyc nien die werekeliexsl sotten sal moegen. Knde dose beelden en aile die
beelden, die lollen wereke bibuiren selen, onder en boven, dat die gomaiet sden
syn vaudcr liant mee.sler Sa^s Bop.reman, woenenûc le Bntesscl, ende die cboercn
vanden backe selen vercort syn vereroest als dat Itelioirl. Knde voirt n-ecr dan
inl patKten slaet, sce sal Jan voirs. opden voct vanden backe, stellen een rancke
van luippeeruyt en bellekens dacr aen liangende, met gecrnesden sne-^de. Knde
alsoe die vierpilairen, vanden drie cliuren,omgaende de sammarar.de oie doiilogi'u
met eender ranckcn en loveren alsoe dat beboeren sal. Knde voirt de drie taber-
naenlea sal liy beteren, te weten den middelsten gelieel veranderen en noeb alsoe
goel maken dan by int palroen stael.Knde de twee andere dobbeleren de panneelen
gesereven. Ende voirt soe sal by de vier ronde | ilairen aebter de tabernaculen
veranderen en onitreeken met rancken en loveren en belir-kens als voere, in
bebangen aietter devyseii vanden ambacbte vande liriedtrs voirs., alsoe alsmen
dat werckelic bevinden sal. Knde die eapiteelen, boven die pilaircn, dair dwelfsel
op com(;n sal, snllen docrlueliticli gestoken wordilen, en met bueren loveren
bebangen werdJen. Knde de voye vanden welfsel sal Jan voiis. dobbelen en met
gecrnesden snede met loveren voer bebangen, gelyc dat beboeren zal, ende vier
tabernaculen, op dwelfsel staende, sal by elc twee Pbilips gnlden beter maken
dan zy op Ipatroen slaen. Ende oick de repryscn dair de groete beelden op staen
selen, sal Jan voirs. oie doerlncbticb steken, alsmen ryrkelycxt maken macb.
Knde sal Jan voirs, al tvoirs. werek scnldicli syn te makene van gocden druegen,
rypen, lierden houle, sonder ecnicli fouw oft ryscellicbeyl en al ilatnicn van
wagenseot maken macb, dat sal by sculdich syn van wagen.scot te maken, en al
vidmaiet te bebben van Sint Jansmesse nver een jaer naistconiende, op alsulcker
vuogc ende condilii- soe verre de voirs. Jan tvuirs. wenk, inder maten als voere,
ti'U tvd«> vdirs. nii-l volinaii I en liaddc. sid ib- Si'lve J:ni, in dieu L:(V;dle, sruldiili
— 407 —
12 janvier IbO^i, il reçut nno somme do ;iO iloiin.s; le 1 1 du
même mois, ^2*2 llorins; le II m;irs suivanl, "20 llorins
7 sols; enfin, le I.S mai suivanl, 1» norins e( 0 sois (ij.
syii le coillen vandor snminen, dii' liy diieraf \n'hWt\ f-:i\, uUi' wcki'ii, ilt-n voies.
Siiil Jansmc-ssft ledon syiide, oeiien RiiiSL;iildoii van \\ f^Uivers. Kiidc licldieii di-
voirs. im>estors vaiidcn noiiiriioiite, indcii naiiif als liovcii, don voiis. J;iniii^
L'floeft v<ior dniaken \and(Mi voiis. wcrcKe de somme van twct; hondert Rinsguldiii
cil twt>lf Rinsgnldfn, te Iwinliili sliivcrs slufl;, Je bfdaleno, te welen : de dcilidi
ninsgiildon dacraf tiissclien dil en nior^en avont, nodi Isevciilicli [{insgnldeii
Sint Jansmessc riai.slcomende, notli \)l\kh Hinsgnlden te Kersmissi; naistio-
mende, ende tsnrphis Sint Jansmesse daer naest volgende, soe verre dwertk
alsdan gemaict is. In desen ondersprokcn en bevorweert, al eest alsoe dat de
dage van betallnge genomen syn als boven, dat nocbfans dien niet tcgenstaende,
soe verre de voirs. Jan ten dagen van betalingen comen synde, niet soe vêle
verdient en badde, by estimaticn datnion liom niet nicer stiiidicli en soude syn te
ghevene, dan hy verdient en hadde. Ende tsinphis daeraf bliven tôlier tyl loe dat
by nieer verdient badde. Ende is oitk conditie dat de voirs. Jan senldidi sa! syu
te nianen en betalinge te eysscben dcn mee.slers vandon PiOgimenle synde Icn
tyde als de terniynen van betalingen vallen sulien ; niet tegenslaende de meesters,
nii terîyt wesende, dese coraenscap voer seepenen passeren. Item, sa! de voirs.
Jan sculdich syn aende voirs. somme van ij<"xij Rinsgulden te eorten en le
nemen aile de penningen die meestcr Jan BoaREJUNs, le Bi'iii'ssel, verd'ieueu sal,
int snifiien en mahen vandevoirs. beeldeii.Ende aile dese condilien en vorweerden
hebben de voirs. Jan Petercels en (Jeerlrnydl Vasont, ter ecnre, en de voirs.
niceslers en geswoirncn, indcn nanie vanden voirs. anduiclite, malcanderen geloel't
te voldoene. Absoloens, lloeven, lebr. viij. »
Acte érhevhial, du S /i>. I.^OG, P.
(i) « Jan Petereels beelï bier op bcKent onllangen te bebben xxx FUnsgulden,
te XX stnvers stnek, febriiarij ix anno xv scpto, stilo Braiiantla'.
» Item, de voirs. Jan l'elerceis beefl liierop nodi ix'keni onlviingeii te bdiben,
van de gesworen vanden brieders ambaclile, de somme van tsevcididi Hiii=gn!den;
te XX sluvers tsliick, september xv, anno xv- en zeven.
» Item, devoirs. Jan Petercels hierop noeh bekenl onlvangen tebebben v;inde
voirs. geswoeren de somme van vyftich Rinsguldcn, janiiary xij, anno xv vij,
stilo Brab.
)> Item, nocji lieeft de voirs. Jan l'cten i-Is bekent onlfangen te bebiien vande
voirs. gesvvoerenc de somme van iwccnt twinlieh Rinsgulden, jannary xi, anno
xvviij, stilo Brabantia>.
» item, nocb heeft de se'.ve J;iii INIerceN bekenl nnlfimgen le bebheii vaiale
— 408 —
A la dalc slipulée dans le c-oiilral, le retable n'clail pas
complètcmenl achevé. Nous en ignorons la cause; mais
nous savons que la corporation des brasseurs se vil obligée
(\o menacer le menuisier d'amendes pour obtenir l'achève-
nicnl (In Iravail. Le 11) avril I0O8, Jean Pelercels se pré-
scnla (l(>vanl !<• bourgmestre d(î liUiivaiii vi y promit à la
corporation des brasseurs de fournir, endéans les (juinze
jours, ce (pii manquail encore au retable. Il y promit, en
outre, à Guillaume Borman, frère de notre artiste, de lui
payer une somme de 9 florins du Rhin et 4 sols, pour sculp-
tures fournies par Jean Borman, pour la décoration du tra-
vail dont il s'agit (1).
A cette époque et même trois siècles plus tard encore,
personne ne pouvait placer, dans un édifice civil ou reli-
gieux de Louvain, un travail exécuté en bois, à moins d'avoir
été reçu dans le métier des menuisiers, dont les statuts
geswoorne de somme van Iwinlieh Hinsgiikieii, vyf stiiyvers, mey xiiij, iiiiiio
xv'viij, slilo Brab.
» J;iii l'flercels heeft gekeiit alnoch gelieven te liel)ben viinde geswoerenen
Viiiiden biieders arubachte, mey xv, aiino xv^ix, ix Rinsguldeii enilo vier stiivi-rs. »
Aiiuolalions marginales à l'acte du 8 février 150G, !•>.
(ij « llcm, Jaii Peteicels heelt geioeft deii ge/.woirenen vanden briedeis
ambaclite aile tghene dat aliiodi iiiel vtdmaiet en is aeiideii oulaer vanden selven
ambacble. stacnde inder kenken van Sinle Peelers, le l.oeveneii, bynnen xv dageii
naesteomende te makene ende te vo'doene, nae inhouden vande eonditien vanden
verdingeii, voer scepenen brieven van Loevene gepasscert, ter visilatien van
mcesters, ende teii eyndc vanden selven xv dagen, hecIt gelfol't de voirs. Jaii
Petereels, Wii.lemme Bokkemans, aïs proenreur Jaiis zijiis bnieders, alsiilckc
negen Kinsguldeu en vier stuvers, te laelen Vdigen vanden voirs. geswoirnen,
die de voirs. meestere Jan Bonitr.MAKS aan een gedeeite vanden voirs. wenke
geraaect, verdient beeft. Ende oft in enich van desen gebrecke viele, dat de voirs.
Willem Borremans, inden nanie als voere, sal moegen pandeii ende die pande
exetntcren oft Janne Petereels doen bachten, sonder nieer rerhts te versneiken.
(".uram Vckenc, iJurgernagistia, apiilis xix. »
Acte éclteviital du l!i uenl liiOS, ô''.
— i09 —
avaieni ('lé upprouvrs pur le conseil coiiiimin;!!, (mi 14.15.
KlaiU sur le point ch; fournir les sculpliircs (pnl venait
d'exécuter pour l'autel dos brasseurs, Jean Borinan se lit
admettre dans le méder des menuisiers de Louvain, croyant
satisfaire ainsi aux lois des jurandes locales. Il se trompait,
ainsi que nous allons le voir. Dans nos anciens métiers
l'admission d'un confrère habitant une autre localité était
avant tout une affaire fiscale, le récipiendaire ayant à payer
un droit d'entrée souvent notable. Or, le métier des maçons,
tailleurs de pierre et sculpteurs, instruit de l'admission de
Borman dans la corporation des menuisiers, s'y opposa
formellement, alléguant que l'artiste lui appartenait, attendu
qu'il était non menuisier, mais sculpteur. L'aiïaire fut portée
devant le conseil communal, qui obligea Borman à se faire
recevoir dans le métier des maçons, tailleurs de pierre et
sculpteurs, et à payer le droit d'entrée (ixé par les
statuts (i).
Nous avons rencontré ces détails dans un prononcé du
conseil communal du 12 avril toOl), en cause du métier
des maçons contre le métier des menuisiers, au sujet de la
réception dans la seconde de ces corporations d'un sculpteur
du nom de Henri Van Tongerloo, qui habitait Malines, et
qui venait de placer à l'église de Saint-Pierre, à Louvain,
un nouveau retable dédié à Saint-Léonard. Cet Henri Van
Tongerloo, qui parait avoir été un artiste de talent, était
originaire de Louvain. II était fils d'Antoine Van Tongerloo,
brasseur, et d'Anne Minnens. Le brasseur Van Tongerloo
exerçait sa profession dans une usine située au bout de la
(i) Aclc échevinal du 12 avril Io09, in l^
— ilO —
iu<j (.kv-RccollcIs, prùs de la l'oiilaiiic M|)iicl(Jc Dollenburne. Il
iiiourui avanl le 7 levi'icr loOi; à celle dale, sa feiniiie était
epalriuonl tlécédée.
Le l'clahle exécuté par Jean Pctcrccis el Jean Doi'inan
pour l'église de Saiut-PieiTe, à Louvain, était un travail tout
a l'ait remarquable. Dans un acte éclicvinal du "21 juillet
l.j2i, il est qualifié tic deau el iiieiiE altel (ccnen brliuoncn
en costelyclccn aiilacr) (i).
En 17'i(), la corporation des brasseurs lit complètement
renouveler la décoration de l'oratoire ({u'ellc possédait dans
notre collégiale, dans le style Louis XV, aloi's à la mode. Le
retable de Bonnan lui remplacé par un autel en marbre,
orné d'un tableau de Ballhasar Besclicy, reju'éscnlant
î>S.-Jol), Arnould et Gliislain. Nous ignorons le sort du
vieux retable. Il est possible, probable même, qu'il fut j)lacé
dans l'église de l'un ou l'aulrc village du Brabant.
Jean Borman travailla non seulement le bois, mais aussi
la pierre. En 151 1, il exécuta un lion en pierre, d'une hau-
teur de sept à huit pieds, poui' e!re placé sur le l'aile du pa-
lais de Bruxelles. Ou le lui p;i\a ~> livres 'J sous, de iO gros
lu livre (2).
'1) « Aldaci' SIcrck Crob, Laïuvys \aii Tliiencii, Claes vaiulcr Hcytlcn cii
Hcndrick van 'Ihieiicn, als gezworeii van dcu Briedcrs anibaclile, Inniidi dcr
hladl van Eocvon, dcii li;iidc van dor sclver .sladt, ijict supplicalicn, le kvniicn
i,'Ogcvcn licMicn gcliult,dal tvoisc.anibachllnimcii û'-v ki'irKon van SinIcPcckrs,
ter oere Goids on Sinl Ainoiil, Job cndc Gcleyn, liadde dncn niakeii ceiieii yclioourii
codi'hjrken aiituer, vcrslaeii licbbcnde dallci ^oinmigc pcrsiiencn gcwccst warcn
daer (oc dcvotie liebimndc, die in nioyninge liadde s-'cweesl, op don seUon aulaor
le fondcrcn cône wecckmissc, elo. 1-
Acle cchevitKfl du 2" uvril IS54 (Stalnls, 1" i«0).
{i) « Janne Eorreman, l)cclde.siiyderc,i'ompt by appoinlcnicnle van den Ikcron
van dcrCînicrf'M van do rckcnin^, le Biucssclc, iobciovcn XNiiij" octobris a" xv,
-- ni —
Vers la iiiènic (!'|>u(|U(>, rai'clii'hiL' Maxiiiiilicn d raicliiilu-
clicssc Marguerite d'Auliiclio arrclèrcnt le projd (reiilourcr
la place qui se Irouvail devant le palais tic Bruxelles d'une
enceinte carrée, rorniée d'une balustrade en pierre bleue,
un peu plus élevée qu'à liauleur d'aj)pui. Des |)iédcstaux et
trente colonnes octogones devaient snrnionlfr la galerie.
Les fondations de cette enceinte, à laquelle on donna lu
dénoniination de Cour des bailles, furent jetées le 15 mai
llilO; mais suspendu en loKJ, l'ouvrage ne fut entièrement
aclievé qu'en rjil. Deux arcliitcctes de valeur, Antoine
Keldermans, le vieux, et Antoine Kcldermarjs, le jeune,
avaient donné le plan du liavail. Les piédestaux devaient
porter les statues en bronze i\cs ducs et duchesses de Bra-
banl, tandis que les colonnes devaient être suraionlées de
quailruj)èdes et d'oiseaux.
La fonte de ces statues fut conliee à un artiste bruxellois
bien connu, Renier Van Thienenfi). Mais pour entreprendre
celte tâche, il lui fallait avant tout des modèles de grandeur
voulue. Un peintre bruxellois, maiire Jean Van Uoomon
alias van Bruessel, dont nous pai-lerons plus loin, dessin;»
les effigies de nos anciens princes pour faciliter le travail de
celui qui allait être chargé de l'exécution des modèles. Un
document oflicicl l'elatif à cette affaii'e nous apprend (pie
ciiilc voire 'l facliocii van eciicii stcyncnr Iceinvc; ,i;lieslcU op tcn j^hovclo acii
iiiyncrc gcnedicli liceie Sale, int lioll' te Biuosscle, die soiiimo v^ii iij l;!i. v st.
Kicoîcn. »
Ikifistre (le la Chambre îles cjniplcs, n" :2lO"v
(i) « Ilejncre van Tli'cncn, glieelgietero, woeiicnde in desen sladt van
Urupssel ». Compte de consIrucHon de la place dite Cour des II ailles, à
Bruxelles. Voyez M. A.-G.-B. Sciiayes, Aualectes archéologiques concernant la
Belgique. Anvers, 18j7, p. ■Ht.
— Il "2 —
Bormaii élnil alors considérù cumiiic lo pi-einicr sculplour
(le Bruxelles, (ju'il était surchariié de besogne el (\n\\ tra-
vaillait avec plusieurs compagnons (t). L'administration de
In Chambre des comptes lui confia l'exécution des modèles
en bois de chêne des statues et animaux destinés à la déco-
ration de la cour des bailles. Chaque modèle de statue de duc
de Brabant devait avoir une hauteur de o 1/2 pieds. J.c pri.x
de chacun d'eux fut fixé à io livres Le bois dont l'artiste
avait besoin provenait de I;i forèl de Soignes Le 10 mars
lolO, un voiturier transporta de Tervueren à la demeure
de Borman, à Bruxelles, un chêne dont le sculpteur devait
tirer deux njodèles de peisonnages et plusieurs modèles
d'animaux (2). Après la fonte, Borman devait nettoyer ses
modèles avec le plus grand soin, à l'effet de les l'aire poly-
chromer pour être posés dans la grande salle du palais de
Bruxelles, circonstance qui prouve le cas qu'on faisait de
ses œuvres (5). Le sculpteur avait, en outre, l'obligation
d'aider le fondeur dans la préparation des moules. Borman
fournit quatre modèles de statues et onze modèles d'animaux.
Renier Van Thienen se mit à l'dMivre; mais il n'acheva (pie
(i) « Mee.sleren Janne Borrehan, healdcsni/dere, woeiiendc iii descr sladt
van Briiessel.... dcn selven belailf voer zync (fesellen, le diitugi-lde, zoe men van
gelyken alsiilcken wcrduden doct. opdat zy zoudcn hiil|ieii l)eriislcii onde
haesten dat die patrooncn i,'eniacct worden, ;ieng'V.icn oicK dut liy nrl tindcr
zwaer werri; haddc, eiiilo dat hy die reste meesteh heici.dsnyder es, by appoiii-
tenionl van der canieren van derdate van xxviij aprilis anno xiij, hier over gcgc-
ven, de somme van x sluvers ». Compli' de ht roiisiruciioii, 1" 8.
(î) Compte cilé, l" ."8.
(3) ....cnde die zelve tigncren gcijolen wcsendeC&a! Meesterc .lanne Borrernan)
die voirsc. hoiiten beelden wcderom vuegon, loiniercn cnde reyiiiycken opmakon
oin die scivc le moegcn docn scilderen endesloffereu, in zuicker wyse dat die
mochlen gcsedl worden in degroote sale ons genedich lleeion nfl el>\vair. (iair
dat geordincert soude worden d... Compte cité, f" 7.
(iucl((ucs ligures (ruiiiniaux el i|iialrc slaliic.^ n'iirû^^eiilaiil,
Gutlefroid le Barl.ii, GodelVoid H, Maxiiiiilicn (rAiilriclK." cL
Cliarlcs-Quiiit. Ces (jualre slaliics, qui élaienl de giautleur
naUirclle, l'urcnl placées aux deux ciUrées principales de la
Cour des bailles. Chacune d'elles était du poids de 8(»0 livres
cl coula 1 19 llorins du Rhin. Quant aux ligures de (juadru-
pèdcs et d'oiseaux, elles j-erurcnt d'autres destinations.
Trois de celles-ci furent remises, en 1517, au menuisier de
la ville, pour les utiliser dans la construction de la Maison
du Roi ou Bioodhuis. Après la destruction du palais de
Bruxelles, parle terrible incendie de 1751, les quatre sta-
tues de Borman furent déplacées. L'une d'elles fut érigée
au rempart avoisinanl et brisée en 17D0; les autres, ((ui sur-
montaient les piliers de la porte du rempart, rue Ducale,
furent renvei'sécs en 1795, par les Républicains. Elles ser-
virent à la fabricalion de monnaies en billon (i)-
Jean Borman doit éli'e mort vers i;>:20. Mais toutes re-
cherches faites jus(iu'ici pour découvrir l'année de son
décès sont restées sans résultat. Après sa mort, le silence
el l'oubli descendirent sur son tombeau.
L'artiste laissa un lils, P.\squeu ou Pascal Bofima.n, ipii
suivit la carrière |)alerneile el (|ui devint un sculpteur de
talent. De bonne lieure, le père l'associa à ses travaux.
Pascal l'aida au retable qu'il exécuta, en L>1(>, |»our la
confrérie du Saint-Sacrement, à l'église de Saint-Pierre,
d'IIerenlhals. Il travailla ensuite pour son propi-e compte {-i).
(i) MM. Hennl et WAUTEiis, Ilisloiie de la ville de Bruxelles, l. lil, \>. ô'ii.
(■z) Il travailla, en lolO, aux travaux de la Cour des Bailles. Daus le compte,
011 lil ce (jui suit : « Item, I'al-sschilu Boukema», bceldsuydcr, \iij bliivcrs ».
— 4U —
En IblO, il sculpta liois bas-reliefs pour cire placés clans le
retable de la chapelle de la confrérie de Saint-Éloy, à
Bruxelles. Il plaça, on 1517, quatre bas-reliefs dans le sou-
bassement de l'autel de l'église de l'hôpital Saint-Pierre, de
la même ville. Cinq ans après, il y plaça une niche garnie
d'une statue de la Sa in te- Vierge. En 1 r)!29, il acheva pour l'église
(lu même hôpital, d'après un dessin fourni par un peintre
bruxellois, appelé Philibert Beeckman. Celait un travail
d'une certaine importance, attendu (pi'on le lui paya
60 florins du Rhin. L'artiste travailla encore pour le mémo
édifice en 1530 à 1536 (i). On ignore jusqu'ici l'année de
sa mort.
L'église de Sainte-Waudru, à Herenlhals, renferme un
retable de Pascal Borman, signé de son nom. Ce magnifique
travail, qui représente, en sept grou|)es en chêne, le martyre
des SS.-Crépin et Crépinien, j)rouve (pie l'artiste avait
conservé les traditions de l'atelier de son père. Aussi bien
au point de vue du style qu'au point de vue de l'exécution,
il existe une analogie frappante entre le retable d'Heren thaïs
et celui du Musée delà Porte de Haï, à Bruxelles (2).
Tels sont les renseignements sur les deux Borman qu'on
est parvenu à tirer de la nécropole des archives. Nous espé-
rons que de nouvelles recherches viendront compléter les
faits connus et qu'on parviendra ainsi un jour à reconstituer
l'histoire de ces deux artistes si dignes de vivre dans les
souvenirs de la postérité.
(0 Notre notice citée plus hHut.
(i) Voyez l'article de leu M. P.-D. Kiiyl, dans les Annalex de l'Académie
d'archéologie de Belgique, V série, t. VI.
— 415 —
II
LE RETABLE DE GUSTROW.
L'autel de Giislrow csl un retable polyplicjuc, c'est-à-dire
un retable avec volets ornes de peintures. C'est inconlestablc-
nienl l'un des plus grands morceaux de sculpture exécutés
en Belgique dans le premier quart du xvi' siècle. Dans ce
travail, Borman avait à traduire par la |)lasliquc le grand
drame de la passion du Sauveur. C'était une lâche considé-
rable. Mais, à cette époque encore, la composition d'une
œuvre d'art ne traduisait pas la pensée exclusivement per-
sonnelle de l'exécutant. Le sculpteur, commc^ le peintre,
avait toujours recours aux lumières du savant. C'était le
théologien qui inspirait et guidait l'artiste, et l'œuvre était le
résultat de l'alliance du talent et de l'érudition.
Le retable de Gûstrow, entièrement en bois de chêne, est
divisé en treize compartiments juxtaposés et superposés les
uns aux autres, à l'exception de celui du milieu, qui prend
toute la hauteur de l'autel. Les compartiments sont cou-
ronnés de dais ajourés qui offrent toute l'abondance, toute
la pompe et toute la délicatesse du style ogival tertiaire.
Les groupes sont placés de la manière suivante :
i
2
3
7
8
10
12
4
5
6
9
M
13
— IK) —
1. La dernière Cène; 1:2 person liages.
2. Le Christ aux Jardins des Olives; !() ])(;rsoniKi;^rs.
5. Les juifs injuriant le Christ; Il perso!)ii;iuos.
A. Eecchomo! — 14 personnages.
V). Pilate se lavant les mains ; 10 personnages.
G. Le portement de la Croix; 10 personnages.
7. Le calvaire ; le Sauveur crucifié entre les deux lar-
rons; 20 )>ersonnagcs.
S. La Descente de Croix; 10 personnages.
0. Le Christ mort sur les genoux de sa Mère; 10 person-
nages.
iO. Linhumalion du Christ ; 10 personnages.
11. La Résurrection du (Jhrist; 9 personnages.
12. La Tî'ansfiguration ; \^i- pcvsoimagGs.
15. Les trois apparitions du Christ : i" k Marie- Maclc-
laine; 2" à sain!, Pierre; 5" aux disciples irEinmaiis.
On lil les mois Taiere et faire sur le baldaquin du
groupe rcprésenlanl les juifs injuriant le Sauveur. C'est
très probablemenl une devise de famille qui nous fera
connailro un jour le nom du donalcur de Taulel.
La predella ou partie inférieure du rclable se com()osc de
treize arcaturcs séparées alternativement par une colonette
et par un pendentif. Ces arcatures sont garnies de statuettes
du Christ cl des douze apôtres.
De même que dans le retable du Musée de la Porte de
liai, Bornian se montre dans l'autel de Giislrow un artiste
d'une conceplion puissante et d'une grande hardiesse dans
l'exécution. Bien qu'apparlenaiil à l'école de sculpture du
xv° siècle, il semble ne pas dédaigner le mouvement qui va
renouveler les formes de l'ail par IV:tiide des œuvres de
— 117 —
l'anliquiiL'. C'est clans les cosliimes oi les armes de ses
groupes qu'on remarque qu'il voi( poindre à l'Iiorizon l'au-
rore de celle belle renaissance llarnande ((ui devait aijoulir
au tabernacle de Lcau.
Dans le retable de Giislrow, l)0rnian déploya loules les
ressources de son talent. Les groupes se distinguent par la
poésie de l'invention, la beauté de rarrangemenl et la pro-
fondeur de l'expresion. Ils se composent de staluetles pres-
que entièrement dt'iachées. Plusieurs scènes sont traitées
avec une force el un pathétique vraiment à la hauteur des
sujets. Les physionomies des personnages rendent l'idée et
l'émotion. Les tètes des femmes sont charmantes de carac-
tère et d'expression. Dans les draperies, l'artiste montre une
grande habileté. Le jet el le pli des vêlements forment tou-
jours des lignes correctes et agréables. Quant aux attitudes
des personnages, elles sont pleines d'aisance, de mouvement
el de vérité.
L'artiste sait toujours rester large jusque dans les détails.
Quoi qu'il recherche beaucoup le fini, il n'est jamais rond ni
léché; il ne tombe jamais dans ce poli d'ivoire qui dépare
souvent les œuvres sculpturales modernes.
Les hauts-reliefs du retable de Giislrow ont un double inté-
rêt poumons. Non seulement ce sont des productions sculp-
turales de premier ordre, mais aussi des pages d'histoire
par les fragments d'architecture et les meubles qu'on y
observe, ainsi que par les costumes des personnages. Ces
scènes nous transportent, en quelque sorte, au xvi' siècle et
nous montrent les habitudes, les mœurs, le luxe et les idées
de l'une des époques les plus mémombles des annales du
pays.
— 418 —
Polychromes etdorés d'une manière splendide, les groupes
du retable de Giistrow forment autant de tableaux en haut-
relief, pleins de fraîcheur, de richesse et de vérité.
L autel porte l'indice de sa provenance dans le mot
Bruesel, qui y est répété sept fois à des endroits diffé-
rents (i).
Sur le fourreau du glaive d'un soldat qui se trouve dans
le groupe représentant le portement de la Croix, à droite,
le nom de l'artiste est scul|)té en caractères gothiques, sous
la forme suivante : Jan Borman, ce qui ne peut laisser aucun
doute sur l'auteur de ce grand travail.
Nous avons publié l'extrait d'un manuscrit des archives
de Louvain, d'où il résulte que le retable de la Porte
de Hal est l'œuvre de Jean Borman. Aujourd'hui, nous
n'avons plus besoin de cet extrait pour établir que les autels
de Bruxelles et de Giistrow ont été exécutés par un seul et
même artiste. La manière de grouper et de draper les per-
sonnages est la même dans les deux retables. Dans les
groupes du retable de Giistrow plusieurs hommes ont la
chevelure bouclée ; la même particularité se reproduit dans le
retable de Bruxelles. La tête de Pilate, avec sa barbe tressée,
que l'on voit dans les scènes de la passion de l'autel de
Giistrow, se retrouve dans l'autel de Bruxelles.
En examinant attentivement le retable de Giistrow, sur
les photographies publiées par M. Schlie, nous avons
constaté une notable dilTérence dans la facture, le rendu,
des sculptures de ce grand travail. G'est ainsi que les
(j) Deux f<iis sur chacmii' dtN punies latérales tiii rotalile; trois fois sur la
partie cenlrale.
— 419 —
groupes représonlanl la Mise au lomb,;au ol les Apparitions
du Christ, sont d'une exécution beaucoup plus remaniuable
que les groupes liguranl la Cène et le Christ au Jardin des
Olives.
Celle circonstance semble prouver que ces compositions
ont été exécutées par des praticiens différents. On sait que
Borman en employait un certain nombre.
Nous ne connaissons pas les vicissitudes du retable de
Gùstrow; nous ne savons pas commentcettre œuvre flamande
arriva dans le Mecklenbourg. Mais nous avons la salislaction
de faire connaître qu'il n'a pas subi le sacrilège d'une restau-
ration inintelligente, comme beaucoup de productions de celte
époque. Ce beau travail a le grand avantage d'être dans un
état de conservation parfaite. Il a encore sa polychromie
primitive, et cette décoration est encore aussi fraîche, aussi
vive, aussi brillante que le jour où elle fut achevée.
L'autel de Giistrow est postérieur à celui de Bruxelles.
Le style l'indique d'une manière certaine. On ne connaît
pas l'année de son exécution. iM. le D' Schlie affirme qu'd
fut placé à l'église paroissiale de Gùstrow en 1.j2;2. Mais il
a pu être exécuté plusieurs années auparavant.
M. Schlie croit avoir retrouvé un troisième travail de
Borman dans l'autel de la chapelle capitulaire de l'église de
Sainte-Marie, à Lubeck. C'est là encore une œuvre magis-
trale qui fut exécutée en 1318.
On découvrira, nous n'en doutons pas, d'autres travaux
de ce grand artiste. Mais n'eùt-il produit que les retables de
Bruxelles et de Gùstrow, il aurait le droit d'occuper le
premier rang parmi les sculpteurs belges de son temps.
Le retable de Gùstrow est orné de (|uatre volets décorés
— 120 -
(le peininrcs (\o loul premier ordre. Ces jieinlnres rcpré-
senlenl les sujets suivants :
\° Saint Pierre. Il est dcboiil, porte une robe verte et un
manteau bleu. Dans la main (.Iroite il tient une rlef, dans la
main gauche, un livre ouvert. An second |.l;in, à gauebe,
l'on voit l'arrestation du |)rince des Apùlres ; à droite son
crucifiement;
2" Saint Paul. 1! est debout, porte une robe verte et un
manteau rouge. Dans la main droite il lient un glaive, dans
h main gauche, un livre ferim'-. Au second |tlan, à gauebe,
l'on observe la conversion de saint Paul, sur le cliemm de
Damas; à droite sa décapitation ;
r»' ijWnnoncialion de la sainte Vierf/e. Au premier plan.
Marie agenouillée, écoutant les paroles de l'ange. Au second
plan, à droite, on voit la ))réscn!ation au Temple; à gauche,
le mariage de la Sainte Vierge;
4' La Sainte Vii'rge avec l'enfant Jrsus. Elle est debout,
tenant sur le bras droit son divin enfant, auquel elle pré-
sente, de la main gauebe, une jioire. i\larie porte une robe
verte et un manteau bleu; l'enfant Jésus, une robe rouge
jaunâtre. Le fond offre un paysage;
.')" Sain/e Catherine. Elle est debout, porte une robe de
drap d'or et un manteau ronge. De la mnin droite, elle tient
un glaive, de la main gauebe, un pan de sa robe. Sa tète est
ornée d'une riche couroime. Aux pieds de la sainte gil
l'empereur Maxime, dans le i-icbe costume du xvr siècle;
6" La décollation de sainte Catherine. Au premier |)lan,la
saint*! agenouillée, prèle à être décapitée; derrière elle, lo
bourreau posant la main gauche sui' la tète de la sainte et
brandi«;sant de la main droite le jLiliiivc. .\u second plan, à
— 421 —
gaucho, on voit le supplice, por le IVu, des philosophes
convertis au Christianisme par sainte Catherine ; à droite,
la sainte invoquant le ciel devant la roue mise en pièces par
la foudre.
Les figures des apôtres Pierre et Paul, ainsi que celles de
la Sainte Vierge (n" i) et de Sainte Catherine (n" !>) sont h
peu prés de grandeur natuivlle; celles des premiers plans
de deux autres volets sont moins grandes, étant des compo-
sitions.
Les peintures des volets du relahle de Ciistrow sont de
vrais chef-d'œuvre de l'écoh^ tiamande du premier quart du
XVI* siècle. Leur auteur doit, ;i coup sur, être considéré
comme l'un des meilleurs peintres helges do l'époque. M. le
D'Schlie affirme qu'il ne le cède en rien à son compatriote
Quentin iMetsys. C'était, en tout cas, un artiste qui avait
l'élévation delà pensée, la sévérité du style et le sentiment
de l'idéal ; c'était, en outre, un praticien nourri de saines
éludes, doué d'une rare fai'ilité, exercé à toutes les conve-
nances du métier. En examinant ces locaux panneaux, on
constate qu'il s'était formé à l'école du xv* siècle. Tous ses
sujets sont conçus dans le sentiment des maîtres de cette
grande époque de l'art. Cependant on y rencontre, çà el là,
des traces de l'influence italienne qui souillait alors dans
noire pays. La scène représentant la décollation de sainte
Catherine annonce l'approche de la renaissance.
Les personnages des volets du retable de Ciistrow sont
hien campés el bien drapés. Ils sont d'un dessin ferme el res-
senli. Les apôtres Saints Pierre el Paul se distinguent par
l'austérité de leur tournure et l'ampleur de ItMir draperie.
Leurs lèles son! «l'un l»enu car.iclère el d'une gr:inde |)nis-
— 422 —
sance de modelé. U Annoîuiation est une composition de
premier ordre. La lèle de Marie se distingue par la grâce et
la dignité. Les yeux sont vivants, la bouche s'entrouvre et
on semble entendre la réponse au.K paroles de l'ange. La
Sainte Vierge avec l'enfant Jésus est une composition char-
mante, exécutée avec cette délicatesse de sentiment qui
caractérise les œuvres de nos maîtres du xv^ siècle. Les tètes
de Marie et de son divin enfant sont pleines de dignité et de
naturel. Rien de ravissant comme le panneau représentant
sainteCatherine. La sainteestd'une simplicité de poseetd'une
aisance d'attitude qu'on ne saurait assez admirer. Sa tête, si
jeune, si fraîche et si candide, captive, enchante les regards.
Les groupes des seconds plans sont également bien conçus
et habilement coordonnés.
Dans les panneaux du retable de Gùstrow, les accessoires
sont adroitement traités. Les étoffes, les soies surtout, sont
rendues avec une exactitude remarquable; la robe en bro-
card, que porte sainte Catherine, miroite comme du drap
d'or véritable.
L'artiste a placé ses scènes en plein air. Les fonds de ses
peintun^s trahissent une vigoureuse étude de la nature. La
verdure, les plantes, les fleurs, les rochers, les construc-
tions y sont consciencieusement reproduits. On y sent la
légèreté des nuages, la profondeur inhnie de l'espace, la
fraîcheur de l'air.
On sait que le coloris était le fort de nos anciens maîtres.
Le coloris de ces œuvres, c'est M. Schlie qui l'aflirme, est
plein de puissance, de charme et de vérité.
M. le D' Schlie, (jui a élé à même d'étudier sérieusement
les volets du rolable de Tiiislrow, les attribue à notre illustre
— 425 —
compalriote Bernard Viiii Orley. On sail (|tie ca grand
arlisle naquit à Bruxelles en 1491 el y mourut en 1541 (i).
Sur le seuil qui se trouve dans la scène représentant
V Annonciation, en dessous de l'ange, l'artiste a placé
un 13 majuscule surmonté d'une couronne. M. Schlie croit
y reconnaître le monogramme de Bernard van Orley. Il ne
nousest pas possible de partager cet avis. Nous envisageons
celle lettre Ti comme la marque de la ville de Bruxelles,
telle qu'on avait l'habitude de la placer sur les tapisseries
historiées qu'on fabriquait autrefois dans cette cité.
Les peintures du retable de Gustrow sont-elles réellement
de Bernard van Orley (-2)1 De même que M. Schlie, nous
avons rencontré de nombreux rapports entre ces productions
et les œuvres connues du grand artiste bruxellois. Mais
cela ne suffit pas pour trancher la question. Les analogies
qu'on observe dans les peintures flamandes du commence-
ment du xvi' siècle*ne sont souvent que des analogies d'école.
D'ailleurs, on sait de science certaine que plusieurs tableaux
importants, qui passent dans les musées comme étant de Van
Orley, ont été faussement attribués à ce grand coloriste.
Bruxelles comptait à l'époque de Van Orley, un autre
peintre d'histoire qui paraît avoir été un artiste de talent
et qui fui, en 1510, chose digne de remarque, le collabora-
teur de Borman, ainsi que nous le verrons à l'instant.
(i) M. Alphonse Wauters a publié un intéressant travail sur Bernard van
Orley, dans le Bulletin de Vacadémie royale de Belgique, 1881, t. I, pp. 3(39
et 444.
(i) On ne connaît aucun tableau de van Orley daté ou mentionné dans un
do unient antérieur a 1.">1.''>. Or, nous pensons que le retable de Gustrow est
antérieur k cette année.
_- An —
Ccl nrlislo n'ôlail aulre que maitrc Jean Van Roomk alias
VAIS Brussel. On n'a jusqu'ici aucune espèce de renseigne-
menls biographiques sur ce peinlre. Ce qu'on sail d'une
manière certaine, c'est que ses travaux l'avaient mis en
laveur auprès de l'administration supérieure. Pour les dessins
(les modèles des statues destinées à la décoration de la Cour
des bailles, le gouvernement lui accorda la préférence sur
Jacques Van Laethem, peinlre en titre du jeune arcliidnc
(rAutriche, qui devint l'empereur Cliarles-Quint. A notre
Van Roome, l'on demanda les dessins des statues des ducs
et duchesses de Brabant, tandis qu'on n<^ demanda ;i Van
Laethem que les dessins de quelques ligures d'animaux fi).
Quand les dessins de notre artiste furent aciievés, on
s'empressa de les montrer à Marguerite d'Autriche, qui se
trouvait pour le moment, avec son neveu, à Matines. Le
jeune archiduc en fut tellement enchanté, qu'il ordonna
d'exécuter immédiatement les statues projetées d'après les
dessins dont il s'agit (2). C'était en UilO (0).
(0 « MtfStei'LMi .lAf.oi'PE VAN Lathem, acUdere myns genodigen hccivn, v:in
to liebbfiii gemaickl dif palroonen van xij lii^ureii van vo;-;clen ciide bcesleii vocr
die beeldsnydor<'ii, iij lib. iij si. n. Compte cité.
(2) « Meesleren Janne van liooMi: alias van Bkuessel, sel tilde y e, van le
bebben gemaict gcliad die alcompst van de xi liertogcn, die weîcke giielocnt
waren onser genediger Vronwcii dcr Ouagieren van Savoyen, wcsende alsdnen
te Medielen, ende oik onsen genedigen liecre iierlogcn Kaerle, den wellu; die
zelve personagien zeer vvcl aenstonden, mils den welken liy llioi/son d'or monde-
linge beveelile dal nien van slonden une, deregelyke van raciale niaken, lilyc-
kende by uidinancien van de voirsoli. canieren ende (|iiitan(ien daer op dienende,
^eschreven xvi janiiai'y n" xv'; x. Hier ovcr gegeven die somme van xx lib. ".
Compte de la construction de la place dite Cour des liaiUes.
(-) «... die licelden oft ligneren van den lierlogen onde iieiinginnon van Bra-
liaiit... ini'llen wapi'nnicken. sejlden, niljeii ende gesrnflen daer inné staende i>.
f'.tim})U' ciii'.
— Uo —
Eli l")lô, la coiii'rci'ic (lu Saiiil-Sacrciiiciil, n l'iglisc ilc
SaiiiL-lMcrrc, à Louvain, (.leiiiaiula à Jean Van Koome un
projet pour l'cxcculioii d'une tapisserie liisloriéc qu'elle
avait résolu de faire lisser à Bruxelles. On lui paya celte
eoniposilion 2 1/^ llorins du Rhin; on lui oITril, en outre,
deux pois de vin (i). D'après la composilion de noire artiste,
Philippe Van Orlcy, frère de Bernard, dessina un carton de
grandeur voulue, qu'on lui paya iô 1/'2 llorins du Rliin.
Celte inléressanlc lapisseric existe encore. Elle représenlc
la Lérjcndede Herkenbald cl décore aclucllemenl le musée
de la porte de Hal, à Bruxelles.
Que Van Roome ail exécuté des œuvres considéral)lcs à
Bruxelles, c'est là un point qui semble ne pouvoir élre con-
testé. Quelques-uns de ses travaux doivent encore exister;
mais ils sont probablement attribués à d'autres artistes de
l'époque. Il y a encore lant des découvertes à faire pour l'his-
toire de la peinture flamande. Nous espérons qu'on parviendra
un jour à retrouver l'un ou l'autre tableau de l'arliste et à
lui assigner le rang qu'il doit occuper dans l'histoire de l'art.
C'est à l'occasion de l'exécution des modèles des statues
destinées à la Cour des bailles que Jean Borrnan eut des
rapports avec Jean Van Roome. Cela résulte d'un passage
du compte de ce travail, déposé aux archives générales du
royaume. Nous en publions le texte en note (2).
(<) ï Ucm, bctaclt Mecbler Jan van BiiussiiL, (c Biuisel, vaii don oiilwcrpe
dacr oiis palnjoii iiac gliemackl es i,j ) '2 Riii.si;iil(lcii, Item, iiorh licni {;t'sevcn
Iwce pollen wyiis ». Compic de la confrérie du Saiiil-Sucrcmeiit, à lV';:lisc de
Sainl-Picrrc, à Louvain, de iol5,
(?) « Ende nocli die gcsonden warcn lot llioijson d'or als die voorscli. Meoslcr
Jan van Bruessel cnde Jan Bor.REMAN, mcl hcni concortccrdcn hoc nicn die
ligticrcn soude niooscn niakcn, viij sluyvcrs vj deniers ». Compte cité.
— 426 —
Tout prouve que Van Rooido était alors un artiste en
renom. Mais,_[comine on ne coiinait jusqu'ici aucune de ses
œuvres, il serait téméraire d'attribuer plutôt à lui qu'à Van
Orley les peintures d(\s volets du retable de Giistrow.
En nous occupant un instant de Van Roome, nous n'avions
d'autre but que de signaler l'existence à Bruxelles d'un
second peintre de haut mérite à l'époque où Rorman y pro-
duisait ses beaux travaux.
Quoi qu'il en soit, nous pensons qu'il ne serait pas tout
à fait superflu de procéder à une nouvelle étude comparative
des tableaux connus de Van Orley avec les panneaux du
retable de Giistrow, afin d'arrivei- à établir d'une manière
définitive la paternité de ces admirables productions de
noire école du xvi^ siècle.
■ Le magnifique retable de Giistrow, dont M. le D' Schlie
nous a révélé l'existence, ofl're un intérêt capital pour le
pays. Non seulement, c'est une merveille de la sculpture,
mais aussi de la peinture nationale. En faisant connaître
ce grand travail, M. Schlie a rendu un incontestable service
à l'histoire de l'art en Belgique.
Ed. Van Even.
Louvain, le 18 décembre 1884.
COMMISSION ROYALE DKSMONUMKN TS.
RÉSUMÉ DES PROCÈS-VERBAUX
SÉANCES
des 8, 14, 22 et 29 novembre; des 5, 6, 11, 13, 20 et 27 décembre 1884.
ACTES OFFICIELS.
Nomination de membres correspondants de la Commission
royale des monuments.
Léopold II, Roi des Belges,
A tous présents et à venir, Salut.
Vu les rapports et propositions de la Dépulation perma-
nente du Brabant et de la Commission royale des monu-
ments;
Sur la proposition de Notre Ministre de l'agriculture, de
l'industrie et des travaux publics,
Nous avons arrêté et arrêtons :
Art. I". M. Van Ysendyck, architecte, est nommé membre
du Comité provincial des monuments du Brabant, en rem-
placement de M. Pinchart, décédé.
— i:>H —
y\. k L'hanuinc Dclvigiie esl iioiiiiuc iiiciiibrc ihi incniL'
Coiiiilc, cil rciiiplacciiieiil de M. lo cliaiioiiic Rcuseiis ,
iioiniiK' niciiibrc de la Comiiiii.sioii ccnlrale.
Ai'l. '2. Noire Minislie de i'agiiciilluic, de l'induslrie cl
des liavaux publicii csl chargé de rcxcculioii du iircsciit
arrèlé.
Donne à Bruxelles le "22 iioveiiiljre 1884.
(Signa LÉOIMJLD.
Par le Roi :
Le Miiiiii/c de foijrtciiUi'.rc, de iindnsiric
el des travaux pidilks,
(Signe) Clicv' de Moreau.
l\)ur cx|)édilio!i conforme :
Le Secrétaire ;jéitéral da Miinslère de Car/ricuHure,
de l'iiidunlric el des travaux publics,
(Signé) Belleiiioid.
'le b.iiiil M II lu
n^lMURE ET SCULPTl Pli:.
La Coniini.^sion a eiiiir^dcs avis l'avorablcs sur :
•:'R''J? 1° Le prdiel rclalil à IVxéculion d'une verrière par
Illll-M IlllM, 1 J '
vciVite. M- Verliaegcn, à |)laccr dans réglis(5 de Sainl-Marlin, a lia!
(Brahanlj, aux Irais de S. M. la Reine;
c.iih.iiaip 2" Le dessin d'un vilrail à placer dans la calliédrale de
d': Sailli Sauveur, '
%'S!" Sainl-Sauvcur, à Bruges, dans la baie au-dessus de la clia-
— I2î) —
pelle du Bienheureux Charles le Bon : auteur, M. Grosse- -
De Herde. Ce vili'ail esl un don de M. Louis Grossé-
Coucke ;
3" La maquelle de la statue de Bréderodc, nue M. Van square
' ' ' (lu Pctit-Sablon.
Rasbourg esl chargé d'exécuter pour la décoration du square ^ suîuc""
du Petit- Sablon, à Bruxelles ;
4" L'esquisse de la statue de la Justice, par M. Willems. '*'d';M'!,*j>'""'
Celte œuvre est destinée à la décoration de la façade prin- ^"""'■
cipale du palais de justice, à Malines;
5'' L'acquisition |)ar le conseil de fabrique de résrlise de EgUsc
^ ' 1 r) ,1,, Messelbroctk.
Messelbroeck (Brabant) d'une statue dite du Sacré-Cœur ^'"•"'■■
de Jésus ;
G" L'acquisition pour l'édise d'Yvoir (iNamur) d'un che- .^P'ise d-vv.ir
* I C ^ ' Chcmiu de crou.
min de croix ;
7" La proposition du conseil de fabrique de ré2;lise de Esiise
•^ ' 1 D de Nolre-Damc.
Notre-Dame, à Saint-Nicolas (Flandre orientale), tendante ^^^^Tabi^au"'"'
à obtenir l'autorisation de faire restaurer le tableau du
maitre-autel qui représente la Descente de croix, et les
vitrages du chœur. Le tableau précité est attribué au peintre
Thyssens. M. De Wilde, directeur de l'Académie de Saint-
Nicolas, sera chargé de la restauration ;
8° Les propositions du conseil de fabrique de l'église de ligusc
de RiipelinoDde.
Rupelmonde (Flandre orientale) relatives à l'acquisition «"abieau.
d'objets mobiliers et à la restauration de certains autres,
parmi lesquels figure un tableau représentant l'Elévation en
croix, placé au maitre-autel.
— Des délégués ont examiné, dans l'église collégiale de Égnse
de Saint-Nicolas,
Saint-Nicolas, à Dixmude (Flandre occidentale), la restau- \^;],^;;^f-
ration du tableau de Jacques Jordaens, l^Adoration des
Mages. Pour l'exécution du travail, le tableau a été descendu
— iôO —
de I;i |ihic(' (ju'il occii|)tiil au mailrc-aulel et place daIl^ un
alelier volant érige dans un des bas-côlés de l'église.
Comme l'avait fait pressentir la Commission dans son
rapport du 1 1 août 1885, les avaries que l'on avait signalées
étaient plus aj)parenles que réelles. Déverni cl nettoyé, le
tableau s'est révélé comme étant resté d'une admirable con-
servation. On n"a eu ((u'à enlever les re|)einls qui alourdis-
saient le manteau de la Viortie pour i-elrouver la i)einlure
primitive. Quant à sa guimpe, que Ton croyait avoir été
ajoutée lors d'ime restauration antérieure, il a été l'econnu
que ce détail fait bien pai'lie du costume. C'est celui d'uric
bourgeoise de l'époque, en désbabillé d'intérieur ; robe
lâche de ccintui-e, bas blancs et pantoufles de velours rouge
sans quartier.
Les avaries réelles signalées au tableau, entre autres une
boursouflure et un trou occasionné jiar la brûlure d'un
cierge, n'avaient (prune importance relativement minime, et
elles ont été consciencieusement réparées.
Toutes constatations faites, les délégués sont d'avis que
le peintre M. Maillard s'est conformé au.\ indications de la
Commission et (jue la restauration de l'œuvre de Jordaens
est réussie de tous points.
Le tableau de Jouvenet, l'Krc^lion en croix, (pu fait éga-
lement, partie de la décoration de l'église de Saint-Nicolas,
paraissait menacé dans sa conservation par une invasion
(le taches de moisissure, que l'on supposait provenir de
l'humidité tombée des voûtes. Il a été reconnu que ces
taches avaient pris naissance dans le champ même du
tableau. Mis en place après un ren toilage trop récent,
celui-ci avait con.servé entre la peinture et la toile des lacunes
— ^"1 —
dans riioinogônéilô (le s;i surface; la malière iiilcrposéc en
vue du collage s'esl (léct)mposéc sous riniluence aln)os|»lié-
ri(jue el a produil les moisissures dont il élail urgent d'ar-
rêter le travail de désagrégation. M. Maillard s'esl acquillé
de cette làclie avec un |)lein succès.
M. le curé-doyen, d'accord avec T'adminislration com-
munale de Dixnmde, a fait connailrc son intention de con-
licr la restauration (raulres tableaux, placés dans l'église,
à M. Madlard.
Ont été désignés à l'attention des délégués :
V Le lableau surmontant l'aulel latéral de droite du
chœui-, autel dit de Saint-François ou de la Trinité. La
peinture représente allégorii|uemenl l'œuvre du rachat des
captifs par les Frères Trinitaires. Elle peut être attribuée
à Bockhorst. Après rcntoilage et restauration, le tableau
pourra faire bonne figui'e. Dans la |)artie supérieure, les
personnages de la Trinité cl la Vierge ont du style et pa-
raissent d'un heureux coloris. Le bas est dénaturé par des
repeints;
!2" Le tableau |»lacc a l'autel latéral de gauche du chœur
(chapelle de la Vierge), attribué à Scliutl. Il rcjiréscnte la
Vierge el l'Enfanl Jésus dans l'encadrenienl d'une guirlande
de fleurs simulant le Rosaire. Les figures paraissent dune
bonne conservation. Les fleurs ont subi des reslauralions
(|ui en ont altéré les relations d'harmonie.
Les délégués ont trouvé ces projets de restauration sufli-
samment jusliliés et ont cru devoir les appuyer.
Les représentants des administrations communale et fabri-
cienne ont signalé à l'attention des délégués les traces d'un
mouvement qui s'esl produil dans la conslruction de l'église
— 43i —
et qui n'ont été remarquées que récemment : à l'autel placé
à droite du chœur, sous le jubé, autel dit des Ames du Pur-
gatoire, la colonne en marbre formant la partie gauche de
l'encadrement de l'autel a sa base écrasée, ainsi que la par-
tie inférieure du fût; on remarque également des fentes et
des désordres dans l'entablement, qui présente un état de
dislocation générale.
On ne peut attribuer cet écrasement qu'au tassement du
mur qui repose sur le massif dans lequel les pièces de l'en-
tablement sont encastrées et qui est un des grands murs de
l'église.
Jusqu'à présent le mouvement paraît restreint et ne
semble pas offrir de dangers pour le jubé. Les délégués ont
néanmoins recommandé de vérilier l'état de la construction
masquée par la boisci-ie. Après cette vérilication, on pourra
proposer les mesures à prendre pour parer aux dégrada-
tions.
siMuc — Des délégués ont examiné, dans l'atelier de M. Vander
de Van Helmoiil. . . . i, . • , ,
Lmdcn, a Louvain, le modèle grandeur d exécution de la
statue de Va?i Helmonl, destinée à une des places publiijues
de Bruxelles. Us sont d'avis qu'il conviendra d'apporter au
modèle certaines modifications qui ont été indiquées à l'artiste
et (]u'il s'est engagé à effectuer. Ce n'est qu'à la suite d'une
nouvelle inspection que la Commission pourra se prononcer
définitivement sur le projet.
CONSTRUCTIONS CIVILES.
Ont été approuvés :
1" Le projet de faç;
.jcLiègo. rUiiivcrsilc (le Liège : architecte, AL Noppius;
J.Togi'quc 1" Le projet de façade de l'Institut zoologique à ériger à
* rUiiiversilc
— 4Ô3 —
2' Les modifications apportées au projet du théâtre fla- ■''J,^*^';^/^,^'""'
mand à construire à Bruxelles : architecle, M, J. Baës;
5° Le projet relatif à la construction d'une habitation pour H.-piui
' ■* 'il Aiidenaerle.
l'aumônier de l'hôpital d'Audenaerde (Flandre orientale) :
architecte, M. Vossaer.
ÉDIFIGi:S RELIGIEUX.
PRESBYTÈRES.
Des avis favorables ont été donnés sur :
1° Le devis estimatif des travaux de réparation projetés au Presbytère
' I J Je Nederliasselt.
presbytère de Nederhasselt (Flandre orientale). Il est
constaté que ces travaux n'ont pas assez d'importance pour
faire l'objet d'une adjudication publique;
2" Le projet relatif à la reconstruction des dépendances presbytère
et à l'appropriation du presbytère d'HoIsbeek (Brabant) :
architecte, M. Van Arenberg;
5** Le projet relatif à la construction d'un presbytère à ''.î^'r^ou^"
Roux (Hainaul) : architecte, M. Sabaut;
A" Le projet relatif à la reconstruction du presbytère Presbytère
^ '' l J d'Arville.
d'Arville (Luxembourg) : architecte, M. Adam. Une réserve
a néanmoins été faite sur la convenance qu'il y aura, au
cours de l'exécution, de supprimer le pignon et, par suite,
les pilastres en saillie et faisant avant-corps de la façade.
Les baies seront ainsi ramenées à un plan unique. Il y aura
lieu, en outre, de mettre une lucarne semblable à celles qui
existent à la place où s'élevait le pignon.
ÉGLISES. — CONSTRUCTIONS NOUVELLES.
La Commission a approuvé :
1° Les modifications apportées au projet approuvé concer-ka^nfroiuBeHaw.
ÎJ'l
nai)( la construction de l'égiise de Ileykanl-sous-Berlaer
(Anvers): architecte, M. Blomme. Ces modifications consis-
tent dans l'allongement du transept de gauche ;
deHomprr. ^^ ^Q ccssion à la paroisse d'Assenois , commune de
Hompré (Luxembourg), d'une église édifiée par le desser-
vantau moyen de dons volontaires pour remplacer l'ancienne
église qui tombe en ruines. Ont été également approuvées les
conditions du subside à accorder par l'Autorité supérieure
en vue de l'aménagement de l'église et de son ameublement ;
Fi-iisp .ie spa. 5" La demande de l'administration communale de Spa
(Liège) tendante à obtenir un nouveau prélèvement de
100,000 francs sur le subside promis par le Gouvernement
pour la construction de la nouvelle église de cette localité.
Cette décision est motivée par l'état d'avancement des tra-
vaux. Il résulte, en effet, d'un rappoit de l'architecte diri-
geant que les maçonneries des bas-côtés, de la grande nef
et des transepts sont achevées; que les tours sont élevées
jusqu'à la hauteur de la corniche de la grande nef; que les
trois absides circulaires sont arrêtées aux cordons sous les
galeries supérieures; que l'on s'occupe à couvrir les bas-
culés et à placer la charpente des hautes nefs. La sacristie
esl entièrement terminée et l'on a fait les réparations voulues
aux propriétés attenantes;
, M''t, . ■i" Le devis des travaux supplémentaires à exécuter pour
acourirai. j^ fonstruclion de l'église cl du presbytère de Saint-Éloi, à
(iourirai (Flandre occidentale), dont le projet a été précé-
demment approuvé. Ces travaux sont nécessités par la
défectuosité du terrain, par la convriiance d'établir un mur
de séparation avec la propriété voisine et par le placement
d'un paratonnerre;
Ii^ Saiui MarliD,
Ciiurirai,
— .iô5 —
o" Le projet concernant le placement de nouvelles stalles j..saf,f,'piprre
dans l'église de Saint-Pierre, à Thiclt (Flandre occidentale),
et le déplacement du banc de communion, en vue d'aug-
menter la surface du chœur;
C° Le projet relatif à la reconstruction du jubé, du portail F-Kiise
et du buffet des orgues de l'église de Sainl-Marlin, à Cour
Irai (Flandre occidentale). La nature de ces travaux justifie
suflisammenl leur exécution par voie de régie ; arcliilecie,
M. Carpentier;
7 ' Le projet relatif à l'exécution de deux confessionnaux f^^y,,^
pour l'église de Bercheiix, commune de Juserel (Luxem-
bourg);
8° Le devis de?, réparations à exécuter au mobilier de itgii<ft
lie Tûngrinnp.
l'église de Tongrinne (^amur), ainsi qu'à la sacristie;
9° La proposition de mettre en adjudication publique le Kgiise
nouveau mobilier destiné à l'église de Neerhaeren (Llm-
bourg). Quant à la proposition de restaurer le retable ancien
que l'on compte utiliser à l'un des petits autels de l'église, il
y aura lieu d'attendre que l'on ait soumis à l'approbation
préalable un dessin de l'autel qu'il doit surnionter;
10" La proposition du conseil de fabrique de l'église de i-giue
Pamel (Brabant) tendante à obtenir l'aulorisalion d'acquérir
pour cet édifice un orgue d'occasion de peu de valeur;
ii" Les projels de pincemeni de paratonnerres sur les piac^mpot
églises de :
Couckelaere (Flandre occidentale) : bàlimenls de l'église
et du presbytère;
Middrlkerke (Flandre occidcnhiUO : bàlimenls de l'église
et du presbytère;
Ruddervonrdo (Flandi-r ncridcMlrtlc) : bâtiment do r(;.elise.
— 456 —
TRAVAUX DE RESTAURATION.
Ont élé approuvés :
(leDeeikk. '' '^ ^^ projct relatif à la construction d'une chapelle des
fonts baptismaux et la restauration de la sacristie de l'église
de Deerlyk (Flandre occiden(ale) : architecte, M. Croquison;
deGheîuwo "^^ ^'^ propositlou d'exécuter par voie de régie les travaux
de consolidation à effectuer à la tour de l'église de Gheluwe
(Flandre occidenlale);
de salTeTacre ^° ^^ dovis dos travaux de réparaliou quc l'ou propose
d'exécuter à l'église de Saffelaere (Flandre orientale) : archi-
tecte, M. Van de Woesteyne;
Cathédrale ^° Lc projct drcssé par M. l'architecte R. Buyck, en vue
de la restauration de trois fenêtres du bas-côlé de la cathé-
drale de Bruges, dans les chapelles de Notre-Dame de
Lorette, de Saint-Joseph et de Sainte-Croix ;
Eglise 50 Lg projet relatif à la restauration de huit fenêtres des
lie Buekcu. r J
façades latérales de l'église de Bueken (Brabant), pour les
harmoniser avec celles de la façade principale;
Egii>e G" La demande en autorisation d'exécuter par voie de
de l'ollaere. '
régie la reconstruction de deux fenêtres de l'église de Pol-
laere (Flandre orientale) ;
desfei'^rt ^ ^^ proposition de M. l'architecte .laminé, tendante à
pouvoir exécuter par voie de régie les travaux de restaura-
tion projetés et approuvés de l'église de Steevort (l^imbourg) ;
deWommef(5i.em ^° ^c dcvis cslimatif dcs travaux de restauration à effectuer
à la toiture de l'église de Wommeighem (Anvers) : architecte,
M. Gife. Ces travaux pourront èlre exécutés par voie de régie;
ËgiiîH.i.. K«,ei. 9" La proposition du conseil de fabrique de l'église de
Kessel (Anvers), tendante à faire effectuer à cet édifice des
travaux divers de restauration : architecte, M. Blomme;
— 4Ô7 —
10° La deniande de l'administration communale de Clerc- ,,ecfêrclen.
ken (Flandre occidentale), tendante à obtenir l'autorisation
de démolir une vieille tourelle qui se trouve sur la nef inter-
médiaire de l'église de cette localité ;
11'' Le compte rendu des travaux de restauration exécutés, „ ^e\'^<'J^ ,
' N -D.de Paiiiele,
en 1880, à l'église de Notre-Dame de Pamele, à Audenaerde '' ^"'^'"''"^^■
(Flandre occidentale).
— Il résulte de constatations faites récemmeni par les soinSy,..^^8'^*^g^''Ej^
de la Commission à l'église de Sainte-Anne Ten-Ede, à
Wetteren (Flandre orienlale), que les travaux qui ont été
exécutés pendant l'été de 1881 à la tour de cet édifice ont
suffi pour écarter toute crainte relativement à la stabilité de
la construction. Depuis cette époque, tout mouvement dans
la maçonnerie a complètement cessé.
Le Secrétaire Général,
J. Rousseau.
Vu en conformité de l'article 2Î> du règlement.
Le Président,
Wellens.
(1)
BIBLIOGRAPHIE".
II
Flijme-iits d^nrrJi^olnçiip rlrrêlienne y ])nr le oliniKiinr- RrusKKs (•}'
Il y a déjà plus de douze ans rpifi lï-minent professeur
d'archéologie de l'Université de Louvain publiai! le premier
volume de la première édition de ses Klémenis d'archéologie
chrétienne : depuis celte époque, que de progrès dans la
science, progrès auxquels M. le chanoine Reusens a con-
tribué lui-même pour une large part!...
Une seconde édition, « revue et considérablement aug-
mentée,» était devenue absolument indispensable: le premier
volume vient d'en paraître en ISS-i.
Cette seconde édition est une œuvre pour ainsi dire nou-
velle; elle ne permet pas qu'on se contente do la première,
tant les additions sont nombreuses, tant les compléments
modifient l'a-uvrc piimilive ; aussi est-elle appelée à rendre
(ij Voy. fi-(lessu«, XXI, p. 025, le premier article d'iiik' série de nolieos
l)il)li<>j,'raphi(|iies ipie l'auteur se propose de publier.
Voy. aussi des articles anlt-iieiirs dans les volumes piocédeiits. I.e temps a
iiijii(|iié il raiilt'ur pour mettre la main à la |iilu d'ouvrages inléressaiils el peu
connus doit! il a a rendic iiiiiipit'-, il fs|i('-ri' peu ;i [hmi regai^uer le temps perdu.
'*.} Voy. ci-dessiis. \l, p. iitl; \\|. p. VA)T,, Us iom|ili s rendus de cette
pieuiicie ••diiii'i).
(les services considérables pour rétutle el la conservalion
des nionumenls chrétiens.
>J. le chanoine Rcusens, (oujours en quête de renseigne-
ments nouveaux, a parcouru toute l'Europe; il n'a négligé
aucune des nombreuses expositions d'art ancien qui se sont
ouvertes à l'étranger et dans notre pays ; il a été la cheville
ouvrière, au moins pour tout ce qui regardait l'art religieux
(et son concours s'est étendu bien au delà), de nos belles
expositions d'art ancien à Bruxelles, au Champ des Manœu-
vres, en 1880; à Liège (à l'Émulalion el à la cathédrale),
en 1881.
Une pierre tombale, une pièce d'orfèvrerie est-elle signa-
lée dans quelque coin du pays, aussitôt U. Reusens va la
visiter et provoque les mesures nécessaires pour sauver
l'objet, dont il prend note pour ses études.
C'est à lui qu'on doit non seulement la conservalion, mais
aussi la connaissance scientifique de l'intéressante sépulture
chrétienne, très ancienne, récemment découverte à Coninx-
liem, aux portes de Tongres : il la décrit aux pages 125 à
lôO, I, de sa seconde édition, où il lire des déductions ingé-
nieuses de fresques grossières peintes sur les parois de ce
tombeau et représentant des festons, des couronnes, des
guirlandes, des colombes (dont telle ou telle avec le rameau
d'olivier dans le bec), et même l'une des plus anciennes
formes du monogramme du Christ : une monnaie de l'im-
pératrice Salonine l'engage à atlrib.uer la sépulture au troi-
sième tiers du m" siècle.
Ce n'est pas là la seule partie entièrement nouvelle de
l'œuvre de M. Reusens : atlenlif aux découverles frankcs
faites dans ces derniers temps. surJont d.^ins la proviiu'f de
— 440 —
Namur (où l'on peut en voir les produits dans le magnifique
el insiruclif musée du chef-lieu), l'auteur étudie les sépul-
tures chrétiennes de cette époque, et il cite notamment un
vase de verre avec le monogramme du Christ, découvert en
1879, à la place Saint-Auhain, à Namur, une petite croix en
plomb, une bague avec monogramme, avec la croix, trou-
vées à Franchimont (dans l'Enlre-Sambre-et-Meuse), une
broche ou agrafe, découverte à Vedrin, et surtout une
plaque d'attache en bronze à trois chainettes portant à leur
extrémité une petite croix suspendu(! (Franchimont), entin
une plaque d'argent, provenant d'Fprave et représentant
deux oiseaux symboliques becquetant un objet qu'on a pris
pour une grappe de raisin, mais qui a plutôt l'air d'une
« pigne », car la pointe est en haut.
Les gravures qui accompagnent cette partie de l'ouvrage
sont nombreuses et donnent au lecteur une idée complète
de la civilisation franke dans notre pays.
L'émaillerie du moyen âge a attiré tout spécialement l'at-
tention de M. Reusens, et il donne à cette importante partie
de son travail des développements intéressants.
Une critique cependant : l'auteur en est encore à cette
énoncialion appuyée sur l'interprétation d'un passage de
Philostrate, que l'émaillerie pendant les trois premiers
siècles de notre ère était propre aux Barbares, el inconnue
à Rome : en Allemagne, cela est vivement contesté, et l'opi-
nion de Lindenschmil, en 1883 (i), n'est pas de celles
(0 Die AUerthiimer iinaerer hekhiischeu Vorzeit, III, viii, it propos de la
pi. 3, représeiitaiil de iiingiiiliques riiiaiix atthlmés aux Romains
l.iNOENSciiMiT, qui iM' l'ait qiK! rappeler son opinion déjii ancienne sur la
question, rile a l'appui nn travail du roloind von (loiiArsrx, en 187!). Ces travaux,
peu connus en Bel};ique, appel. eut une ctude nonvelle de la question.
auxquelles on puisse pass(!r oulre sans leur faire l'Iionneur
(l'une réfutation, si on ne les partage pas... .
Mais ne nous arrêtons pas à une discussion accessoire
qui nous détournerait trop du sujet spécial du livre de
M. Reusens, et bornons -nous aux indications ci-dessus,
à titre d'exemples des additions considérables qu'a reçues
l'œuvre ici analysée, en laissant au lecteur le soin de cher-
cher lui-même les autres.
Quant aux planches, le travail de M. Reusens s'est en-
richi d'un bon tiers au delà de ce que contenait la première
édition (en omettant un certain nombre de gravures agran-
dies, parce que les dessins de la première édition ne rendaient
pas toujours avec assez de clarlé les détails de l'ornemen-
tation).
Dans les notions générales sur l'architecture, outre plu-
sieurs sujets complètement nouveaux, on remanjuera .des
modifications importantes pour rendre plus saisissables les
descriptions des différentes moulures.
Aux représentations relatives aux Catacombes, M. Reu-
sens a ajouté une Adoration des Mages (fresque du cime-
tière de Saint-Soter) et un Repas symbolisant le bonheur des
élus (id. du cimetière des Saints -Pierre-et-Marcellin), un
tombeau avec le Bon-Pasteur, de Livia Primiliva (cimetière
du Vatican).
Les monuments de style latin sont enrichis d'un fronton
du temple païen de Clitumnus décoré, au v" siècle, de rin-
ceaux symboliques chrétiens, et du couronnement extérieur
d'un baptistère de Ravenne,
Plus loin, on remarque, comme gravures nouvelles, une
table d'autel de Besançon, un autel de Ravenne, le cibo-
— H2 —
liiiiii d(! I;i lutsiliquc tic Piuviizo. celle th; Saiiil-Apullinairc-
m classe do Raveniie, le Mausolée de riinixii'alricc Galla
Placidia. le sarcopiiage de l'abbessc Théodole, conserve à
J^avie, un cercueil en plomb de Saïd, en IMiéiiicic, elc, e(
ce qui nous intéresse plus direclemenl, un feuille! d'ivoire
pi'ovenanl du devaiil d'une chaire épiscopalc el conservé
au li'ésor de Noire- Dame, à Tongrcs (tous monumenls
d'enlre le \' ou vf- siècle et le i\").
La série des orfèvreries religieuses est enrichie d'un
calice ministériel du v* ou vi'' siècle, trouvé en I87;i
à Zamon, en Tyrol, la clef de saint Servais, à Maestricht
(iv" siècle j, celle de saint Hubert, à Liège {vf[i* siècle),
une fiole du trésor de Monza, d'autres fioles dites de saint
Mennas (i), la couronne votive donnée par Agilulfe à l'église
de Monza, un feuillet de diptyque ecclésiastique de la ca-
thédrale de Tournai, un tissu de soie du trésor de Sainl-
Scrvais à Maestricht, un autre du trésor de l'église de
Maeseyck.
Parmi les nombreuses planches nouvelles de la partie de
l'ouvrage conceiiiant la période romaine, il y a lieu de se
restreindre et de ne plus citer, tant elles sont nombreuses,
(juc celles qui concei'nent les Pays-Bas.
Ce sont :
Vue intci'icuic de l'éuiise de Celles, j)rès de Dinanl
(p.ôiy);
Inscriplioti de l'église dcl*amele (p. il8);
(i) Ton haijiou Màia, cl non uijioii Mciialoit, comme on l'.i ini['riiii(i assez,
Itlaisaiiiiiicnl dans un catalct'H*.
— iiô —
Aiili'l purlatil ilu trésor do Saiiil-Scrvai:?, à Mac^lriclil
(p. 453) ;
Fonls baptismaux (on ouivro) do Sainl-Gcrmaiii, à Tir-
Icinoiil (p. 440);
1(1. du xn' siècle à Thynos (Nainur; (ibid.j;
M. du xi-xii' siècle, à Gallais (llainaul) (p. i'w);
Id. (lu XII'' siècle, à Piussoii (Limbourg) (ibid.);
l{\. du XII' siècle, à Gosncs (Namur) (ibid );
Pyxidc en ivoire du (résor de Sainl - Servais, à Macs-
Iriclil (xii' siècle) (p. i6o);
Croix rcbquaire du trésor de Maestricbl (p. iG!S);
Trois dessins des châsses de sainl Servais cl saint Can-
dide, à Maeslricbt (pp. 472 et suiv.);
Deux colïrets du même trésor (pp. 478 et suiv.);
Trois reliquaires byzantins, ibid. (pp. 181 et suiv,);
Un id. du trésor de N.-D. a Tongres (p. 481);
Feuillet d'un évangéliairc de l'abbaye d'Egmond (p. iD4);
Poigne liturgique à l'église de Saintc-Gortrude, à Nivelles
(p. oOO;;
Éloflc de soie du trésor do Maestricbt (p, 51 1;;
Plusieurs dessins des vêtements sacerdotaux de saint
Bornulplic, évè(iue d'Utreclil (|»p. -SIO et suiv.);
Christ trouvé à Eprave (Namur) (p. jùil);
Descente de croix liréed'un manusci'it de la Bibliothèque
royale à Bruxelles (p. 505).
Mais par dessus tout, il faut citer la planche j)hologra-
phique du remarquable retable de l'autel de Stavclol, que
M. van de Casteele, le zélé archiviste de l'Etal, à Namur,
alors attaché aux archives de Liège, a eu l'heureuse chance
de trouver dans une farde de procédure touchanl les biens
— Uâ —
de l'abbaye (lu'cnumère riiiscripliuii circulaire tracée autour
du retable (i). Seulement, si c'est bien vers IliS, comme
le dit M. Reusens, que ce retable a été fait pour l'abbé
Wibald, quelle est la signification de cet écu à blason bien
blasonnant que M. Demarlcau, de Liège, a remarqué le
premier sur le bouclier du chevalier placé à côté du roi
Sigeberl, devant saint Éloy et saint Remacle : faudra-t-il
l'aire remonter l'origine du blason jusqu'au xii'" siècle, en
tranchant ainsi la question jadis discutée nolaniment entre
MiM. De Busscher et PiolV On peut lire, d'ailleurs, sur ce
sujet, la très intéressante notice que M. le comte de Marsy,
Directeur du Musée de Gompiègne et successeur de l'illustre
de Caumont à la présidence de la Société française d'ar-
chéologie, vient de faire |)arailre au sujet des armoiries
décrites dans les anciens Romans de clievaierie , même
remontant au xii*" siècle. Ce travail a été publié par la Société
des Antiquaires de France.
Comme conclusion, il n'y a (pi'à répéter ce par quoi la
présente notice débute : le livre de M. Reusens, intéressant
et curieux, est le vade-mecum indispensable des personnes
(|ui s'occupent d'objets religieux, et surtout de celles qui
gèrent les biens des églises.
11. S
(i) Voy. ci-dcsbiis, XXI, p. 2lo.
TABLE DES MATIERES.
Pages.
L"arl belge à l'Exposition internationale de Nice, par M. E. L. 5
Verres à la « façon de Venise » fabriqués aux Pays-Bas. —
7}' Lettre au Comité du Bulletin des Commissions royales (Vart
et d'archéologie, par M. H. Schuermans 9
Commission royale des monuments. — Résumé des procès-ver-
baux des séances des mois de janvier et de février 1884. . 51
Raphaël. — Le mariage de la Vierge, — par M. E. L. . . (>2
Commission royale des monuments. — Résumé des procès-ver-
baux des mois de mars et d'avril 1884 75
Objets étrusques d'Eygenbilsen (5« article. — 2^ partie), par
M. H. Schuermans 88
I«^ouvelles acquisitions du Musée de Bruxelles, par M. Ed. Fétis. 109
Épigraphie romaine de la Belgique {Suite), par M. H. Schlekmans. 149
Commission royale des monuments. — Résumé des procès-ver-
baux des séances des mois de mai et de juin 1884. . . 201
De rinfluence de l'art flamand sur les origines de l'art espagnol,
par M. Lucien SoLYAY 213
La table de communion de l'église de Saint-Pierre, à Louvain,
exécutée, en 1707, par Alexandre Van Papenhoven, d'Anvers,
par M. Ed. Van Even 241
Commission royale des monuments. — Résumé des procès-ver-
baux des séances des mois de juillet et d'août 1884 . . 258
Musée royal d'antiquités, d'armures et d'artillerie. — Nomination
du Président de la Commission 269
Verres fabriqués aux Pays-Bas à la « façon de Venise » et
« d'Altare. » — i" Lettre au Comité du Bulletin des Commissions
royales d'art et d'archéologie, par M. II. Schuermans. . .271
Création d'un musée des échanges internationaux. — Collection
de moulages et reproductions de monuments et d'objets d'art. 333
— 446 —
Pages.
Commission royale des monuments. — Hésumé des procès-ver-
baux des séances des mois de septembre et d'octobre 1884. 335
Recherclies sur les origines de l'art flamand du moyen âge, par
M. Edgar Baes 349
Maître Jean Borman, le grand sculpteur belge de la fin du
xv^ siècle. — Le retable de l'église de Gustrow, au grand
duché de Mecklenbourg, exécuté par Jean Borman, et orné de
peintures attribuées à Bernard Van Orley, par M. Ed. Van
EvEN 397
Commission royale des monuments. — Résumé des procès-ver-
baux des séances des mois de novembre et de décembre 1884. 427
Bibliographie, par M. H. S 438
PLANCHES.
Page».
PL 1. Diptyque d'Astyrius 160
PL IL Id. (seconde face) . . . .166
PL IIL Diptyque d'Anastasius 178
PL IV. Id. (seconde face) . . . .184
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d'Art ET d'Archéologie,
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d'Art h d 'Abchîoijjcie xxiii n. iv i-i
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